Cette audition me permet de vous présenter, et il s'agit d'une première, le rapport sur la stratégie du commerce extérieur de la France et la politique commerciale européenne, qui constitue un document unique comportant à la fois des éléments de diagnostic et de stratégie. Les parlementaires étaient nombreux, tant au Sénat qu'à l'Assemblée, à souhaiter que nous publiions un tel document. Quant à l'Union européenne, elle a présenté sa propre stratégie et, s'agissant d'une politique communautarisée, nous nous inscrivons évidemment dans un schéma européen que nous avons largement alimenté.
Ce rapport n'est pas un rapport de plus. Il s'agit d'un document évolutif élaboré avec l'ensemble des acteurs concernés. Les analyses et les propositions dont vous m'avez fait part lors de nos diverses rencontres ont notamment été intégrées, comme le seront nos échanges de ce matin. Les collectivités locales ont évidemment participé à sa rédaction. Il a aussi été élaboré en lien avec le comité de suivi stratégique des sujets de politique commerciale. J'ai réformé cette institution, désormais composée de deux collèges, l'un au sein duquel siègent des élus, l'autre représentant la société civile – à ce titre, les syndicats, les ONG, les fédérations professionnelles ont contribué à ce rapport. Par ailleurs, le conseil stratégique de l'export, qui rassemble tous les opérateurs publics et privés accompagnant les entreprises sur les marchés internationaux, a également participé à ce travail. J'indique qu'avec ce conseil, que je réunis régulièrement, nous avons mis en place un parcours unique d'accompagnement à l'export pour les PME. Au final, ce rapport construit avec tous les acteurs engage donc tout le monde et constitue véritablement la feuille de route qui trace la stratégie du commerce extérieur français.
J'en viens à quelques éléments de diagnostic.
La réduction continue et massive du déficit commercial de notre pays depuis 2011 constitue une tendance de fond : il devrait en effet passer, entre 2011 et la fin 2015, de 75 à environ 40 milliards d'euros environ. Évidemment, ce déficit est encore trop élevé, mais il a baissé de 45 % ! Deux facteurs principaux expliquent cette réduction. L'honnêteté oblige d'abord à constater l'existence de causes conjoncturelles, ou du moins extérieures : la baisse du prix de l'énergie, et le taux de change favorable entre l'euro et le dollar semblent jouer pour deux tiers dans les évolutions constatées depuis 2011. Un tiers de la reprise provient donc ensuite de réformes internes qui ont permis un regain de compétitivité de notre économie, et de la stratégie du commerce extérieur française. Je note qu'en 2014, la France enregistre un excédent de 40 milliards d'euros sur le commerce des services et le négoce international, excédent qui permet de compenser les deux tiers de notre déficit commercial sur les biens.
Notre commerce extérieur connaît aussi quelques faiblesses structurelles. Le nombre d'entreprises françaises qui exportent est insuffisant. Elles sont 121 000 en France, mais deux fois plus nombreuses en Allemagne, et trois fois plus en Italie, pays qui est sans doute encore plus comparable au nôtre. Par ailleurs, l'internationalisation n'est pas encore assez intégrée comme élément de stratégie durable des entreprises : sur dix entreprises qui se lancent à l'international, il n'en reste que trois, un an après, et une seule, trois ans plus tard. L'international est trop souvent considéré comme une opportunité à saisir à court terme.
Les efforts engagés permettent toutefois d'enregistrer des améliorations. Elles sont dues en particulier aux réformes structurelles de notre économie. Le travail accompli avec le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) porte ses fruits : pour la première fois depuis de longues années, le coût du travail horaire dans l'industrie en France est passé sous celui enregistré en Allemagne. Cela joue évidemment de façon très importante sur la compétitivité, même si nous sommes nombreux dans cette salle à être persuadés que le coût du travail ne constitue pas l'alpha et l'oméga de la compétitivité française.
Nous poursuivons également notre travail visant à remédier à la dispersion du dispositif d'accompagnement à l'export : trop d'intervenants ne s'étaient pas assez correctement réparti les tâches. Le 1er janvier dernier, moins d'un an après que le Président de la République l'a annoncé, Business France, était opérationnel. Business France est né de la fusion d'Ubifrance, l'agence française pour le développement international des entreprises, qui était en charge de l'export, et de l'agence française pour les investissements internationaux (AFII), qui travaillait sur l'attractivité du pays. Dans une économie mondialisée, alors qu'un tiers des exportations françaises sont le fait de filiales de groupes étrangers, la séparation des problématiques n'avait plus de sens. Nous travaillons également au rapprochement de certaines activités de la société pour l'expansion des ventes des produits agricoles et alimentaires, dite SOPEXA, avec Business France afin d'introduire de la cohérence et de la coordination dans les actions menées. Il faut par exemple à tout prix éviter que la France soit présente à quelques mois d'intervalle sur deux salons similaires dans un même pays, cela n'est pas efficace, notamment en termes d'image.
