Intervention de Philip Cordery

Réunion du 15 décembre 2015 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilip Cordery, Rapporteur :

Récemment, je plaidais devant vous pour renforcer les liens entre le Parlement et les instances européennes et j'ai proposé de conforter le pouvoir de contrôle de l'Assemblée sur l'action de l'exécutif en matière européenne.

Cette proposition de résolution, portée par le Groupe Socialistes Radicaux et Citoyens, vise à ce que notre Assemblée puisse faire entendre sa voix pour influer sur les décisions qui seront prises au prochain Conseil Européen des 17 et 18 décembre prochain. Ce Conseil sera particulièrement important au vu des crises que traverse l'Union. Il traitera de trois enjeux majeurs : la lutte contre le terrorisme, la crise humanitaire des réfugiés, et le référendum britannique.

Ce qui nous menace clairement, ce n'est pas l'excès d'Europe mais son insuffisance. Face aux menaces terroristes, aux guerres civiles et à ce qu'elles engendrent comme déplacements de populations il nous faut plus de solidarité, plus d'intégration. L'Europe est attendue pour promouvoir un modèle démocratique et parfaire l'intégration économique de la zone euro.

L'Union européenne est un projet dynamique. Un projet au service des citoyens. Chaque Etat membre reçoit plus qu'il ne donne. Ce qui fait la force de l'Union Européenne ce sont ses valeurs de solidarité et son attachement au respect des droits fondamentaux et de la dignité humaine.

Ce projet de résolution vise à souligner l'urgence d'adopter des mesures opérationnelles. Au-delà de la gestion de cette crise, il nous faut réaffirmer la vocation de l'Union Européenne et réaffirmer notre idéal en vue de construire un système politique intégré.

Le premier sujet qui sera abordé par le Conseil européen concerne la lutte contre le terrorisme. En la matière, il nous faut trouver des réponses efficaces sans remettre en cause les valeurs démocratiques alors que les menaces sont multiformes et difficiles à appréhender comme le montre la propagande radicale via Internet.

La lutte contre le terrorisme fait partie intégrante de la politique étrangère de l'Union européenne comme l'a souligné le Conseil des Affaires étrangères du 9 février 2015. L'agenda européen pour la sécurité présenté par la Commission européenne le 28 avril dernier, place la lutte contre le terrorisme et contre la radicalisation au coeur de cette nouvelle stratégie. Notre commission a d'ailleurs pris position le 1er décembre dernier pour soutenir ce programme et sa mise en place rapide.

Pour la première fois, la France a fait jouer la clause de l'article 42. 7 du traité de L'Union Européenne qui instaure une solidarité européenne en cas d'agression armée. Cet appel a suscité une mobilisation de solidarité de nos partenaires, notamment de l'Allemagne du Royaume Uni de l'Italie et de nombreux autres états européens.

Lors de notre récente visite au Bundestag le 2 décembre dernier, nous avons assisté au débat autorisant l'engagement de l'Allemagne pour lutter contre l'Etat islamique en Syrie. Il fut particulièrement intéressant de noter que le Bundestag a voté cette autorisation sur le fondement de cet article précité de solidarité dans le cadre européen. C'est un signal fort pour la gestation d'une Europe de la Défense. Pour conforter notre effort de défense, il est indispensable que les dépenses militaires et de sécurité nationale qui participent en définitive à la sécurité de toute l'Union, ne soient pas prises en compte dans le calcul des déficits publics de chaque Etat membre et c'est le point 2 de notre résolution.

La lutte anti-terroriste peut être présentée sous quatre aspects principaux : l'identification des déplacements des terroristes ; la surveillance des mouvements financiers ; l'harmonisation des législations applicables en matière de terrorisme ; et l'accent sur les actions de prévention, en particulier dans les prisons.

Il faut à ce titre se féliciter , comme nous l' indiquons au point 3 de notre résolution, que la commission Libertés publiques (LIBE) du Parlement européen ait adopté le 10 décembre, la directive sur le fichier des passagers aériens PNR (passenger name record), acceptant le compromis mis au point par le Conseil des ministres quelques jours auparavant et qui prévoit un contrôle sur les vols internationaux et internes à l'Union européenne et qui permettra de conserver les données personnelles des passagers durant six mois puis jusqu'à cinq ans de manière masquée. Le parlement européen devrait se prononcer prochainement en séance plénière pour aboutir à ce que ce dispositif soit opérationnel au début de 2016, les Etats membres devant bien évidemment tirer les conséquences de cet accord dans leurs législations nationales. C'est l'aboutissement heureux de quatre ans de discussions.

Par ailleurs, il nous faut faire rapidement un effort d'harmonisation de nos législations en matière de terrorisme.

Dans un contexte d'augmentation et de renouvellement de la menace terroriste, le phénomène des « combattants étrangers », apparu dans le cadre du conflit syrien et dont l'importance n'a cessé de croître depuis, a conduit les institutions européennes et internationales à se saisir de la question. Le Protocole additionnel à la Convention du 16 mai 2005 pour la prévention du terrorisme du Conseil de l'Europe, signé par l'Union européenne le 22 octobre 2015, érige en infractions pénales la participation intentionnelle à un groupe terroriste, le fait de recevoir un entraînement pour le terrorisme, le fait de se rendre à l'étranger à des fins de terrorisme ainsi que le financement ou l'organisation de ces voyages. Dans cette perspective, un chantier de révision de la décision-cadre relative au terrorisme devrait être ouvert afin de tenir compte des instruments légaux créés par le Protocole additionnel précité.

Pour prévenir les attaques terroristes, il est indispensable de renforcer les échanges d'information entre les services de police et les systèmes judiciaires européens. Dans les projets de conclusions du Conseil européen du 18 décembre figure bien cet objectif avec l'idée que les États doivent alimenter de manière plus dynamique et plus systématique les bases de données d'Europol, et de permettre à Europol et à l'agence Frontex d'accéder aux bases de données pertinentes.

Tout doit être mis en oeuvre pour rendre Europol et Eurojust plus réactifs et capables de coopérer étroitement avec les autorités nationales. Des instruments existent, le système d'information Schengen (SIS) par exemple, qu'il faut avoir la volonté politique d'utiliser, quitte à améliorer certains aspects pour les rendre plus opérationnels. C'est un pont central pour gagner en efficacité.

A ce titre il faut se féliciter du renforcement d'Europol suite à la signature de l'accord informel signé le 26 novembre 2015 entre États membres. Le point 4 de notre résolution porte sur le renforcement d'Europol dont les possibilités d'action doivent être accrues, grâce à l'interconnexion des bases de données relevant des Etat et des agences européennes chargées de la sécurité.

Il faut enfin porter une attention beaucoup plus soutenue aux mécanismes de financement du terrorisme et trouver des moyens efficaces pour tarir les ressources des groupes terroristes. La révision du cadre applicable à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, intervenue récemment avec le paquet législatif adopté en mai 2015, met en place une approche fondée sur les risques. C'est une bonne chose mais il est possible d'aller plus loin encore. Les compétences des cellules nationales de renseignement financier sur ces questions sont aujourd'hui très différentes selon les États et gagneraient à être harmonisées.

L'Union européenne pourrait enfin exploiter la possibilité offerte par les traités et mettre en place un système de gel des avoirs liés au terrorisme à l'intérieur de l'Union européenne.

Un dernier point pour renforcer la lutte antiterroriste porte sur l'adoption rapide de la révision de la directive sur la détention et la circulation des armes afin de disposer d'outils de traçabilité des armes neutralisées et de limiter l'acquisition d'armes via internet.

La crise migratoire est le second sujet majeur qui figure à l'ordre du jour des discussions du Conseil européen.

Les négociations ont été intenses ces derniers mois, et il faut maintenant accélérer la mise en oeuvre concrète des mesures déjà décidées notamment sur la relocalisation des réfugiés.

L'accueil des migrants représente un véritable défi pour les Etats membres. C'est peut-être le plus sensible que l'Union européenne ait connu depuis sa création.

Avant cette crise sans précédent, les flux migratoires étaient considérés par les gouvernements comme relevant exclusivement de leurs prérogatives nationales. Aujourd'hui le constat est sans appel : toutes les frontières de l'Union sont les frontières de chacun des États.

Le dernier conseil Justice Affaires intérieures, le 2 décembre dernier, a permis de dresser un premier bilan de la mise en place des « hot spots ». Il faut déplorer le fait que deux centres seulement soient réellement opérationnels. La solidarité européenne doit se traduire en actes pour permettre aux centres grecs d'être dotés d'outils informatiques efficaces afin qu'ils puissent procéder à l'enregistrement systématique des données personnelles des migrants dont leurs empreintes digitales.

L'accord récent avec la Turquie doit se traduire de manière tangible par une baisse des flux de migrants et par la mise en place facilitée de procédures de retour des migrants qui ne peuvent bénéficier du droit d'asile.

Ceci implique des efforts considérables pour améliorer les mécanismes de contrôles aux frontières extérieures de l'Union. Notre résolution dans son point 12 souligne qu'il faut gagner impérativement en efficacité sur ce point. Il faut, là encore, se doter de moyens juridiques opérationnels.

D'après les projets de conclusions qui nous ont été communiquées du Conseil européen, les chefs de gouvernement devraient poursuivre leurs travaux sur le mécanisme de relocalisation en cas de crise et la liste des pays sûrs. Le Conseil devrait examiner rapidement les propositions de la Commission concernant un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, le code frontières Schengen, la réinstallation et les documents de voyage aux fins de retour. Cette résolution insiste notamment dans son point 12 sur la nécessité de la révision ciblée du Code frontière Schengen et sur les procédures de retour des migrants qui ne peuvent obtenir le droit d'asile.

Enfin, il faut parvenir à un nouveau paquet législatif sur l'asile avec de véritables règles communes en la matière et appuyé par la création d'un Office européen pour la protection des réfugiés.

Le court terme mobilise toutes les énergies pour parvenir à organiser une réponse efficace contre les menaces, mais il faut aussi penser à long terme, car les flux migratoires que connait l'Europe sont une réalité qui perdura dans les prochaines années. C'est pourquoi il faut insister sur l'importance de la politique de développement mené par l'Union européenne. À ce titre, il est urgent de mettre en oeuvre les propositions du Sommet de La Valette comme le demande le point 15 de notre résolution. La politique de Voisinage devra être aussi réorientée.

J'en arrive maintenant à la question des revendications britanniques liées à l'organisation d'un referendum sur le maintien ou non de ce pays dans l'Union, fréquemment intitulé « Brexit ». Cette négociation avec la Grande Bretagne doit être une occasion de faire progresser l'intégration économique.

D'aucuns profitent de notre vulnérabilité pour exiger d'aller plus avant vers une Europe à la carte ou à géométrie variable selon les intérêts de chaque Etat membre. Cette demande d'une forme d'intégration différenciée risque de remettre en question ce qui fait l'originalité et la force du modèle européen.

Cautionner le modèle britannique d'une Europe à la carte, ce ne serait pas seulement remettre en question le principe même d'égalité de traitement et de non-discrimination entre Etats membres, ce serait in fine mettre en cause l'unité de l'Europe, sa capacité à s'intégrer de manière plus approfondie et à parler d'une seule voix. Cette conception concorde parfaitement avec la demande britannique de pouvoir interpréter différemment ce qui fait le coeur du projet européen : « l'union sans cesse plus étroite des peuples de l'Europe ». Cependant, il faut être là très clair : l'acceptation de la diversité des points de vue doit trouver une juste limite lorsqu'elle conduit précisément à saper les fondements mêmes du projet d'intégration auquel des générations d'européens ont travaillé. C'est l'ambigüité fondamentale de laquelle doit sortir la position britannique. Personne ne doit pouvoir se prévaloir des principes européens aux fins même de les dévoyer.

Les citoyens européens ne comprendraient pas que l'on cède à la demande britannique concernant l'accès différé aux prestations sociales, pendant quatre ans pour les migrants européens qui viennent s'installer en Grande Bretagne. Cette exigence est contraire à un principe fondamental celui de l'égalité de traitement entre les citoyens. Le point 18 de la Résolution nous parait important pour affirmer clairement notre opposition à la demande anglaise relative aux droits sociaux. Accéder à cette demande risque de plus, d'ouvrir la boite de pandore et à inciter d'autres pays à présenter leurs doléances.

Si nous acceptons le choix de certains pays de rester en dehors de la zone Euro, nous ne pouvons accepter leur droit de regard sur l'évolution de l'intégration monétaire. Comme nous le soulignons au point 19 de la résolution, la zone euro ne crée aucune discrimination à l'encontre des Etats membres qui ont délibérément choisi de rester en dehors.

L'intégration différenciée ou l'Europe à plusieurs vitesses c'est la reconnaissance d'un même objectif pour tous mais la prise en compte des capacités différentes de chacun pour les atteindre. Le cadre est commun, sa mise en pratique adaptée aux contingences et nécessités. Elle concilie la libre volonté des uns de pouvoir aller plus loin dans l'intégration tout en préservant la capacité des autres de les rejoindre au moment opportun. Le garant de ce pacte, ce sont les institutions communes. C'est la raison pour laquelle il convient de les renforcer dans certains cas, voire de leur donner forme dans d'autres. Les institutions de la zone euro doivent être renforcées à partir des bases existantes en créant notamment un ministre des finances de la zone euro à la fois Président de l'Eurogroupe et Vice-Président de la Commission européenne. Le futur Trésor européen doit s'appuyer sur les capacités du Mécanisme européen de stabilité (MES). Je voudrais enfin souligner qu'il reste à créer l'institution parlementaire qui contrôlera démocratiquement les décisions prises par les Etats partis à la monnaie unique : le Parlement de la zone euro. Ceux des Etats qui restent en dehors de cette voie ne doivent pas pouvoir entraver la progression des autres vers cet objectif commun.

L'organisation d'un référendum par la Grande Bretagne sur le maintien de ce pays dans l'Union européenne doit être l'occasion de sortir « par le haut » des négociations sur les revendications britanniques. D'autres Etats peuvent aussi faire valoir certaines spécificités sans pour autant remettre en cause l'essentiel de l'acquis communautaire. Il faudrait donc aboutir à une sorte de « nouveau compromis de Luxembourg ».

Ce compromis doit clairement reconnaître l'intérêt légitime des uns à poursuivre la route en avant vers une plus grande intégration européenne tout en maintenant la capacité pour les autres de poursuivre leurs intérêts légitimes tant que ces derniers ne viennent pas remettre en cause les principes et droits fondamentaux qui s'appliquent à tous. Le coeur de ces principes est « l'intégration sans cesse plus étroite des peuples de l'Europe » ; Rien de doit entraver cette marche en avant. Il convient de prendre acte que l'Union Européenne peut progresser avec des États membres choisissant un degré d'intégration différenciée, certains pouvant opter pour une dynamique de gouvernance commune plus structurée alors que d'autres n'y participeront pas.

Les États appartenant à la zone euro doivent réaffirmer leur volonté de franchir une nouvelle étape dans l'intégration économique et politique.

Cette monnaie unique est le symbole d'une Europe de la libre circulation des hommes et des marchandises et d'une économie régulée.

La responsabilité commune qu'implique l'euro crée un impératif de solidarité européenne face à la crise. C'est cette « solidarité de fait » qui est le défi majeur que l'Union européenne alors que les disparités territoriales s'accroissent.

Il faut aujourd'hui franchir une nouvelle étape car partager une monnaie, c'est bien plus que vouloir une convergence. Comme l'a proposé François Hollande en juillet 2015, en reprenant une idée déjà formulée par Jacques Delors de gouvernement de la zone euro, il faut que la zone euro soit représentée par un exécutif et qu'elle dispose d'un budget. Le point 20 de notre résolution souligne l'importance de parachever l'intégration économique et monétaire. Elle appellera une organisation renforcée et ces pays qui en décideront, constitueront une sorte d' « avant-garde » de l'Union européenne.

En conclusion, je voudrai vous inviter à voter cette résolution. Le Conseil Européen doit adopter des réformes profondes.

Face aux forces centrifuges remettent en cause la solidarité européenne et aux menaces qui risquent d'ébranler les principes fondateurs de l'Union comme la libre circulation, il faut aller résolument de l'avant pour plus d'Europe afin d'être plus efficaces ensemble.

La crise des réfugiés et les menaces terroristes peuvent aussi être l'occasion de surmonter nos intérêts contradictoires pour réaffirmer que seule la voie de l'intégration économique et politique nous rendra plus forts et nous donnera une véritable cohérence. Pour le moment nous sommes dans une situation inconfortable, au milieu du gué.

De grands défis nous attendent comme la mise en oeuvre, enfin, d'un gouvernement économique de la zone Euro, complétant l'Union monétaire, un contrôle partagé des frontières, une convergence fiscale et sociale et enfin, une politique européenne de défense commune pour n'en citer que quelques-uns.

L'Union économique et monétaire suppose un partage de souveraineté. Les Etats de la zone euro, sont-ils prêts à avancer résolument vers l'union politique ?

Je vous propose de contribuer à encourager ce mouvement nécessaire par l'adoption de cette résolution.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion