Je suis accompagné pour vous présenter le rapport de la Cour par M. Gilles Pierre-Lévy, qui en a été le contre-rapporteur, ainsi que par deux des rapporteurs, M. Pierre Rolland et Mme Mylène Girard.
Les conventions de revitalisation sont un dispositif original. Codifiées au code du travail, elles s'imposent aux entreprises de mille salariés et plus qui procèdent à des licenciements collectifs, ainsi qu'aux entreprises volontaires d'au moins cinquante salariés qui appartiennent à un groupe de plus de mille salariés.
Ce dispositif vise donc essentiellement à soutenir l'activité économique des territoires mis en difficulté par des licenciements. Le principe en est que les entreprises concernées doivent verser une contribution, destinée à revitaliser le bassin d'emploi touché, en atténuant l'effet des licenciements.
La convention doit être signée dans un délai de six mois à compter de la notification du plan de sauvegarde de l'emploi. À défaut, l'entreprise est tenue de verser au Trésor public une contribution équivalant à quatre fois la valeur mensuelle du SMIC par emploi supprimé. Plus fondamentalement, la loi encadre le montant de la contribution de l'entreprise entre un plancher de deux fois et un plafond de quatre fois la valeur mensuelle du SMIC par emploi supprimé. Entre ces seuils, c'est le préfet de département qui a la responsabilité de fixer le montant applicable à l'entreprise.
Le fait générateur de l'obligation de conventionner pour les entreprises de plus de mille salariés est donc le fait de procéder à un licenciement collectif qui affecte par son ampleur le bassin d'emploi dans lequel elles sont implantées, sachant que le préfet dispose d'un délai d'un mois à partir de la validation du plan de sauvegarde de l'emploi pour faire savoir à l'entreprise si elle est ou non soumise à l'obligation de revitalisation.
Il est important de souligner ici que les fonds versés, s'ils concourent à la politique publique de l'emploi, ne sont en aucun cas des fonds publics. Ils sont mis à disposition par l'entreprise pour revitaliser le territoire et demeurent sa propriété jusqu'à la fin de la mise en oeuvre de la convention. Ce sont donc des fonds privés : c'est l'entreprise, et non les acteurs publics, qui décident in fine de l'usage de ces fonds, et si, d'aventure, il se trouvait qu'à la suite d'un changement dans la procédure, l'État prenne la main sur ces fonds, le risque serait qu'ils soient requalifiés en aides d'État.
Ce dispositif est d'une ampleur relativement limitée, mais donne des résultats réels. De 2002 à 2014, environ 1 400 conventions de revitalisation ont été signées, représentant un total de plus de 700 millions d'euros de contributions d'entreprises. En moyenne, 100 à 120 conventions sont signées chaque année, pour une contribution moyenne d'environ 50 millions d'euros et un objectif de création d'emplois se situant entre 10 000 et 12 000 emplois par an.
L'utilité du dispositif est reconnue par l'ensemble des acteurs locaux. Il présente l'intérêt de permettre un travail partenarial entre l'ensemble des intervenants, et donne la possibilité aux entreprises et aux parties prenantes locales de s'approprier cette démarche de revitalisation.
Pour autant, la Cour, dans son instruction, a relevé un certain nombre de difficultés. La première tient au fait que les pratiques locales sont diverses, ce qui ne favorise pas une mobilisation toujours optimale des services de l'État, lesquels peinent à identifier, parmi la multiplicité des intervenants, un chef de file susceptible de prendre en charge le pilotage et d'être l'interlocuteur des entreprises concernées.
L'implication des entreprises peut également être variable. Dans la grande majorité des cas que nous avons étudiés, les entreprises se sont engagées dans le processus de revitalisation. Cependant, lorsqu'elles quittent le territoire ou lorsqu'elles sont rattachées à des groupes étrangers, cette implication peut être réduite et se limiter au simple versement de la contribution.
Il faut également souligner la faiblesse du pilotage national liée au manque de fiabilité des outils de suivi. Ce pilotage est d'autant plus complexe que les parties prenantes sont très nombreuses, incluant plusieurs services de l'État, des acteurs économiques, les collectivités locales, soit parfois une trentaine d'acteurs, qui peuvent être amenés à se prononcer sur un projet de convention, ce qui à la fois crée les conditions favorables au développement de synergies locales mais comporte aussi un risque d'alourdissement des processus. Les comités de suivi et les comités d'engagement peuvent notamment être trop importants. Ce n'est pas toujours un bon signal pour les entreprises qui peuvent se sentir engagées dans un rapport de force déséquilibré.
Dans ce contexte, on observe que les délais administratifs sont trop courts pour l'État, qui n'a qu'un mois pour justifier sa décision d'assujettissement à l'obligation de revitalisation. Cela suppose qu'il dispose de données actualisées lui permettant notamment de démontrer et de mesurer l'impact des licenciements sur le territoire ; or, ce n'est pas toujours le cas compte tenu de la multiplicité des sources et du manque de coordination des services. Nous avons ainsi pu constater le cas de deux entreprises qui avaient échappé à l'obligation d'assujettissement simplement parce que les délais avaient été dépassés. C'est la raison pour laquelle la direction responsable, à savoir la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) a engagé une réflexion sur l'allongement du délai dont disposent les services de l'État pour décider de l'assujettissement des entreprises.
