Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, au nom de tous les députés du groupe UDI, je veux tout d’abord saluer l’initiative qui a été prise d’inscrire enfin à l’ordre du jour de notre assemblée cette proposition de loi, qui a connu, comme le faisait remarquer à l’instant Jean-Pierre Decool, un parcours législatif absolument chaotique. Alors que le gaspillage alimentaire est une préoccupation partagée par tous les groupes politiques, les querelles partisanes ont été particulièrement vives sur ce sujet.
En décembre 2014, notre collègue Jean-Pierre Decool présentait un texte très similaire à celui proposé aujourd’hui par le groupe socialiste. Le groupe UDI avait soutenu sans réserve la proposition de notre collègue, qui engageait les grandes surfaces à donner leurs invendus alimentaires aux associations, tout en favorisant la mise en place d’actions de sensibilisation à la lutte contre le gaspillage alimentaire. Ce texte, équilibré et réfléchi, avait connu une censure difficilement compréhensible de la part du Gouvernement et de la majorité, qui avaient préféré le renvoyer en commission.
Les examens de la loi relative à la transition énergétique et de la loi dite « Macron » ont également permis de remettre ce sujet au coeur des débats parlementaires. Dans le cadre de la loi portée par Mme Ségolène Royal, vous avez, monsieur le rapporteur, fait adopter un certain nombre de mesures semblables à celles que vous présentez dans la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Malheureusement, le Conseil constitutionnel s’est à son tour mêlé du sujet et a choisi de retoquer ces dispositions, considérées comme des cavaliers législatifs.
Un an plus tard, nous voici enfin réunis pour discuter d’un texte consensuel, qui recueille l’entière adhésion des députés du groupe UDI.
Le gaspillage alimentaire est un sujet qui a toujours mobilisé notre groupe, comme en témoigne la proposition de loi déposée par notre collègue Philippe Folliot en décembre 2012. Ce texte préconisait de confier aux collectivités territoriales l’organisation des réseaux de gestion locale des surplus alimentaires, au titre de leurs compétences en matière d’action sociale.
La mise en place de politiques de terrain concrètes et ambitieuses pour lutter contre le gaspillage alimentaire est, me semble-t-il, devenue une absolue nécessité. En effet, le gaspillage alimentaire est certainement l’un des fléaux de nos sociétés modernes, marquées par une consommation excessive et peu encadrée. Chaque année, en France, nous jetons 20 à 30 kilos de nourriture par personne, dont 7 kilos encore emballés. Ces chiffres sont encore plus éloquents lorsque l’on sait que 7 millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté et ne mangent pas à leur faim, et que 16 millions d’Européens dépendent de l’aide alimentaire d’oeuvres de charité.
Les élus locaux ont donc un rôle pédagogique à jouer auprès de nos concitoyens, pour les sensibiliser à un sujet qui reste encore trop souvent mal appréhendé.
Outre qu’il engendre un véritable gâchis, difficilement acceptable en cette période de crise, le gaspillage alimentaire représenterait également, selon le ministère du développement durable, une perte nette de 100 à 160 euros par an et par personne, soit entre 12 et 20 milliards d’euros au total en France.
L’impact environnemental du gaspillage alimentaire sur le rejet de CO2 est également très impressionnant ! Le gaspillage alimentaire est d’ailleurs considéré comme le troisième élément le plus pollueur de la planète, après la Chine et les États-Unis.
Si la COP21 doit déboucher sur un accord universel contraignant, elle doit aussi être l’occasion de prendre des décisions pragmatiques, sur des enjeux plus concrets.
La lutte contre le gaspillage, et plus particulièrement contre le gaspillage alimentaire, représente précisément un enjeu de développement durable central puisque ses impacts sont à la fois économiques, sociaux et environnementaux. Elle s’inscrit dans une démarche plus large, à savoir celle de produire autrement pour consommer de manière plus responsable. En 2050, nous serons 9 milliards sur cette planète, un tel changement doit être anticipé dès maintenant.
Le gaspillage alimentaire n’est finalement que le reflet d’une société marquée par l’hyperconsommation et le marketing. Le gaspillage est d’ailleurs devenu une pratique banalisée, faute d’une sensibilisation efficace de la part des pouvoirs publics.
Nous achetons des produits en masse, bénéficiant de promotions alléchantes ; nous les stockons en grande quantité ; nous les oublions dans nos frigos ; puis nous les retrouvons, mais il est déjà trop tard ; alors nous les jetons, parfois encore emballés. Nous sommes un peu comme les écureuils qui cachent leurs noisettes, mais qui n’arrivent plus à les retrouver. À ceci près, que le manque de mémoire de l’écureuil peut donner naissance à un arbre, tandis que nos comportements menacent directement l’environnement et représentent une véritable insulte pour les personnes dans le besoin.
Si cette proposition de loi ne résout pas tous les problèmes liés au gaspillage alimentaire, elle représente néanmoins une indéniable avancée, sur plusieurs points.
Tout d’abord, elle inscrit dans le code de l’environnement une section sur « la lutte contre le gaspillage alimentaire ». L’éveil des consciences est une première étape nécessaire pour mobiliser les producteurs, les transformateurs, les distributeurs, les consommateurs et les associations.
Ensuite, elle interdit aux distributeurs de rendre leurs invendus alimentaires, encore consommables, impropres à la consommation. Cette mesure, qui peut paraître relever du bon sens, n’allait malheureusement pas de soi, puisque certains distributeurs n’hésitaient pas à asperger d’eau de Javel certaines denrées alimentaires !
