La réunion

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Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.

La séance est ouverte à 16 heures 40.

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes procède à l'audition de Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique, auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, sur les femmes et le numérique et sur l'avant-projet de loi pour une République numérique.

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Nous recevons aujourd'hui Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique, que je remercie vivement d'avoir bien voulu répondre favorablement à notre invitation.

Mme la secrétaire d'État va nous faire part de la réflexion gouvernementale sur un sujet qui nous tient à coeur, « Femmes et numérique ». Elle va également nous présenter le projet de loi pour une République numérique, qui sera examiné par l'Assemblée dans le courant du mois de janvier et sur lequel notre Délégation a souhaité être saisie pour information. Le rapport de notre Délégation sera présenté à ses membres le 15 décembre prochain.

L'exposé des motifs du projet de loi pour une République numérique indique que « le numérique constitue une nouvelle opportunité de développement, de croissance et de partage pour notre pays, nos entreprises et nos concitoyens. Il est également un formidable moyen de renforcer les valeurs fondamentales de notre République. »

Dans une interview accordée au Figaro en mars dernier, vous avez déclaré, madame la secrétaire d'État, que « le numérique est un formidable outil d'émancipation pour les femmes ».

Dans quelle mesure le numérique constitue-t-il une opportunité permettant aux femmes d'accéder à des emplois nouveaux et de réussir leur inclusion sociale ?

Le numérique ne risque-t-il pas de faire disparaître des emplois majoritairement occupés par des femmes ?

De quelle manière le numérique va-t-il révolutionner l'Éducation nationale et plus précisément la manière d'enseigner aux élèves ?

Enfin, disposez-vous d'éléments sur les conditions dans lesquelles les dispositions de la loi du 4 août 2014 en lien avec la question des cyberviolences ont été mises en oeuvre ?

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Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique

Le thème « Femmes et numérique » me tient particulièrement à coeur en raison, d'une part, de mon engagement personnel et professionnel de longue durée, et, d'autre part, de la sous-représentation des femmes dans ce secteur économique.

Je vais commencer par vous présenter le projet de loi pour une République numérique, qui sera présenté en Conseil des ministres le 9 décembre, avant d'être examiné à l'Assemblée jusqu'à la mi-janvier par la commission des lois saisie au fond et quatre commissions saisies pour avis, puis dans l'hémicycle à partir du 20 janvier 2016.

Ce projet s'articule autour de trois titres qui correspondent à la devise de la République, « Liberté, Égalité, Fraternité ». Liberté, avec l'ouverture et la circulation des données, puissant catalyseur d'innovation. Égalité, avec la création de nouveaux droits pour les particuliers, dans le respect de la vie privée et des données personnelles. Fraternité, avec un objectif d'inclusion sociale et sociétale. Ces titres peuvent se résumer en trois mots : croissance, confiance et inclusion. C'est cette approche interministérielle que j'ai souhaité adopter, le texte modifiant douze codes actuellement en vigueur.

Le titre Ier est consacré à l'économie de la donnée et à la libre circulation des données et des savoirs.

Les données sont le trésor de l'économie numérique, comme l'a été le pétrole pour certaines industries au XXe siècle. Plus elles circulent, plus elles créent de la valeur autour du potentiel d'innovation. C'est pourquoi le projet de loi introduit le principe d'ouverture des données publiques par défaut. Grâce à ce renversement culturel, les administrations devront systématiquement se poser la question de savoir si elles doivent publier les nouveaux documents ou les nouvelles informations qu'elles produisent.

Le texte crée ensuite une nouvelle catégorie juridique de données, les données d'intérêt général, qui devront être partagées par les entreprises privées lorsqu'elles entretiennent un lien contractuel avec l'État, soit sous forme de concession, de délégation de service public ou de régie, soit parce qu'elles reçoivent des subventions. L'accès aux données collectées dans le cadre de l'exécution d'un contrat est en effet aussi stratégique que l'exécution du contrat lui-même. Par conséquent, les collectivités locales, par exemple, qui signent des contrats de régie avec des entités privées doivent avoir accès aux données collectées à l'occasion de l'exploitation du contrat pour définir de meilleures politiques publiques.

