Intervention de Marie-Christine Saragosse

Réunion du 2 décembre 2015 à 9h45
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Marie-Christine Saragosse, présidente-directrice générale de France Médias Monde :

Les Français peuvent au moins choisir entre France 24 et TV5 Monde, alors que les Anglais n'ont pas d'autre choix que la BBC. Cela n'est déjà pas si mal !

Le format généraliste de TV5 Monde permet le sous-titrage, et sa régionalisation assure d'obtenir la meilleure qualité possible des programmes dans une zone en fonction des contraintes budgétaires. L'apport des partenaires de la chaîne allège l'effort budgétaire. Monsieur Myard, votre idée d'une reprise par un bandeau sur TV5 Monde des informations urgentes diffusées sur France 24 est intéressante. N'oublions pas toutefois que TV5 n'est pas une chaîne franco-française et que cette démarche ne pourrait aboutir qu'après l'obtention d'un complexe consensus multilatéral.

Sans attendre la mise en oeuvre de la loi de 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, nous avons oeuvré dans le sens de la parité. Il s'agit désormais d'une réalité au sein du comité exécutif du groupe, et elle est quasiment atteinte pour ce qui concerne l'encadrement, avec de légères différences entre les médias. Si l'on considère l'ensemble du personnel, les femmes sont légèrement plus nombreuses, et un écart de 8 % persiste pour les salaires, même si les négociations annuelles obligatoires ont donné lieu à des augmentations plus fréquentes pour les femmes que pour les hommes. Parce qu'il est difficile de parvenir à un ajustement en faveur des femmes sans désespérer les hommes – la moitié des personnels a alors le sentiment que cette évolution se produit à son détriment –, nous avons inscrit dans notre projet de COM une enveloppe de 1,5 million d'euros afin de mettre en place des mesures de rétablissement de l'égalité salariale.

Par ailleurs, plusieurs émissions spécifiques sont diffusées sur les antennes comme 7 milliards de voisins ou Priorité santé, sur RFI, Les Impertinentes ou La blogueuse du monde arabe, sur MCD, ou ActuElles, sur France 24. Conformément à la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel du 4 février dernier, nous avons mis en place un système de comptage des expertes qui interviennent en plateau afin que la parole des femmes sur nos antennes ne soit pas seulement celle des victimes ou des témoins. L'évolution en la matière ne sera pas facile ; elle demande un réel volontarisme.

Puisque nous en sommes aux experts, je précise que France 24 invite, dans ses trois langues, soixante-dix personnes par jour. Les experts sont un peu moins nombreux sur RFI qui, je le rappelle, émet à Paris en dix autres langues que le français. La recherche des intervenants représente un travail titanesque qui occupe des équipes entières. Tous les experts ne peuvent évidemment pas être de même niveau, mais il est rare qu'un seul d'entre eux détienne le monopole de la parole. Nous avons surtout le culte, très français, du débat d'idées, ce qui permet de présenter des points de vue contradictoires. Nous faisons confiance aux téléspectateurs et aux auditeurs, que nous considérons comme des citoyens et non comme des consommateurs : il leur appartient de forger leur propre opinion. Notre travail serait évidemment facilité si nous disposions de davantage de choix parmi les experts, si nos annuaires étaient plus fournis et si les femmes y figuraient en plus grand nombre.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogée sur la bataille des idées menée après les événements de janvier dernier en France. Je crois que notre premier devoir est de respecter l'exactitude des faits. Nous ne devons jamais ni nous emballer à partir d'une rumeur, ni faire circuler de fausses informations, ni perturber le travail des forces de l'ordre par le traitement d'un événement dramatique, ni montrer d'images sensationnalistes. Ces principes déontologiques s'appliquent en toute situation. Au-delà, nous veillons aussi à éviter tous les amalgames. Nous avons la chance de compter dans notre groupe 155 journalistes arabophones. Certains d'entre eux, originaires de différents pays arabes, ont choisi la France et portent ses valeurs chevillées au corps, parfois encore plus profondément que nous-mêmes. Ils ont choisi de travailler pour nos médias, et sont pour cela menacés et insultés sur les réseaux sociaux où ils sont traités d'apostats.

En arrivant à mon poste, je me suis interrogée sur la laïcité. Je me demandais comment ce simple mot était traduit en quatorze langues : nous nous sommes aperçus que certains employaient pour ce faire le mot « athéisme », notamment en arabe, ce qui était extrêmement grave. Au sein de notre groupe, le débat sur les mots est réel et permanent. Les journalistes ne sont pas des soldats, ils ne sont pas en guerre, mais, ensemble, nous portons des valeurs, comme la liberté d'expression et la liberté d'information, qui sont des piliers de la démocratie.

