Intervention de Axelle Lemaire

Réunion du 2 décembre 2015 à 16h30
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique :

La Délégation peut avoir un rôle très utile, notamment dans le suivi de l'application de la loi et dans celui du droit issu des contentieux. Je comprends mal l'impossibilité d'isoler un type de délit, alors que l'informatique pourrait le faire !

S'agissant du cyberharcèlement, je suis tout à fait d'accord pour dire que le recours à une terminologie anglo-saxonne ne permet pas d'intégrer la réalité de ces violences dans le quotidien. Là encore, la Délégation pourrait être très utile en proposant des traductions d'expressions comme revenge porn, sexting ou slut shaming. Il est très important de qualifier ces phénomènes très graves par des mots français.

S'il fallait aller plus loin en droit, il conviendrait d'introduire une circonstance aggravante au délit prévu à l'article 226-1 du code pénal qui sanctionne le fait de fixer, d'enregistrer et de transmettre sans le consentement de la personne l'image de celle-ci lorsqu'elle se trouve dans un lieu privé. La circonstance aggravante serait prévue en cas d'image revêtant un caractère sexuel ou intime. Cette piste, retenue par d'autres pays, mériterait d'être expertisée en France.

Dans le cadre de l'examen de la proposition de loi de lutte contre le système prostitutionnel, la question s'est posée de la modification de l'article 1er de ce texte afin d'intégrer la possibilité de retrait administratif du contenu de sites Internet faisant la promotion du proxénétisme. Le Gouvernement s'est dit favorable à la lutte contre ce type de contenu illicite, mais pas sans recours au juge judiciaire. En effet, le recours au juge judiciaire constitue une garantie des libertés fondamentales, et il doit être évité uniquement en cas d'extrême urgence, que le droit français limite à la lutte contre le terrorisme et à la lutte contre la pédopornographie. Le cyberharcèlement et le proxénétisme appellent la recherche d'une qualification juridique précise, ce qui rend essentiel le recours au juge comme garantie fondamentale. Cela n'enlève rien à la légitimité de l'objectif poursuivi par la proposition de loi.

Tout ne relève pas de la loi et, parfois, modifier la loi ne suffit pas à changer les comportements. Demain matin, à Matignon, le Premier ministre et moi-même recevrons les représentants des grandes entreprises du Net – Google, Apple, Facebook, Twitter et Microsoft – pour aborder deux sujets : la mobilisation citoyenne en cas de crise grave, notamment d'attaque terroriste, et la coopération avec les forces de l'ordre françaises. Cette coopération prend en particulier la forme du retrait de contenu illicite, qui peut être un contenu attentatoire à la dignité humaine et notamment aux droits des femmes.

Pour ma part, j'estime que le problème réside moins dans l'état du droit que dans sa bonne et effective application. Je crois que les obligations qui pèsent sur les entreprises du Net sont déjà une réalité et qu'il faut se poser la question de savoir s'il est bon de se décharger sur des acteurs économiques privés de la responsabilité de faire respecter le droit et d'émettre un avis sur l'arbitrage entre la liberté d'expression et le respect de l'ordre public, de la sécurité et de la dignité humaine. En réalité, c'est aux autorités publiques qu'il appartient de se prononcer sur ces sujets. Néanmoins, les forces de l'ordre n'ont pas la capacité technique d'un Facebook, qui peut traiter les 120 000 notifications de retrait de contenu illicite qu'il reçoit chaque jour. D'où la nécessité d'une coopération.

Les notifications effectuées directement auprès des forces de police – je pense à la Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (PHAROS) – devraient être plus systématiques, ce qui serait possible grâce à une simplification de l'interface de cette plateforme, peu connue du grand public – il faut aller sur le site, répondre à une série de questions, ce qui est long et complexe. Cette simplification de l'accès à la procédure de notification peut passer par l'utilisation d'algorithmes permettant de retirer non seulement un contenu illicite, mais aussi tous les contenus identiques ou très similaires. Cela rejoint votre question sur la récurrence de contenus, supprimés un jour et réapparus le lendemain via des sites hébergés à l'étranger et rouverts automatiquement. Je suis à votre disposition pour examiner toute initiative en ce sens émanant des députés, en particulier de votre Délégation. C'est un sujet sur lequel il faut travailler, notamment avec les représentants des entreprises que je viens de citer, dont les traitements automatisés sont à même de lutter contre ces phénomènes.

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