Le texte introduit également la possibilité pour les chercheurs publics de publier en ligne les articles relatifs aux travaux de leurs recherches à l'issue d'un certain délai, en les autorisant à sortir du contrat d'exclusivité qui les lie à des éditeurs commerciaux. Cette disposition vise à favoriser la libre circulation du savoir et de la recherche.

Le titre Ier crée enfin une nouvelle mission, le service public de la donnée. Elle amènera les entités publiques à définir des stratégies de collecte, de détention, d'information, d'exploitation et d'utilisation de ces données, dans un objectif d'intérêt général.

Le titre II du projet de loi vise à créer de nouveaux droits.

Il introduit d'abord dans le droit français le principe de neutralité de l'Internet. Il s'agit de faire écho au résultat des négociations qui ont été menées à Bruxelles, dans le cadre de l'accord sur le marché unique des télécoms, sur l'accès libre, ouvert et non discriminatoire au réseau. Conformément à cet accord, conclu sous l'impulsion du Gouvernement français, il convient désormais de confier au régulateur national, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), le pouvoir de contrôler le respect de la neutralité du Net et éventuellement de sanctionner le non-respect de ce principe par les opérateurs.

Le texte introduit ensuite le principe de loyauté des plateformes dans le droit de la consommation. Ces plateformes, que nous définissons pour la première fois dans le droit, et qui mettent en lien des consommateurs finaux et des prestataires de services ou des vendeurs, devront fournir une meilleure information aux consommateurs qui signent parfois aveuglément des conditions générales d'utilisation. La disposition permettra ainsi de créer les conditions d'une meilleure confiance dans l'économie numérique, en obligeant les plateformes – souvent les géants de l'Internet –, qui sont dans une position de force par rapport aux usagers, à une obligation de loyauté vis-à-vis des consommateurs. Ces derniers pourront alors exercer leur choix en toute transparence.

Le titre II introduit enfin un nouveau principe général de droit, la libre disposition des données personnelles, principe d'application large qui se décline en des articles plus précis sur la portabilité des données – des courriels, en particulier, qui doivent pouvoir être récupérés en cas de changement de prestataire de services –, sur le droit à l'oubli pour les mineurs, et enfin sur la mort numérique qui permettra d'indiquer à l'hébergeur de données personnelles son souhait quant au traitement de ses propres données en cas de décès. À l'heure où le numérique est très anxiogène du fait des problèmes de fuite de données personnelles, de failles de sécurité, d'attaques informatiques, sans compter les phénomènes de radicalisation et de cyberviolence, il s'agit, là encore, de renforcer la confiance de nos concitoyens dans le numérique.

Le titre III du projet de loi vise à imposer des obligations d'accessibilité en faveur de publics fragiles, notamment les personnes en situation de handicap. Je pense en particulier aux personnes sourdes et malentendantes qui doivent bénéficier d'un accès au service téléphonique et d'après-vente des grandes entreprises équivalent à celui des autres utilisateurs, ainsi qu'aux sites internet et applications mobiles des administrations publiques. La France accuse en effet un retard en ce domaine par rapport à d'autres États, en particulier les pays de l'Europe du Nord et le Canada.

Le projet de loi introduit enfin le principe du maintien à la connexion à Internet en faveur des foyers les plus fragiles, qui pourraient se trouver temporairement dans une situation les empêchant de régler une facture. Il s'agit d'étendre à l'accès à Internet le dispositif existant en matière de fourniture d'eau, de gaz et d'électricité. Les femmes, qui sont le plus souvent touchées par la précarité, seront les premières bénéficiaires de cette mesure qui sera mise en oeuvre essentiellement au niveau départemental. À cet effet, nous entamons une démarche d'expérimentation avec des départements candidats pour assurer le financement de cette disposition.

En conclusion, ce projet de loi poursuit un objectif politique. Le numérique est très souvent appréhendé de manière experte, alors qu'il est très ancré dans le quotidien de nos concitoyens, et ce à tous les niveaux – les attentats nous l'ont rappelé très douloureusement. Face à un outil qui peut être bien ou mal utilisé en fonction de l'objectif qu'on lui a fixé, ce projet de loi consiste à mettre en place une stratégie globale afin de répondre aux enjeux actuels.

