Intervention de Philippe Gomes

Séance en hémicycle du 26 novembre 2015 à 15h00
Création d'autorités administratives indépendantes en nouvelle-calédonie — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gomes, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

…qui rappellent les causes structurelles de la vie chère en Nouvelle-Calédonie. Elles sont connues et se font également sentir dans de nombreux petits pays insulaires, ainsi que dans les départements d’outre-mer – en Guadeloupe, en Martinique ou à la Réunion, par exemple. Parmi ces causes, on compte d’abord l’insularité – il est clair que ce n’est pas un cadre qui favorise les meilleurs prix ; l’éloignement – la Nouvelle-Calédonie se trouve à des distances respectables des pays alentour, qu’il s’agisse de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, et encore plus de son principal fournisseur, qui reste l’Europe ; un marché restreint, enfin – avec 250 000 habitants, elle constitue un micromarché, et il est évident que les prix ne peuvent y être véritablement compétitifs. L’Autorité de la concurrence indique par ailleurs ce que l’on savait déjà – on ne l’a pas fait venir par hasard –, à savoir que certains secteurs connaissent des concentrations excessives, notamment celui de la distribution de biens et de services.

C’est dans ce contexte que j’ai déposé, au titre du groupe politique auquel j’appartiens en Nouvelle-Calédonie, le groupe Calédonie ensemble, une proposition de loi, dénommée communément « loi antitrust », qui vise à éviter ces concentrations excessives et qui a été adoptée à la fin de l’année 2013 par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Les dispositions de cette loi sont simples et s’inspirent assez largement du droit métropolitain, mais elles le renforcent, pour tenir compte de la concentration particulièrement importante constatée en Nouvelle-Calédonie. Cette loi vise à contrôler les situations de croissance externe, notamment dans le cadre des fusions-acquisitions entre différentes sociétés. Dès lors que le chiffre d’affaires des deux sociétés dépasse 600 millions de francs CFP, la fusion ne peut avoir lieu qu’après autorisation – il faut d’abord s’assurer que la concurrence ne sera pas affectée dans le secteur d’activité concerné.

La loi instaure également un contrôle des opérations de croissance interne, à travers, notamment, des surfaces commerciales nouvelles, qui peuvent être ouvertes, dès lors qu’elles sont supérieures à 350 mètres carrés. Elle introduit, enfin, un dispositif particulier, l’injection structurelle, par laquelle l’Autorité de la concurrence peut obliger une entreprise à céder des actifs, lorsque la concurrence semble menacée dans un secteur donné et que la négociation entre l’Autorité et l’entreprise n’a pu aboutir à un accord amiable.

Tel est le dispositif global. Il a été contesté par certains en Nouvelle-Calédonie. Le texte a donné lieu à une seconde lecture, et même, ce qui est assez rare, à une saisine du Conseil constitutionnel. Celui-ci a statué : il a certes constaté que les dispositions de notre loi antitrust étaient plus restrictives que celles qui sont applicables en France métropolitaine, mais il a estimé que la situation particulière de la Nouvelle-Calédonie, ses spécificités, son niveau de concentration autorisaient que de pareilles dispositions soient prises et déclarées conformes à la Constitution de la République française.

Pour que ce dispositif soit vraiment contrôlé, qu’il y ait à sa tête un vrai gendarme, nous avons souhaité qu’une autorité administrative indépendante soit créée. Cela a été fait, après que le comité des signataires de l’accord de Nouméa, qui s’est réuni à la fin de l’année 2012, a trouvé un consensus sur le sujet. Dès lors, un projet de loi organique a été déposé et adopté par les assemblées. Il prévoit la possibilité, pour la Nouvelle-Calédonie, de créer des autorités administratives indépendantes et, en l’espèce, une autorité de la concurrence. Il introduit des dispositions particulièrement strictes en ce qui concerne les incompatibilités professionnelles, aussi bien du président que des membres de cette autorité. Il est notamment prévu que le Congrès de la Nouvelle-Calédonie, après avoir auditionné publiquement les candidats désireux de siéger au sein de cette autorité, se prononce à une majorité qualifiée – la majorité des trois cinquièmes.

