Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, nous sommes conviés ce soir, plusieurs semaines après le délai initialement prévu, à examiner le texte de la proposition de loi de nos collègues Bruno Le Roux et Gilles Savary relative à la sécurité et à la lutte contre la fraude dans les transports publics.
Ce texte prône des ajustements législatifs, réglementaires et contractuels relativement ciblés, qui se fondent à la fois sur la déclaration de Paris du 29 août 2015, issue de la réunion européenne sur la sécurité dans les transports ferroviaires frontaliers, et sur les propositions de la SNCF, de la RATP et de l’Union des transports publics et ferroviaires en matière de lutte contre la fraude.
Certaines propositions ne sont pas neuves : elles avaient déjà été approuvées par le ministre de l’intérieur, il y a un an, lors d’un Comité national de la sécurité dans les transports en commun.
Le texte en discussion se situe à bien des égards dans la continuité des aménagements intervenus depuis la loi du 18 mars 2003 relative à la sécurité intérieure. Lors de la discussion de cette loi, des interrogations avaient été formulées sur la légitimité des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP à exercer, notamment vis-à-vis des usagers, des missions à la limite des prérogatives des forces de l’ordre.
Actuellement, aux quelque 2 600 agents des forces de l’ordre mobilisés pour sécuriser les transports publics, s’ajoutent des agents agréés et assermentés des entreprises de transport. Travaillent aujourd’hui 2 800 agents sous statut SNCF et près de 1 600 agents au sein de la RATP.
Leurs compétences n’ont cessé de s’élargir. Ainsi, l’activité principale de la surveillance générale, la SUGE, service interne de sécurité de la SNCF, était encore orientée au début des années quatre-vingt-dix vers la gestion des problèmes internes ou créés par les usagers indélicats. Au fil du temps, la multiplication des incivilités et des violences contre les personnes ont conduit à une réorientation de ses missions. Actuellement, 80 % de ses effectifs sont consacrés à la lutte contre les atteintes aux personnes.
Ses personnels ont désormais des compétences étendues. Ils ont été habilités à procéder aux relevés d’identité avec une compétence nationale, puis autorisés à détenir des armes de catégorie B et D. Ils ont acquis en 2007 la possibilité de travailler sur la voie publique. Ils peuvent aujourd’hui relever par procès-verbal les infractions à la police des transports, exiger une pièce d’identité auprès des contrevenants, procéder à l’interpellation d’auteurs de crimes et délits, procéder à leur menottage, réaliser des palpations sommaires, saisir des marchandises mises en vente sans autorisation, réaliser des injonctions de descendre des trains ou de sortir des emprises.
La proposition de loi poursuit cette évolution. Elle tend à autoriser les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP à procéder, avec le consentement des passagers, à l’inspection visuelle des bagages, le cas échéant à leur fouille et, lorsque les circonstances le commandent, à des palpations de sécurité. Toute personne refusant de se soumettre à ces contrôles sera empêchée d’accéder aux transports en commun. Par ailleurs, la possibilité pour ces agents d’être dispensés du port de la tenue sera élargie pour faciliter la détection des infractions.
À ces mesures s’ajoutent des dispositions qui intéressent plus spécifiquement les officiers et agents de police judiciaire, qui pourront désormais procéder à l’inspection visuelle des bagages à main et à leur fouille sans l’accord des passagers pour les inspections visuelles, et sans la commission préalable d’un délit pour ce qui concerne les fouilles.
S’agissant de la lutte contre la fraude, la proposition de loi reprend largement les propositions des opérateurs pour réduire la facture annuelle, plus que conséquente, de la fraude. Il s’agit notamment d’instaurer un droit de communication entre les exploitants et les administrations publiques afin de faciliter la vérification des adresses des contrevenants, donc d’améliorer le taux de recouvrement des amendes.
L’autre mesure importante porte sur le délit de fraude d’habitude sanctionné de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende : le seuil actuellement fixé à dix contraventions passera à cinq sur une période inférieure ou égale à douze mois.
Indépendamment des appréciations que chacun peut porter sur le bien-fondé du renforcement des mesures de sécurité dans les gares et les transports publics de voyageurs, le texte soulève pour nous des interrogations sur les modalités de délégation des missions régaliennes de sécurité.
À l’heure actuelle, les personnels de sécurité de la SNCF et de la RATP disposent d’une délégation des missions de sécurité, en vertu des dispositions de la loi relative à la sécurité intérieure.
Cette exception leur a été accordée en raison de leur qualité d’entreprises publiques, investies de missions de service public et dont le personnel relève d’un statut particulier. Or nous assistons depuis quelques années à une banalisation des transferts de compétences et à un glissement progressif vers un régime de prestation marchande des services de sécurité.
Par la voie d’amendement, la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire a rendu obligatoire pour les services de sécurité de la SNCF, désormais logés dans l’EPIC de tête, d’effectuer des prestations au bénéfice d’opérateurs concurrents de la SNCF. Un pas a ainsi été franchi vers la filialisation de cette activité.
Ces remarques nous invitent à accueillir certaines mesures du texte avec circonspection. Nous nous interrogeons en particulier sur certaines dispositions introduites en commission, comme l’extension de la liste des agents pouvant constater des infractions au code des transports aux agents assermentés missionnés de l’exploitant du service de transport, qui vise à permettre à ces derniers de recourir à des sous-traitants.
Les mêmes remarques s’imposent en ce qui concerne l’extension à la province de la possibilité pour les réseaux de se doter de services de sûreté. Si la mesure représente une avancée en matière de recours à des sociétés privées, la question du statut des agents effectuant ces missions doit, selon nous, être posée.
Déléguer une partie de l’exercice de compétences régaliennes n’est pas un acte anodin et ne peut être réduit à des considérations d’efficacité économique et de libre marché.
Nous ne saurions donc nous situer dans une logique de banalisation de ces transferts de compétences.
Le glissement, qui semble s’opérer peu à peu de services de sécurité, qui tirent leur légitimité du statut quasi public de leurs agents, vers un régime de prestation marchande, au-delà du cadre de l’entreprise publique, soulève de sérieuses interrogations sur la garantie des libertés publiques et la responsabilité de l’État dans l’exercice de ses pouvoirs régaliens.
En tout état de cause, nous proposerons un amendement visant à inscrire dans la loi l’impossibilité de filialiser, donc de privatiser les services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP, et l’impossibilité de confier les missions de ces services à des prestataires privés.
Cette préoccupation, essentielle à nos yeux, rejoint la proposition de notre rapporteur de permettre aux polices municipales de prendre la compétence des services de sûreté des réseaux urbains de province. La situation des agents des entreprises investies de mission de service public peut être, en effet, rapprochée de celle des polices municipales, qui constituent un autre exemple de dévolution légitime d’une partie des attributions des forces publiques de sécurité nationale.
Ces observations étant faites, et malgré les réserves que nous inspirent certaines de ses dispositions, nous voterons la proposition de loi.
J’aimerais encore ajouter un mot. Monsieur le ministre, pourriez-vous lâcher une seconde votre iPad, même si cela semble bien difficile ? J’étais lundi dernier en Belgique. J’ai passé trois fois la frontière. Je n’ai vu ni un gendarme ni un policier. Avant de venir à l’Assemblée nationale mardi soir, entre vingt-deux heures et minuit, je suis passé par Senlis, commune que vous connaissez bien. Il n’y avait ni un gendarme ni un policier.
Vous avez annoncé tout à l’heure que vous ne relâcheriez pas la pression. Il me semble que nous constatons l’inverse.