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Notre réflexion sur le thème « Femmes et numérique » est partie du constat formulé dans leur rapport sur le numérique par Mmes Laure de la Raudière et Corinne Erhel sur la place des femmes dans ce secteur. Les jeunes filles sont peu nombreuses à s'orienter vers les carrières scientifiques, si ce n'est en biologie. De surcroît, les femmes sont très peu nombreuses à créer des start-up, notamment parce que les banques sont moins enclines à prêter aux entrepreneures. Tous ces freins doivent être levés.

Le télétravail, qui concerne surtout les cadres, montre une inégalité genrée. En effet, un homme ne demande rien à personne pour pouvoir faire du télétravail, alors qu'une femme doit demander à pouvoir le faire et elle est considérée comme se désengageant de l'entreprise pour se garder du temps personnel. Le télétravail est-il une réelle opportunité pour les femmes ou recèle-t-il un risque d'enfermement ?

Dans le monde du travail, moins on est qualifié, moins on a accès à l'informatique. Or un certain nombre de femmes ne maîtrisent pas l'informatique, alors qu'elles souhaitent bénéficier des nouvelles technologies afin d'améliorer leur situation professionnelle. La médiation numérique s'adressera-t-elle aux salariées et permettra-t-elle l'inclusion sociale et professionnelle des femmes ?

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Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique

Le débat n'est pas tranché entre les économistes et les sociologues sur la question de savoir si le numérique est destructeur ou créateur d'emplois. Au cours des dernières décennies, la robotisation a détruit des emplois lorsqu'elle n'était pas accompagnée. Cela oblige à repenser en permanence la formation professionnelle continue. Aujourd'hui, face à l'émergence des nouvelles technologies, la nouveauté est que le rythme des évolutions nécessaires s'accélère de plus en plus, ce qui impose aux pouvoirs publics de mener des politiques en faveur de la formation professionnelle de plus en plus proactives. Dans ce contexte, le modèle d'avenir sera celui d'une formation initiale généraliste solide couplée à une formation continue visant à acquérir de nouvelles compétences liées aux technologies, afin de permettre aux travailleurs de s'adapter aux changements permanents.

Les start-up permettent de souligner un paradoxe. Les jeunes pousses sont des structures souples, avec une hiérarchie légère, et animées par l'urgence de croître, de faire face à une concurrence acharnée, notamment sur les marchés internationaux, de recruter rapidement, ce qui leur évite de sombrer dans des schémas d'organisation du travail classiques, produisant des discriminations à l'égard des femmes. On pourrait donc penser que le numérique est une réelle opportunité pour les femmes, notamment lorsqu'elles créent leur entreprise. C'est ce que l'on constate, non parmi les chefs d'entreprise, mais parmi les salariés de certaines start-up. Malheureusement, les entreprises en forte croissance retombent très vite dans des schémas d'organisation qui voient se réinstaller le plafond de verre. Les chiffres sont à cet égard très préoccupants, puisque seules 10 % de femmes sont créatrices d'entreprises innovantes, alors qu'elles sont 30 % à travailler dans le numérique. On est donc très loin de l'égalité femmes-hommes.

Les causes de cette sous-représentation féminine sont largement culturelles. En effet, si 50 % des bachelières scientifiques sont des femmes, elles sont ensuite beaucoup moins nombreuses à choisir les matières scientifiques à l'université ou en école d'ingénieur, et elles ne représentent que 20 % des nouveaux diplômés à la sortie des écoles d'ingénieur. La perception des jeunes filles sur les métiers technologiques, en particulier du numérique – mais cela est vrai également pour l'électronique et l'aéronautique, par exemple –, est généralement mauvaise. Cela est d'autant plus paradoxal que ces métiers offrent des perspectives de carrière intéressantes et des salaires très attractifs, que les secteurs concernés sont actuellement en tension avec des offres d'embauche supérieures aux demandes d'emploi, et que les métiers du numérique cessent d'être cantonnés au strict champ scientifique pour s'élargir à tous les secteurs d'activité, en particulier le marketing, le design et le graphisme.

Ce double paradoxe est une réalité dans l'ensemble des pays occidentaux. Si les États-Unis s'intéressent à la question du genre dans le numérique, c'est aussi parce que la main-d'oeuvre féminine se fait trop rare, notamment dans la Silicon Valley. Les femmes dirigeantes de grandes entreprises du Net autour de San Francisco font figure d'exception, puisqu'elles ne sont que deux ou trois – je pense à Mme Sheryl Sandberg. En France, quelques start-up créées par des femmes ont réussi, je pense à Leetchi.com, Mylittleparis.com et Videdressing.com, mais elles sont elles aussi minoritaires.

