Intervention de Jean-Louis Roumegas

Réunion du 16 décembre 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Roumegas, rapporteur :

Vos nombreuses interventions témoignent de votre intérêt pour le sujet abordé, à défaut de partager les solutions proposées. La question de la substitution est un sujet d'avenir : la Commission européenne commence à y travailler ; des ONG proposent déjà des démarches de substitution au niveau européen ; et tout le monde conçoit la nécessité de compléter la réglementation actuelle avec le principe de substitution. La simple démarche d'interdiction ou d'autorisation prévue par la réglementation actuelle n'est pas suffisante, il faut une démarche positive, et c'est l'esprit de cette proposition de loi.

Je remercie Jean-Yves Caullet de sa bonne compréhension de la proposition de loi. Il s'agit en effet d'une démarche positive, et non pas d'écologie punitive. Je suis tout à fait disposé à faire évoluer le texte d'ici à son examen en séance publique, nous avons déjà pris langue avec les différents ministères pour améliorer le dispositif et le rendre plus opérationnel.

Le sujet de l'incitation peut bien entendu évoluer : le bonus au crédit d'impôt recherche n'est qu'une proposition. Pour avoir auditionné les entreprises, je peux vous dire qu'elles attendent que l'éligibilité de la recherche et du développement en matière de substitution soit mieux reconnue. Alors que certains rapports parlementaires ont dénoncé une affectation à mauvais escient du crédit impôt recherche, nous aurions intérêt à le cibler sur des objectifs sanitaires.

Le caractère obligatoire de l'audit est la seule obligation prévue par le texte. Il faut au moins informer les gens, mais il n'y a pas ensuite d'obligation d'action : nous respectons le cadre réglementaire européen. Faut-il renoncer à cette obligation d'information, de sensibilisation et de diagnostic ? Une telle obligation de diagnostic a été instituée en matière thermique sans l'assortir d'une obligation de travaux. Je suis prêt à réfléchir à d'autres solutions si elles ont l'appui du Gouvernement, telles qu'une incitation suffisamment forte pour être efficace. Mais ce serait dommage, car il ne s'agit pas d'une obligation coûteuse pour les entreprises.

Monsieur Jean-Marie Sermier, vous prétendez, avec plusieurs de vos collègues du groupe Les Républicains, que cette proposition va au-delà du cadre européen. Ce n'est pas le cas : nous ne modifions pas la réglementation, il s'agit toujours d'appliquer la réglementation européenne, en particulier REACH et les réglementations sur les cosmétiques, les produits phytosanitaires, les biocides, et j'en passe. Il s'agit simplement d'aider les entreprises à s'adapter à ces réglementations et à anticiper davantage leur évolution. Certaines entreprises le font déjà, j'en conviens, mais pas toutes. Ce n'est d'ailleurs pas fait de façon ciblée du point de vue sanitaire ; les adaptations répondent davantage à des objectifs de marketing qu'à de réelles évolutions durables.

Prenons l'exemple des parabènes. Les entreprises, sous la pression des distributeurs et des consommateurs, ont remplacé les parabènes par le methylisothiazolinone, ou MIT, qui pose d'autres problèmes toxiques, en particulier d'allergies. Cette substitution a répondu à un besoin marketing, mais elle aurait mérité d'être instruite par les pouvoirs publics pour mieux orienter les entreprises et les consommateurs. C'est l'exemple d'une substitution sur laquelle les entreprises ont investi mais qui n'a pas eu d'effet durable et qui n'a pas apporté d'amélioration pour la population. Nous proposons une autre démarche.

Il ne s'agit donc pas de créer un climat anxiogène, mais plutôt de sortir du climat de rumeur et de réaction irrationnelle ou marketing, soumis à l'émotion médiatique, pour aller vers une démarche raisonnée, appuyée par les pouvoirs publics. Cela permettrait aux entreprises de s'engager dans une démarche plus rationnelle et plus durable. La plateforme que nous proposons de mettre en place sous l'égide de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques – l'INERIS – peut donner aux entreprises des informations sur les substitutions qui ne sont pas sûres et qu'il ne convient pas de faire en l'état.

Monsieur Yannick Favennec, je pense effectivement que le diagnostic n'a pas à être annuel, un diagnostic tous les cinq ans pourrait suffire. Nos auditions se sont déroulées sous forme de tables rondes réunissant les industries, les organisations non-gouvernementales, les services de l'État, les agences sanitaires et les bureaux d'études qui pratiquent déjà ce type de diagnostic. Ce format a permis de nous assurer qu'il ne s'agissait pas d'une contrainte lourde. Cela n'a rien de comparable à ce qui est fait lorsque l'on évalue une substance avant son autorisation, c'est un simple diagnostic sur la présence de substances préoccupantes.

La liste de ces substances préoccupantes devra par ailleurs être établie par le Gouvernement. Cela peut être la liste candidate de REACH, ou bien aller au-delà, car nos agences sanitaires font elles-mêmes des recommandations, à l'instar de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail. Cette liste devra être évolutive, et il n'est évidemment pas question de la fixer dans une loi.

