Intervention de Paul Molac

Réunion du 16 décembre 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Molac, rapporteur :

Merci, mes chers collègues, de m'accueillir dans votre commission. La présente proposition de loi vise à poser les jalons de l'enseignement des langues régionales et de leur usage dans la vie publique.

Depuis 2008, les langues régionales sont inscrites dans la Constitution, dont l'article 75-1 dispose que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Or cette introduction n'a été suivie d'aucune traduction législative.

Bien souvent, les langues régionales ne suscitent qu'au mieux indifférence et frilosité et au pire de l'hostilité franche ; on l'a constaté lors de la révision constitutionnelle préalable à la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, adoptée à l'Assemblée nationale avec plus des trois cinquièmes des voix, mais rejeté au Sénat. Cette position française est assez curieuse : alors que nous défendons à l'étranger l'exception culturelle française et la francophonie contre l'hégémonie anglo-saxonne, nous refusons un statut aux langues régionales. Notre pays recèle pourtant une richesse incomparable, avec des langues d'origine celtique, comme le breton, un grand nombre de langues romanes, avec l'occitan, les langues d'oïl, le catalan, et une langue non indo-européenne, le basque, auxquelles s'ajoutent les langues parlées dans les territoires d'outre-mer. Au total, ce sont soixante-quinze langues régionales qui sont présentes sur notre sol.

Or ce patrimoine exceptionnel est gravement menacé. L'UNESCO classe toutes les langues régionales de France, sauf le basque, en grand danger d'extinction. Les Français sont seulement 12 % à parler une autre langue que le français, contre 26 % dans leur enfance, et 75 % des adultes qui parlaient une langue régionale dans leur petite enfance ne l'utilisent plus aujourd'hui. Cette situation n'est pas tenable, et l'argument qui oppose l'usage de ces langues à la maîtrise du français est tout simplement absurde : qui oserait prétendre que les locuteurs de langues régionales sont plus mauvais en français que les autres ?

Pour qu'une langue puisse continuer à vivre, elle doit s'appuyer sur deux piliers : l'éducation, car il faut apprendre, connaître la langue ; l'usage dans la vie quotidienne, qui passe par la signalétique et les médias, car il faut la pratiquer régulièrement.

En matière d'éducation, suivant la célèbre posture de l'abbé Grégoire qui voulait voir éradiqués les patois, notre pays est resté très frileux. Il a fallu attendre la loi Deixonne de 1951 pour rendre possible l'enseignement des langues régionales, en dehors des heures scolaires, et pour autoriser les maîtres à utiliser les langues régionales, à la condition toutefois que cela permette de mieux apprendre… le français. Ensuite, les circulaires Savary de 1982, Bayrou de 1995 et Lang de 2001 ont introduit progressivement un enseignement bilingue digne de ce nom.

Toutefois, certaines dispositions, mises en place entre 1992 et 1994 pour lutter contre la domination de l'anglo-américain, ont été détournées de leur but et utilisées contre les langues régionales. Je fais référence à l'article 2 de la Constitution, qui proclame le principe que le français est la langue de la République, introduit par la révision constitutionnelle de 1992 préalable à la ratification du traité de Maastricht mais aussi à la loi Toubon de 1994, au nom de laquelle le Conseil d'État a annulé la partie des arrêtés de la circulaire Lang de 2001 qui portait sur l'enseignement bilingue immersif du type de celui pratiqué par le réseau associatif Diwan, au motif qu'il ne respectait pas par exemple une parité horaire entre le français et la langue régionale.

Au cours de cette législature, les choses ont avancé. D'abord, la loi Peillon pour la refondation de l'école de la République de 2013 a été la première à reconnaître dans le code de l'éducation l'enseignement dit « bilingue », qui demeure bien sûr une simple faculté pour les familles. Elle a fait obligation aux pouvoirs publics d'informer les parents de l'existence de ces offres d'enseignement. Puis la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République de 2015, dite loi NOTRe, a introduit un régime cohérent de compensation entre les communes des frais de scolarité des enfants inscrits dans ces écoles ou filières bilingues d'une autre commune que celle de leur résidence.

