Intervention de Clémence Pajot

Réunion du 3 novembre 2015 à 18h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Clémence Pajot, directrice du centre Hubertine Auclert :

Nous sommes une équipe jeune, imprégnée par la culture numérique, et il nous est apparu qu'il s'agissait d'un champ inexploré. Permettez-moi ici d'indiquer que notre campagne « Stop au cybersexisme » sur les violences sexistes et sexuelles en ligne a reçu, la semaine dernière, le prix de la prévention de la délinquance décerné par le comité interministériel de prévention de la délinquance et le forum français pour la sécurité urbaine.

Je vais maintenant vous présenter les grandes lignes de notre conférence du 15 octobre sur le cyberactivisme. Elle a réuni les chercheuses Biblia Pavard et Josiane Jouët, Léa Clermont-Dion, doctorante de l'université du Québec, Joëlle Palmieri, activiste, ancienne membre des Pénélope, Angela Washko, artiste et activiste américaine, Reem Wael, déléguée générale du site harassmap.org en Égypte et Soudeh Rad, fondatrice de MachoLand en France et en Iran. Toutes ont montré en quoi les technologies digitales modifient les modes d'engagement des femmes dans la vie publique.

Les associations féministes ne sont pas à la traîne dans l'usage des outils numériques et des réseaux sociaux pour promouvoir leurs combats. Ils leur permettent de mieux communiquer en diffusant l'information de manière massive, comme en témoignent les actions menées par certaines blogueuses – citons entre autres celles de Olympe et le plafond de verre, Genre ! Crêpe Georgette – et la pratique des vidéos virales féministes – pensons dernièrement à la mobilisation contre le harcèlement de rue ou sur la « taxe tampon ».

Biblia Pavard et Josiane Jouët ont montré à travers une analyse de sites comme la troisième vague de féministes s'est approprié ces outils. Pour les associations plus anciennes, Internet sert de prolongement à des modes de travail préexistants, principalement la diffusion de textes, tandis que les plus récentes l'utilisent de manière innovante, à travers la mise en valeur de photos et de vidéos alliée à une forte esthétisation et au recours à la viralité.

Ces usages conduisent à accroître la visibilité de l'identité des groupes et des actions menées puisqu'elles s'affirment en ligne de manière permanente. Ils permettent de relayer très rapidement les informations, via les sites, Facebook ou Twitter, et amplifient la reprise de ces informations par la presse. Les Femen insistent ainsi sur le fait que les réseaux sociaux leur donnent une meilleure maîtrise des messages qu'elles portent, car elles peuvent contourner la façon dont les médias présentent leur groupe.

Internet et les réseaux sociaux facilitent, par ailleurs, le recrutement de nouvelles militantes grâce aux adhésions en ligne – c'est le cas pour Osez le féminisme –, la collecte de fonds, la vente de kits – pensons aux barbes vendues par La Barbe – ou encore le site Thunderclap qui, sur le modèle des sites de financement participatif, récolte des contacts pour amplifier la diffusion de messages.

Enfin, ces nouveaux outils favorisent la connexion entre mouvements et réseaux féministes à l'échelle nationale et internationale.

Deuxième constat : le cyberespace offre un espace préservé pour la libération de la parole des femmes. La parole est rendue plus visible lorsque l'espace est médiatisé ; elle peut aussi être sécurisée dans le cadre de groupes de discussion fermés.

Léa Clermont-Dion a présenté le cas de la campagne canadienne sur les agressions non dénoncées. En réaction aux commentaires suscités par le licenciement de l'animateur Jian Gomeshi accusé d'agressions sexuelles, la journaliste Sue Montgomery a posté un tweet expliquant qu'elle-même avait été victime d'agressions sexuelles qu'elle n'avait jamais dénoncées et a créé le hashtag #BeenRapedNeverReported. Plus de deux cents femmes – dont la présidente du Conseil du statut de la femme, équivalent du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) – ont par ce biais publiquement déclaré avoir été victimes d'agressions qu'elles n'avaient pas dénoncées et en vingt-quatre heures, huit millions de tweets ont repris ce hashtag. Cette campagne a eu un impact extraordinaire au Canada, où le féminisme avait tendance à être muselé depuis le massacre de l'école polytechnique.

Léa Clermont-Dion a également montré comment dans son pays, les groupes et les forums de discussion fermés facilitaient la libération de la parole chez les femmes. Il faut rappeler que 75 % des femmes autochtones et 40 % des femmes handicapées sont victimes de violences au Canada.

Ce phénomène a toutefois un pendant : pour les adversaires des féministes aussi la parole se libère. Après la grande campagne autour des agressions non dénoncées, les médias canadiens traditionnels ont multiplié les attaques contre les féministes, en jouant sur la déshumanisation des victimes et la déculpabilisation des agresseurs et en cherchant à humilier et effrayer les femmes pour les exclure du débat public et de l'espace numérique. Certaines cyberféministes isolées ont renoncé à s'exprimer, notamment à la suite de menaces de mort et de viol. Cela rend d'autant plus nécessaire de mettre en place de stratégies collectives.

Troisième constat : le cyberespace offre de nouveaux modes d'action.

Nous en avons eu un premier exemple avec les actions menées par harassmap.org en Égypte présentées par Reem Wael. Ce site incite les gens à dénoncer tout acte de harcèlement ou toute agression, qu'ils en aient été victimes ou témoins, en les localisant sur une carte. Les informations récoltées permettent de faire des recherches et de publier des données. Les analyses conduisent à aller à l'encontre des idées reçues et à dénoncer les stéréotypes, en montrant par exemple qu'une femme intégralement voilée peut elle aussi être violée.

Autre exemple : les campagnes virales lancées par le site MachoLand, disponible en français et en farsi, qui ont pour objectif de dénoncer les manifestations du sexisme dans l'espace public, notamment à travers les publicités. L'une d'elles a permis de créer un débat autour de l'autorisation maritale à laquelle les joueuses de l'équipe de foot féminine d'Iran sont soumises pour quitter leur pays. Par ailleurs, il fournit un soutien technique aux femmes ayant besoin de sécuriser leur connexion lorsqu'elles sont traquées ou harcelées.

Parmi ces nouveaux modes d'action, il faut compter aussi la performance artistique. L'artiste Angela Washko a ainsi pénétré l'univers du jeu World of Warcraft en se servant de son avatar pour poser des questions aux autres avatars sur le féminisme, échanges dont elle fait une captation vidéo qu'elle diffuse ensuite. Elle a également élaboré tout un travail autour de Roosh, harceleur bien connu aux États-Unis : elle a réussi à avoir un long entretien avec lui, l'a filmé puis diffusé pour mieux déconstruire son discours et dénoncer ses agissements.

Le cyberespace permet également de rendre les femmes visibles. Je citerai à nouveau le tumblr Invisibilisées, qui met à l'honneur des femmes ayant joué un rôle actif dans différents domaines et qui sont aujourd'hui complétement oubliées.

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