La refondation de France Médias Monde a permis de construire un modèle original, fondé à la fois sur la fusion de certaines directions du groupe, notamment pour les fonctions support, la distribution, la veille technologique sur les nouveaux médias, ou la communication, et sur l'affirmation de la singularité de chaque média et de chaque format. Radio et télévision ne trouvent pas leurs publics au même moment. Quant aux formats, on peut parler de chaîne d'information continue pour France 24, de chaîne d'actualité pour RFI – je suis touchée pour les équipes de RFI que M. Amirshahi ait évoqué le concept d'éducation populaire au sujet de cette station –, et de chaîne généraliste pour MCD. Je rappelle que nous émettons en quinze langues, que nous employons des personnels de soixante-six nationalités, avec des différences selon les médias. France 24 diffuse en français, en anglais et en arabe, MCD en arabe, et RFI en français, en anglais, et dans douze autres langues, certaines rédactions étant délocalisées sur place.
Cette diversité permet au téléspectateur de France 24 d'être aussi auditeur de RFI : un média complète l'autre à des moments différents de la journée. Écouter MCD donne envie de voir les images diffusées sur France 24. Pendant le coup d'État au Burkina Faso, Le Petit Journal de Canal+ a constaté que la population locale écoutait massivement RFI dans l'après-midi pour disposer d'une information fiable, et qu'elle regardait France 24 une fois rentrée chez elle pour les mêmes raisons. Les chaînes du groupe ne se phagocytent pas. Nous peaufinons aujourd'hui le modèle que nous avons inventé : puisque nous ne fusionnons pas, nous travaillons mieux ensemble.
J'en viens à l'idée du regroupement de l'ensemble des sociétés de l'audiovisuel public au sein d'un pôle unique, défendue dans le rapport d'information des sénateurs André Gattolin et Jean-Pierre Leleux. Je comprends parfaitement que, sur le papier, l'idée d'une rationalisation puisse séduire. Parce que j'ai récupéré une entreprise à terre, blessée, en perte d'identité, je sais de quoi je parle. Parce que je négocie actuellement un accord collectif extrêmement complexe entre une radio, issue de l'univers des conventions collectives de l'audiovisuel public, et une chaîne de télévision qui relevait depuis neuf ans de la convention des chaînes thématiques, je sais la difficulté d'y parvenir sans opter pour une harmonisation systématique par le haut. France Télévisions a entamé ce chemin depuis 2010 sans aboutir à ce jour. De loin, on ne mesure peut-être pas l'énergie stérilisée des dirigeants et des salariés qui n'est alors pas investie dans la mission première des entreprises.
Par ailleurs, je serais ravie que nous nous inspirions d'autres modèles, mais il faudrait, dans ce cas, nous inspirer aussi de leur financement. Alors que l'audiovisuel public français dispose de 3,4 milliards d'euros, les Allemands financent le leur grâce aux 9 milliards que rapporte leur redevance rénovée et dynamique – personne n'a évoqué ce sujet autour de la table, mais je me permets de mettre les pieds dans le plat. Quant à la BBC, ses ressources dépassent largement les 6 milliards, parmi lesquels elle perçoit un milliard de recettes de commercialisation de programmes – la publicité n'est autorisée que sur BBC World et elle ne rapporte que 10 millions d'euros, à comparer à nos 8,6 millions d'euros de recettes propres pour 2015.
Notre audiovisuel public qui subit de multiples critiques, notre audiovisuel public que l'on dit si « éclaté », si « incohérent », réussit pourtant à offrir des programmes de très grande qualité pour un coût très compétitif si nous nous comparons aux pays qui nous ressemblent, comme l'Allemagne ou la Grande-Bretagne. Qu'attendrions-nous d'une fusion ? Une fusion permettrait-elle de faire des économies ? Nous sommes déjà très efficients sur ce plan. Permettrait-elle de mener plus efficacement nos missions ? L'efficacité dépend de la clarté des objectifs et de la réactivité des acteurs. Dès lors que ces conditions sont remplies, et que les financements correspondent bien aux missions assignées, nous pouvons travailler ensemble. En définitive, je ne sais pas ce que nous attendons d'une fusion, et j'aurais tendance, comme les Britanniques, à dire : « Small is beauty. »
Des doutes ont été émis sur les chiffres d'audience de France Médias Monde que je vous ai présentés. Ces données permettent en tout état de cause à l'ensemble des médias internationaux, comme la BBC, Voice of America ou CNN, de se comparer les uns aux autres. Ces mesures n'ont peut-être qu'une portée limitée, mais elles indiquent bien l'importance relative de chacun des médias concernés. Nous avons défendu contre vents et marées l'émission de MCD en ondes moyennes : cela nous permet aujourd'hui d'exister fortement en Libye et en Syrie. Dans les zones de crises, les médias français bénéficient d'une extraordinaire réputation et sont considérés comme impartiaux. Même s'ils sont faux, les sondages effectués par téléphone sont faux pour l'ensemble des stations, et, en valeur relative, MCD, qui émet depuis Paris, se situe bel et bien au premier rang pour les zones concernées.
Yves Bigot m'a succédé à la direction de TV5 Monde, et je suis aujourd'hui membre du conseil d'administration d'une chaîne au sujet de laquelle vos jugements sévères sont sans doute le fait d'amoureux insatisfaits. Vous attendez beaucoup, mais un travail considérable a déjà été accompli : les audiences continuent de progresser, la diffusion est régionalisée…