Notre seule préoccupation, même si vous en doutez, mon cher collègue, est de rendre les dispositifs qui nous sont proposés les plus pertinents et les plus efficaces possible, à défaut, je vous l'accorde, de mener la politique, plus ambitieuse, que nous souhaiterions sur le sujet.
Nous avons d'ailleurs été surpris, monsieur le rapporteur, que vous considériez nos amendements, lorsqu'ils ne vous convenaient pas, comme une sorte d'affront aux partenaires sociaux, unanimes à adopter l'accord interprofessionnel, comme si la décision des uns devait emporter celle des autres. Loin de nous l'idée de contester le travail réalisé, mais il me semble que vous confondez les vocations et les missions de la négociation collective et l'élaboration de la loi par la représentation nationale.
Le regard porté sur tout sujet par les uns et par les autres ne saurait par essence être le même : d'un côté on vise la cohérence du projet social, de l'autre la réflexion se porte vers un horizon plus vaste, celui de l'intérêt supérieur de toute la nation. Certains syndicats souhaitaient d'ailleurs voir compléter ce texte par le Parlement, chacun semblant attendre une évolution spécifique, ce qui renforce notre propos.
Sur le contenu de ce projet, je ferai quatre remarques. Admettez tout d'abord que le terme de contrat de génération est un abus de langage et que le projet qui nous est aujourd'hui soumis est sans grand rapport avec la proposition du candidat Hollande. L'alliance des âges ne se traduira en réalité que très rarement par une transmission effective des savoirs et des compétences entre un senior et un jeune. Autrement dit, vous créez un leurre intergénérationnel – aux apparences flatteuses, je vous l'accorde.
Malgré un bon diagnostic – la difficulté de trouver du temps dans l'entreprise pour encadrer l'arrivée d'un jeune – et une belle idée – celle du lien intergénérationnel exprimé dans la vie économique –, vous ne parvenez pas à donner du sens et un véritable contenu à ce texte. Il eût été plus honnête de garder les dispositifs existants, en particulier ceux destinés aux seniors, alors que vous les assouplissez, ainsi que nous l'a indiqué M. Sapin en commission, au risque d'en affaiblir l'efficacité.
Vous auriez pu aussi afficher un grand projet pour la jeunesse sans distinguer le privé du public comme s'il s'agissait de deux univers incompatibles. Ce projet aurait dû être, avant toute chose, celui qui lie systématiquement l'emploi à la formation et à l'apprentissage pour en faire un authentique et un novateur CDI de professionnalisation comme nous vous le proposons dans l'un de nos amendements. Vous préférez le droit commun faute d'innover, ce qui est regrettable, dans un domaine où il nous semble que tout n'a pas été essayé.
Le présent dispositif aurait gagné à se recentrer, conformément aux recommandations du Conseil économique, social et environnemental, sur les jeunes non diplômés de l'enseignement supérieur. Las, en dégradant l'offre faite aux seniors et en ne répondant qu'insuffisamment aux enjeux de l'employabilité de la jeunesse, ce projet de loi nous semble trahir d'emblée sa vocation.
Le texte aurait au moins pu prévoir de distinguer entre l'accueil du jeune en entreprise et le travail de transmission des savoirs techniques, de sorte qu'un parrainage par un senior soit effectivement réalisable. C'est le sens de l'un de nos amendements, qui vise à entourer l'arrivée du jeune dans l'entreprise d'une sorte de solennité fraternelle qui s'exercerait entre générations. Il y a là un symbole positif à faire valoir et une démarche positive simple à réaliser.
Plus concrètement encore, le texte n'évoque pas la territorialisation du contrat de génération. Pourquoi ne pas accorder un bonus aux entreprises qui intégreraient des jeunes venant des quartiers difficiles, où le taux de chômage est double de la moyenne nationale pour cette génération ?
Deuxième remarque : en distinguant trois catégories d'entreprises, vous instituez des effets de seuil nocifs à la création d'emplois. Ils sont incontestablement nocifs, car vous introduisez de la complexité dans la gestion des ressources humaines de l'entreprise. Ils le sont aussi parce que vous incitez les entreprises à limiter leur recrutement pour ne pas basculer d'une catégorie à une autre, le progrès économique étant souvent associé à de nouvelles contraintes légales, réglementaires et fiscales.
De fait, la machine à cases que vous avez imaginée revient à encourager les entreprises de moins de 300 salariés quand vous sanctionnez les autres. Pourquoi ne pas avoir visé seulement les entreprises de moins de 300 salariés, dont le réseau considérable constitue un vivier et un facteur de vitalité pour l'embauche de proximité sur nos territoires. Vous auriez ainsi évité de pointer du doigt, une fois de plus, ces patrons de PME qui tentent de passer le cap des entreprises de taille intermédiaire, encore trop rares en France.
Troisième remarque : vous semblez tellement obsédés par l'effet d'aubaine, ce que l'on peut à la rigueur comprendre, que vous en arrivez à des excès surprenants, dont je vais donner quelques exemples. Vous avez notamment introduit, dans la discussion en commission des affaires sociales, l'idée que tout licenciement d'un senior empêchera le recrutement d'un nouveau senior, non pas seulement sur le même poste, ce qui se comprendrait également, mais encore dans la même catégorie d'emploi. Outre le fait que la notion de catégorie d'emploi nous semble délicate et aléatoire, donc susceptible de contentieux en cascade, elle bloque potentiellement toute démarche globale de gestion des ressources humaines dans l'entreprise. Là encore, nous craignons que le remède soit pire que le mal.
Deuxième exemple de rigidité improductive et inutile liée à cette crainte de l'effet d'aubaine : le texte, sauf erreur de ma part, ne permet pas aux entreprises de transformer des emplois temporaires affectés à des jeunes en CDI à temps plein via le contrat de génération. Cela nous semble une marque supplémentaire de suspicion à l'égard des entrepreneurs, ce qui n'est pas le meilleur moyen de lutter contre le chômage.
Troisième et dernier exemple : le contrôle par l'administration des accords d'entreprise, des accords de groupe et des plans d'action. Là aussi vous prenez le risque de retarder et de complexifier des procédures jusqu'à les rendre décourageantes. Qui, monsieur le ministre, au sein des services extérieurs de l'État, dans les directions régionales des entreprises, de la consommation, du travail et de l'emploi, sera en mesure de contrôler ces différents accords ?
Une dernière et très brève remarque – mais elle est fondamentale – sur le financement de votre dispositif. En quoi votre choix de lever une part des 20 milliards d'euros du crédit d'impôt pour la compétitivité et pour l'emploi est-il cohérent ? Ils avaient vocation à financer la recherche, l'innovation et la formation. J'espère que vous ne confondez pas ces deux objectifs que nous partageons, celui de la main tendue, en priorité et en urgence, à la jeunesse et celui de l'investissement de long terme en faveur de notre compétitivité. Je crains cependant que vous ne sacrifiiez la proie pour l'ombre.
En conclusion, là où souplesse et confiance sont les premiers gages de la réussite dans la lutte pour l'emploi, le texte introduit des cadres, des strates, des contrôles, des sanctions.
Là où les mots doivent avoir un sens précis, le texte ne traduit pas concrètement une belle idée, celle de la solidarité entre les générations.
Là où seule la compétence permettrait de garantir un travail durable, le texte néglige l'objectif de formation.
Vous comprendrez en conséquence que l'UDI, dans un souci constructif, attende l'issue des débats et des évolutions sur ce projet de loi pour se prononcer sur la nature de son vote. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI, UMP et Rassemblement-UMP.)