La commission a examiné la proposition de résolution de M. Alain Bocquet et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation de la sidérurgie française et européenne dans la crise économique et financière, et sur les conditions de sa sauvegarde et de son développement (n° 99) (M. Alain Bocquet, rapporteur).
Mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui afin de nous prononcer sur la proposition de résolution de M. Alain Bocquet et plusieurs de nos collègues, tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation de la sidérurgie française et européenne dans la crise économique et financière, et sur les conditions de sa sauvegarde et de son développement. Il s'agit d'un sujet important, tant sur le plan économique, historique, qu'emblématique. Sans plus attendre, je passe la parole à Alain Bocquet.
Cette proposition de commission d'enquête sur la situation et l'avenir des sidérurgies française et européenne trouve évidemment, une légitimité supplémentaire dans le conflit économique et social en cours à Florange et en Lorraine.
Cette actualité difficile, porteuse d'exigences fortes du monde du travail, renforce l'urgence d'une démarche qui sur le fond, s'inscrit dans le cours de la réflexion nationale qui en 20 ans, a conduit du concept destructeur de « l'entreprise sans usine » à la création d'un ministère du Redressement productif !
Il s'agit à présent de passer aux actes ! Cela au moment où cette même démarche s'affirme à l'échelon européen avec la volonté exprimée par la Commission européenne de porter la part de l'industrie dans le PIB de l'Union, de 15,6% à 20% d'ici 2020. Il n'y a donc pas de temps à perdre.
La sidérurgie est au coeur de ces enjeux; au croisement des besoins des industries automobile et ferroviaire; des industries de l'électroménager et alimentaire; de la construction navale et du transport maritime ou fluvial à l'heure du canal Seine Nord Europe; des industries de l'énergie (du nucléaire aux éoliennes); des industries du bâtiment, de l'emballage, de l'outillage...
Face aux défis de la mondialisation et dans ce contexte de crise, elle est une part de l'indépendance de notre pays.
Bref, et comme le souligne le mouvement syndical : « la sidérurgie est l'amont de nombreux secteurs d'activité en France. Le maintien et le développement d'une capacité adaptée aux besoins et d'une haute qualité de production sont cruciaux ». Cette sidérurgie-là, c'est l'avenir et c'est un outil déterminant pour concrétiser l'objectif de sortir de la crise par le haut.
C'est aussi une exigence en termes d'emploi car la sidérurgie représente plus de 45 000 emplois directs; 30 000 de plus avec la sous-traitance et les services associés. Dans l'Est et dans le Sud-Est de notre pays, l'impact de sa liquidation serait considérable, sans parler du Nord Pas de Calais qui en 2010, regroupait avec Dunkerque, Maubeuge et Valenciennes trois des cinq sites français d'emplois sidérurgiques les plus importants.
Le recours à la flexibilité, aux dispositifs d'aide de l'État (chômage partiel), le non-remplacement de départs en retraite, les plans de « départ volontaire » pèsent sur l'emploi et se traduisent par des pertes de compétences et de savoir-faire précieux alors que d'ici 2015, 25% des salariés de la sidérurgie partiront en retraite. Cela représente quelque 11 000 emplois.
On évoque des problèmes de surcapacité de production mais rien n'est moins figé quand on voit que la sidérurgie est l'interface d'activités industrielles majeures et très diversifiées; et quand on prend en compte le fait qu'il s'agit d'une industrie cyclique, les phases de haute production succédant aux phases de baisse.
Les sidérurgies française et européenne sont aujourd'hui exportatrices nettes mais déjà, la part de la production européenne dans la production mondiale a diminué. Elle était par exemple passée de 15,3% pour les dix premiers mois de 2008, à 11,4% pour les dix premiers mois de 2012.
Alors que les capacités de production ont été réduites de près de 40 millions de tonnes en 2008, fermetures de sites, mises en sommeil d'installations et de lignes, délocalisations de productions, sous-investissements dans la maintenance d'équipements et dans la recherche-développement ne peuvent aboutir qu'à une catastrophe et faire de l'Europe une importatrice nette d'acier.
ArcelorMittal consacre à la recherche l'équivalent de 0,4% de son chiffre d'affaires alors qu'il y faudrait 2%, cinq fois plus! Il y a besoin de créer les conditions du maintien des outils existants, et d'être à l'offensive pour l'innovation et la production des aciers de demain. Le renouvellement des procédés de fabrication et des produits, l'amélioration des performances environnementales, je pense par exemple au projet ULCOS, aux aciéries électriques, représentent autant de questions qui appellent des décisions fortes.
