Intervention de Jean-Louis Roumegas

Réunion du 16 décembre 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Roumegas, rapporteur :

Je commencerai la présentation de cette proposition de loi en évoquant les mots prononcés par le Président de la République lors de la Conférence environnementale de novembre 2014 : « Le XXIe siècle doit être le siècle de l'hygiène chimique ». Il faisait référence à l'augmentation des maladies chroniques, des cancers, des maladies cardio-vasculaires, des maladies respiratoires, de l'obésité, du diabète, des maladies neurologiques, des troubles de la reproduction, qui menacent la santé des populations et la pérennité de nos systèmes de santé.

Les chiffres de l'assurance maladie sont têtus : songez que, si le taux des maladies chroniques était le même qu'il y a quinze ans, le déficit de l'assurance maladie serait nul.

La vision classique d'une augmentation de ces maladies liée au vieillissement de la population, à la sédentarité, aux progrès du dépistage et aux seules conséquences du tabagisme et de l'alcool, apparaît de moins en moins pertinente.

Nous disposons de tous les éléments pour comprendre que la diminution de l'espérance de vie en bonne santé de nos populations est l'indicateur d'une mauvaise qualité de notre environnement et que toute dégradation de celui-ci a un impact sur notre santé.

Cette proposition de loi apporte un début de réponse à l'épidémie de maladies chroniques reconnues par l'OMS, en agissant à la source des pollutions causées par les substances toxiques. Cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), perturbateurs endocriniens, polluants volatils, métaux lourds, nanomatériaux, additifs alimentaires sont autant de substances auxquelles nous sommes exposés quotidiennement et tout au long de la vie.

S'il est un constat que nous devons partager, c'est que le temps de la chimie ne sera jamais celui de la réglementation : 100 millions de substances chimiques sont répertoriées dans le monde, il s'en invente 10 000 par jour, 143 000 sont en circulation dans l'Union européenne, et le règlement REACH n'en cible que 30 000.

Oui, à l'échelon européen, REACH a constitué une avancée juridique majeure. Pour la première fois, des obligations ont renversé la charge de la preuve des autorités publiques vers l'industrie. Ce règlement est une source d'inspiration pour plusieurs pays dans le monde.

Non, REACH ne suffit pas aujourd'hui à protéger efficacement nos populations.

Ce fut l'objet d'un long débat lors de sa création : le règlement REACH est basé sur le principe de gestion, non sur celui de substitution. En dehors de trente substances dites « soumises à autorisation », rien n'oblige les industriels à substituer une substance – CMR, par exemple – reconnue toxique au-delà d'un certain seuil, même lorsqu'il existe sur le marché une alternative à coût économique raisonnable. Cette logique est inadaptée au nouveau paradigme toxicologique qui s'impose avec les perturbateurs endocriniens : les effets sur la santé sont plus nocifs à faible dose qu'à forte dose, et lorsque les substances interagissent entre elles par « effet cocktail ».

De plus, faute de moyens, seuls 5 % des dossiers sont effectivement contrôlés, alors que, selon l'Agence européenne des produits chimiques, 60 % des dossiers sont incomplets. Ce constat est partagé par les gouvernements des pays scandinaves qui ont appelé, dans une lettre à la Commission européenne de mars 2015, à mettre en place des réponses complémentaires à REACH.

À ceux qui considèrent que la France doit attendre un battement de cil de la Commission européenne pour agir à l'échelon national, a fortiori en matière de santé publique, je veux dire ceci : cette posture désespère les populations, qui l'expriment dans les urnes – je vous renvoie au scrutin de dimanche dernier…

À la minute où je vous parle, la Cour européenne de justice rend son jugement sur la plainte déposée par la Suède contre la Commission européenne pour n'avoir pas établi, comme elle s'y était engagée, une définition des perturbateurs endocriniens, en 2013. Je rappelle que la France s'est jointe à la plainte de la Suède et que la Commission européenne a été condamnée ce matin. Combien d'années faudra-t-il avant de répondre à nos concitoyens qui, étude après étude, découvrent qu'ils sont exposés à des perturbateurs endocriniens dans leur alimentation, l'eau qu'ils boivent, leurs vêtements, leurs meubles, leurs produits d'entretien, leurs poches de perfusion ou les jouets de leurs enfants ?

L'ONG ChemSec, dans une liste qui sert de référence à la Commission européenne, évalue à 830 les substances hautement préoccupantes selon les critères de REACH, mais qui ne sont aujourd'hui ciblées par aucun règlement : au rythme de REACH – trente substances « soumises à autorisation » depuis 2007 –, il faudra 100 ans pour inciter les industriels à substituer ces substances.

Je vous propose donc d'examiner un dispositif visant à intégrer le principe de substitution dans le cadre réglementaire national et dans le respect des contraintes imposées par le droit européen. Le principe de substitution peut être défini comme le « remplacement des substances dangereuses par des alternatives sans danger, quand de telles alternatives existent et à un coût économique raisonnable ».