La chaîne en espagnol ne pourra malheureusement pas être financée en 2016. Nous sommes le seul grand groupe audiovisuel international à ne pas disposer d'un média dans cette langue – même les Iraniens ont commencé par l'espagnol ! L'Amérique du Sud compte un demi-milliard d'habitants ; la France y jouit d'un extraordinaire capital de sympathie, et Paris est encore considéré comme l'une des grandes villes d'Amérique latine. L'Année France-Colombie, en 2017, constitue un élément d'un projet adossé à RFI qui dispose d'une formidable rédaction hispanophone et connaît une notoriété extraordinaire en Amérique latine. Nous pouvons capitaliser sur le savoir-faire du groupe pour développer une télévision qui diffuserait six heures par jour pour 7 millions d'euros – 1,5 million serait nécessaire dès cette année, et 3,5 millions l'année prochaine. À ma connaissance les arbitrages n'ont pas encore été rendus en la matière.

Un accord-cadre a été passé afin que Cartooning for peace puisse présenter tous les vendredis, sur France 24, des dessins provenant du monde entier sur les thématiques les plus diverses.

Nous nous développons comme nous pouvons en fonction de nos contraintes budgétaires. Parce que je ne dispose pas des moyens de payer les 65 000 euros par chaîne qui me sont demandés pour une diffusion au Portugal, j'y renonce. Si les Américains me demandaient plusieurs millions pour une diffusion à Los Angeles, alors qu'elle est aujourd'hui gratuite, j'y renoncerais. Notre budget de distribution est en diminution par rapport à celui de 2012, alors que nous touchons 300 millions de foyers supplémentaires ! Pour y parvenir, il a fallu que nos équipes développent des trésors d'ingéniosité, de persévérance et d'endurance que vous n'imaginez pas.

Vous aurez plus de poids que moi-même si vous vous plaignez directement dans les hôtels de ne pas avoir eu accès à France 24 et à TV5 Monde. Ces deux chaînes sont aujourd'hui diffusées pour 1,3 milliard de nuitées hôtelières. Les accords passés sont toujours plus nombreux, mais nous ne pouvons pas imposer à un hôtel de nous diffuser, et la question est aussi largement celle des moyens : certains ensembliers hôteliers demandent 400 000 euros pour vendre nos chaînes aux hôtels qu'ils équipent, et il faut faire face à la concurrence d'autres médias, comme Russia Today, qui disposent de fonds considérables et n'hésitent pas à payer.

La sécurité de nos collaborateurs constitue pour nous une préoccupation essentielle. Nous avons mis en place l'année dernière un stage sur mesure d'une semaine qui permet de traiter une grande diversité de sujets : zones de crise, prises d'otage, cyberattaques, gestes de secours… Tous ceux qui ont suivi ce stage reçoivent des notions de secourisme qui ont permis à deux assistants de production du groupe, qui se trouvaient sur place, de porter secours à plusieurs victimes des attentats du 13 novembre dernier, en posant des garrots. Nous avons proposé de mutualiser ce stage pour l'ensemble des personnels de l'audiovisuel. Un colonel à la retraite est chargé pour le groupe du PC sécurité d'évaluer les risques et de gérer les équipements, la sécurité des missions, les fixeurs… Les procédures de sécurité ont été renforcées dans nos locaux et nos équipements ont été revus depuis l'attentat de Charlie au mois de janvier. Nous avons également rehaussé notre niveau de résistance aux cyberattaques à la suite du piratage subi en avril dernier par TV5 Monde. Nous travaillons main dans la main avec cette chaîne sur ce sujet ainsi qu'avec Radio France, France Télévisions, l'AFP et nos amis canadiens, belges et suisses. Je pense que nous parviendrons à mutualiser la surveillance indispensable vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Certains investissements logiciels et humains nous reviennent cependant : ils sont prévus en 2016. Nous faisons l'objet d'attaques continuelles, mais nous résistons.

La baisse de nos ressources propres s'explique en particulier par la perte des subventions liées à Euranet dont bénéficiait RFI. À la suite d'un appel d'offres européen, elles ont été attribuées à Radio France. Par ailleurs, nous ne bénéficions plus désormais d'un minimum garanti par la régie de France Télévisions en termes de ressources publicitaires. Après une réelle contre-performance, ces recettes ont néanmoins progressé en 2014. Compte tenu de cet élément, après neutralisation des subventions européennes et refacturation des prestations de services, nos recettes ont augmenté de 0,6 million d'euros, entre 2013 et 2014, pour atteindre 8,6 millions. Alors que notre budget représente 150 millions d'euros, je rappelle que la BBC bénéficiait, avant augmentation, pour sa seule radio, de 400 millions –, BBC World s'astreint à l'application de règles déontologiques strictes en matière de publicité et ne perçoit que 10 millions à ce titre.