Or ces questions sont rendues plus préoccupantes encore par les stratégies suivies en France par les groupes décideurs, au premier rang desquels la famille Mittal à la tête d'ArcelorMittal depuis 2006.
La priorité donnée à l'investissement dans les mines au détriment de l'outil de production, le maintien d'une politique très forte de distribution de dividendes jusqu'en 2012 (l'équivalent de 300 millions de dollars par trimestre), le choix de liquider des sites en Europe (Espagne, Luxembourg, Belgique, France) et de concentrer la production sur une poignée d'usines dites plus performantes, l'hémorragie des emplois passés de 320 000 salariés dans le monde en 2006 à 250 000 aujourd'hui; et de 32 000 en France en 2003 à moins de 20 000 en 2012... tous ces choix ont directement conduit ArcelorMittal dans le mur.
S'il y a une priorité, c'est d'interroger pour proposer de les réformer, les orientations qui ont mis les sidérurgies française et européenne au bord du gouffre!
Au bord du gouffre alors qu'elles sont parmi les plus efficientes du monde et que la demande mondiale d'acier est croissante ; tandis que la demande européenne le redeviendra dès 2014 puisqu'elle se situerait autour de 180 millions de tonnes (contre environ 165 en 2012), et se rapprochera des moyennes constatées entre 2004 et 2008 à 187 millions de tonnes.
Pour toutes ces raisons et compte tenu des enjeux auxquels nos économies sont confrontées, je vous demande de bien vouloir adopter la proposition de création de cette commission d'enquête parlementaire.
Permettez-moi de réduire le temps de mon intervention afin de permettre à mes collègues Jean Grellier et Christophe Léonard de s'exprimer également. Au cours des dix dernières années, la France a perdu 750 000 emplois industriels. Cette véritable hémorragie n'a pas été compensée par la création, à un niveau équivalent, d'emplois dans les services. Notre pays a aujourd'hui besoin de relancer sa production industrielle et de développer des emplois industriels ; ce thème est au coeur du projet économique que François Hollande a défendu pendant la campagne présidentielle. Cette priorité est à l'origine de la création d'un ministère du redressement productif, dont la principale mission est de relocaliser les activités industrielles sur notre territoire et soutenir les activités existantes. La production d'acier est fondamentale car elle intervient en amont du développement de très nombreuses activités industrielles. Les difficultés que rencontre notre sidérurgie représentent un défi national, mais aussi européen, dans la mesure où la demande d'acier sur le continent est appelée à augmenter dans un avenir proche. Tous ces éléments militent en faveur de l'adoption de la proposition de résolution qui nous est soumise, visant à instituer une commission d'enquête sur la situation de la sidérurgie française et européenne.
La position des députés du groupe UMP est de porter un regard attentif à la création d'une commission d'enquête aux travaux de laquelle ils prendront toute leur part. Il est en effet indispensable d'avoir une vision d'ensemble et à long terme sur la situation de la sidérurgie en France, mais aussi en Europe puisque - faut-il le rappeler ? - la sidérurgie a été au coeur de la naissance du projet européen. Il est également indispensable de faire la lumière sur le dossier de Florange car de nombreuses questions restent aujourd'hui sans réponse : Y-a-t-il eu un repreneur sérieux ? Pourquoi ce repreneur a-t-il été écarté ? Pourquoi M. Arnaud Montebourg a-t-il brandi la menace d'une nationalisation ? Quel est l'état du projet Ulcos ? Quel est l'impact des annonces du Premier ministre pour l'ensemble de la filière ? S'agissait-il d'éviter tout plan social à Florange ou d'autres emplois ont-ils été sacrifiés ? Enfin, à quoi seront destinés les 180 M€ qu'Arcelor-Mittal s'est engagé à investir sur le site ? Pour autant, il nous est difficile de voter en faveur de cette proposition de résolution dont l'exposé des motifs témoigne d'une démarche anti-patronale et d'un parti pris auxquels le groupe U.M.P. ne peut souscrire. Nous souhaitons, en effet, que la commission d'enquête puisse examiner la situation de la sidérurgie de la manière la plus objective possible ; c'est pourquoi, nous allons nous abstenir de manière constructive.
Permettez-moi de rappeler que le vote de notre commission porte sur l'article unique de la proposition de résolution, et non sur son exposé des motifs. Je vous indique par ailleurs que la mission de suivi et de contrôle de l'accord avec ArcelorMittal et des entreprises au capital desquelles l'État participe, se réunira le jeudi 24 janvier 2013, à 9 heures 15, dans cette même salle. Je rappelle que cette mission comprend des représentants de chaque groupe.
