Avant d'en venir à l'exécution du COM, qui arrive à son terme cette année, et aux perspectives pour la période 2016-2020, je veux attirer l'attention de cette assemblée sur le changement radical, profond et durable du contexte dans lequel s'inscrit désormais l'action audiovisuelle extérieure de la France.
Il y a quelques jours, nous vivions le plus terrible attentat de l'histoire de notre pays. En janvier déjà, nous avions été sidérés par les attentats perpétrés à Charlie Hebdo et à l'Hyper Cacher de Vincennes. Notre projet de contrat d'objectifs et de moyens 2016-2020, qui a été remis au gouvernement en mai dernier, tient bien sûr compte des événements de janvier. Mais il aurait sans doute été plus ambitieux encore si nous l'avions élaboré après le 13 novembre. L'audiovisuel extérieur français est désormais en première ligne, en particulier les médias de langue arabe, dans la bataille des idées qui s'est engagée. C'est vrai pour les médias classiques, en linéaire, mais cela l'est tout autant dans les environnements numériques, parfaitement maîtrisés pour être des outils de propagande, de radicalisation et de recrutement.
Le gouvernement britannique ne s'y est pas trompé. Alors même que la BBC met en oeuvre un vaste plan d'économies de plus de 200 millions d'euros pour ses services domestiques au Royaume-Uni – allant jusqu'à cesser la diffusion analogique de BBC3 –, le gouvernement a décidé de verser une dotation supplémentaire de 48 millions d'euros en 2016 et 2017, puis de 121 millions d'euros par an, au BBC World Service, la branche internationale du groupe. Cette dotation est la plus importante jamais attribuée par un gouvernement aux programmes à vocation internationale de la BBC. Son directeur général résume ainsi l'enjeu : « Les millions annoncés aujourd'hui aideront la BBC à honorer son engagement de défendre la démocratie à travers des informations précises, impartiales et indépendantes. »
Cette initiative n'est pas isolée. L'Allemagne vient de décider une hausse de 12 millions d'euros des crédits de Deutsche Welle à partir de 2016. La Russie développe sa chaîne internationale Russia Today qui est le vecteur clé de sa stratégie de communication internationale. La Chine fait de même, pour ne rien dire des États-Unis et du Broadcasting Board of Governors (BBG) dont le budget est en forte croissance.
En dépit des enjeux, l'audiovisuel extérieur français ne dispose pas de moyens comparables. Pourtant, la France occupe une place particulière sur la scène internationale. Le retentissement mondial des attentats de novembre et les réactions suscitées dans la plupart des pays du monde en témoignent. Nos médias ont joué leur rôle de caisse de résonance : cinq chaînes américaines et australiennes ont interrompu leurs programmes pour diffuser en direct France 24 ; nos journalistes sont intervenus une centaine de fois au service d'autres médias, français et internationaux ; nos sites ont vu leur fréquentation croître de façon exceptionnelle ; près de 60 millions de vidéos de France 24 ont été consommées en quelques jours, soit une multiplication par six par rapport à la moyenne habituelle. L'attente pour nos médias est donc bien là. Mais, alors que nous ne connaissons pas encore les arbitrages pour le COM 2016-2020, les moyens seront-ils à la hauteur des enjeux ?
L'enveloppe budgétaire pour 2016, première année du futur COM, est en augmentation de 0,8 %, soit 2 millions d'euros supplémentaires. Je suis parfaitement conscience des contraintes qui s'imposent à l'État et de l'effort consenti en faveur de France Médias Monde. Mais la trajectoire ainsi définie correspond à l'évolution la plus basse que nous avions proposée dans le projet de COM remis à l'État au printemps dernier. Cette évolution permet de maintenir à flot notre entreprise, mais aucunement de la développer. Notre option la plus haute, dont je considère que, dans le contexte actuel, elle est plus que modeste, prévoyait une croissance de 2,1 % par an des ressources publiques pour les cinq prochaines années, croissance qui nous aurait donné en 2020 un budget encore inférieur de 25 millions d'euros à celui de notre concurrent au budget le plus modeste, Deutsche Welle.