On constate par ailleurs la quasi-absence d'études d'impact, dont la réalisation pourrait être déléguée à l'entreprise mais ne l'est que très rarement. C'est une des faiblesses de la procédure car cela fragilise la motivation de la décision d'assujettissement du préfet et, partant, augmente le risque de recours. Si le taux de recours reste faible – il était en 2014 de 5,5 % pour les recours hiérarchiques et de 1,6 % pour les recours contentieux –, il est néanmoins en progression, et les tribunaux administratifs ont annulé plusieurs décisions d'assujettissement rendues par les préfets pour défaut de motivation et insuffisance de la démarche contradictoire.
En ce qui concerne à présent à la mise en oeuvre concrète de ces conventions de revitalisation, il faut s'arrêter un instant sur le rôle des prestataires et sur les conditions dans lesquelles ils remplissent leur mission. Dans sept cas sur dix en effet, les entreprises ont recours à un cabinet de conseil pour les assister dans la mise en oeuvre de la convention. La définition de la mission confiée à ces prestataires apparaît parfois insuffisante mais le problème essentiel est surtout celui de la rémunération de ces cabinets : la Cour a ainsi constaté d'importants écarts de rémunération, les frais de conseil pouvant aller de 6 % à plus de 30 % du coût global de la convention. Ces écarts sont encore plus importants – de un à neuf – si l'on rapporte les coûts d'intervention des prestataires aux objectifs de création d'emplois. Afin de corriger cette situation, la DGEFP s'est engagée à mettre en oeuvre un suivi plus resserré de l'action des prestataires en définissant un référentiel permettant notamment de mieux préciser les conditions de rémunération.
Une autre question latente est celle de la mutualisation des fonds, qui concerne environ une convention sur cinq, l'idée étant de mettre en commun les financements mis à disposition par plusieurs conventions sur un même territoire, pour accroître l'effet de levier des actions de revitalisation, optimiser le suivi et la coordination des conventions, éviter la concurrence entre territoires, et atteindre enfin un niveau de financement permettant de dépasser un simple objectif de création d'emplois au profit d'une logique plus large de dynamisation du territoire.
Le coût de la mutualisation est inférieur à celui du recours aux prestataires, généralement plafonné entre 9,5 % et 15 % des contributions versées. Des difficultés peuvent surgir en revanche de l'absence de cadre juridique précis dans lequel s'opère la mutualisation. Ainsi, si le préfet, dans le cadre de cette mutualisation, se trouve en position de décider du fléchage des financements, il peut exister un risque de requalification des aides accordées en aides d'État. Je peux citer deux cas, en Ille-et-Vilaine et en Île-de-France, dans lesquels, pour éviter ce risque, des associations ont été créées, composées uniquement de personnes privées. Là encore, la DGEFP a créé un groupe de travail pour définir un montage type permettant de sécuriser le recours à ces structures de mutualisation.
Pour ce qui concerne enfin les effets de ces conventions sur l'emploi, au plan national, le taux de réalisation par rapport aux objectifs d'emplois créés est de l'ordre de 85 %, ce qui est satisfaisant. La réalité que recouvre cette moyenne mérite néanmoins d'être questionnée : elle ne correspond à rien de ce qu'ont révélé nos études, qui ont fait apparaître en revanche des écarts de performance très importants, allant du simple au triple. La véritable difficulté est que l'on manque d'une évaluation systématique et de bilans types de ces conventions de revitalisation, les indicateurs de performance servant à l'évaluation n'étant guère harmonisés.
La circulaire de 2012, qui fonde cette mesure de performance, distingue les emplois créés, les emplois maintenus, les emplois prévisionnels ou programmés ainsi que des « équivalents emploi » – par exemple des frais d'études divisés par le montant du SMIC. En réalité, parmi ces indicateurs de performance, les emplois créés sont les seuls qui correspondent véritablement à de la création d'emploi. Or, on constate des effets de substitution, notamment lorsque les conventions permettent le recrutement de publics éligibles au détriment d'autres personnes qui auraient été embauchées sans les incitations financières. Il existe également des effets d'aubaine, et il est difficile de déterminer si les emplois créés ne l'auraient pas été sans la convention.
De surcroît, mesurer de manière pertinente l'efficacité du dispositif nécessiterait son évaluation sur la durée. Or, on néglige trop souvent ce facteur temps lorsque l'on évalue la capacité d'une convention à créer des emplois pérennes. L'ensemble des acteurs de terrain que nous avons interrogés estiment qu'il faudrait au moins deux ou trois ans après la clôture du dispositif pour en apprécier l'efficacité réelle.
En définitive, les conventions de revitalisation sont un dispositif original, dont le coût reste mesuré, puisque nous avons estimé que le coût moyen par emploi créé se situait entre 2 500 et 9 000 euros. Si l'on identifie aisément les avantages qu'il offre en permettant la mise en oeuvre d'une politique qui responsabilise l'entreprise qui licencie, met à la disposition du territoire des moyens financiers qui s'ajoutent à l'effort budgétaire des collectivités publiques et favorise le dialogue entre l'ensemble des responsables économiques d'un bassin d'emploi sinistré, la disparité des situations sur les territoires fait apparaître des difficultés, tant en ce qui concerne les entreprises, qui peuvent percevoir la contribution à la revitalisation du territoire comme une simple taxation et ne pas s'impliquer dans le processus – cas qui demeure heureusement fort marginal – qu'en ce qui concerne l'État, dont les services déconcentrés manquent d'outils de pilotage.
La Cour conclut donc à l'existence de marges de progression, pour améliorer la gestion du dispositif. Le rapport comporte ainsi un certain nombre de recommandations techniques, qui portent essentiellement sur les délais de négociation, la détermination des indicateurs, le référentiel de coût pour les prestataires et la définition des structures juridiques qui permettraient de sécuriser les opérations de mutualisation.