La richesse de vos analyses montre qu'en dépit des différences, l'enseignement supérieur est un enjeu partagé.
Permettez-moi de commencer par répondre aux questions relatives à l'emploi des jeunes. Chercher telle ou telle expression – insertion professionnelle, par exemple – dans le rapport et déplorer qu'elle y soit insuffisamment traitée reviendrait à tomber dans un piège ; en réalité, la question de l'emploi des jeunes traverse l'ensemble de nos propositions – et c'est bien naturel. Les propositions très concrètes que nous formulons en la matière visent à aller plus loin que les nombreuses mesures déjà prises pour renforcer la place des stages dans les formations et pour développer les liens avec le monde professionnel, car il reste encore du chemin à parcourir. C'est pour ce faire que nos propositions portent notamment sur le développement des compétences transversales à visée professionnelle dans toutes les formations, en particulier en licence où elles demeurent insuffisantes. La maîtrise des langues et des outils numériques ou la capacité à travailler en équipe sont autant de compétences transversales qui devraient selon nous être enseignées dans toutes les disciplines.
De même, monsieur Hetzel, nous avons pleinement traité la question de la formation tout au long de la vie – c'est même l'objet du premier chapitre du rapport. En effet, nous sommes convaincus que les jeunes ne se préparent désormais plus à exercer le même métier pendant toute leur vie ; au contraire, ils sont destinés à effectuer des allers et retours entre l'emploi et la formation. C'est à la fois pour résorber le chômage et pour sécuriser les parcours professionnels qu'il faut apporter des réponses fortes à cette question. Nous faisons donc plusieurs propositions concrètes pour modulariser les formations et pour établir un lien direct entre les services de formation continue et les services de formation initiale. L'intégration croissante de ces services permettra de renforcer l'adéquation entre les besoins du monde professionnel – au-delà de la seule sphère des entreprises – et les attentes des jeunes. Nous proposons également d'orienter les fonds consacrés à la formation professionnelle. En effet, les entreprises sont les premières à bénéficier de la formation supérieure.
Je saisis cette occasion pour préciser que nous avons auditionné un grand nombre d'acteurs de la société civile et du monde économique, qui étaient également représentés dans notre comité, de même que tous les secteurs de la formation, y compris l'enseignement supérieur privé – l'actuelle présidente de la Conférence des grandes écoles y siégeait. Nos propositions sont le résultat de ces nombreuses consultations ; elles visent à orienter les fonds et à organiser la formation et les services au sein des établissements. Suite à la remise du rapport de M. Germinet, le ministère a lancé – nous nous en réjouissons – un appel à projets afin de retenir dix établissements pilotes qui ouvriront la voie aux autres.
J'en viens au doctorat. La France est très en retard : elle forme peu de docteurs et les reconnaît mal dans le monde professionnel, public comme privé. Le ministère a déjà pris des mesures qui vont dans le sens de nos propositions et, de ce point de vue, la StraNES est en marche. L'enjeu est symbolique et considérable : les docteurs sont mieux reconnus partout ailleurs en Europe, en Amérique du Nord et au-delà. L'enseignement supérieur ne se limite pas à former une petite élite : il doit former une élite bien plus large et en phase avec le monde de la recherche, ce qui suppose de s'appuyer sur les doctorants, précisément. Le symbole est fort et doit se traduire par des mesures concrètes dans l'intérêt de notre économie et de notre société.
Plusieurs intervenants m'ont interrogée sur l'alternance. Si elle est perçue de manière positive dans l'enseignement supérieur, ce n'est pas le cas dans l'enseignement secondaire. Il faut pourtant la valoriser avant même l'entrée dans le cycle supérieur – notamment pour s'adresser aux 40 % de membres d'une classe d'âge qui n'y accéderont pas. Pour ce faire, il faut valoriser la réussite dans les formations professionnelles. En effet, la perception de la réussite est souvent trop restrictive en France : il n'est pas toujours nécessaire d'obtenir un diplôme pour réussir – même s'il faut favoriser l'accès à l'enseignement supérieur. Nous devons améliorer l'image des formations professionnelles dans le secondaire.
