Intervention de Patrick Devedjian

Réunion du 25 novembre 2015 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Devedjian :

L'affaire est délicate et juridiquement complexe. Les individus qui nient les génocides – par exemple la Shoah – ne s'honorent pas, mais je crois à la liberté d'opinion, y compris sur cette question qui pourtant me touche profondément. Le vrai sujet, c'est le négationnisme d'État. Pouvons-nous tolérer qu'un État vienne diffuser en France une propagande organisée sur ce thème ? J'en ai assez de recevoir, en tant que parlementaire, des documents en provenance d'institutions d'une nation étrangère qui dédie d'importants budgets à cette communication confiée à des agences faisant commerce de la négation du génocide. Cette propagande vise expressément une catégorie de citoyens français qui, pour être d'origine étrangère, n'en sont pas moins des Français comme les autres. Ils ont trouvé dans notre pays refuge et liberté, mais ils se voient aujourd'hui pourchassés, comme l'ont été leurs parents, par le même État. Cette propagande porte atteinte à leur identité puisque le génocide – pour les Juifs, comme pour les Arméniens et probablement les Rwandais – marque un peuple au fer rouge. La République peut-elle accepter qu'une partie de ses citoyens fasse l'objet de cette propagande qui promeut la négation du génocide, longtemps après, mais en continuité avec les faits qui sont à l'origine de leur présence sur le territoire français et de leur adhésion à la communauté nationale ? Le négationnisme d'État me semble totalement inacceptable et ne doit pas pouvoir s'abriter derrière la nécessaire liberté d'expression – qui reste parfaitement défendable, quels qu'en soient les errements.

Le discours sur les lois mémorielles commence à me fatiguer. D'abord, aux historiens qui s'inquiètent de leur liberté lorsqu'il est question du génocide arménien, je suis navré de répondre qu'il aura fallu des actes très violents pour que quelques-uns d'entre eux commencent à s'y intéresser. Un seul, Yves Ternon, avait travaillé sur le sujet depuis longtemps, parlant et écrivant dans un désert absolu. De plus, l'argument consistant à dire que réglementer l'histoire par la loi porte atteinte à la liberté des historiens ne tient pas : je rappelle ainsi que la célébration du 14 juillet est une loi mémorielle fondatrice de notre identité nationale. La politique – au sens noble du terme – est fondée sur la mémoire et sur une conception de l'histoire. On peut toujours en débattre : ainsi, les monarchistes trouvent que les républicains exagèrent la portée de la prise de la Bastille où il n'y avait finalement pas grand monde à part le marquis de Sade ; mais la mémoire de cet événement fonde notre pacte national. Même si l'interprétation officielle des faits peut être contestée, c'est notre droit de faire ce choix de la vision de notre passé. Évitons donc de dire trop de mal des lois mémorielles. De plus, celles-ci peuvent changer car ce qu'une loi fait, une autre loi peut le défaire. Il arrive souvent que l'on se trompe sur l'interprétation d'un fait historique : il a ainsi fallu attendre François Furet pour disposer d'une histoire de la Révolution française acceptable, mettant à bas les préjugés de M. Soboul ou de M. Mathiez. L'histoire est sans arrêt revisitée, mais à chaque fois elle fonde un projet et des engagements politiques.

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