Je salue aussi, comme cela a déjà été fait, tous les autres collègues impliqués sur cette question du gaspillage alimentaire. Je pense en particulier à Jean-Pierre Decool, dont l’engagement et la détermination pour faire progresser la réflexion sur les bonnes solutions à mettre en oeuvre sont indéniables et honorables.
Les chiffres du gaspillage alimentaire ne sont que des évaluations, mais elles sont relativement fiables et, au niveau individuel comme au niveau global, ces chiffres sont édifiants – et vous avez eu raison, monsieur le rapporteur, de dire avec force et solennité que c’est un combat contre l’absurde qu’il nous faut mener. Nous gaspillons tous – oui, tous – plus ou moins, au cours d’un repas. Et, au final, ce sont vingt à trente kilogrammes de nourriture par personne qui sont jetés chaque année en France, dont sept kilogrammes encore emballés. Il faut répéter ces chiffres. Au total, ce sont 140 kilogrammes par habitant pour l’ensemble de la chaîne alimentaire. Nous jetons, en France, 7 à 9 millions de tonnes de nourriture par an : ce sont plus de 40 kilogrammes par seconde de nourriture comestible, gaspillée, jetée, dilapidée. C’est une gabegie insupportable, qui représente un coût, pour la France, compris entre 15 et 20 milliards d’euros par an.
Cette destruction massive de richesse est d’autant plus choquante, que l’alimentation n’est pas un bien équivalent à d’autres, même si tous les gaspillages doivent être combattus. Se nourrir est un acte symbolique, qui engage un rapport de confiance et qui exige une éthique, car s’alimenter à sa faim devrait être un droit humain fondamental. La situation actuelle est symboliquement épouvantable, moralement intolérable, et économiquement insoutenable. C’est pourquoi nous accueillons avec beaucoup de bienveillance et d’enthousiasme toutes les initiatives sympathiques et éparses qui peuvent être prises – je pense par exemple à celles d’associations, ou même de gérants de supermarchés, qui ne supportaient plus de jeter tous les jours des quantités déraisonnables de nourriture parfaitement consommable.
Mais les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste partagent le mot d’ordre du jour : « Les bonnes volontés ne suffisent plus. » Il y a urgence, car ce gaspillage coûte cher. Il coûte cher d’un point de vue social, puisqu’il pèse sur les finances des particuliers et sur les finances publiques. Mais il coûte cher, aussi, d’un point de vue écologique, car, pour produire toute cette nourriture, des quantités importantes d’eau, d’énergie, de transport, sont elles aussi gaspillées, sans parler du traitement des déchets. Cela a été rappelé à plusieurs reprises : le gaspillage alimentaire est responsable du rejet de 3,3 gigatonnes de gaz à effet de serre par an, ce qui en fait le troisième plus grand pollueur du monde.
Monsieur le rapporteur, votre initiative est importante. Nous étions ce matin sur le Pavillon France de la COP21, où nous avons été accueillis par Mme la ministre, sous la houlette de Mme la présidente de la commission. Nous avons pu constater que figurait en bonne place, dans l’agenda des solutions, un plan d’action afin de lutter contre le gaspillage alimentaire.
Le gaspillage est insidieusement devenu une composante de notre vie moderne, parfois presque malgré nous. Il y a évidemment une part incompressible, mais nous devons tout faire pour la réduire. Une société plus responsable et plus solidaire, selon les termes du rapport, ne peut se permettre de continuer sur cette voie et se doit de se mobiliser pour rompre avec ces pratiques. Les initiatives de la société civile, qui sont souvent en avance sur les solutions politiques, doivent nourrir notre réflexion : nous devons les organiser et les systématiser au niveau national, en fixant un cadre facilitateur et en les encourageant. C’est précisément l’enjeu de cette proposition de loi.
Du producteur au consommateur, en passant par le distributeur, chacun doit se mobiliser, et chacun doit être responsabilisé dans son rapport avec la nourriture et ses actions pour lutter contre le gaspillage. Devant ce constat un peu accablant, et pour accompagner les énergies qui se déploient, la proposition de loi donne une bonne réponse aux questions qui nous sont posées. Comment le législateur peut-il agir au mieux pour accélérer la lutte à grande échelle ?
Il a été rappelé que les articles de cette proposition de loi avaient déjà été votés dans le cadre de la loi sur la transition énergétique, mais que le Conseil constitutionnel les avait censurés pour des raisons formelles de procédure.