Faut-il créer une agence indépendante de l'alternance ? Le comité n'a pas étudié cette proposition mais, en tant qu'ancienne présidente de l'Université de Bourgogne, je sais que de nombreux centres de formation d'apprentis ont été créés dans l'enseignement supérieur et qu'ils impliquent très étroitement l'ensemble des acteurs de l'enseignement, des universités aux écoles et aux centres de formation dépendant des chambres de commerce, mais aussi le monde économique et les collectivités territoriales. On peut certes envisager de structurer davantage ces réseaux, mais je ne saurais me prononcer sur cette question à ce stade.
La question de l'orientation est centrale ; elle fait l'objet du troisième axe du rapport. Nous devons tout à la fois améliorer le dispositif d'orientation tout en évitant que soient faites des propositions schématiques de sélection qui nuiraient à l'objectif visant à développer l'accès à l'enseignement supérieur. L'orientation doit être de meilleure qualité, plus personnalisée, plus humaine, anticipée plus en amont. À cet égard, nos propositions vont dans le même sens que les conclusions de votre mission d'information.
Il faut préserver la cohérence du master en quatre semestres. Nous avons naturellement auditionné la FAGE et l'ensemble des organisations étudiantes, qui nous ont transmis leurs propositions. Nous ne sommes pas pleinement convaincus de la pertinence d'un système d'admission post-licence : le système d'admission post-bac n'a pas que des qualités, même s'il permet en toute transparence une régulation indispensable, en particulier dans les académies sous tension comme l'Île-de-France. Faut-il pour autant reproduire le même dispositif après la licence ? Ce n'est pas certain, même s'il faut en effet prévoir un processus de régulation à mettre en oeuvre au niveau de chacun des sites. Une telle mesure serait complémentaire des propositions de la FAGE.
Nous avons, monsieur Hetzel, travaillé de manière approfondie sur la question de l'enseignement supérieur privé : outre qu'il était représenté au sein de notre comité, nous avons auditionné bon nombre de ses acteurs et leur avons présenté nos propositions initiales. Tous demandent que l'État assume auprès de tous les usagers la responsabilité de les informer de la qualité des formations, qu'il veille à les évaluer avant de leur accorder une labellisation, et que les conditions d'accès – droits d'inscription ou encore droits à recevoir une bourse – et les débouchés professionnels soient clairement présentés aux étudiants. C'est un véritable chantier, déjà bien lancé en 2013 avec la création des établissements d'enseignement supérieur privé d'intérêt général, les ESPIG. Cela étant, la sphère de l'enseignement supérieur privé recouvre toute une galaxie de structures variées qu'il faut clarifier, comme le demandent celles d'entre elles qui sont de véritables établissements, soucieux de proposer un enseignement de qualité.
Le mot « pédagogie » est souvent galvaudé en France. C'est pourquoi nous avons parfois employé l'équivalent anglais afin de montrer qu'il faut mobiliser toutes les disciplines pour mieux cerner la place de la pédagogie dans l'enseignement supérieur et pour encourager l'innovation. Nous sommes convaincus que les pédagogies actives qui utilisent le potentiel des outils numériques favorisent la réussite et la motivation des jeunes, mais aussi des enseignants, des chercheurs et de l'ensemble des personnels. Il faut donc valoriser cette mission au même niveau que la mission de recherche. Pour ce faire, il nous paraît utile de lancer un nouveau programme d'investissements d'avenir. Notre rapport cite l'exemple de l'Université de Roskilde, au Danemark : toutes les formations – les sciences humaines étant liées aux disciplines technologiques et scientifiques – y sont délivrées pour moitié sous la forme de projets encadrés, exigeants et évalués, ce qui permet de motiver les étudiants et de les préparer à entrer dans le monde professionnel et à se saisir des grands enjeux sociétaux. Si cette université danoise de 8 000 étudiants est capable d'appliquer un tel modèle, les universités françaises le peuvent sans aucun doute aussi, comme en sont convaincus certains présidents d'université.
