Intervention de Martin Vial

Réunion du 2 décembre 2015 à 11h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Martin Vial, commissaire aux participations de l'état, directeur général de l'Agence des participations de l'état :

Je vous remercie de me faire l'honneur, en m'accueillant parmi vous, de poursuivre une tradition d'échanges réguliers entre votre commission et l'Agence des participations de l'État. J'ai pris la responsabilité de l'Agence à la fin de l'été ; ma science est donc relativement récente, mais je souhaite partager avec vous mes convictions sur ce qui doit guider l'État actionnaire dans l'exercice de ses responsabilités et dans sa gestion. Je tiens d'abord à souligner que l'État actionnaire a beaucoup progressé depuis dix ans, qu'il dispose aujourd'hui de leviers puissants qui le rendent plus efficace et plus agile, qu'il a des devoirs particuliers et qu'il doit être exemplaire.

L'évolution de l'APE depuis sa création traduit les progrès et la plus grande maturité de l'État dans sa conception de son rôle d'actionnaire. Jusqu'à la création de l'Agence, en 2004, l'État agissait dans les entreprises à participation publique avec plusieurs « casquettes » : une responsabilité de tutelle sectorielle, une responsabilité de régulateur, l'exercice d'une tutelle financière incarnée par plusieurs directions du ministère des finances – et la tutelle était parfois double, pour les établissements de recherche par exemple. L'État était aussi client, fournisseur et préleveur d'impôts. Ces responsabilités et fonctions étant dispersées, il s'ensuivait un certain désordre tant dans les organes de gouvernance que dans les rapports entre les dirigeants des entreprises publiques et l'État. La création de l'APE, en 2004, visait à mettre de l'ordre pour rendre le rôle de l'État actionnaire plus efficace, plus lisible et plus transparent.

La création de ce service à compétence nationale a marqué une étape déterminante. Pour la première fois, il était reconnu à une administration un rôle d'actionnaire, c'est-à-dire de promoteur du patrimoine détenu par l'État dans des entreprises à participation publique. Pour la première fois, le rôle d'actionnaire de l'État était distingué de son rôle de régulateur et de tutelle sectorielle.

La deuxième étape, en 2010, a consisté à conférer une autonomie à l'APE, jusqu'alors rattachée à la direction du Trésor. Un commissaire aux participations de l'État a été nommé et l'APE a été rattachée directement au ministre chargé de l'économie. Cela a donné une pleine lisibilité à une Agence qui agissait désormais selon les seuls critères de l'État actionnaire, indépendamment des préoccupations légitimes du Trésor en matière financière et de régulation macro-économique. Ainsi, je rapporte directement au ministre des finances et des comptes publics et au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.

La troisième étape fut l'ordonnance du 20 août 2014, ratifiée par le législateur. Elle a donné à l'État actionnaire et à l'APE un cadre plus transparent et des outils plus efficaces pour assurer ses fonctions. Le cadre législatif et réglementaire a été adapté tant pour les règles d'opérations en capital que pour les règles de gouvernance. Ce nouveau cadre juridique a fait de l'État un actionnaire plus proche des autres actionnaires des entreprises dans lesquelles il a des participations. L'ordonnance a mis fin aux règles spéciales concernant la taille des conseils et la durée des mandats des entreprises à participation publique. Elle a clarifié le rôle des administrateurs représentant l'État, en distinguant le rôle de l'État actionnaire de ses autres fonctions, telles que l'État régulateur ou client. Elle a donné la possibilité à l'État de proposer des administrateurs issus d'un vivier élargi au monde économique, afin de pouvoir bénéficier de leur expérience et de sortir de la désignation exclusive de fonctionnaires. Elle a instauré une gouvernance de droit commun pour les sociétés à participation publique en simplifiant la représentation de l'État en leur sein par la nomination en assemblée générale et la désignation d'un représentant unique de l'État personne morale, issu en général de l'APE,. L'ordonnance a maintenu certaines spécificités relatives à la représentation des salariés dans les organes de gouvernance des entreprises à participation publique et la protection des intérêts stratégiques de l'État, notamment dans les entreprises de la défense nationale, par le biais de l'action spécifique.

La quatrième étape, quasiment concomitante, fut la formalisation d'une doctrine plus établie des interventions de l'État actionnaire, qui détient ou investit des participations dans des entreprises avec quatre objectifs.

Il intervient en capital dans des sociétés considérées comme stratégiques du point de vue de la souveraineté nationale ; c'est le cas de la défense nationale et du nucléaire.

L'État détient aussi des participations dans des entreprises qui ont contribué ou qui contribuent à des services publics d'intérêt national ou qui exercent des activités essentielles au bon fonctionnement de l'économie et de la société. C'est le cas pour La Poste, devenue société anonyme, et pour Orange ; nous sommes aussi actionnaire de référence chez Engie, anciennement GDF Suez, en raison de son poids dans le secteur de l'approvisionnement et de la distribution de gaz en France. Je pourrais aussi citer le groupe SNCF et la Régie autonome des transports parisiens (RATP), qui sont des entreprises publiques, et nul n'ignore l'importance que l'État accorde à ces entreprises essentielles au fonctionnement des transports nationaux ou en Île-de-France.

L'État intervient encore pour contribuer à la consolidation ou l'évolution stratégique de groupes importants pour notre économie. Je pense, ce disant, à l'intervention dans PSA Peugeot Citroën pour stabiliser l'actionnariat et permettre au groupe de reprendre des positions majeures sur le marché de l'automobile, et à l'alliance en cours d'achèvement dans le domaine de la défense entre la société française Nexter et l'entreprise allemande KMW, processus dans lequel l'État a pesé pour que le rapprochement se fasse dans les meilleures conditions.

L'État intervient enfin dans les cas critiques de risque systémique ; ce fut le cas pour Dexia.

Tels sont les objectifs qui fondent nos interventions. J'ajoute que l'État actionnaire doit être décomplexé, responsable et exemplaire. Par « décomplexé », je veux dire que lorsque l'État est l'actionnaire de référence, même minoritaire, il doit pouvoir exercer son rôle de façon active comme le fait tout actionnaire privé. « Responsable » signifie que l'État, lorsqu'il n'est pas le seul actionnaire d'une entreprise, doit respecter les intérêts des actionnaires minoritaires, les règles de gouvernance et les règles commerciales ; c'est une de nos préoccupations constantes. Il doit aussi être « exemplaire » car n'étant pas un actionnaire banal, il doit se comporter de façon plus rigoureuse que tout autre dans l'exercice de ses fonctions.

Beaucoup de progrès ont été accomplis en ces domaines depuis la création de l'Agence. Aujourd'hui, l'État dispose de leviers puissants et assure une gestion dynamique de son portefeuille. L'APE est l'un des plus importants gérants de participations publiques au monde. Nous gérons un portefeuille de 77 entreprises, représentant un montant de capitaux propres de quelque 110 milliards d'euros et plus de 145 milliards d'euros de chiffre d'affaires cumulé ; elles emploient environ 1,8 million de salariés et collaborateurs.

Pour exercer sa mission, l'APE dispose d'une équipe assez restreinte d'un peu plus de 50 personnes. Elle est organisée en directions sectorielles, avec des pôles d'expertise transversaux de haute compétence notamment dans les domaines juridique, d'audit et comptable.

En 2015, l'État a géré son portefeuille de participations de façon dynamique – et l'APE contribuera au désendettement, monsieur le président. Nous aurons réalisé 2,3 milliards d'euros de cessions et investi environ 1,2 milliard d'euros dans les entreprises du portefeuille. Les cessions ont concerné Safran, une grande partie de la participation de l'État dans l'aéroport de Toulouse et un bloc de participations dans Engie. À l'inverse, nous avons acquis au printemps des titres Renault et des titres Air France-KLM pour faire appliquer dans ces entreprises la loi sur les droits de vote double. Bien que l'exercice 2015 ne soit pas clos, je puis déjà vous dire que le solde des cessions et des acquisitions permettra non seulement d'assurer l'équilibre du compte d'affectation spéciale mais aussi de contribuer à l'effort de désendettement de l'État. À ce sujet, comme vous le savez, l'objectif de 4 milliards d'euros fixé dans le projet de loi de finances initiale a été ramené, sous réserve des conditions de marché, à 2 milliards d'euros. La cession intervenue hier d'un petit bloc d'actions de Safran contribuera à cet objectif.

Dans le projet de loi de finances pour 2016, les prévisions de recettes, fixées à 5 milliards d'euros, sont inchangées mais la répartition interne a été revue, avec 3 milliards pour le programme 731 consacré aux investissements et 2 milliards pour le programme 732 relatif au désendettement de l'État et d'établissements publics de l'État.

En investissement en fonds propres, l'APE intervient aux côtés d'autres acteurs publics puissants : Bpifrance – qui a un actif de 16 milliards d'euros –, la Caisse des dépôts, et le Commissariat général à l'investissement (CGI), chargé de la mise en oeuvre du programme d'investissements d'avenir pour une enveloppe un peu inférieure à 6 milliards d'euros. Nous sommes en interaction permanente avec Bpifrance, dont l'APE détient 50 % du capital, aux côtés de la Caisse des dépôts ; cette relation triangulaire fonctionne très bien. Des progrès sont nécessaires dans la concertation entre l'APE et le CGI pour garantir la cohérence des interventions en fonds propres avec la doctrine globale des pouvoirs publics. Mais, globalement, la coopération avec les autres investisseurs publics fonctionne bien.

Enfin l'État doit être un actionnaire exemplaire dans l'application de la loi et la fidélité à son esprit. Cela vaut en matière de rémunération des dirigeants des entreprises à participation publique ; de diversité des membres des organes sociaux, en particulier pour le taux de féminisation ; de comportement fiscal. Toutes les entreprises publiques se conforment au décret du 26 juillet 2012 plafonnant la rémunération d'activité de leurs dirigeants. Dans les entreprises détenues minoritairement par l'État, nous avons conditionné nos votes à une baisse significative – de l'ordre de 30 % – de la rémunération des dirigeants et à l'absence de jetons de présence, de retraites « chapeau » et d'indemnités de rupture excédant un an. Nous avons émis un vote négatif lorsque les résolutions présentées à l'assemblée générale ne respectaient pas ces critères.

S'agissant de la diversification des profils des administrateurs et en particulier de la féminisation des conseils d'administration, même si ce mouvement de rééquilibrage n'est pas terminé, nous avons progressé. À l'été 2015, la proportion de femmes dans les conseils d'administration des entreprises du périmètre de l'APE était de 27 % contre 16 % en 2012 ; en un peu plus de deux ans, l'augmentation est spectaculaire. Actuellement, 207 femmes siègent en qualité d'administratrices dans les conseils d'administration d'entreprises à participation publique. Nous visons à respecter l'obligation fixée par la loi du 27 janvier 2011 en matière de représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des organes dirigeants. La vague de nominations lors des assemblées générales de 2016 nous permettra d'augmenter encore la féminisation des conseils d'administration.

Dans le domaine fiscal, le Gouvernement s'est mobilisé pour remédier aux stratégies d'optimisation fiscale des entreprises et des groupes internationaux. Le ministre des finances et des comptes publics et le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique ont saisi, début 2015, tous les dirigeants des entreprises à participation publique afin qu'ils mettent en oeuvre les actions nécessaires pour se conformer aux principes édictés. Les administrateurs de l'État se sont exprimés en ce sens au sein des conseils d'administration. C'est un travail de longue haleine et l'APE veut contribuer, dans ce portefeuille de 77 entreprises à participation publique, à la lutte contre des pratiques qui distraient des recettes fiscales des ressources de l'État.

En conclusion, le rôle de l'État actionnaire est complexe car il doit être plus exigeant avec lui-même que tout autre actionnaire, s'assurer de la bonne performance de sa gestion et prendre en considération des critères de performance qui ne sont pas strictement financiers mais aussi de performance sociale et sociétale et de responsabilité environnementale. La professionnalisation continue de l'APE doit permettre de s'assurer de la performance économique et financière des participations de l'État mais aussi de la performance globale des entreprises en portefeuille. Des progrès ont été accomplis ces dernières années mais nous devons poursuivre nos efforts d'amélioration. L'État étant un actionnaire de long terme, notre responsabilité principale est que les décisions concernant les entreprises du portefeuille traduisent la vision de long terme qu'incarne l'APE. C'est ma préoccupation quotidienne.

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