Les trois grands axes de cette proposition de loi sont la responsabilisation, l’éducation et la rénovation d’un modèle de consommation durable. Les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste soutiennent l’ensemble de ses articles.
Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des dispositions introduites à l’article 1er. La mesure la plus médiatique et la plus connue de l’opinion publique consiste en l’interdiction de rendre délibérément impropre à la consommation les invendus alimentaires. Cette mesure est en partie symbolique, mais c’est ce symbole même qui choquait et qui s’imprimait sur la rétine de tous ceux qui ont vu ces scènes répugnantes de cynisme et contraires à toute morale élémentaire, ces scènes de destruction délibérée de nourriture parfaitement consommable. L’article 1er comporte aussi une disposition relative à la valorisation, avec la convention qui devra lier chaque grande surface à une ou plusieurs associations de solidarité, pour que la nourriture soit dirigée vers la consommation humaine.
Certaines questions restent en suspens – je songe à l’organisation des filières ou aux risques liés à la profusion de nourriture, si des associations n’ont pas les moyens logistiques de gérer une quantité de nourriture disproportionnée. Monsieur le rapporteur, madame la ministre, je sais que vous êtes attentifs à cette question. Vous avez d’ailleurs évoqué en commission les conventions et l’outil de la défiscalisation, qui permettraient de traiter cette question logistique. Nous vous faisons confiance pour prêter une attention particulière à ce sujet, lors de l’évaluation de l’application de la loi, afin d’accompagner au mieux ces associations si utiles.
L’article 2 modifie habilement les régimes de responsabilité juridique des producteurs du fait des produits défectueux, pour tenir compte des déséquilibres bien connus des positions de négociations dans les relations commerciales. Ce facteur de gaspillage sera désormais limité.
L’article 3 prévoit une sensibilisation pédagogique à la lutte contre le gaspillage alimentaire dans le parcours scolaire. C’était déjà souvent le cas dans les écoles, mais cela ira encore mieux en l’écrivant dans la loi, ainsi que dans les programmes scolaires. À Château-Thierry, grâce aux équipes pédagogiques et aux animateurs, l’éducation à l’alimentation – je reprends votre concept – est mise en oeuvre depuis la rentrée 2012. Cette action est menée dans toutes les écoles et les centres de loisir, afin de sensibiliser les enfants à leur impact écologique, tout en favorisant la cohésion sociale et le vivre ensemble. Les élèves sont impliqués dans une démarche de responsabilisation par une approche ludique. Le tri sélectif et l’anti-gaspillage sont ainsi abordés au travers d’un challenge : les enfants pèsent les aliments non-consommés chaque jour, notent les résultats et étudient leur progression. Cela permet par ailleurs à la commission Menus et Programme national nutrition santé – PNNS – de revoir les menus et les quantités en fonction des déchets. Tous les élèves s’engagent également à respecter la charte du temps de midi : s’exprimer dans le calme, respecter les autres enfants et le personnel, apprendre l’hygiène et s’initier à l’apprentissage du goût. Car la lutte contre le gaspillage alimentaire passe par le respect de ce que nous mangeons – vous l’avez rappelé tout à l’heure, monsieur le rapporteur. Cela fait partie de l’éducation à la citoyenneté et à la responsabilisation individuelle.
Enfin, l’article 4 insère cette lutte dans le champ de la responsabilité sociétale des entreprises, la RSE. C’est une bonne manière de donner des moyens d’action aux entreprises en levant des obstacles éventuels.
Certains regrettent l’absence de mesures législatives contraignantes sur la restauration collective. C’était peut-être trop complexe et des actions de sensibilisation sont en cours : si elles ne suffisent pas pour faire évoluer les mauvaises habitudes, nous pourrons toujours y revenir.
L’alimentation et le produit alimentaire ont non seulement une valeur nutritionnelle mais également une valeur patrimoniale, culturelle et symbolique, qui semble parfois avoir été perdue. Nous formons le voeu que nos travaux et cette proposition de loi participent au mouvement de prise de conscience pour mettre fin aux pratiques irrespectueuses et consolider nos liens avec la nature et les valeurs de notre pacte républicain car – je ne peux pas y échapper –, comme l’écrivait Jean de La Fontaine, né à Château-Thierry,