Notre effort porte également sur les PME. J'ai réuni, au mois de mars dernier, au Quai d'Orsay, le premier forum des PME à l'international. Un plan d'action a été présenté à cette occasion : dix des quinze propositions avancées sont déjà mises en oeuvre.
L'évolution du nombre de volontaires internationaux en entreprise (VIE) devrait permettre d'atteindre un effectif annoncé de 10 000 jeunes en 2017. Ce dispositif est positif non seulement pour les entreprises, mais surtout pour les jeunes, car les taux d'embauche à l'issue d'un VIE font rêver – si toutes les mesures qui leur sont proposées étaient aussi efficaces en termes d'emploi, l'état de notre pays serait différent. Nous devons cela à notre jeunesse ! Nous travaillons afin que les PME puissent davantage utiliser les VIE en passant soit par un portage par les grands groupes soit par une mutualisation entre petites et moyennes entreprises.
Les conseillers du commerce extérieur de la France constituent un très beau réseau de 4 300 bénévoles dans le monde entier et dans nos régions. Ils se sont mobilisés pour mettre en place cent cinquante-cinq référents PME afin d'assurer un tutorat et un accompagnement à l'exportation.
Aujourd'hui, 3 000 entreprises supplémentaires s'inscrivent dans le cadre du parcours de l'international simplifié et rénové pour les PME.
La campagne Créative France, lancée par le Premier ministre lors de son déplacement au Japon, au mois d'octobre dernier, doit permettre de présenter, à l'international, la créativité, les savoir-faire et les capacités de notre pays en matière d'innovation et de formation.
Je rappelle par ailleurs que les délégations d'entreprises qui m'accompagnent dans mes déplacements à l'étranger sont ouvertes aux PME qui les composent à 40 %. Je crois qu'elles en tirent un réel bénéfice, et je vous incite à continuer de me signaler les entreprises de vos circonscriptions qui sont intéressées.
La simplification douanière sera opérationnelle au 1er semestre 2016. Je salue l'engagement de la direction générale des douanes en la matière.
La coopération entre Business France et les chambres de commerce et d'industrie française à l'étranger doit se renforcer.
Je poursuivrai, en 2016, mon tour de France des PME exportatrices. Je souhaite tenir des forums dans toutes les grandes régions afin de présenter partout les simplifications en cours, et inciter toujours plus de PME à se lancer sur les marchés internationaux.
Le travail relatif à l'attractivité de notre pays doit être prolongé, notamment en matière de recherche et de développement. Le crédit d'impôt recherche (CIR) est particulièrement apprécié par nos partenaires dans le monde entier ; il a vocation à être pérennisé, ainsi que le Gouvernement l'a annoncé.
Des succès ont été obtenus dans le cadre de ce que nous avons appelé, avec le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, « la diplomatie des terroirs ». Il s'agit de défendre les productions de nos terroirs, les indications géographiques, les appellations d'origine, et les savoir-faire agricoles français. La bataille mondiale des normes se mène partout de façon offensive afin de protéger les intérêts de l'agriculture française. L'arrangement de Lisbonne sur les appellations d'origine et les indications géographiques a été récemment révisé et élargi ; Stéphane Le Foll et moi-même nous sommes beaucoup mobilisés sur le sujet.
Dans le cadre du plan national pour l'élevage, le Gouvernement est intervenu auprès des États qui maintenaient un embargo sur la viande de boeuf, comme le Vietnam, où s'est rendue cet été Mme Martine Pinville, secrétaire d'État chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire, l'Afrique du Sud, où je me suis moi-même déplacé, le Canada, et l'Arabie Saoudite. Nous maintenons aussi la pression sur d'autres pays tels que la Chine. Le ministre de l'agriculture et moi-même avons également lancé la plateforme France viande export qui a vocation à structurer l'offre française de ce secteur. Nous sommes également mobilisés sur le plan diplomatique pour prévenir les réactions excessives et préjudiciables de nos partenaires lorsque surviennent des cas circonscrits de grippe aviaire dans notre pays.
En matière de politique commerciale, les grandes discussions se déroulent de moins en moins souvent au sein de l'OMC. Le multilatéralisme, auquel la France est attachée dans tous les domaines de la diplomatie, est en crise. Parce que nous craignons la « fragmentation » de l'espace juridique commercial international qui résulte de la multiplication des négociations bilatérales – un rapport du FMI évoque ce risque –, nous souhaitons un retour au multilatéralisme. La dixième conférence ministérielle de l'OMC se tiendra durant toute la semaine prochaine à Nairobi. Nous souhaitons faire avancer le cycle de Doha, mais il est vrai, madame la présidente, que l'état des négociations n'incite pas à un grand optimisme et qu'il ne laisse guère espérer qu'un grand accord fondateur sera conclu. Nous poursuivons évidemment de nombreuses négociations commerciales internationales. Vous avez évoqué celles relatives au TTIP, mais il en existe de nombreuses autres avec tous les ensembles régionaux du monde.
L'Europe, premier ensemble économique au monde, première par son poids dans les échanges internationaux, a vocation à être le grand acteur du commerce mondial. Elle doit peser davantage encore qu'aujourd'hui dans les négociations en cours. L'Union européenne doit cesser d'aborder les négociations de manière bureaucratique et routinière, comme elle le fait trop souvent ; elle ne doit pas les subir, et l'agenda ne doit être imposé par personne. La France rappelle de manière constate son attachement à ce que les négociations soient menées de façon politique, avec des objectifs politiques prenant en compte la défense de nos intérêts et d'un certain nombre de valeurs, la protection des consommateurs ou le respect des choix des citoyens.
Si vous me permettez d'évoquer un autre écueil, il faut également cesser de considérer qu'en matière commerciale l'Europe doit s'appliquer de manière totalement béate les principes du libéralisme, sous prétexte qu'ils conduiraient à une mondialisation heureuse et qu'ils seraient source de croissance et de bonheur. Cela ne fonctionne pas ! Les crises des dernières années auraient dû conduire inéluctablement tous ceux qui prêchent benoîtement en faveur du libéralisme à faire ce même constat ; il suffit de regarder les faits et la réalité. Il faut davantage évaluer ce qui s'est produit, mais également réhabiliter le débat économique en donnant leur place à toutes les écoles de pensée. La même a toujours la parole, et nous écoutons les mêmes économistes comme s'ils détenaient la vérité révélée alors qu'ils n'ont pas vu venir les crises majeures récentes qui ont frappé le monde entier – il faudrait aussi assurer la transparence des ressources annexes qui complètent leurs revenus universitaires.
Le onzième cycle de négociations du TTIP, qui s'est tenu à Miami au mois d'octobre dernier, n'a pas permis de faire d'importants progrès. Je reste très ferme sur les positions que j'avais prises à la fin du mois de septembre, et je ne vois aucune raison de revenir sur les propos que je tenais à ce moment. Alors que l'Europe a multiplié les propositions, dans les faits, discours mis à part, nous ne sentons pas de réelle volonté d'avancer du côté américain. Aucune de nos demandes, qu'elles soient défensives ou offensives, n'est aujourd'hui prise en compte.
En 2016, les normes sociales et environnementales doivent davantage être prises en compte dans les négociations commerciales. Le commerce constitue aussi une façon concrète de contribuer à des projets politiques : la France portera à l'avenir l'idée que les normes sociales et environnementales doivent être contraignantes au même titre que les normes commerciales. Cette préoccupation rejoint évidemment le travail que mène actuellement la diplomatie française dans le cadre de la COP21 présidée par M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international.
Les grands secteurs exportateurs français, qui sont une fierté pour notre pays, sont aussi souvent les secteurs dynamiques sur le plan national. Si je ne crois pas à la mondialisation heureuse – trop d'entre vous sont les élus de territoires qui connaissent les difficultés qu'elle engendre pour être dupes –, je ne crois pas davantage au repli de la France sur elle-même et au recroquevillement. Je rappelle que l'aéronautique représente 23 milliards d'euros d'excédents mais aussi de nombreux emplois. L'agriculture et l'agroalimentaire, l'industrie du luxe – qui repose aussi sur l'artisanat vivant dans les territoires –, la pharmacie, la chimie, et la cosmétique sont autant de secteurs à la fois conquérants à l'international et dynamiques en interne.