Il va de soi que la lutte contre les inégalités sociales englobe les inégalités entre les hommes et les femmes. J'y suis d'autant plus attachée que j'ai participé avec des rectrices, des présidentes d'université et des directrices d'école à la fondation de l'association pour les femmes dirigeantes de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation qui, hélas, a dû reporter son premier séminaire en raison des événements tragiques de vendredi. L'enjeu, néanmoins, est considérable, y compris en termes d'orientation, car il faut renforcer l'attractivité des filières scientifiques auprès des jeunes filles ; à l'inverse, les carrières sanitaires et sociales sont majoritairement féminines. L'objectif visant à réduire de moitié les inégalités doit donc couvrir les inégalités entre les sexes et tous les acteurs doivent y contribuer – universités, grandes écoles, écoles privées – à tous les niveaux, qu'il s'agisse de la licence, du master ou d'autres formations.
La StraNES s'adresse à tous les établissements d'enseignement supérieur, quel que soit le ministère dont ils dépendent, y compris le ministère chargé des sports. Stéphane Diagana que vous citiez, monsieur Juanico, était présent lors de l'inauguration du stade de l'Université de Dijon, où nous avons créé un statut spécifique pour les sportifs de haut niveau. De même, pour ouvrir cet important chantier, le rapport qui vous est présenté propose de créer un statut applicable aux étudiants liés par des engagements sportifs qui les obligent à adapter leurs parcours pédagogiques.
Je conclurai par un mot sur la question essentielle des droits d'inscription. La France est loin d'être isolée dans son choix de stabiliser les frais de scolarité dans l'enseignement supérieur public. En Allemagne, aucun droit d'inscription n'est perçu. Les pays scandinaves vont plus loin encore : non seulement l'université est gratuite, mais tous les étudiants peuvent recevoir une bourse leur permettant d'étudier dans leur pays ou à l'étranger. La référence que fait M. Hetzel à l'Espagne et à l'Italie m'inquiète : les universités publiques espagnoles qui imposent des droits d'inscription ne se trouvent pas dans une situation très favorable ! Au cours de nos travaux, nous avons tenu un séminaire avec des sociologues, des historiens, des économistes pour étudier cette question sans a priori, et nous avons constaté que les pays qui pratiquent des droits d'inscription ont connu un recul des financements publics qui n'a pas permis de donner une quelconque marge de manoeuvre supplémentaire aux établissements. En revanche, le signal envoyé aux classes sociales les plus défavorisées est tout à fait négatif. Ne soyons donc pas hypocrites et reconnaissons qu'en France, certains établissements pratiquent des frais d'inscription plus ou moins élevés alors que les universités n'en pratiquent pas. Selon moi, il faut maintenir les droits d'inscription à l'université à un niveau très faible tout en demandant aux autres établissements d'améliorer l'accès des classes sociales les plus modestes, à l'image de ce que font déjà l'Institut d'études politiques et d'autres établissements. Conjugués, ces deux choix éviteront à l'université d'assumer seule l'accès social à l'enseignement supérieur.
Nous avons aussi examiné sans tabou l'hypothèse consistant à imposer des droits d'inscription aux étudiants étrangers pour, in fine, l'écarter. En effet, il est exclu de faire payer les étudiants européens, ainsi que ceux que l'on souhaite attirer, par exemple en provenance des pays dits BRICS ; reste donc quelques autres pays. Quel signal la France enverrait-elle si elle n'imposait des frais d'inscription qu'aux étudiants originaires de tel ou tel pays, en Asie par exemple ? Nous irions à l'encontre de nos propres valeurs. Nous avons donc proposé de traiter les étudiants étrangers comme les étudiants français.
En somme, l'enseignement supérieur est un enjeu considérable qui doit faire l'objet d'un investissement public soutenu. Je précise à cet égard que l'investissement public ne progresse plus assez vite non pas depuis 2012, mais depuis 2009.