Le travail de diagnostic est donc simple : il s'agit de faire un recensement des substances préoccupantes figurant dans cette liste, et de proposer les substitutions déjà connues. Il est question non pas d'évaluer de nouveaux procédés ou de nouvelles substances, mais simplement de prévenir les entreprises que des expériences de substitution déjà connues peuvent être mises en oeuvre. C'est donc un diagnostic simple, dont le coût a été estimé par les bureaux d'études entre 5 000 et 10 000 euros selon la taille des entreprises et le nombre de substances utilisées.

L'obligation faite aux entreprises peut très bien être modulée dans le temps, ou échelonnée en fonction de la taille des entreprises. Nous pourrions y réfléchir d'ici à l'examen en séance publique. Pour des grandes entreprises ou des PME, le coût est négligeable, mais je conçois que cela puisse poser un problème pour les TPE.

Je remercie Laurence Abeille d'avoir insisté sur le coût de l'inaction. Si la présente proposition ne représente qu'un marché de quelques centaines de millions d'euros au niveau national, l'inaction, elle, se traduirait par un coût de plusieurs milliards du fait des maladies respiratoires et d'autres maladies chroniques déclenchées aussi bien par la pollution de l'air extérieur que de celle de l'air intérieur – de ce point de vue, je vous renvoie à la notion d'exposum, aujourd'hui reconnue et introduite dans le code de la santé publique.

Je remercie nos collègues du groupe Les Républicains pour leurs interventions, qui ont souvent eu pour objet de souligner l'importance de ne pas surréglementer, afin de ne pas trop compliquer la vie des entreprises. Je veux dissiper tout malentendu : le seul point de la proposition qui pourrait éventuellement être considéré comme une surréglementation serait l'obligation pour les entreprises de réaliser un audit, si cette obligation était maintenue. Peut-être l'obligation d'établir un diagnostic est-elle insoutenable pour certaines entreprises, et je suis disposé à faire évoluer le texte en tenant compte de cette difficulté. Tout le reste de la proposition repose sur le principe du volontariat : il ne s'agit que d'inciter et de soutenir les entreprises allant dans le bon sens, et non d'imposer de nouvelles réglementations – ce qui serait de toute façon impossible.

J'en profite pour vous indiquer que, dans l'affaire des perturbateurs endocriniens, la Cour de justice de l'Union européenne, saisie par la Suède, vient de condamner la Commission européenne pour carence. Il est dangereux de laisser croire aux gens que l'on ne peut rien faire parce que l'Europe nous empêche d'agir : une telle attitude peut faire des dégâts, notamment sur le plan électoral, comme nous l'avons vu récemment. Tel n'est pas le cas avec ce texte, notre proposition ne relevant pas de la dimension européenne : tout ce qui a trait aux incitations fiscales, à l'information aux entreprises et à l'adaptation de celles-ci s'inscrit uniquement dans le cadre des politiques économiques et fiscales de niveau national, et il n'est pas prévu d'évolution constitutionnelle au niveau européen, ni de modification des traités de nature à inverser le cours des choses. Renvoyer à une harmonisation européenne pour se dispenser d'agir, cela revient à dire que l'on renonce à toute politique économique ou fiscale tant qu'il ne se passe rien au niveau européen : il me paraît difficile de soutenir un tel point de vue.

En conclusion, je voudrais vous citer un exemple concret et vous indiquer quels ont été les effets, sur les plans sanitaire et économique, d'une réglementation similaire à celle que nous proposons. Aux États-Unis, dans l'État du Massachusetts – donc dans un cadre fédéral, beaucoup plus intégré que le cadre européen, sur le plan économique comme sur le plan réglementaire –, il existe une loi appelée Toxics Use Reduction Act (TURA), qui impose aux entreprises un recensement des produits chimiques utilisés et une planification visant à réduire ces produits chimiques, avec l'accompagnement d'agences d'État. Vingt ans après l'entrée en vigueur de cette loi, l'utilisation des produits toxiques a été divisée par deux, et la dispersion environnementale de ces produits a été diminuée de 90 %, ce qui n'empêche pas le Massachusetts d'être un État à l'économie florissante, abritant le MIT de Cambridge, mais aussi des entreprises en pointe au niveau mondial dans le secteur de l'innovation technologique.

Nous proposons pour notre part un dispositif plus simple, prévoyant l'accompagnement par des agences d'État, mais aussi l'intervention d'un nouvel acteur, le conseil sanitaire pour les entreprises. Ce métier existe déjà, sous la forme de bureaux d'études qui ne demandent qu'à se développer : ce serait un moteur de croissance et un moteur pour l'innovation des entreprises. Je vous invite, mes chers collègues, à y voir une aide à l'innovation et à la croissance – une croissance dirigée vers un secteur d'avenir, à savoir le mieux-être sanitaire de nos populations – plutôt qu'un frein au développement des entreprises.

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