Pour certaines entreprises, la substitution constitue déjà un objectif à atteindre. Néanmoins, plusieurs études s'accordent sur le fait qu'en l'absence d'incitation réglementaire, la substitution sera marginale : un rapport de l'OCDE de 2003 démontre l'inefficacité des approches volontaires, tant sur l'étendue des démarches que d'un point de vue économique.

Les interventions du législateur sont donc particulièrement indiquées pour favoriser l'innovation dans le secteur de la chimie, sujet à une grande inertie due à de fortes économies d'échelle et à des lacunes dans l'information des consommateurs.

L'innovation est d'autant plus nécessaire que l'industrie chimique est confrontée à la pression croissante des consommateurs, des détaillants et des investisseurs, qui exigent des produits plus sûrs. Un climat anxiogène, parfois irrationnel, dicté par la rumeur, fragilise l'industrie. Dans le même temps, les économies émergentes se positionnent pour devenir des leaders de la chimie innovante.

Enfin, les entreprises qui adoptent des pratiques exemplaires peinent à faire valoir leurs efforts et à y trouver un avantage compétitif. Elles observent que l'Agence européenne des produits chimiques n'affiche que les aspects négatifs de la chimie et ne valorise pas la substitution, car son rôle se limite à la gestion des aspects négatifs.

Au vu de ce contexte, le moment est opportun pour imaginer une stratégie de substitution des substances chimiques préoccupantes et remettre la chimie au service du bien-être de nos populations.

Je tiens, à ce stade, à préciser la méthode qui a guidé cette proposition de loi. Nous avons mené, dans le cadre de mon rapport d'information sur les perturbateurs endocriniens en 2013, puis au cours de ces derniers mois, une vingtaine d'auditions, des agences sanitaires – l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), et l'institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) –, aux entreprises, comme Carrefour, ou aux producteurs, comme Bayer, l'Union des industries chimiques, la Fédération des cosmétiques – majors et PME –, la Fédération des entreprises de la beauté (FEBEA), COSMED et Solvay, en passant par les organisations non gouvernementales (ONG) nationales et européennes et les cabinets de consulting, qui font déjà du conseil aux entreprises en matière de substitution.

Cette proposition de loi pose des principes d'intérêt général. Le dialogue doit permettre d'affiner le dispositif, au service de la protection des populations et dans un esprit de confiance restaurée entre services publics, État, industries et consommateurs.

Le dispositif préconisé par cette proposition de loi reconnaît dans son article 1er un devoir d'audit des substances chimiques préoccupantes et des alternatives existantes, sur la base d'une liste qui serait définie par le Gouvernement. Le pari central du dispositif est qu'un processus de recensement obligatoire est nécessaire pour faire découvrir aux entreprises des possibilités de substitution ou d'usage différent, et les inciter à les adopter. Ce devoir de recensement consiste simplement en une obligation de moyens : la mise en oeuvre des options identifiées dans le plan est volontaire. Son degré d'analyse et, par conséquent, son coût, sont modestes.

Notre ambition n'est réalisable qu'à condition d'accompagner les entreprises. En France, l'aide technique à la substitution se limite à un site internet proposé par l'Anses sur le partage d'expériences de substitution réussies de substances CMR et à un accompagnement de l'INERIS pour la substitution du seul bisphénol A.

Au niveau européen, il n'existe pas non plus de plateforme officielle d'aide à la substitution, mais il existe des plateformes associatives et des plateformes nationales dans les pays scandinaves.

Nous proposons que l'INERIS mette en place une banque de données de substitutions réussies ou de pistes de substitution pour les substances de la liste définie. La plateforme de l'INERIS permettra également aux entreprises de savoir sur quelles substances elles pourraient mutualiser leurs efforts de recherche en matière de substitution.

Nous proposons également que le Gouvernement établisse un label qui valorise les démarches vertueuses. Il pourrait s'agir d'un label rassurant les investisseurs des entreprises concernées sur le degré d'anticipation des entreprises vis-à-vis de la réglementation chimique.

Nous proposons enfin, à l'article 2, une incitation fiscale, sous la forme d'une majoration du crédit d'impôt recherche pour les entreprises ayant réalisé des démarches de substitution vertueuses.

Enfin, à l'article 3, nous proposons un étiquetage pour les produits contenant des substances ayant fait l'objet de recommandations particulières de l'Anses et qui ne font l'objet que d'une publication sur internet. L'étiquetage est aussi une mesure d'incitation pour l'ensemble des entreprises du secteur.

Il ne s'agit pas d'une surtransposition puisqu'en termes réglementaires, il n'y a pas d'obligation nouvelle pour les entreprises. Nous nous en tenons aux obligations réglementaires au niveau européen. Ce texte propose une information, une sensibilisation et une incitation pour les entreprises françaises à aller vers une innovation ciblée dans le sens d'une meilleure protection sanitaire des populations.

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