Ce budget pour 2016 nous permettra de faire face à nos obligations légales, au glissement inexorable aussi bien des loyers que de la masse salariale, ou à l'ajustement de nos amortissements consécutifs à nos investissements dans la haute définition. Nous pourrons ajuster a minima les moyens de nos rédactions et poursuivre nos actions en faveur du renforcement de la cohésion sociale. Bien sûr, nous serons à l'équilibre, comme chaque année depuis 2012. Mais nous n'aurons pas de moyens supplémentaires pour la communication et le marketing, nous n'en aurons pas pour développer une chaîne en espagnol ni pour renforcer nos programmes arabophones, notamment en améliorant leur programmation par rapport à la disponibilité de notre public cible.
Pourtant, notre groupe en a sous le pied, si je puis dire. Les chiffres clés que nous vous avons communiqués pour le mois de novembre attestent de nos performances. Ils sont le résultat de l'actuel COM qui nous a permis d'enrichir nos grilles et donc d'augmenter nos effectifs. Dans des chaînes d'information continue ou de radio, l'augmentation du coût des programmes se traduit inévitablement par le recrutement de journalistes : nous ne commandons pas nos journaux à des sociétés de production ; nous ne pouvons pas prévoir les breaking news qui vont nous faire interrompre nos antennes. Améliorer la qualité de nos programmes, c'est augmenter la masse salariale. Face aux événements que nous vivons, j'assume les 48 ETP supplémentaires de 2014. L'année en cours connaîtra de nouveaux recrutements, sans que notre équilibre budgétaire soit rompu, ce qui, pour une société nationale de programmes, mérite d'être salué.
Nous avons relancé les langues en proposant des programmes en mandingue – langue parlée dans la bande sahélienne qui connaît elle aussi le terrorisme – depuis le 19 octobre. Nous avons modernisé l'ensemble de nos sites et applications en mettant l'accent sur la mobilité et les réseaux sociaux. Nous avons lancé de nouveaux sites il y a quelques jours : RFI Afrique et RFI Savoirs. Enfin, nous sommes passés à la production en haute définition.
Nos trois médias ont totalisé 90 millions d'auditeurs et téléspectateurs en moyenne par semaine en 2014 – ces chiffres correspondent à des mesures, et non à des estimations ou des projections – et ils cumulent 30 millions de visites en moyenne chaque mois et rassemblent plus de 31 millions d'abonnés sur Facebook et Twitter.
France 24 a accru sa distribution de plus de 50 % en deux ans et continuera à le faire cette année. Nous avons franchi la barre des 300 millions de foyers recevant la chaîne.
L'audience mondiale de France 24 est en hausse de 11 % en 2014, avec près de 46 millions de téléspectateurs hebdomadaires. Elle est l'une des chaînes les plus suivies au Maghreb, notamment en Tunisie où elle est la première chaîne d'information. Elle est la première chaîne d'information internationale dans toutes les capitales d'Afrique francophone, et dans le top 3 des chaînes, toutes chaînes confondues, auprès des cadres et dirigeants. Elle a une place de plus en plus affirmée au Proche et Moyen-Orient, où un leader d'opinion sur cinq la regarde chaque semaine. En Jordanie, France 24 en arabe a d'ailleurs enregistré en 2014 un bond de 60 % de son audience hebdomadaire.
L'audience de RFI est en hausse de 8 % en 2014, avec 37,3 millions d'auditeurs hebdomadaires, mesurés dans moins d'un tiers des pays de diffusion.