Avec Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État chargée des droits des femmes, nous allons lancer un plan stratégique « mixité numérique », qui sera dévoilé au mois d'avril prochain avec une triple ambition : favoriser la mixité du secteur, notamment en travaillant sur les représentations sexuées des métiers auprès du grand public, des jeunes en phase d'orientation scolaire et des publics en reconversion ; sensibiliser les entreprises sur l'intérêt économique de promouvoir la mixité en interne ; mobiliser les acteurs publics et associatifs au niveau local pour les aider à se fédérer.

Les associations en France qui promeuvent auprès des jeunes filles et des femmes les formations et les métiers liés au numérique, et aux sciences et technologies de manière générale, sont très nombreuses : Girlz in Web, Girls in Tech, Femmes du numérique, Duchess France, WI-Filles, EMA, Elles bougent, Cyberelles, Social Builder, et j'en oublie certainement. L'association WI-Filles notamment organise des formations auprès des collégiennes et des lycéennes de Seine-Saint-Denis, dont certaines sont sorties ambassadrices, avec des résultats très probants puisque 75 % de ces jeunes filles ont décidé de changer de cursus après avoir modifié leur perception sur les métiers du numérique à la suite de ces formations.

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Aucune des personnes auditionnées par le Conseil national du numérique (CNNum), que notre délégation a reçu à la mi-novembre, n'a abordé le sujet sous l'angle des femmes. Cela est fort dommage, car nous manquons de données sexuées.

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Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique

Voilà une idée de saisine du CNNum, que je soumettrai à Mme Pascale Boistard : cela nous permettrait d'obtenir des données objectives afin de présenter des propositions concrètes d'action. J'aimerais en souligner une, portée par le Gouvernement, il s'agit de la Grande École du Numérique.

La Grande École du Numérique vise à labelliser des formations à des métiers du numérique dans tous les territoires. De courte durée – de trois à dix-huit mois –, ces formations s'adresseront en particulier à des populations jeunes non diplômées et sans emploi pour leur apprendre le métier de développeur, d'animateur de communauté (community manager), d'animateur de réseaux sociaux, etc. Il s'agira ainsi de former « des couteaux suisses » du numérique, actuellement très recherchés, notamment par les petites et moyennes entreprises.

Cette Grande École du Numérique va très bientôt exister puisque l'appel à projets que nous avons lancé cet automne est désormais clos. Le jury de sélection s'est réuni la semaine dernière et va se réunir à nouveau cette semaine. L'engouement a été très fort, avec 180 demandes de labellisation reçues de la part de structures de formation très diverses – universités, écoles de la seconde chance, entreprises privées, associations, collectivités locales. Nous devrions bientôt atteindre 160 formations labellisées pour la première promotion, sur un total de 305 demandes, ce qui concernera au total entre 80 et 90 fabriques du numérique.

Pour cet appel à projets, nous avons fixé à 30 % le nombre de jeunes femmes formées, ce qui est une des conditions pour être sélectionné. Si certaines structures de formation n'ont pas pu s'engager sur ce quota faute de trouver suffisamment de candidates, cet objectif sera atteint au niveau national. C'est la première fois que les pouvoirs publics posent une condition pour obtenir la labellisation « Grande École du Numérique ». Je crois vraiment qu'il s'agit là d'un vecteur qui permettra de diffuser la culture numérique et les formations numériques dans tous les territoires. D'ici à 2017, ce sont plus de 10 000 jeunes que nous souhaitons ainsi former.

Par ailleurs, j'ai demandé à la Banque publique d'investissement (BPI) quel sort avait été réservé à mon amendement à la loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui devait permettre à la BPI d'introduire dans ses missions un objectif d'égalité femmes-hommes et de lutte contre les discriminations dans l'octroi de financements et de prêts à des créateurs d'entreprise. J'attends la réponse de la BPI pour pouvoir vous communiquer des données chiffrées.

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En dix ans, le nombre des équipements informatiques dans les collèges a doublé. Une initiation au codage informatique avait été envisagée dès l'école primaire : cela me semble très important dans la mesure où il est plus facile de lutter contre les discriminations dès le plus jeune âge.