Toutes les garanties d’impartialité ont donc été prises par le législateur pour que cette autorité voie le jour le plus rapidement possible. Force est pourtant de constater que nous avons échoué. En effet, cela fait deux ans que la loi a été adoptée et, pour autant, cette autorité n’a toujours pas été mise en place. La raison en est très simple : il est prévu notamment que les fonctions de membre de l’autorité sont incompatibles avec tout emploi public. Cette disposition ne soulève pas de difficulté en ce qui concerne le président de l’autorité, puisque cette fonction constitue un emploi à temps plein : il est donc tout à fait normal que celui-ci n’ait aucun emploi public à côté de ces fonctions. S’agissant, en revanche, des membres de l’autorité, il est bien spécifié que ce sont des membres non permanents. Dès lors, comment faire en sorte qu’ils n’exercent pas d’emploi public ? Il serait extrêmement difficile pour eux de ne vivre que de leurs vacations.

J’ai appelé l’attention de mes collègues sur ce sujet, dès que notre assemblée a examiné cette proposition de loi. J’ai hélas reçu un avis défavorable du Gouvernement et du rapporteur, mon cher collègue René Dosière, et n’ai donc pu faire aboutir ce projet. J’ai de nouveau appelé l’attention du Gouvernement sur ce dossier, lors de l’examen du projet de loi relatif à la constitution du corps électoral en vue de la sortie de l’accord de Nouméa – ce corps électoral qui doit nous permettre de voter dans des conditions de sincérité et de transparence lors du référendum de novembre 2018.

J’ai alors proposé, par voie d’amendement, que cet obstacle soit levé. Le rapporteur, que je salue et que je remercie, ainsi que le Gouvernement, par la voix de Mme la ministre, ont cette fois reconnu que la situation dans laquelle nous nous trouvions interdisait la création d’une autorité de la concurrence, mais ils ont indiqué qu’il ne leur semblait pas opportun de retenir cet amendement dans le cadre de la loi que nous examinions, étant donné qu’il portait sur une question fondamentalement différente. Le Gouvernement et le rapporteur se sont néanmoins engagés à soutenir toute proposition de loi organique qui serait déposée sur le sujet et qui viserait à régler cette difficulté.

Tel est le sens de cette proposition de loi organique ; le sens, également, de l’amendement que j’ai déposé en commission et qui a obtenu l’avis favorable unanime de la commission des lois.

Que dit ce texte ? Que dit cet amendement ? Ils sont d’une simplicité quasi biblique.

Il prévoit bien sûr que les fonctions de président d’une autorité administrative indépendante sont incompatibles avec tout emploi public, et que les fonctions de membre d’une telle autorité sont incompatibles avec tout emploi public exercé au sein des institutions de la Nouvelle-Calédonie, des provinces, des communes ou de leurs établissements publics. En clair, un emploi public exercé dans une administration de l’État en Nouvelle-Calédonie ou dans une administration de l’État ou d’une collectivité locale en France métropolitaine n’est pas considéré comme incompatible avec les fonctions de membre de l’autorité de la concurrence.

Enfin, le congrès de la Nouvelle-Calédonie, consulté dans le cadre de la proposition de loi organique déposée au Sénat par Mme Catherine Tasca, qui poursuit le même objet, a émis le souhait que soit prévue une incompatibilité pour les personnes susceptibles d’être nommées membres de l’autorité de la concurrence qui auraient exercé, au cours des trois années précédentes, un emploi public dans une collectivité calédonienne, qu’il s’agisse d’une administration de la Nouvelle-Calédonie elle-même, des provinces, des communes ou de leurs établissements publics. Ce délai de carence de trois années constitue donc un gage d’impartialité supplémentaire.

Tel est le sens de la proposition de loi organique que j’ai déposée. Son adoption permettra enfin l’installation, très attendue, de l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie, probablement dans le courant du premier semestre de l’année 2016. Aujourd’hui, c’est l’administration calédonienne qui suit la mise en oeuvre de la loi anti-trust, ce qui est toujours susceptible de donner lieu à certains procès légitimes et justifiés compte tenu des enjeux de ces fusions-acquisitions et de ces opérations de concentration. Désormais, ce sera une autorité véritablement indépendante qui sera chargée de la mise en oeuvre de cette loi de manière équilibrée.

C’est une chance pour notre pays. D’abord, la mise en place de cette autorité de la concurrence permettra très probablement, sur un pas de temps assez long, de l’ordre d’une décennie, à des secteurs dans lesquels l’activité est concentrée dans les mains de quelques-uns de connaître désormais une situation plus concurrentielle. Dès lors, on peut légitimement s’attendre à une baisse des prix. Par ailleurs, cette avancée législative permettra à d’autres entrepreneurs calédoniens d’investir enfin dans des secteurs jusqu’alors cadenassés, verrouillés, dans lesquels ils ne pouvaient pas s’engager. Pour le monde de l’entreprise en général et pour l’ensemble des citoyens calédoniens, ce sera une bonne nouvelle.

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