Intervention de Jacques Krabal

Séance en hémicycle du 9 décembre 2015 à 15h00
Dématérialisation du journal officiel de la république française — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Krabal :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je me suis déjà exprimé en première lecture, lors de la discussion générale ; mes propos, aujourd’hui, ne seront pas différents. Je veux quand même vous dire que, selon le groupe RRDP, ces deux propositions de loi ne s’imposaient pas ; et si elles ne changeront pas la face du monde, elles ne seront pas non plus génératrices de réels progrès, quels que soient les domaines concernés.

Certes, avec le développement d’Internet, la publication, six jours par semaine, du Journal officiel s’est trouvée de plus en plus délaissée, et pour cause : elle est disponible gratuitement sur Internet, dans des délais très brefs, alors que l’édition « Lois et décrets », acheminée par voie postale, coûte 315,30 euros par an.

Ainsi, l’été dernier, le Gouvernement a-t-il passé la commande d’une dématérialisation totale du Journal officiel. Pourtant, M. Didier François, directeur adjoint de la DILA, déclarait : « Sur le plan financier, les conséquences ne sont pas extrêmement fortes. C’est une décision qui est importante sur le plan identitaire, sur le plan de l’image, du symbole, parce que le JO papier c’est quelque chose de très fort. » Il fallait en effet le rappeler.

Ne nous y trompons pas. Le seul symbole fort, c’est bien celui de l’emprise des nouvelles technologies de l’information et de la communication, celui qui pousse à la publication de certains actes administratifs sous la seule forme numérique.

Ne vous méprenez pas, toutefois. Il ne s’agit pas, pour nous, de refuser le progrès. Je préfère les voitures d’aujourd’hui aux 2 CV d’hier, et les technologies de l’information nous ouvrent chaque jour de nouveaux horizons. Mon propos, au-delà de l’aspect purement économique, est également culturel. Oui, le papier est notre culture : n’oublions jamais ce que nous lui devons.

J’entends les arguments avancés par nos collègues sénateurs : il s’agirait de simplifier et de rationaliser la dépense publique – même si ce n’est pas là la motivation principale – et de favoriser le développement durable. Au-delà des avantages indéniables que présente la mesure, tels que la vitesse ou la gratuité, pourriez-vous nous dire sur quelle étude d’impact vous vous fondez pour défendre ces objectifs ? En effet, madame la secrétaire d’État, vous assurez que le bilan carbone sera meilleur avec une économie de 660 tonnes de CO2 : d’où tient-on ce chiffre ?

Un courriel accompagné d’une pièce jointe équivaut à une dépense de 25 watts par heure, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, qui l’a rappelé tout à l’heure, depuis son stand, à la COP21. Or, en une heure, ce sont plus de 10 milliards de courriels qui sont envoyés, soit une dépense énergétique équivalente à 4 000 tonnes de pétrole.

Par ailleurs, a-t-on pris en compte le coût de la sécurisation – même si toutes les informations personnelles ne seront pas incluses – ainsi que du stockage et de la gestion des données ?

Enfin, madame la secrétaire d’État, je veux évoquer un sujet qui me préoccupe tout particulièrement en tant qu’élu rural : la fracture numérique. Quid des territoires non desservis ? Quid des personnes qui n’ont pas accès – que ce soit matériellement, techniquement ou pédagogiquement – à la communication numérique ? Oui, la fracture numérique est réelle. Nous devrions nous garder, si je puis formuler un conseil, de renforcer ce sentiment de discrimination territoriale, ce sentiment de déclassement que vivent nos territoires ruraux. À cet égard, les résultats électoraux de dimanche dernier, notamment les scores du Front national dans les communes rurales, doivent rester gravés dans nos esprits.

Qu’on prenne garde, dans cette fureur de la dématérialisation, à ne pas enlever de la matière aux relations humaines. De notre point de vue, il faut renforcer la démocratie. À l’heure où il est nécessaire que nos concitoyens se réapproprient la loi, il ne faudrait pas les en éloigner encore.

Même si cela ne vous concerne pas directement, madame la secrétaire d’État, j’aimerais évoquer les projets envisagés de suppression de la propagande électorale sous format papier pour les échéances de 2017. Notre démocratie, là encore, a besoin d’être renforcée et non affaiblie, comme elle le serait si ces propositions devaient aboutir. Pour ma part je considère que les économies nécessaires au redressement de nos finances publiques ne devraient en aucune façon affaiblir notre fonctionnement démocratique. Bien au contraire, nous devrions tout faire pour rapprocher les citoyens des urnes et affirmer, selon le mot de Victor Hugo : « La Démocratie, c’est la grande Patrie. »

Quelques jours à peine après le premier tour des élections régionales, je tenais à porter à votre connaissance les difficultés auxquelles les électeurs ont dû faire face. Dans ma circonscription, pour la première fois, la distribution de la propagande électorale a été confiée à une entreprise privée : cela s’est soldé par de nombreux dysfonctionnements, et des électeurs attendent encore leur enveloppe pour aller voter.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe RRDP s’abstiendra sur ces propositions de loi qui ne visent pas le bon objet, à savoir rapprocher les citoyens des institutions dont ils ont le sentiment que nous, les élus, nous les éloignons – c’est l’une des raisons qui peuvent expliquer le vote de dimanche dernier.

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