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Il existe une réelle fracture en matière de création d'entreprise, puisque 91 % des start-up hexagonales sont dirigées par des hommes et que, dans la première promotion des 48 start-up ayant bénéficié du Pass French Tech, une seule était dirigée par une femme. Dans le secteur économique le plus innovant, les femmes n'ont donc pas pris leur place. Paradoxalement, le numérique reproduit le même schéma d'exclusion, même s'il touche une nouvelle génération, a priori plus ouverte à l'égalité femmes-hommes.

Madame la secrétaire d'État, vous avez évoqué les actions que vous comptez mettre en oeuvre : le plan mixité numérique et la Grande École du Numérique. Une réelle ambition me semble nécessaire, avec la mise en place d'un suivi, afin de travailler sur les freins et de mettre en place un accompagnement individualisé et collectif des femmes. En effet, le nombre de femmes créatrices d'entreprise en France est de 30 %, chiffre qui stagne depuis de nombreuses années, alors que d'autres pays, notamment les États-Unis, ont quasiment atteint la parité sur ce segment.

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Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique

L'Agence France Entrepreneur, dont la création a été annoncée par Président de la République pour coordonner l'action de tous les acteurs publics et privés qui promeuvent la création d'entreprise dans les territoires, aura entre autres missions de favoriser l'entrepreneuriat féminin. Je partage votre point de vue sur la nécessité d'un suivi avec des critères d'évaluation chiffrés.

Avec Mme Najat Vallaud-Belkacem, nous avions lancé un appel à projets en vue de financer les structures, en particulier associatives, qui offrent une formation à l'apprentissage du code dans le cadre périscolaire, et ce dès le plus jeune âge. Cet appel à projets a rencontré un grand succès et, aujourd'hui, ces formations sont en place et financées.

Le plan numérique à l'école, annoncé par le Président de la République et porté par la ministre de l'Éducation nationale, a prévu d'introduire l'apprentissage du code dans les programmes officiels dès la rentrée de septembre 2016. Ainsi, l'apprentissage du code fera partie du cursus classique des apprentissages, ce qui n'autorisera aucune discrimination.

Ce plan numérique à l'école porte non seulement sur l'équipement, mais aussi et surtout sur la formation des enseignants et des formateurs, à laquelle seront octroyés 24 millions d'euros, ainsi que sur les ressources pédagogiques numériques, auxquelles seront dédiés 40 millions d'euros. À cet égard, je crois beaucoup aux start-up, aux entreprises innovantes qui auraient des idées de nouvelles applications pour les professeurs, les familles et les élèves. Cet outil d'innovation sociale pourrait être utilisé pour répondre à ce défi de l'inclusion des petites filles et des jeunes filles dans le cadre scolaire.

Le plan numérique à l'école, lancé cette année sous forme d'expérimentations, sera généralisé l'année prochaine : 40 % des collèges seront concernés dès la rentrée 2016 ; ce taux passera à 70 % en 2017, et à 100 % en 2018. À ce jour, 223 collèges et 375 écoles ont mis en expérimentation des programmes pilotes pour introduire massivement le numérique dans les enseignements.

Oui, je crois beaucoup à l'éducation dès le plus jeune âge. Le code n'est pas seulement le code, c'est l'entrée dans une culture numérique, dans un monde fait de projets collaboratifs, de suivis personnalisés, de créativité, de travail en réseau, de découverte de nouveaux outils.

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Malheureusement, le numérique partout et pour tous n'est pas encore une réalité, car certains territoires ne sont toujours pas couverts. Il s'ensuit une inégalité entre les élèves lorsque certains ne peuvent pas consulter des sites du type « Pronote » ou faire des recherches sur Internet à la maison.

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Il est très important que des dispositions soient prises pour lutter contre la cyberviolence, qui prend de multiples formes : harcèlement, revenge porn, slut shaming,…

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Il faudrait trouver des traductions pour toutes ces expressions anglaises et parler, par exemple, de harcèlement pornographique, du phénomène « faire honte aux salopes », etc.

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Tout à fait, car la cyberviolence est très grave.