Le groupe UDI ne peut que saluer la mise en place de sanctions à l’encontre de distributeurs qui rendraient la nourriture délibérément impropre. Cependant, nous souhaiterions nous assurer que ces sanctions seront bien mises en place puisque, fin août 2015, Mme Ségolène Royal avait choisi de mettre de côté les sanctions si les engagements des distributeurs étaient respectés. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Ce texte instaure également une véritable convention entre les commerces de détail alimentaire de plus de 400 mètres carrés et les associations caritatives, pour le don de denrées alimentaires. Cette mesure est, aujourd’hui, très attendue.
Le groupe UDI se félicite également qu’un volet de ce texte soit consacré à la sensibilisation au gaspillage alimentaire dans les parcours scolaires. C’est, en effet, dès le plus jeune âge qu’il faut alerter les citoyens des dérives liées au gaspillage.
Plus globalement, une vraie pédagogie autour de l’économie circulaire est indispensable. En effet, les pays occidentaux doivent montrer l’exemple sur ces sujets. D’une part, parce que nous sommes les plus gros consommateurs, donc les premiers responsables du gaspillage, d’autre part parce que nous avons un devoir moral envers les pays les plus pauvres. Est-il nécessaire de rappeler que près de 800 millions de personnes souffrent de la faim, dans le monde ?
Enfin, nous nous réjouissons de voir que la lutte contre le gaspillage alimentaire pourra être insérée dans le champ de la responsabilité sociétale des entreprises. Tous les acteurs de notre société doivent être mobilisés sur ce point, notamment les entreprises qui peuvent devenir de véritables partenaires dans ce combat.
Si le groupe UDI soutient la proposition de loi présentée par notre collègue Guillaume Garot – dont nous connaissons le travail sur ce sujet –, nous avons néanmoins quelques réserves et interrogations.
Tout d’abord, nous pensons, monsieur le rapporteur, que ce texte ne va pas assez loin au regard des propositions que vous avez faites dans le rapport remis au ministre de l’agriculture en avril 2015.
Si toutes les mesures ne relèvent pas nécessairement du domaine législatif, le groupe UDI s’attendait à un texte un peu plus ambitieux d’autant que la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte n’a consacré qu’un maigre chapitre à l’économie circulaire.
Nous regrettons, par exemple, que ce texte n’aborde pas le gaspillage alimentaire dans la restauration. En effet, qui n’a jamais été embarrassé de voir une partie de son plat partir à la poubelle, sans qu’une solution de doggy bag ne lui soit proposée ? Systématiser une telle mesure aurait pourtant l’avantage de réduire le gaspillage et de fidéliser une clientèle ravie de rapporter son plat chez elle.
Par ailleurs, nous nous interrogeons sur l’avenir de la date limite d’utilisation optimale – DLUO. Lors des débats sur la loi relative à la transition énergétique, le groupe UDI avait proposé de la supprimer, rappelant qu’elle était à la fois illisible et source de confusion pour les consommateurs, pour qui dépasser la DLUO ne représente, en aucun cas, un danger. Mme Ségolène Royal s’était engagée à la supprimer sur certains produits non périssables, comme le sucre ou le vinaigre : où en sommes-nous aujourd’hui ?
Monsieur le rapporteur, vous avez également préconisé la mise en place du dispositif « 1 % gaspillage » qui mérite réflexion. Sur le modèle des « 1 % eau », « 1 % énergie » ou « 1 % déchets », il serait tout à fait pertinent de réfléchir à une extension de ces dispositifs au gaspillage.
Enfin, il faut se rendre à l’évidence : la France, seule, ne pourra pas combattre le gaspillage alimentaire. Il est donc nécessaire que des initiatives soient prises au niveau européen, pour éviter que 22 millions de tonnes de nourriture soient gaspillées chaque année dans l’Union européenne. Madame la ministre, monsieur le rapporteur, pouvez-vous nous donner des détails sur la feuille de route de l’Union européenne sur ce sujet ?
En déclarant l’année 2014, « Année européenne de la lutte contre le gaspillage alimentaire », le Parlement européen semblait avoir lancé une bataille « anti gaspi ». Néanmoins, on peine encore à voir des objectifs clairs et des mesures concrètes. Monsieur le rapporteur, vous aviez proposé la création d’un comité européen de la lutte contre le gaspillage alimentaire : pouvez-vous nous en dire plus ?
Enfin, nous émettons quelques réserves sur les mesures proposées dans ce texte, comme nous avions eu l’occasion de le dire lors de l’examen de la proposition de loi de Jean-Pierre Decool.
Rendre obligatoire la mise en place d’une convention entre un commerce et une association peut s’avérer dangereux. En effet, les associations seront-elles en mesurer d’assurer le nouveau rythme imposé par cette loi ?
Par ailleurs, qui prendra en charge la collecte des denrées alimentaires données aux associations, mais non redistribuées pour diverses raisons ? Les collectivités territoriales pourraient voir ces produits arriver dans les circuits de collecte des déchets ménagers. L’augmentation du coût de gestion risque alors d’être répercutée sur le consommateur.
Enfin, nous nous interrogeons sur les responsabilités en cas de problèmes sanitaires. Si une personne bénéficiant d’un don venait à être malade, le commerce ne risque-t-il pas d’être poursuivi ? Le respect de la chaîne du froid doit être impeccable : les associations sont-elles capables de l’assurer à une si grande échelle ?
En dépit de ces interrogations, le groupe UDI votera en faveur de cette proposition de loi.