Cette proposition de commission d'enquête sur la situation et l'avenir des sidérurgies française et européenne trouve évidemment, une légitimité supplémentaire dans le conflit économique et social en cours à Florange et en Lorraine.
Cette actualité difficile, porteuse d'exigences fortes du monde du travail, renforce l'urgence d'une démarche qui sur le fond, s'inscrit dans le cours de la réflexion nationale qui en 20 ans, a conduit du concept destructeur de « l'entreprise sans usine » à la création d'un ministère du Redressement productif !
Il s'agit à présent de passer aux actes ! Cela au moment où cette même démarche s'affirme à l'échelon européen avec la volonté exprimée par la Commission européenne de porter la part de l'industrie dans le PIB de l'Union, de 15,6% à 20% d'ici 2020. Il n'y a donc pas de temps à perdre.
La sidérurgie est au coeur de ces enjeux; au croisement des besoins des industries automobile et ferroviaire; des industries de l'électroménager et alimentaire; de la construction navale et du transport maritime ou fluvial à l'heure du canal Seine Nord Europe; des industries de l'énergie (du nucléaire aux éoliennes); des industries du bâtiment, de l'emballage, de l'outillage...
Face aux défis de la mondialisation et dans ce contexte de crise, elle est une part de l'indépendance de notre pays.
Bref, et comme le souligne le mouvement syndical : « la sidérurgie est l'amont de nombreux secteurs d'activité en France. Le maintien et le développement d'une capacité adaptée aux besoins et d'une haute qualité de production sont cruciaux ». Cette sidérurgie-là, c'est l'avenir et c'est un outil déterminant pour concrétiser l'objectif de sortir de la crise par le haut.
C'est aussi une exigence en termes d'emploi car la sidérurgie représente plus de 45 000 emplois directs; 30 000 de plus avec la sous-traitance et les services associés. Dans l'Est et dans le Sud-Est de notre pays, l'impact de sa liquidation serait considérable, sans parler du Nord Pas de Calais qui en 2010, regroupait avec Dunkerque, Maubeuge et Valenciennes trois des cinq sites français d'emplois sidérurgiques les plus importants.
Le recours à la flexibilité, aux dispositifs d'aide de l'État (chômage partiel), le non-remplacement de départs en retraite, les plans de « départ volontaire » pèsent sur l'emploi et se traduisent par des pertes de compétences et de savoir-faire précieux alors que d'ici 2015, 25% des salariés de la sidérurgie partiront en retraite. Cela représente quelque 11 000 emplois.
On évoque des problèmes de surcapacité de production mais rien n'est moins figé quand on voit que la sidérurgie est l'interface d'activités industrielles majeures et très diversifiées; et quand on prend en compte le fait qu'il s'agit d'une industrie cyclique, les phases de haute production succédant aux phases de baisse.
Les sidérurgies française et européenne sont aujourd'hui exportatrices nettes mais déjà, la part de la production européenne dans la production mondiale a diminué. Elle était par exemple passée de 15,3% pour les dix premiers mois de 2008, à 11,4% pour les dix premiers mois de 2012.
Alors que les capacités de production ont été réduites de près de 40 millions de tonnes en 2008, fermetures de sites, mises en sommeil d'installations et de lignes, délocalisations de productions, sous-investissements dans la maintenance d'équipements et dans la recherche-développement ne peuvent aboutir qu'à une catastrophe et faire de l'Europe une importatrice nette d'acier.
ArcelorMittal consacre à la recherche l'équivalent de 0,4% de son chiffre d'affaires alors qu'il y faudrait 2%, cinq fois plus! Il y a besoin de créer les conditions du maintien des outils existants, et d'être à l'offensive pour l'innovation et la production des aciers de demain. Le renouvellement des procédés de fabrication et des produits, l'amélioration des performances environnementales, je pense par exemple au projet ULCOS, aux aciéries électriques, représentent autant de questions qui appellent des décisions fortes.
Or ces questions sont rendues plus préoccupantes encore par les stratégies suivies en France par les groupes décideurs, au premier rang desquels la famille Mittal à la tête d'ArcelorMittal depuis 2006.
La priorité donnée à l'investissement dans les mines au détriment de l'outil de production, le maintien d'une politique très forte de distribution de dividendes jusqu'en 2012 (l'équivalent de 300 millions de dollars par trimestre), le choix de liquider des sites en Europe (Espagne, Luxembourg, Belgique, France) et de concentrer la production sur une poignée d'usines dites plus performantes, l'hémorragie des emplois passés de 320 000 salariés dans le monde en 2006 à 250 000 aujourd'hui; et de 32 000 en France en 2003 à moins de 20 000 en 2012... tous ces choix ont directement conduit ArcelorMittal dans le mur.
S'il y a une priorité, c'est d'interroger pour proposer de les réformer, les orientations qui ont mis les sidérurgies française et européenne au bord du gouffre!
Au bord du gouffre alors qu'elles sont parmi les plus efficientes du monde et que la demande mondiale d'acier est croissante ; tandis que la demande européenne le redeviendra dès 2014 puisqu'elle se situerait autour de 180 millions de tonnes (contre environ 165 en 2012), et se rapprochera des moyennes constatées entre 2004 et 2008 à 187 millions de tonnes.
Pour toutes ces raisons et compte tenu des enjeux auxquels nos économies sont confrontées, je vous demande de bien vouloir adopter la proposition de création de cette commission d'enquête parlementaire.