Je vous remercie pour l'intérêt que vous portez à ce texte, au point que vous m'avez suggéré certaines pistes qui ne se trouvent pas dans le projet de rapport.
Pourquoi se limiter au secteur public et ne pas étendre le dispositif aux chaînes privées ? Dans la mesure où plusieurs amendements portent sur la question, j'y reviendrai au moment de leur examen.
La publicité n'est certes pas à l'origine de l'obésité, mais elle en est un facteur aggravant : quand un enfant voit à l'écran qu'un produit est mangé, il est très souvent incité à faire de même. Des efforts, il est vrai, ont été réalisés par le service public, comme cela a été souligné, en particulier par Valérie Corre : la publicité alimentaire sur les chaînes publiques est devenue beaucoup moins importante que précédemment et la charte alimentaire qu'elles ont adoptée y est respectée.
La publicité a de nombreux autres effets. Elle incite les enfants à devenir des surconsommateurs – notons que la France est l'un des pays en Europe où les enfants ont le plus d'argent de poche – ainsi que des prescripteurs pour leurs parents. Les annonceurs jouent ainsi sur le « facteur caprice », l'enfant insistant pour l'achat de biens pas forcément pour lui-même mais aussi pour la famille. Dans un nombre de cas non négligeables, il va jusqu'à influencer ses parents dans l'achat de leur automobile.
Les enfants constatent que leurs parents peuvent céder à leurs demandes d'achat d'un objet tout simplement vu à la télévision, alors même qu'ils n'ont aucun argument sérieux à faire valoir. D'après psychologues et psychiatres, cela peut les jeter dans un grand désarroi et même une certaine angoisse qui peut se traduire par une perte de repères en matière d'autorité, que ce soit vis-à-vis de leurs parents ou au sein de la société. Les enfants se diront ainsi : mes parents m'aiment parce qu'ils m'achètent ce que je demande, avec l'idée sous-jacente que l'amour est achetable, ce qui, nous en conviendrons, est un peu dommage. La surabondance de publicités est, par conséquent, de nature à fragiliser les enfants du point de vue psychologique.
Selon Philippe Mérieux, qui a étudié ce phénomène très sérieusement il y a quelques années, 30 à 40 % des enfants âgés de six à onze ans regardent surtout la télévision le matin, d'un quart d'heure à une heure trente. C'est un moment où leur attention est qualifiée de flottante. Or on constate dans la publicité une grande accélération des rythmes, avec une musique adaptée, la suppression du générique de fin de l'émission regardée évitant que les enfants ne changent de chaîne. Il s'ensuit une hyper-attention, à savoir un état dans lequel la notion de temps n'existe plus et qui absorbe beaucoup d'énergie ; puis vient un état d'hypo-attention, fait de moments où l'attention est très relâchée. Ce phénomène peut perdurer dans la journée, conduisant les enfants à des difficultés de concentration avec les conséquences que l'on sait sur les apprentissages scolaires. En outre, la publicité fait bien plus appel à l'émotion qu'à l'intelligence ; or, en classe, c'est avant tout de cette dernière qu'on a besoin pour une bonne acquisition des connaissances.
Par ailleurs, la compétition et l'individualisme sont souvent survalorisés dans la publicité, les bienfaits du travail en équipe et la solidarité sont trop rarement mis en évidence. Cela peut induire des comportements théâtralisés, les enfants reproduisant les comportements stéréotypés qu'ils ont vus dans les publicités : victime, agresseur, redresseur de torts. Si certaines émissions contribuent également à ce phénomène, le cas de la publicité n'en reste pas moins caricatural.
De nombreuses questions portent sur la perte de recettes pour l'audiovisuel public qu'entraînerait l'adoption du texte. M. Travert a souligné que les estimations étaient très différentes selon les interlocuteurs. M. Gattolin estime la somme à 7 millions d'euros, expliquant que le développement du secteur numérique est tel qu'il capte de plus en plus de recettes publicitaires. Une étude très récente montre ainsi que, dès 2016, les investissements publicitaires seraient plus importants dans le secteur numérique qu'à la télévision. Le sénateur Gattolin fait par ailleurs valoir que les objectifs de recettes publicitaires attendus sont ensuite nettement revus à la baisse.
Il est vrai que les acteurs publics penchent, de leur côté, pour une vingtaine de millions d'euros, estimant que 17 millions seraient perdus du fait de l'absence de publicité et qu'il faudrait occuper les temps d'antenne ainsi libérés par des programmes qui pourraient coûter jusqu'à 3 millions d'euros. Il est certain qu'une étude approfondie serait nécessaire, quoique très difficile à réaliser puisque devant tenir compte des variations éventuellement très rapides des données. Ainsi, en Finlande, du fait du fort développement du secteur numérique, les produits de la taxe équivalente à notre contribution à l'audiovisuel public ont baissé de 20 % en très peu de temps – retournement soudain que redoutent nos acteurs du service public. Je tiens à souligner, au passage, que les sites internet de la télévision publique sont concernés par la proposition de loi, en particulier dans son article 2.
Comment compenser les pertes en question ? La contribution sur les opérateurs de communications électroniques, instaurée après que la publicité a été supprimée sur le service public après vingt heures, a rapporté 213 millions d'euros en 2014, dont 112 millions ont été transférés vers le service public, ce qui n'est pas négligeable. Il est prévu que cette somme atteigne 140 millions d'euros en 2016. Je rappelle que cette contribution a été instaurée pour compenser les pertes de publicité de l'audiovisuel public.
France Télévisions investit dans la création de programmes, et nos créateurs sont innovants et reconnus de par le monde. Toutefois, une réglementation impose au groupe d'investir plus de 70 % dans un programme pour en être coproducteur et pour pouvoir le revendre et profiter de la vente des produits dérivés. Cette règle est très contraignante et il pourrait être envisagé de diminuer ce pourcentage de façon à ce que France Télévisions bénéficie davantage des revenus de sa participation à la création de programmes. Il peut également être envisagé que le groupe crée davantage de programmes en interne, autre source potentielle de revenus.
Par ailleurs, une grande réforme de la contribution à l'audiovisuel public pourrait être proposée mais reste hors de portée d'une proposition de loi. Plus d'un million de personnes en sont exonérées et on estime que près de 500 000 le sont pour d'autres raisons que leurs faibles revenus, ce qui pourrait être revu. En outre, compte tenu du développement du secteur numérique et de la consultation de la télévision sur des écrans autres que de télévision, ne faudrait-il pas faire payer non pas l'accès à un écran de télévision mais tout simplement l'accès à la télévision, quel que soit l'écran, c'est-à-dire mettre à contribution l'ensemble des ménages sauf ceux qui seraient exonérés pour revenus insuffisants ? Il s'agirait d'une grande réforme de fond.
M. Kert s'est demandé si, plutôt que de tout interdire, il ne faudrait pas mettre l'accent sur la pédagogie. Bien entendu ! Enseignante, à l'origine, je crois très fort en la pédagogie. Il y a bien des messages sur la nécessité de faire du sport, de manger cinq fruits et légumes par jour, mais ils ne durent que deux ou trois secondes. Les enfants doivent les capter si vite que je ne suis pas sûre qu'ils suffisent à une bonne pédagogie. Mais je vous concède, mon cher collègue, qu'il n'est pas du tout inenvisageable de faire mieux et ce serait même fort souhaitable.
Qu'en est-il de la suite, m'a-t-on également demandé ? Faisons une expérience modeste, voyons ce qu'il en est puis que les parlementaires décident ensuite d'aller éventuellement plus loin. Mais commençons, j'y insiste, par une proposition relativement modeste visant à régler le véritable problème que pose, pour la formation des futurs citoyens, la publicité dans les programmes destinés à la jeunesse et diffusés par les chaînes publiques.