Intervention de Jérôme Bonnafont

Réunion du 18 novembre 2015 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Jérôme Bonnafont, directeur d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères et du développement international :

L'État islamique représente, comme les Frères musulmans, une menace mortelle aux yeux des Saoudiens. L'Arabie saoudite considère que l'État islamique met en péril les fondements mêmes des États actuels de la région. Elle impose le wahhabisme sur son territoire et de nombreux wahhabites font montre de prosélytisme à travers le monde, mais ce pays exerce une séparation totale entre les pouvoirs politique et religieux. L'Arabie saoudite ne peut accepter un système institutionnel dans lequel l'autorité religieuse exercerait le pouvoir exécutif. Là réside la source de son opposition fondamentale à des mouvements comme Daech. Il convient de ne pas assimiler le wahhabisme et le salafisme au terrorisme islamiste. De nombreux terroristes adhèrent à des doctrines islamistes radicales, mais les théologiens respectés de l'islam, quelle que soit leur obédience, condamnent ces dérives et ne reconnaissent pas l'autorité religieuse de ceux qui parlent au nom de Daech. L'Arabie saoudite se voit menacée de façon vitale par le califat, alors qu'elle devra gérer sa rivalité avec l'Iran pendant encore très longtemps. La nature de la menace diffère, même s'il s'avère très difficile d'asseoir Saoudiens et Iraniens à une même table pour qu'ils évoquent l'avenir de cette région dans laquelle ils possèdent de forts intérêts.

Bien que l'on parvienne à contenir Daech en Irak et en Syrie, cette organisation métastase ailleurs ; voilà pourquoi, en plus d'une politique antiterroriste tous azimuts, nous devons régler les crises régionales et restaurer un semblant de normalité dans les États faillis dans lesquels prospèrent Daech ou al-Qaïda, tels la Libye et le Yémen. Quant au Sahel, la situation y a justifié l'intervention française au Mali pour lutter contre AQMI.

M. Bernardino León envisage de poursuivre sa carrière aux Emirats mais il se trouve accusé de s'être montré trop complaisant avec leurs adversaires. Il n'a finalement pas réussi à faire signer l'accord, si bien que nous nous voyons obligés de revoir les modalités de notre appui au processus onusien. Comment bâtir un véritable cadre multilatéral ? Comment manier à la fois la carotte et le bâton ? Comment peut-on faire pour que les États défendant l'un des camps choisissent plutôt de soutenir un processus qui inclut tout le monde ? Telles sont les questions auxquelles nous devons répondre avec nos partenaires, notamment américains, britanniques et italiens ; il y a lieu de profiter du changement de représentant spécial des Nations unies en Libye pour insuffler une nouvelle dynamique, exercer une pression homogène de la communauté internationale et convaincre les acteurs nationaux et régionaux qu'une absence d'accord aurait un coût plus élevé que les sacrifices nécessaires à l'établissement d'un compromis.

Lors du conseil des ministres des affaires étrangères d'hier, la France a invoqué l'article 42-7 du traité de Lisbonne pour demander à l'Union européenne (UE) de l'aider à faire face à la grave crise qui résulte des attentats. Nous sollicitons un appui militaire de nos partenaires qui en ont les moyens, contre Daech en Irak et en Syrie ou sur d'autres théâtres, et un soutien logistique de ceux qui peuvent l'assurer. Nous attendons des pays de l'UE davantage de mobilisation. L'UE agit dans la lutte contre le terrorisme, réfléchit à la redéfinition de la politique de voisinage au sud et travaille à la révision des procédures de Schengen et à la gestion des frontières extérieures. Sur tous ces sujets, nous souhaitons aller plus loin et plus vite.

La situation de blocage au Liban s'avère préoccupante, car aux turbulences politiques s'ajoutent l'impact de la crise régionale et les difficultés financières. Dans ce contexte, on peut se réjouir que le Parlement ait pu se réunir pour adopter des lois financières urgentes, même s'il ne s'agit que d'un timide progrès. Avec la représentante spéciale de l'ONU et nos partenaires, nous tentons d'avancer, alors que plusieurs pays considèrent le Liban comme un problème secondaire par rapport à la Syrie. La France pense au contraire qu'il importe de convaincre les forces politiques libanaises de se mettre d'accord sur le nom d'un président et de permettre la reprise d'un fonctionnement normal de l'État. Ce chemin se révèle ardu car les différents camps sont soutenus ou contrés par des puissances régionales.

Je n'ai rien à retirer à mes propos tenus devant votre Commission le 21 octobre dernier. La France a toujours affirmé, y compris à Genève, que la transition se ferait par une négociation entre le régime et l'opposition.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion