Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, cette proposition de loi préparée à la demande de la SNCF et de la RATP pour endiguer la fraude dans les transports publics et l’actualité tragique du terrorisme se sont télescopées. Le 21 août 2015, dans le Thalys Amsterdam-Paris, un attentat au fusil d’assaut aurait pu faire un massacre s’il n’avait été déjoué par d’improbables actes d’héroïsme individuels. La réplique monstrueuse du 13 novembre, dans les rues de Paris, nous a donné la mesure de ce à quoi nous avions échappé dans le Thalys.
L’attentat du Thalys n’est ni le premier ni surtout le plus dramatique des coups portés contre les transports terrestres : on se rappelle l’attentat au gaz sarin commis dans le métro de Tokyo le 20 mars 1995, l’attentat commis à la station Saint-Michel du RER B à Paris la même année, celui de Londres où quatre explosions ont touché les transports publics en 2005, ceux du métro de Moscou en 2013, et surtout celui de la gare d’Atocha à Madrid en 2004, qui a fait 191 morts et 1 400 blessés.
Mais il survient dans un contexte de « guerre terroriste » systématique, qui accroît considérablement notre exposition au risque, en particulier dans les transports collectifs, du fait de leur spectaculaire démocratisation dans nos sociétés et, désormais, dans les pays émergents.
Ce sont les avions, en raison de l’absence d’échappatoire et du nombre de victimes potentielles à la portée d’un seul attentat, qui ont été les premiers modes de transports visés par le terrorisme. Le choc effroyable des attentats des tours jumelles de Manhattan, le 11 septembre 2001, a fait prendre conscience que le terrorisme international avait changé d’échelle. En réponse à cette agression sans précédent, les États-Unis, et à leur suite, l’organisation de l’aviation civile internationale – OACI – et l’Union européenne ont mis en place, à marche forcée, un ensemble très complet de règles et de mesures contraignantes en matière de sûreté aérienne, qui s’imposent désormais universellement aux États.
Elles concernent l’habilitation de toutes les catégories de personnels qui travaillent dans les emprises aéroportuaires, les compagnies aériennes et leurs fournisseurs de services, ainsi que le contrôle des personnels, des passagers et de leurs bagages, de cabine comme de soute. Ces mesures de filtrage systématique ont connu un déploiement mondial qui a considérablement sécurisé le transport aérien.
Malgré cela, le crash volontaire, provoqué par son pilote, de l’avion de la Germanwings a Barcelonnette le 24 mars 2015, comme la destruction, par bombe embarquée, du charter affrété pour des touristes russes au départ de Charm el-Cheikh le 31 octobre 2015, nous ont tragiquement rappelé que le risque zéro reste inaccessible.
Cependant, malgré les nombreux attentats qui les ont endeuillés, les transports collectifs terrestres n’ont pas accédé au même niveau de prévention systématique des risques terroristes. La raison principale ne tient pas tant à l’indifférence des pouvoirs publics et de la communauté internationale qu’aux redoutables problèmes de mise en oeuvre qu’ils posent. Il s’agit de modes de transports de masse, essentiels à la vie quotidienne, dont les nombreuses ruptures de charge et correspondances et le cadencement rapide, notamment aux heures de pointe, exigent rapidité et fluidité.
Il est donc illusoire de penser transposer à l’identique les protocoles de sûreté aérienne aux transports ferroviaires ou aux bus urbains, même s’il est permis de s’en inspirer utilement, au cas par cas pour les trains à grande vitesse, notamment internationaux.
À titre d’exemple, nos 14000 trains quotidiens, dont plus de 5 000 dans la seule Île-de-France, transportent annuellement 2,5 milliards de voyageurs individuels, contre 140 millions pour l’ensemble de nos aéroports ! La seule gare du Nord enregistre 201 millions de passagers, et la gare Saint-Lazare plus de cent millions ! Le métro parisien transporte 650 000 personnes à l’heure de pointe, deux fois par jour, et la gare du Nord en accueille jusqu’à un million les jours de grande affluence.
Pour autant, nous ne partons pas de rien, notamment en France : le service national de la police des transports compte 2 000 agents, déployés dans tout le pays. En Île-de-France, 1 137 agents d’une sous-direction spécialisée de la préfecture de police leur apportent leur concours. La Surveillance générale – SUGE – de la SNCF dispose de 2 800 agents, et le Groupe de protection et de sécurisation des réseaux – GPSR – de la RATP en déploie 1 250 dans le métro et le réseau des bus et des tramways.
Des caméras de vidéo surveillance sont installées dans toutes les gares de France de plus de 30 000 passagers, ainsi que sur l’ensemble des quais des RER et du métro, avec 510 caméras pour la seule gare du Nord. Les nouvelles rames TER Régiolis et Régio 2N sont équipées de caméras embarquées dans les wagons de passagers.
Un centre de contrôle associant la SNCF, la RATP et la police des transports surveille 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 l’ensemble du réseau francilien, avec une capacité d’intervention quasi immédiate sur tout le réseau. Et partout en France, la police de l’air et des frontières, la gendarmerie et des unités de police ou des douanes peuvent les renforcer à tout moment !
Il n’en reste pas moins que les menaces qui pèsent sur nos transports quotidiens nécessitent aujourd’hui de combler des insuffisances de protection qui sont raisonnablement à notre portée.
Il ne s’agit pas, j’y insiste, de nourrir l’illusion politique du risque zéro par d’inutiles surenchères sécuritaires. Créerions-nous des citadelles au prix de renoncements à nos libertés essentielles que les terroristes frapperaient à côté. Mais à l’inverse, on voit bien que le durcissement de nos dispositifs de protection et de défense, qu’ils soient exceptionnels comme l’état d’urgence, ou de droit commun comme Vigipirate ou la sûreté aérienne, nous expose infiniment moins que les populations des États désorganisés.
Ce que propose ce texte, c’est précisément de durcir, comme disent les militaires, notre dispositif de protection dans les transports terrestres. Pour cela, il faut agir simultanément sur deux registres : celui du renforcement des moyens légaux à la disposition des agents de sûreté des autorités organisatrices et des exploitants ; celui des moyens humains et matériels à déployer sur le terrain.
Le texte qui est soumis à nos débats ce soir, initialement de neuf articles, en compte désormais quatorze, après le travail particulièrement constructif des deux commissions : celle des lois, saisie pour avis, et dont le rapporteur, Sébastien Pietrasanta, est un expert dans ce domaine et celle de la commission des transports et du développement durable.
Il comporte trois titres. Le premier, qui est devenu le principal, vise à lutter contre les atteintes à la sécurité publique et à prévenir les risques terroristes. Il autorise les agents de sûreté de la SUGE et du GPSR à effectuer des fouilles, des inspections visuelles et des palpations de sécurité aléatoires et à refuser l’accès aux trains aux voyageurs qui n’y consentiraient pas. Il autorise ces agents à effectuer leurs missions en civil et en armes dans des lieux ciblés, dont les véhicules de transport, sous contrôle du procureur de la République.
Il donne la faculté à tous les agents de police judiciaire – gendarmes, policiers, douaniers – de participer à la police des transports, en cas de nécessité, et en tout lieu du territoire national.
Il introduit des peines d’interdiction de séjour dans les gares et dans les trains. Il permet des enquêtes administratives en plus de celles déjà prévues par le régime actuel d’habilitation pour le recrutement et l’affectation des agents de sûreté. La formation et le contrôle de ceux-ci sont placés sous l’autorité de la police et de la gendarmerie.
Enfin, il exige la présentation d’un document d’identité en cas de fraude, à défaut de quoi il crée une contravention pour incapacité à justifier de son identité.
Le titre 2 étend les prérogatives de la police des transports, notamment dans la lutte contre la fraude. La fraude à la SNCF et à la RATP ne représente plus seulement un manque à gagner considérable, évalué à 500 millions d’euros par an ; elle devient un phénomène de société, indépendant de la solvabilité des usagers, puisque 500 millions d’euros sont dépensés chaque année pour financer des tarifs sociaux et des gratuités de service public, ciblés sur une grande diversité de publics fragiles. Alors que la sûreté va exiger des dépenses et des investissements nouveaux, il serait particulièrement injuste qu’elle protège tout le monde, mais ne soit financée que par ceux qui consentent à payer le prix des transports.
C’est la raison pour laquelle cette proposition de loi amendée introduit quatre grandes dispositions visant à améliorer le recouvrement des amendes d’infraction : l’une pour lutter contre la vente à la sauvette de faux billets ; une autre pour ramener le délit de fraude d’habitude de dix occurrences annuelles à cinq ; une autre encore pour lutter contre la fraude collectivement organisée. L’article 9 crée une plate-forme d’interrogation sous contrôle de la CNIL, permettant aux exploitants de poursuivre le recouvrement de leurs amendes d’infractions.
Enfin, un titre 3 a été introduit à l’initiative de Marie Le Vern pour lutter contre le harcèlement sexiste dans les transports collectifs.
Je voudrais insister sur trois dispositions majeures, introduites lors des débats en commission. À l’initiative de Sébastien Pietrasanta, ce texte propose la création d’un délit de soustraction à un relevé d’identité, qui ne permettra plus aucune échappatoire à un contrôle ou à une vérification d’identité. C’est l’avancée majeure de l’article 8 bis.
En second lieu, des dispositions ont été introduites à l’initiative de divers groupes politiques pour étendre aux réseaux locaux et régionaux de province les prérogatives de police des transports, notamment par une extension des missions des polices municipales.
Enfin, à mon initiative, le texte demande au Gouvernement un rapport de préfiguration d’une taxe de sûreté intermodale, prélevée sur le prix du billet, afin de financer les investissements matériels et humains de sûreté dans les réseaux. Pour être effective, l’augmentation de notre niveau de sûreté dans les transports demandera des investissements humains et matériels. Il s’agirait là de transposer aux transports terrestres un mécanisme de financement équitable et neutre du point de vue la concurrence intermodale, qui a montré son efficacité dans l’aérien.
Ce texte très attendu obéit à une exigence et à une ambition. L’exigence est de s’inscrire dans les valeurs de la République, et notamment de n’introduire aucune confusion, aucune tentation d’empiétement entre les prérogatives des agents de sûreté et celles des agents de la police et de la gendarmerie. Il y va du respect des droits fondamentaux des personnes, du respect scrupuleux des libertés publiques et du respect de la liberté de circulation des biens et des personnes, dont nos transports publics sont l’instrument essentiel.
L’ambition de ce texte est de constituer une sorte d’avant-garde à une prise de conscience de l’Union européenne, et pourquoi pas de la communauté internationale, en faveur de la définition d’un cadre législatif international et d’un plan d’action ambitieux en matière de politique de sûreté et de prévention des actes terroristes dans les transports terrestres. C’est dans cette perspective que la commission des affaires européennes a adressé hier une communication en ce sens à la Commission européenne.
C’est tout à l’honneur de l’Assemblée nationale que de faire une fois encore oeuvre pionnière dans un domaine aussi important et sensible pour nos concitoyens. Je ne doute pas, chers collègues, que nos débats, comme ceux du Sénat, enrichiront encore substantiellement ce texte.