L'outil numérique peut se révéler extrêmement agressif, avec ce phénomène des cyberviolences, mais il peut aussi être très dangereux, voire mortel, en particulier à l'encontre des femmes au travers de deux phénomènes.

Je pense d'abord aux sites « pro-ana », sites qui encouragent l'anorexie. Dans le cadre de la loi santé, j'ai tenté de faire adopter un amendement visant à encadrer, voire à interdire ces sites – qui prennent la forme de communautés d'entraide de jeunes filles pour maigrir plus vite en se lançant des défis du genre « d'ici à ce soir, tu dois n'avoir mangé qu'un demi-yaourt ». Ces sites sont extrêmement dangereux car l'anorexie peut conduire à la mort.

Je pense ensuite aux sites utilisés par les réseaux de proxénétisme et de traite des êtres humains qui, le plus souvent depuis l'étranger, organisent la venue de leurs victimes sur le territoire français au travers de rendez-vous pris sur Internet. La proposition de loi de lutte contre le système prostitutionnel crée des outils pour mieux lutter contre le proxénétisme sur Internet, en lien avec les hébergeurs et les fournisseurs d'accès Internet (FAI). Mais ces sites restent une violence gravissime à l'encontre des femmes.

Pour sensibiliser l'opinion publique contre tous ces dangers, les féministes utilisent ce formidable outil qu'est le numérique, mais il n'en reste pas moins important de prendre des mesures adéquates. Madame la secrétaire d'État, quelles mesures pourrait prendre le Gouvernement pour lutter contre ce déchaînement de violences sur Internet à l'encontre des jeunes filles et des jeunes femmes en particulier ? Comment la Délégation aux droits des femmes pourrait-elle se rendre utile afin de travailler en ce sens avec votre ministère ?

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Le droit français prévoit des notifications pour faire disparaître du Net des contenus illicites, mais ces notifications ne sont pas pérennes, si bien que le gestionnaire de plateforme est appelé à intervenir plusieurs fois pour faire retirer un contenu. D'autres pays européens prévoient des notifications durables. Votre projet de loi, Madame la secrétaire d'État, pourrait-il intégrer cette notion de durabilité qui existe dans le droit européen ?

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Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique

Il s'agit là de sujets graves qui n'entrent pas exclusivement dans le champ de mes compétences. Toute décision en la matière concerne également les ministères de la Justice et de l'Intérieur. Avec Mme Christiane Taubira et M. Bernard Cazeneuve, nous travaillons en bonne intelligence pour trouver des solutions communes.

La nouvelle disposition sur le harcèlement en ligne a été introduite par la loi sur l'égalité entre les femmes et les hommes. Un an et demi après son entrée en vigueur, il reste difficile d'avoir un retour sur l'application de cette disposition. Je peux néanmoins vous dire que les taux de recours sont très faibles.

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Nous avons interrogé le ministère de la Justice à ce sujet, qui nous a transmis les informations suivantes. Les éléments dont dispose le ministère sont basés sur une nomenclature de regroupement des affaires qui ne permet pas de les isoler. Cependant, les infractions créées par la loi de 2014 sont trop récentes pour disposer d'un chiffre représentatif. Il y aurait eu deux condamnations, l'une pour envois réitérés de messages malveillants émis par la voie de communication électronique, l'autre pour harcèlement d'une personne par des propos répétés ayant pour objet une dégradation de la qualité de vie et de la santé.

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Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique

La Délégation peut avoir un rôle très utile, notamment dans le suivi de l'application de la loi et dans celui du droit issu des contentieux. Je comprends mal l'impossibilité d'isoler un type de délit, alors que l'informatique pourrait le faire !

S'agissant du cyberharcèlement, je suis tout à fait d'accord pour dire que le recours à une terminologie anglo-saxonne ne permet pas d'intégrer la réalité de ces violences dans le quotidien. Là encore, la Délégation pourrait être très utile en proposant des traductions d'expressions comme revenge porn, sexting ou slut shaming. Il est très important de qualifier ces phénomènes très graves par des mots français.

S'il fallait aller plus loin en droit, il conviendrait d'introduire une circonstance aggravante au délit prévu à l'article 226-1 du code pénal qui sanctionne le fait de fixer, d'enregistrer et de transmettre sans le consentement de la personne l'image de celle-ci lorsqu'elle se trouve dans un lieu privé. La circonstance aggravante serait prévue en cas d'image revêtant un caractère sexuel ou intime. Cette piste, retenue par d'autres pays, mériterait d'être expertisée en France.

Dans le cadre de l'examen de la proposition de loi de lutte contre le système prostitutionnel, la question s'est posée de la modification de l'article 1er de ce texte afin d'intégrer la possibilité de retrait administratif du contenu de sites Internet faisant la promotion du proxénétisme. Le Gouvernement s'est dit favorable à la lutte contre ce type de contenu illicite, mais pas sans recours au juge judiciaire. En effet, le recours au juge judiciaire constitue une garantie des libertés fondamentales, et il doit être évité uniquement en cas d'extrême urgence, que le droit français limite à la lutte contre le terrorisme et à la lutte contre la pédopornographie. Le cyberharcèlement et le proxénétisme appellent la recherche d'une qualification juridique précise, ce qui rend essentiel le recours au juge comme garantie fondamentale. Cela n'enlève rien à la légitimité de l'objectif poursuivi par la proposition de loi.

Tout ne relève pas de la loi et, parfois, modifier la loi ne suffit pas à changer les comportements. Demain matin, à Matignon, le Premier ministre et moi-même recevrons les représentants des grandes entreprises du Net – Google, Apple, Facebook, Twitter et Microsoft – pour aborder deux sujets : la mobilisation citoyenne en cas de crise grave, notamment d'attaque terroriste, et la coopération avec les forces de l'ordre françaises. Cette coopération prend en particulier la forme du retrait de contenu illicite, qui peut être un contenu attentatoire à la dignité humaine et notamment aux droits des femmes.

Pour ma part, j'estime que le problème réside moins dans l'état du droit que dans sa bonne et effective application. Je crois que les obligations qui pèsent sur les entreprises du Net sont déjà une réalité et qu'il faut se poser la question de savoir s'il est bon de se décharger sur des acteurs économiques privés de la responsabilité de faire respecter le droit et d'émettre un avis sur l'arbitrage entre la liberté d'expression et le respect de l'ordre public, de la sécurité et de la dignité humaine. En réalité, c'est aux autorités publiques qu'il appartient de se prononcer sur ces sujets. Néanmoins, les forces de l'ordre n'ont pas la capacité technique d'un Facebook, qui peut traiter les 120 000 notifications de retrait de contenu illicite qu'il reçoit chaque jour. D'où la nécessité d'une coopération.

Les notifications effectuées directement auprès des forces de police – je pense à la Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (PHAROS) – devraient être plus systématiques, ce qui serait possible grâce à une simplification de l'interface de cette plateforme, peu connue du grand public – il faut aller sur le site, répondre à une série de questions, ce qui est long et complexe. Cette simplification de l'accès à la procédure de notification peut passer par l'utilisation d'algorithmes permettant de retirer non seulement un contenu illicite, mais aussi tous les contenus identiques ou très similaires. Cela rejoint votre question sur la récurrence de contenus, supprimés un jour et réapparus le lendemain via des sites hébergés à l'étranger et rouverts automatiquement. Je suis à votre disposition pour examiner toute initiative en ce sens émanant des députés, en particulier de votre Délégation. C'est un sujet sur lequel il faut travailler, notamment avec les représentants des entreprises que je viens de citer, dont les traitements automatisés sont à même de lutter contre ces phénomènes.

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L'avant-projet de loi prévoit une procédure accélérée pour le droit à l'oubli des mineurs. La diffusion d'images d'une personne dans un lieu privé, sans le consentement de celle-ci, est punie par la loi – ce peut être le cas lorsqu'un homme se venge de son ex-femme en diffusant des photos à caractère privé. Selon le ministère de la Justice, 19 condamnations ont été prononcées en 2014 pour diffusion d'images portant atteinte à la dignité de la personne. Cela me semble très peu au regard des violences subies par les femmes, dont certaines sont littéralement détruites dans leur vie professionnelle et personnelle à la suite de ces faits.

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Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique

Le droit à l'oubli est un sujet crucial. On peut regretter qu'il ait fallu attendre un jugement européen pour que les États membres de l'Union décident d'accélérer le calendrier d'adoption du règlement européen relatif aux données personnelles – qui sera probablement adopté d'ici à la fin de l'année ou au premier trimestre de l'année suivante au plus tard. En attendant, l'articulation entre le droit national et le droit européen reste difficile. D'où le choix du Gouvernement de « cranter » le sujet dans le projet de loi pour une République numérique en introduisant le droit à l'oubli pour les mineurs – c'est-à-dire les personnes mineures au moment de la collecte des données – grâce à une procédure accélérée de traitement des demandes auprès de la CNIL. Ce choix procédural permet de ne pas trop anticiper l'adoption du règlement européen – peut-être sera-t-il amené à évoluer en fonction du contenu définitif du texte qui sera adopté par les États membres.

En la matière, le problème est celui de l'effectivité du droit. Le droit existe, mais se protéger nécessite du temps et de l'argent, alors qu'Internet fait primer l'immédiateté. La CNIL traitera dans un premier temps les demandes, avant les éventuels contentieux.

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Pouvez-vous expliciter les dérogations au droit à l'oubli inscrit dans le projet de loi ?

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Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique

L'article 27 du texte décline la liste des exceptions édictées par la loi CNIL de 1978 et actualisée depuis.

La première est l'exercice du droit à la liberté d'expression et d'information. Le recours à un jugement en ce domaine reste une exigence, notamment en ce qui concerne les personnalités publiques – qui acceptent de s'exposer, du moins en partie, et qui sont censées revendiquer un droit à l'oubli moins fort que celui des personnes privées. C'est en tout cas l'état de la jurisprudence actuelle. De la même manière, les informations journalistiques, qui tombent dans la catégorie des informations publiques, nécessitent sans cesse un arbitrage entre liberté d'expression et d'information, d'une part, et respect de la vie privée, d'autre part.

D'autres exceptions concernent des motifs d'intérêt public dans le domaine de la santé publique, ainsi que le traitement de données à caractère personnel à des fins d'archivage dans l'intérêt public ou à des fins scientifiques, statistiques et historiques.

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Ce type de dérogations ne peut donc s'appliquer à des mineurs.

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Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique

Effectivement, ce type de dérogation s'appliquera moins naturellement aux mineurs, puisqu'ils sont peu ou pas concernés par ces sujets. Il n'est pas question de mettre en place un droit à l'oubli général et systématique : le cadre général de la loi CNIL continue de s'appliquer.

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Des stars ou des personnalités politiques mettent en scène leurs enfants mineurs qui, une fois majeurs, n'auront peut-être pas envie d'assumer la vie publique de leurs parents. Plus généralement, beaucoup de personnes privées mettent en scène leurs enfants sur Facebook ou autres, ce qui me semble problématique.

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Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique

Il ne m'appartient pas de porter un jugement moral, mais cela me semble tout de même assez irresponsable.

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Pour moi, cela revient à mettre ces enfants en danger. Ils auront le droit plus tard de contester le choix de leurs parents de les avoir exposés publiquement sur Internet.

Récemment, le site de jouets électroniques VTech a été piraté : des données personnelles concernant les enfants et leurs parents ont été « hackées », en particulier des historiques de conversations. Ce phénomène est très inquiétant.

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Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique

La cybersécurité est une question centrale. Actuellement, 10 % du budget informatique d'une entreprise de taille moyenne est consacré à la cyberprotection, pourcentage qui devrait passer à 30 % d'ici deux à trois ans.

Il a fallu attendre l'attaque informatique dont a été victime TV5 Monde pour réaliser que même un grand média international peut être mal protégé contre les cyberattaques, de plus en plus violentes et globales. Ce phénomène nécessite un réel investissement de la part des entreprises, mais aussi des pouvoirs publics qui sont, eux aussi, victimes d'attaques récurrentes de plus en plus fortes. Après l'attentat contre Charlie Hebdo, pas moins de 23 000 sites publics, notamment de collectivités, ont fait l'objet d'attaques informatiques. Les particuliers sont également visés. D'où l'importance de l'acculturation, de la formation, de la conscientisation des enjeux, afin d'acquérir une hygiène numérique.

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Merci, Madame la secrétaire d'État, de cette audition fort intéressante. Votre action sur le terrain est, je le sais, très appréciée. Notre Délégation échangera avec vous dans les jours prochains pour voir de quelle manière il nous est possible de contribuer à votre loi.

La séance est levée à 18 heures.