Intervention de Martine Martinel

Réunion du 9 décembre 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartine Martinel, rapporteure :

Je suis très heureuse de vous présenter mon avis sur le projet de COM liant l'État et Radio France pour la période 2015-2019.

Il ne vous aura pas échappé que ce projet est censé couvrir l'activité de l'entreprise depuis le début de l'année 2015. Mais vous connaissez les raisons qui expliquent le retard dans son élaboration : une situation financière très dégradée, qui n'a été révélée qu'à l'automne 2014 ; un très long conflit social ayant suivi l'annonce d'un premier projet stratégique controversé et dont la résolution a nécessité le recours à une médiation ; et de nombreux allers et retours entre l'État et l'entreprise afin de définir une nouvelle trajectoire financière acceptable.

En outre, le médiateur intervenu pour aider l'entreprise à sortir du conflit avait appelé à un changement dans la méthode d'élaboration des décisions et dans la gestion des relations sociales. À cet égard, on ne peut que se féliciter que le projet qui nous est soumis ait pu faire l'objet d'un effort réel de concertation avec les salariés.

Les principaux défis que l'entreprise doit relever dans les prochaines années sont désormais bien identifiés. Radio France doit retrouver assez rapidement l'équilibre de ses comptes tout en achevant le chantier de réhabilitation. Elle doit redresser les audiences de ses antennes, la plupart ayant connu des évolutions préoccupantes lors de la fin du précédent COM, mais aussi rattraper le retard pris sur le numérique.

Radio France doit également définir une politique claire s'agissant de son deuxième métier, celui d'opérateur culturel, avec la gestion de l'auditorium et des formations musicales. Enfin, elle doit améliorer sa gestion et engager un vaste chantier de modernisation sociale dans une vieille maison quasiment familiale.

Le document qui nous est soumis n'est pas parfait, il a même encore un côté « chantier » sur certains aspects, mais il a le grand mérite de proposer un plan d'affaires et une trajectoire de retour à l'équilibre qui me semblent globalement solides et satisfaisants.

Je salue tout d'abord le choix pertinent d'un calendrier plus réaliste de retour à l'équilibre, qui permet à l'entreprise d'éviter un plan de départs volontaires. J'ai déjà eu l'occasion de dresser un bilan négatif de tels plans mis en oeuvre à France Télévisions et à France Médias Monde. Je rappelle qu'un plan de départs volontaires est un dispositif très coûteux qui favorise les effets d'aubaine. Il suppose un ciblage très précis des métiers concernés, faute de quoi le risque est grand qu'il ne débouche sur de nouveaux recrutements, notamment en contrats précaires, tout aussi coûteux, si ce n'est plus, comme on a pu le constater ailleurs. Le médiateur avait d'ailleurs appelé la direction de l'entreprise à envisager tous les autres moyens de parvenir à l'équilibre : gel des rémunérations, politique des achats, limitation du recours aux cabinets de conseil, non-remplacement des départs naturels. Je pense donc que nous pouvons nous féliciter du renoncement à un plan de départs volontaires.

Le plan d'affaires repose aussi sur un effort important de l'État, qui consent à une dotation en capital de 55 millions d'euros et à un complément de redevance d'investissement de 25 millions d'euros pour permettre à l'entreprise d'achever le chantier de réhabilitation. La redevance de fonctionnement devrait quant à elle augmenter de 1,5 % par an en 2018 et 2019. L'État autorise également Radio France à recourir à un emprunt de 70 millions d'euros. Enfin, il s'engage à sécuriser les recettes publicitaires de l'entreprise à hauteur du niveau réalisé en 2014, soit 42 millions d'euros. Cette sécurisation suppose donc une réforme du cahier des missions et des charges, qui est en cours de discussion. Compte tenu de la situation financière de l'entreprise, cette évolution me paraît inéluctable, mais j'attire l'attention sur la nécessité que le CSA fasse respecter le nouveau cadre publicitaire beaucoup plus scrupuleusement que par le passé afin qu'il ne déstabilise pas les acteurs privés.

Enfin, le plan d'affaires repose sur des engagements très significatifs de l'entreprise en matière d'augmentation de ses ressources propres, de réduction de ses charges et de stabilisation de sa masse salariale, laquelle suppose une politique de non-remplacement de tous les départs naturels mais aussi une politique de modération salariale. La mise en oeuvre de ce plan appelle néanmoins plusieurs observations.

L'expérience des COM passés, quelles que soient les majorités, ne peut qu'inciter à rappeler au respect des trajectoires établies tant par l'État que par l'entreprise. En cas de modification significative de ces trajectoires, j'attire l'attention des tutelles sur la nécessité de signer un avenant – lequel a fait défaut en 2012.

Je formulerai quelques préconisations sur la présentation de ce plan, qui, aux termes de la loi, me semble devoir être un peu plus détaillé sur certains points.

En ce qui concerne l'augmentation des ressources propres et la diminution des charges envisagées, je note qu'elles supposent l'achèvement du chantier dans les temps.

Concernant le programme de non-remplacement systématique des départs, il faudra veiller à mettre en place une répartition équilibrée de l'effort entre les métiers, sur la base d'une projection des besoins futurs.

Il faudra aussi veiller à ce qu'un mode de financement spécifique soit établi en 2016 pour la rénovation des façades de la Maison de la Radio et des studios moyens, ce financement n'étant pas prévu par le projet.