Quelle est la contribution de la sidérurgie française à la reconversion écologique de l'industrie peut-on espérer ? Nous attendons une reterritorialisation des activités par un rapprochement des lieux de production et de consommation. En ce sens, l'audition de ce matin au sujet du groupe PSA ne nous a pas beaucoup rassurés. Il faut trouver d'autres débouchés à la sidérurgie française, pourvoyeuse d'emplois mais aussi fleuron historique d'un savoir-faire industriel national. Les réponses écologistes à la crise sont porteuses de débouchés pour la sidérurgie. Nous souhaiterions que cette commission d'enquête examine les possibilités d'avenir : construction massive de logements, développement des transports en commun – en particulier, débouchés dans le ferroviaire -, plan industriel de soutien aux énergies renouvelables. Cela ferait appel à une stratégie de spécialisation sur les aciers à fort contenu technologique et haute valeur ajoutée et permettrait de soutenir la transition énergétique et industrielle. Des débouchés sont également envisageables dans le transport fluvial et les chantiers navals. C'est pourquoi, nous espérons que la commission d'enquête verra le jour et permettra d'examiner les évolutions techniques et l'adaptation des sites de production pour développer de nouveaux débouchés à la sidérurgie et contribuer à la nécessaire transition écologique de l'économie.
Les récents évènements concernant le groupe Arcelor-Mittal et son site de Florange donnent une pertinence toute particulière à cette proposition, déposée en juillet dernier. Le groupe ArcelorMittal est né en 2006 du rachat d'Arcelor par l'entrepreneur indien Lakshmi Mittal, c'est le premier groupe sidérurgique mondial. Il a réalisé 73 milliards d'euros de chiffre d'affaires l'an dernier, il emploie quelques 260 000 salariés, dont 20 000 en France, mais n'oublions pas qu'il en employait 320 000 en 2006, ce qui est souligné dans la proposition de résolution de nos collègues GDR. Cette proposition met en lumière la financiarisation de cette industrie au détriment de l'emploi et le cynisme qui prévaut avec cette logique strictement financière. Le 1er octobre, le groupe a officialisé l'arrêt des deux hauts-fourneaux du site industriel de Florange (Moselle), donnant deux mois au gouvernement pour trouver un éventuel repreneur. Maintenus « sous chauffe » de façon à pouvoir éventuellement être redémarrés, ces deux fourneaux font partie de la filière dite « liquide » de Florange, qui concerne la production d'acier brut et qui emploie 630 salariés. Le 22 novembre, le ministre du redressement productif, M. Arnaud Montebourg a évoqué au Sénat « l'éventualité d'un contrôle public, même temporaire » du site, insistant sur le fait que l'entrepreneur n'avait « jamais tenu ses engagements à l'égard de l'Etat français », en s'appuyant sur le rapport rendu par Pascal Faure fin juillet, rapport qui confirme la rentabilité du site de Florange, et c'est bien là le coeur du sujet. Le 28 novembre, M. Montebourg affirmait dans notre hémicycle avoir trouvé un repreneur « disposé à investir 400 millions d'euros dans l'installation ». Mais, le 30 novembre, au lendemain d'une rencontre entre Lakshmi Mittal et François Hollande à l'Elysée, le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault a annoncé avoir « écarté l'hypothèse d'une nationalisation temporaire au vu des engagements obtenus d'ArcelorMittal ». Dans l'accord entre le gouvernement et le groupe sidérurgique ArcelorMittal garantit la réorganisation du travail sur le site de Florange « sur des bases exclusivement volontaires » et promet de réaliser « de manière inconditionnelle (…) un montant minimum d'investissements de 180 M€ » dans les cinq ans à venir. Mi-décembre, une note interne fournie par la CFDT montre que le site de Florange serait l'un « des plus rentables » du groupe sidérurgique. « Nous l'avons toujours su mais cette fois, nous en avons la preuve formelle, signée de la main de la direction: Florange est parfaitement rentable » a déclaré Jean-Marc Vécrin de la CFDT. Dans ces conditions, un outil comme une commission d'enquête parlementaire sur ce sujet nous paraît une bonne initiative. La confiance n'excluant pas le contrôle, les députés du groupe RRDP considèrent donc que la forte résonnance dans l'opinion publique de ce sujet justifie la création de cette commission d'enquête pour bénéficier d'éléments d'information supplémentaires sur la situation de la sidérurgie et sur les conditions de sa sauvegarde et de son développement.
Je souhaite abonder dans le sens de l'intervention de M. Germinal Peiro sur l'intérêt de la mise en place d'une commission d'enquête dont je rappelle que le périmètre est assez large puisqu'il porte, comme indiqué dans le titre de la proposition de résolution, sur la situation de la sidérurgie française et européenne dans la crise économique et financière et sur les conditions de sa sauvegarde et de son développement. Comme j'ai eu l'occasion de l'évoquer fin octobre, lors de la présentation de mon rapport d'étape, nous partageons le diagnostic qui est fait sur l'ensemble de la filière sidérurgique et l'interdépendance avec le développement des autres activités industrielles. L'élargissement du périmètre de la commission d'enquête est donc justifié, même s'il importe de le maitriser lors de la mise en place de cette commission afin de ne pas perdre de vue les objectifs premiers. Comme cela a été souligné, la dimension européenne est importante et plus largement, les implications de la mondialisation, en particulier dans l'approvisionnement en ressources, principalement localisées dans les pays émergents et dans l'affirmation de la puissance de grands groupes industriels. Si le terme peut paraître un peu fort, je crois toutefois qu'il en va de la souveraineté nationale de notre industrie. J'ai participé à la commission d'enquête sur l'industrie ferroviaire, présidée par M. Alain Bocquet et il y a là des interférences fortes puisque les équipements dépendent en grande partie de notre sidérurgie. Nous évoquions de même ce matin l'industrie automobile où les interdépendances sont également fortes. La relance industrielle de notre pays de la maitrise de la production sidérurgique en France.
Je tiens également à saluer l'initiative de cette commission d'enquête, et tout particulièrement son élargissement à la métallurgie des non-ferreux tel que le cuivre. Dans cette filière aujourd'hui déstabilisée, des interrogations similaires existent à la suite notamment de l'adoption d'incitations fiscales à l'utilisation de produits alternatifs, des manoeuvres de spéculation sur la matière, de l'inversion de la filière aujourd'hui, en partie, contrôlée par les utilisateurs de déchets et du rôle des propriétaires. À cet égard, le groupe européen KME joue un rôle central dans plusieurs pays dont la France dans trois régions : Basse-Normandie, Ardennes et Alsace. Là encore, la question du risque d'indépendance industrielle nationale se pose puisque la filière cuivre est à l'origine de la fabrication de nombreux produits semi-finis dont dépendent de nombreuses entreprises de transformation. Des pistes existent en termes d'investissement pour les activités de fonderie et le transfert des savoir-faire. Il faut également explorer les conditions d'utilisation de l'énergie dans la filière et leur impact environnemental. D'autres pistes méritent d'être explorées en matière de fiscalité mais aussi dans le domaine des normes, en particulier la réglementation des marchés publics et de la construction afin d'inciter à davantage recourir au cuivre. Enfin, le cuivre présente la particularité d'être transformable à l'infini, ce qui renforce son intérêt en termes écologique et environnemental.
Je me félicite de cet état d'esprit partagé sur cette proposition de résolution que je défends depuis sept ans et l'élargissement du périmètre ne me pose aucun problème. Je tiens à rassurer mes collègues de l'opposition sur un point : si chacun garde « sa teinture », un travail constructif sera conduit sur la question de l'avenir de la sidérurgie française, comme cela a été le cas, par exemple, lors des travaux de la commission d'enquête sur l'industrie ferroviaire, dont les conclusions ont été adoptées à l'unanimité. Il faut aujourd'hui préparer l'avenir de l'industrie française avec son socle qui est la sidérurgie. Nous sommes aujourd'hui à un tournant décisif pour la relance de notre industrie et la contribution de l'Assemblée nationale à ces questions peut aider à la réflexion générale, notamment de la profession et du mouvement social.
Le vote portera donc, après amendement du rapporteur, sur la situation de la sidérurgie « et la métallurgie » françaises et européennes.
Je suis tout-à-fait favorable à l'élargissement du périmètre de la commission d'enquête, qu'il faudra toutefois veiller, comme l'a suggéré notre collègue Jean Grellier, à le maîtriser lors du lancement des travaux de la commission. Mais il est indéniable que les dossiers de l'aluminium, du cuivre et de l'acier se recoupent à la fois au niveau des modes de fabrication et des compétences partagées.
Puis la Commission adopte la proposition de résolution ainsi modifiée, le groupe UMP s'abstenant.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mercredi 16 janvier 2013 à 16 h 15
Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Alain Bocquet, Mme Michèle Bonneton, M. François Brottes, M. Dino Cinieri, Mme Jeanine Dubié, M. Jean Grellier, M. Yannick Moreau, M. Germinal Peiro, M. François Pupponi, M. Éric Straumann, M. Lionel Tardy
Excusés. - M. Jean-Michel Couve, M. Thierry Lazaro, M. Alain Marc, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Bernard Reynès, M. Jean-Paul Tuaiva
Assistait également à la réunion. - M. Christophe Léonard