RFI reste incontournable en Afrique. Elle est dans le top 3 des radios les plus écoutées dans la quasi-totalité des capitales, toutes radios confondues, et de très loin numéro un chez les cadres et dirigeants, avec des scores entre 80 et 100 % d'audience hebdomadaire sur cette cible. La dynamisation des langues étrangères porte ses fruits avec des bonds d'audience enregistrés, notamment en haoussa – langue parlée par Boko Haram – dont l'antenne rassemble chaque semaine plus de 5 millions d'auditeurs. RFI enregistre des records d'audience en khmer – elle a multiplié par neuf son audience au Cambodge –, et en roumain – RFI România est la première radio des cadres et dirigeants à Bucarest, elle vient d'obtenir deux fréquences supplémentaires et une décoration de la présidence de la République pour son rôle essentiel dans la construction de la démocratie roumaine.
L'audience de Monte Carlo Doualiya (MCD) est en augmentation de 5 % en 2014, avec 7,3 millions d'auditeurs. Elle est la première radio internationale en Syrie et au Liban ; son audience a été multipliée par quatre en Jordanie en 2014 ; elle est la quatrième radio la plus écoutée en Mauritanie.
Sur Facebook, France 24 est le premier média français, tous médias confondus, avec près de 12 millions d'abonnés, et RFI la première radio généraliste française, avec 8 millions d'abonnés. Quant à MCD, elle rassemble une communauté de 2,5 millions d'abonnés, construite en moins de deux ans.
Sur les sites et applications mobiles des trois médias, l'augmentation du trafic est spectaculaire. France 24 enregistre 16 millions de visites en moyenne chaque mois, soit une hausse de 47 % par rapport à 2012.
La fréquentation du site de RFI a augmenté de 60 % par rapport à 2012. MCD a vu son trafic multiplié par cinq entre 2013 et 2015.
France 24 compte plus de 30 millions de vidéos vues chaque mois sur internet, et, je l'ai dit, 60 millions à la suite des attentats du 13 novembre.
Ces résultats ont été réalisés avec un budget encore inférieur en 2015 de 4,3 % en euros courants à ce qu'il était en 2011 et en tenant l'équilibre : c'est dire les efforts de productivité qui ont été réalisés par notre société.
Il ne dépend plus seulement de nous d'achever le premier COM. Reste bien sûr l'accord d'entreprise pour lequel la négociation est en pleine effervescence. Nous nous étions fixé avec l'État l'objectif de signer avant la fin de l'année. Si nous ne signons pas avant cette échéance, les salariés perdront la prime à la signature que nous avions prévue. Il m'est difficile d'entrer davantage dans le détail de cette négociation puisqu'elle est en cours. Sachez que notre objectif est d'aboutir à un accord équitable et équilibré, et non à un accord par le haut, qui serait pourtant beaucoup plus confortable pour la direction.
S'agissant de notre présence en France, nous n'aurons pas atteint nos objectifs. En matière de radio, RFI et Monte Carlo Doualiya, qui avaient pourtant réalisé une expérience positive à Marseille, attendent toujours la possibilité d'y retourner dans le cadre d'un accord avec Radio France qui nous céderait l'une des deux fréquences qu'il possède pour Mouv'.
Nous avons également souhaité que MCD, radio laïque arabophone de service public française, soit présente en radio numérique terrestre (RNT) en Île-de-France, mais cela relève de préemptions gouvernementales, de même que pour les langues étrangères de RFI. Nous nous sommes également portés candidat à Toulouse, où se libérait une fréquence FM. Ces évolutions ne dépendent pas de nous, mais nous semblent plus nécessaires que jamais : nos médias savent tenir un langage et offrir des programmes nécessaires à la cohésion sociale, qui pourraient trouver un écho dans certaines zones en France.
Quant à France 24, elle est diffusée sur la TNT en Île-de-France alors qu'elle visait une couverture urbaine plus large. Dès lors que les pouvoirs publics ont choisi de doter la France d'une chaîne d'information continue nationale, nous travaillons en bonne intelligence avec France Télévisions, Radio France et l'INA. Nous sommes partie prenante du comité de pilotage de la future chaîne.
J'espère avoir l'occasion d'échanger à nouveau avec vous pour vous présenter le futur COM en cours d'arbitrage. Il me semblait aujourd'hui essentiel d'attirer votre attention sur le changement radical et durable du contexte dans lequel s'inscrit désormais notre action.