Surtout, au vu de l'anomalie grave qu'a constituée la révélation très tardive de la situation financière de l'entreprise, j'appelle à un suivi particulièrement scrupuleux par les instances de gouvernance, à commencer par le conseil d'administration, de la mise en oeuvre du plan de redressement des comptes et des mesures d'amélioration de la gestion. Il conviendra également que la direction tienne les salariés informés de l'évolution de la situation financière et que le rapport d'exécution du COM fasse un point précis sur cette dernière. Il conviendra enfin que nous profitions des auditions sur l'exécution du COM pour procéder à un examen approfondi de ces sujets, qui sont au coeur de ce contrat.

J'en viens maintenant aux objectifs stratégiques. Ils me semblent globalement pertinents mais insuffisamment précis sur certains aspects.

Il convient tout d'abord de préciser que ce projet propose un nombre d'objectifs plus resserré et ne prévoit que 11 indicateurs, contre 36 dans le précédent COM. En lieu et place d'indicateurs, il renvoie fréquemment à une revue annuelle devant le conseil d'administration des actions mises en oeuvre. Il me semble indispensable de préciser que le rapport d'exécution du COM devra également faire état de leur mise en oeuvre pour que la représentation nationale et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) puissent en assurer le suivi.

Par ailleurs, l'entreprise et ses tutelles ont souhaité mieux spécialiser et rationaliser chacun des outils : le cahier des missions et des charges pour les obligations en matière de programmes, le rapport de gestion et le bilan social pour le suivi des engagements correspondants, et le COM pour les priorités stratégiques et la trajectoire financière pluriannuelle. Je souscris à cette démarche à condition que le Gouvernement propose à brève échéance une réforme du cahier des missions et des charges et que les objectifs et indicateurs prioritaires fixés par le COM soient suffisamment précis. À cet égard, certains aspects me semblent devoir être précisés. Il en va ainsi en particulier de l'axe qui définit les objectifs de la politique de Radio France en tant qu'opérateur culturel, alors que la Maison de la Radio a été rouverte au public le 14 novembre 2014 et que la définition d'une stratégie cohérente pour les formations musicales a été identifiée comme un chantier majeur. M. Stephan Gehmacher, directeur de la Philharmonie de Luxembourg, a rendu un rapport constructif sur les formations musicales. Il est fait référence à celui-ci dans le projet de COM, mais je suggère que cet axe stratégique soit approfondi et détaillé avant la signature définitive.

Je suggère également que les objectifs de couverture soient précisés et qu'un indicateur relatif à la diversité des titres diffusés soit introduit s'agissant des objectifs d'exposition de la chanson d'expression originale française.

Les ajustements apportés à la stratégie éditoriale me paraissent globalement convaincants et pertinents et produisent des résultats globalement positifs au vu des derniers résultats d'audience. S'agissant de France Info, les résultats décevants ne signent pas selon moi l'échec de la nouvelle stratégie éditoriale car l'antenne a beaucoup souffert de la grève. Je me réjouis aussi des objectifs et indicateurs de rajeunissement de l'audience, qui ne se cantonnent pas à Mouv'.

En ce qui concerne ce dernier, je reste réservée sur sa relance et sa politique éditoriale. Je constate que mon scepticisme est largement partagé par les personnels et par le document lui-même puisqu'une clause de rendez-vous est fixée en 2016 pour faire le point sur la situation et en tirer les conséquences qui s'imposent. Une politique numérique pertinente me semble en revanche un levier beaucoup plus prometteur pour toucher un public plus large et plus jeune.

S'agissant justement du numérique, je constate que la nouvelle direction a bien conscience du retard qui a été pris et des priorités pour le combler – rénovation des sites, des applications, mise en place de développements numériques dignes de ce nom pour France Bleu, adaptation des outils de production. Je constate néanmoins que la politique de développement numérique s'inscrit dans un cadre budgétaire particulièrement contraint et incertain et que les grands chantiers numériques communs, en particulier le projet de chaîne d'information du service public, n'ont pas pu être abordés dans ce COM, la réflexion en étant encore à un stade embryonnaire. Je soutiens pleinement ce projet et souhaiterais que les salariés de Radio France soient également convaincus de l'intérêt de projets numériques communs pour l'avenir du service public. Il ne s'agit aucunement de remettre en cause le rôle fondamental, les spécificités et l'identité de la radio.

Pour la définition et la mise en oeuvre de ces projets, je propose la mise en place d'un nouveau document innovant, un COM complémentaire, qui pourrait être signé ultérieurement entre l'État et les différentes sociétés de l'audiovisuel public concernées – et serait peut-être plus efficace que les incantations évoquées par chaque société sans qu'on en voie jamais la concrétisation. Ce COM partagé pourrait définir les projets à mener collectivement et les assortir d'un budget dédié, à gérer en commun. Cette piste me paraît plus pragmatique et plus prometteuse que des propositions de fusion ou de rapprochement entre les sociétés.

Enfin, en ce qui concerne le dernier axe du COM – Radio France entreprise modernisée et responsable –, il m'apparaît fondé sur un bon diagnostic et une vision claire des enjeux. Cependant, alors que le médiateur a bien souligné le dysfonctionnement majeur que constitue l'utilisation massive des contrats précaires, non seulement comme système d'ajustement des effectifs aux aléas conjoncturels mais aussi comme mode de gestion du personnel, je suggère la mise en place d'un objectif plus précis de réduction du recours aux contrats à durée déterminée.

Sous le bénéfice de ces observations et recommandations, je formule un avis favorable sur ce projet.

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