Pourquoi nos propres recettes publicitaires sont-elles faibles ? La loi nous interdit tout d'abord de parrainer des programmes d'information – vous avez forcément peu de chance de trouver beaucoup d'autres types d'émissions sur une chaîne d'information continue. Des questions déontologiques se posent ensuite : pouvons-nous accepter des publireportages ? Puis-je accepter de faire la publicité d'un gouvernement africain sur les antennes de France 24, chaîne de la République française ? Pouvons-nous laisser un distributeur parrainer une émission consacrée au développement durable, ou associer le nom d'un grand laboratoire et une émission médicale ? À quel moment, nous qui sommes la vitrine de la France dans le monde, devons-nous renoncer aux règles déontologiques ? Si ce renoncement nous est demandé fermement et clairement par nos tutelles, en accord avec la représentation nationale, je m'exécuterai à contrecoeur, tout en respectant la législation. Mais pourquoi croyez-vous que seules des chaînes publiques sont présentes sur le marché international ? Les chaînes privées se battraient pour y entrer s'il était rentable – CNN se finance sur son immense marché national ; quant à Al-Jazeera, vous savez très bien ce qu'il en est… Même si nous faisons des efforts de rationalisation, nous ne nous financerons jamais sur recettes propres.

Je reconnais que nous avons commis des erreurs concernant les objectifs quantifiés des indicateurs du COM. J'avoue que je ne me suis pas assez penchée sur ces données, et que j'ai privilégié la stratégie. J'aurais dû ferrailler sur ces indicateurs inappropriés tant en termes d'effectifs que de recettes propres. Je fais mon mea culpa pour une erreur qui porte non sur nos réalisations, mais sur les indicateurs que nous avons accepté de nous imposer à nous-mêmes dans le COM en cours. Comment avons-nous pu accepter de maintenir les effectifs au niveau de ceux de 2012 alors que nous faisions tout pour augmenter le contenu de nos programmes et que, dans notre groupe, tout programme équivaut immanquablement à des salaires équivalents temps plein ?

En termes de personnels, nous sommes déjà dans une situation qui nous place très en dessous du modèle classique. La masse salariale représente 53 % de nos dépenses alors qu'elle entre pour 60 % dans les charges de Radio France, qui dispose d'une radio d'information continue. France 24 en français emploie un effectif de 155 ETP si l'on inclut les dépassements de 48 ETP qui ont été signalés. BFM, dont on peut penser qu'il ne s'agit pas d'une chaîne qui jette l'argent par les fenêtres, emploie 212 journalistes ; I-Télé en emploie 230. Sachant que ces deux chaînes ne diffusent que dix-neuf heures par jour et ne couvrent que la France, je ne connais pas de chaîne plus performante au regard de ses effectifs que France 24. J'affirme en tout cas que nous ne pourrons pas faire mieux avec le même nombre de personnes.

L'accord d'entreprise est particulièrement complexe à mettre en oeuvre, car nous partons de situations radicalement différentes. Il faut l'inventer de toutes pièces. L'harmonisation par le haut aurait permis de signer rapidement, mais nous avons voulu rédiger un texte équilibré qui allège la charge de ceux qui travaillaient trop à France 24, tout en maintenant leurs salaires, et qui accroisse celle de ceux qui travaillaient moins, mais en augmentant les salariés concernés – par chance, il s'agissait de ceux de RFI dont les salaires étaient plus faibles qu'à France 24. En télévision, comme en radio, toutes les catégories de personnels sont désormais appelées à travailler 204 jours par an. Nous avons établi une cartographie des emplois ; nous avons simplifié le système des rémunérations ; nous avons proposé une limitation des automatismes à la prime d'ancienneté pour privilégier les mesures individuelles présentées par la direction à partir de critères professionnels objectifs. Nous avons mis en place des dispositifs balais afin que personne ne soit oublié au bord du chemin par ces mesures dont, pour les cas les plus délicats, nous discutons depuis déjà trois ans avec les organisations syndicales.

Nous espérons signer, mais nous ne le ferons pas si cela devait se traduire, à terme, par une mise en danger des salariés. À long terme, l'intérêt de l'entreprise ne peut pas être différent de celui de ses salariés. Nous prêchons pour un accord raisonnable, parce que nous savons que, tôt ou tard, si la masse salariale et les ETP explosaient, cela se retournerait contre les salariés.

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