Intervention de Danielle Auroi

Séance en hémicycle du 16 décembre 2015 à 21h30
Transports collectifs de voyageurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi :

Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, à mon tour de dire que nous sommes réunis ce soir pour étudier une proposition qui a changé de nature depuis son dépôt, dans un contexte lourd, marqué par les massacres de masse du 13 novembre dernier. Personne ne peut les chasser de ses pensées ; personne ne peut oublier l’attentat contre Charlie Hebdo, non plus que les différents massacres qui ont eu lieu récemment en Tunisie, ou la tentative d’attentat qui a eu lieu dans le Thalys.

Nous savons tous cependant qu’on ne fait pas de bonne loi dans l’urgence ni la peur. Je sais aussi que nous sommes tous attachés à garantir nos principes démocratiques. Il s’agit donc de discerner ce qui relève de la lutte contre le terrorisme de ce qui relève de la lutte contre la fraude. Comme on le constate, malheureusement, pour un certain nombre de perquisitions administratives récentes, le mélange des genres recèle de grands périls.

Il est question, dans cette proposition de loi, de la sécurité des voyageurs dans les transports terrestres. Comme l’a rappelé M. le rapporteur, au cours des années passées, les villes de Madrid et Londres – pour ne prendre que ces deux exemples – ont payé un lourd tribut au terrorisme. Il faut donc, évidemment, assurer la sécurité des voyageurs et du personnel de ces transports. Il faut toutefois se garder des abus, car le nombre de personnes transportées est énorme !

Nous devons veiller en permanence à préserver à la fois la sécurité et les droits et libertés de nos concitoyens ; pour cela, il faut s’assurer que nul ne soit victime de discrimination. Nous en sommes tous conscients, il me semble : la question des transports terrestres est complexe, diffuse ; on peut l’aborder de multiples manières, mais toutes sont difficiles.

Ce texte a évolué en commission. La constitutionnalité et la proportionnalité de certaines dispositions introduites à cette occasion sont contestables. Je me permets de féliciter M. le rapporteur d’avoir pris le temps de la réflexion, et d’avoir déposé des amendements visant à en retirer certaines – je pense notamment, à cet égard, à l’autorisation, pour les agents des services de sécurité de la RAPT et de la SNCF, de procéder à des fouilles et à des palpations.

D’autres mesures de ce texte posent des questions difficiles, car les agents et les cheminots risquent de se trouver investis de missions de sécurité qu’ils ne sont pas formés à assurer. De fait, est-il souhaitable de transformer des personnels des transports en commun en quasi-agents de police judiciaire, sans la formation ni les exigences déontologiques correspondantes ? Le Défenseur des droits a d’ailleurs souligné la nécessité de renforcer les règles déontologiques, compte tenu du renforcement important des prérogatives des agents, prévues notamment à l’article 1er.

C’est pourquoi les députés écologistes – en tout cas certains d’entre eux – ont déposé plusieurs amendements, notamment pour établir un code de déontologie applicable aux agents des services de sécurité internes à la SNCF et à la RATP, et pour renforcer leur formation, tant initiale que continue. Je suis heureuse que la commission du développement durable se soit déclarée favorable à ces amendements.

Je précise également qu’il y a des cas de radicalisation de certains agents. C’est vrai à la RATP ; c’est vrai aussi dans ma ville, Clermont-Ferrand, où la compagnie de transports en commun T2C a dû faire face à la radicalisation de certains agents. Nous voyons bien que cette question est complexe !

Une autre question se pose : celle de la traçabilité des contrôles. Le Défenseur des droits s’est en effet interrogé sur ce point. Dès lors que de nouveaux types de contrôle, de palpation ou de fouille sont autorisés, il semble nécessaire d’en assurer la traçabilité. La question des contrôles au faciès reste très sensible.

D’autres mesures restent, à ce stade, contestables ; je crains ainsi que les billets nominatifs visent plus à lutter contre la revente de billets dits Prem’s qu’à combattre le terrorisme. De même, la sous-traitance en matière de contrôle des titres de transport mériterait d’être plus sévèrement encadrée. Enfin, la nouvelle obligation de présenter un titre d’identité en cas de fraude, le défaut de pièce d’identité étant puni d’une contravention de troisième classe, me semble être un changement important. Puisque M. le rapporteur a déposé une proposition de résolution européenne, je rappelle que dans certains États européens, par exemple le Royaume-Uni, il n’existe pas de carte d’identité. Il faudrait donc examiner comment harmoniser cela au niveau européen.

Nous défendrons d’autres amendements visant à lutter contre le harcèlement sexiste dans les transports en commun, y compris à propos de la formation des agents. Après des années de déni, nous saluons le volontarisme du Gouvernement, qui a présenté un plan sur ce sujet, pour faire suite aux préconisations du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Le rapport de cette instance, publié en avril 2015, souligne en effet que 100 % des utilisatrices des transports en commun ont vécu au moins une situation de harcèlement sexiste ou d’agression sexuelle.

Des amendements de nos collègues socialistes sur cette question ont été adoptés en commission, mais il me semble nécessaire d’aller au-delà : il convient de mettre à la disposition des usagers une plate-forme de signalement qui permettrait non seulement de déposer une plainte en cas d’infraction ou de harcèlement, mais aussi d’identifier les éventuelles liaisons de transports à risque, afin d’adapter les dispositifs de sûreté. Nous souhaitons également généraliser les arrêts à la demande dans les bus de nuit.

Reste la question du financement des opérations proposées. Une augmentation, même minime, du prix des billets, risque de détourner des transports ferroviaires les personnes qui ont des revenus modestes, et qui se sentent déjà discriminées. Il faut donc, à ce sujet, être très prudent, ou trouver une autre manière d’augmenter les impôts.

Vous voyez, mes chers collègues, que nous portons un regard à la fois critique et constructif sur ce texte, qui comporte un arsenal de mesures peut-être trop touffu et trop sécuritaire. Certaines dispositions nous semblent faire peser un risque sur les libertés publiques ; d’autres seront bienvenues pour rendre les transports plus sûrs pour tous, et pour lutter contre la fraude. C’est pourquoi nous nous abstiendrons sur cette proposition de loi.

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