Depuis le début de nos travaux, nous avons affirmé collectivement notre conviction que les personnes prostituées doivent être considérées comme des victimes, et accompagnées dans un parcours de sortie de la prostitution. Nous nous sommes également entendus pour désigner les coupables : les proxénètes, et les réseaux de plus en plus mondialisés qui exploitent la misère.
Notre texte serait bancal s'il continuait de fermer les yeux sur l'existence d'un troisième acteur : les clients. Sans eux, ce marché, cette exploitation, ces violences, n'existeraient pas. Il existe d'ailleurs déjà en France une catégorie de clients qui commettent un délit : ceux qui recourent à la prostitution des mineurs. Or, on constate que dans bien des cas, l'intention délictuelle ne peut être retenue contre eux, car ils arguent qu'ils ignoraient l'âge de la personne prostituée, et qu'ils ne pouvaient dès lors avoir conscience qu'ils commettaient un acte interdit.
C'est là tout l'enjeu : faire prendre conscience, pour que nul ne puisse dire : « je ne savais pas ». « Je ne savais pas » qu'elle était mineure, « je ne savais pas » qu'elle avait été vendue par sa famille à un réseau, « je ne savais pas » qu'elle devait rembourser plusieurs milliers d'euros à ceux qui l'ont fait venir en France, « je ne savais pas » qu'elle exerçait cette activité sous la menace…
Nous sommes donc face à une alternative : fermer les yeux et tolérer que les clients soient des complices irresponsables ; ou bien distinguer clairement ce qui s'achète de ce qui ne s'achète pas. Le corps humain n'est pas une marchandise ; les services sexuels, pas plus qu'un organe ou une grossesse, ne doivent pouvoir s'acheter. Disposer librement de son corps, ce n'est pas vendre à autrui le droit d'en disposer.
Si nous ne posions pas ce principe, tout ce sur quoi nous sommes d'accord par ailleurs serait en réalité bien vide.