Intervention de Jérôme Bonnafont

Réunion du 18 novembre 2015 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Jérôme Bonnafont, directeur d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères et du développement international :

Les acteurs concernés ne veulent pas se rencontrer ! Les rares fois où ils se sont réunis, ils n'ont échangé que des invectives. Nous n'avons pas dévié de l'esprit de la conférence de Genève où fut posée la question centrale : comment bâtir une gouvernance capable de construire un environnement de neutralité ? L'objectif est d'empêcher que les représentants de l'opposition soient emprisonnés ou torturés et que les responsables de la situation actuelle ne restent pas à la tête de la Syrie. M. el-Assad et ses proches refusent de quitter le pouvoir et se sentent encore soutenus par la Russie et l'Iran. Quant à l'opposition, elle n'a aucune garantie politique et de sécurité, et constate que le régime ne combat pas sérieusement Daech.

La Russie a récemment évolué parce qu'elle avait cru que son intervention militaire permettrait au régime de reconquérir du terrain au détriment de l'opposition modérée et, ainsi, de rester durablement au pouvoir. Elle n'avait pas anticipé l'attaque de Daech qu'elle a subie. Elle doit repenser sa politique, car l'armée syrienne n'est plus capable d'obtenir de gains significatifs et l'attentat de Daech contre l'un de ses avions l'oblige à riposter.

Nous devons nous appuyer sur le processus de Vienne pour reconquérir de l'espace politique, car, comme l'a toujours dit le ministre des affaires étrangères et du développement international et comme l'a répété le président de la République, la solution au conflit ne réside pas dans la victoire militaire d'un camp contre l'autre, mais dans une transition politique dans laquelle l'unité de la Syrie se trouverait préservée, les droits des Syriens reconnus et la concorde civile restaurée. Dans ce cadre, la question des élections s'avère centrale : comme elles ne pourront pas être organisées en six mois, un délai de dix-huit mois a été fixé à titre indicatif. Le communiqué de Vienne prévoit la participation de la diaspora à ces élections dans des conditions agréées par tous.

Le Kurdistan irakien souffre d'un blocage politique, puisque le mandat de M. Barzani s'est achevé en août dernier et qu'aucune perspective de renouvellement de la présidence de la région autonome ne se dessine. M. al-Abadi, Premier ministre irakien, poursuit ses efforts de réconciliation nationale, mais il se heurte au parlement qui ne lui donne pas l'autorité nécessaire, aux milices chiites qui jouissent d'une grande autonomie et aux représentants des sunnites qui ne se rassemblent pas autour d'une position sur l'avenir de leurs relations avec la communauté chiite. Mossoul n'est pas reprise à l'État islamique car les Kurdes ne s'y engagent pas, l'armée irakienne n'est pas encore en état de le faire et les sunnites s'y refusent.

Cette région compte environ 4 millions de réfugiés, et 7 millions de personnes ont été déplacées à l'intérieur de la Syrie. Plus le conflit dure, plus le danger s'accroît pour nous. En effet, le Liban et la Jordanie accueillent plus d'un million de réfugiés chacun, et la Turquie en recense plus de 2 millions sur son territoire ; ces pays ne peuvent pas conserver perpétuellement ces populations sur leur sol, et le flux de réfugiés ne cessera pas si la guerre en Syrie se prolonge. Nous avons donc un intérêt politique majeur à ce que cette région s'apaise.

Monsieur Myard, je précise mes propos : on ne demande pas à l'Arabie saoudite de constituer le groupe de l'opposition, mais d'accueillir une conférence réunissant ses représentants. Les Russes, les Américains, les Britanniques, les Saoudiens, les Britanniques et nous-même avons échangé, au cours des derniers mois, des listes recensant les opposants et les groupes les plus crédibles. Ces listes n'étant pas irréconciliables – alors que le document russe a été établi en lien avec Damas –, nous souhaitons que l'Arabie saoudite mette en place un mécanisme de coagulation et de coordination.

L'ensemble de la communauté internationale souhaite préserver les frontières existantes et refuse de s'adonner à un exercice de découpage, dont on se demande sur quels critères pertinents il pourrait reposer. En effet, les populations appartiennent à des communautés différentes, réparties dans les territoires. En revanche, il faut favoriser l'instauration d'un climat de respect entre toutes les communautés, et les entités nationales devront protéger l'identité kurde. Dans la Syrie de demain, les Alaouites, qui représentent 10 % de la population syrienne, doivent cesser d'être des dominateurs dictatoriaux, sans devenir une minorité persécutée. Les chrétiens d'Orient, minorité subissant des souffrances épouvantables depuis une quinzaine d'années, doivent pouvoir pratiquer librement leur culte en Irak, en Syrie et dans les autres pays d'établissement. Les guerres actuelles rendent de plus en plus difficile la coexistence entre les communautés, et la reconstruction d'une convivialité entre les sunnites, les chiites et les Kurdes requerra un travail de très longue haleine. Le charcutage des frontières de la région conduirait en tout cas à des guerres interétatiques interminables.

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