Aujourd'hui, 273 000 élèves suivent un enseignement en langue régionale dans les établissements d'enseignement public, dont 73 000 par la voie bilingue, seule considérée d'ailleurs par l'éducation nationale comme formant des locuteurs capables de parler couramment ces langues. C'est celle qui nous intéresse donc plus particulièrement pour une préservation efficace du patrimoine. Parallèlement, 10 000 enfants et adolescents reçoivent un enseignement immersif associatif.

Notre pays souffre à cet égard d'un maillage insuffisant et d'une pénurie d'enseignants – au concours de recrutement de professeurs des écoles, le nombre de postes offerts est traditionnellement toujours supérieur à celui des candidats.

Mais au-delà de ces difficultés d'ordre budgétaire et de vocation, il faut observer que la législation ne permet pas aujourd'hui de faire la promotion de l'enseignement bilingue au mépris de l'objectif de préservation de ce patrimoine reconnu désormais par la Constitution et en dépit de ses excellents taux de réussite tant en langue régionale que dans les autres matières de la scolarité obligatoire.

La proposition de loi tend dès lors à reconnaître dans le service public de l'éducation, à l'article 1er, l'enseignement bilingue immersif et, aux articles 2 et 3, à mieux soutenir financièrement l'enseignement bilingue immersif associatif. Les associations dont c'est l'objet sont en effet confrontées à des difficultés financières importantes. Elles ne peuvent pas être comparées aux structures d'enseignement confessionnel, d'une part, parce qu'elles sont laïques, d'autre part, parce que n'étant pas implantées depuis aussi longtemps, elles ne disposent pas de postes ni de locaux suffisants. L'article 75-1 de la Constitution prévoyant la préservation des langues régionales fournit le fondement législatif nécessaire à ces mesures. Toutes les garanties constitutionnelles, tenant en particulier au respect du principe d'égalité, sont par ailleurs apportées, le dispositif proposant que les collectivités territoriales puissent accorder des subventions d'investissement et des locaux – par exception à l'interdiction posée pour les écoles privées par la loi Falloux de 1850 et au plafonnement à 10 % des ressources de l'établissement pour les collèges et lycées par la loi Goblet de 1886 – aux seuls établissements dispensant un enseignement bilingue gratuit, laïc, ouvert à tous, et respectant les programmes nationaux.

Les articles 4 et 5 constituent le second pilier d'une politique cohérente visant à l'accroissement de la visibilité des langues régionales. L'article 4 propose que l'ensemble des services publics puissent recourir à des traductions en langues régionales sur leurs principales inscriptions et signalétiques, à la demande des régions. Ce choix résulte du rôle particulier reconnu par la loi NOTRe à cet échelon pour la promotion des langues régionales, dans le respect des compétences des autres collectivités, et son implication naturelle et particulière dans les conférences territoriales de l'action publique (CTAP) qui ne manqueront pas d'en débattre. En outre, les régions disposent des compétences techniques nécessaires à cette mission, pour fournir par exemple des traductions cohérentes et rigoureuses, grâce à l'aide des nombreux offices publics des langues qui se sont créés à leur côté.

L'article 5 a pour objet de faire plus de place aux langues régionales dans tous les médias, publics comme privés. La langue bretonne, par exemple, n'est diffusée que pendant une heure dix environ par semaine sur France 3 alors que, chez nos voisins britanniques, le gallois bénéficie de plus de quarante heures hebdomadaires sur S4C. Quant à la communauté autonome du Pays basque espagnol, elle a quatre chaînes : trois en basque et une en castillan… Il est dans ce contexte assez modéré de confier au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) la mission de veiller à ce qu'une place « significative » soit attribuée à ces langues.

Cette proposition de loi étant destinée à être examinée lors d'une niche parlementaire, elle se devait d'être courte. Pourtant, je crois qu'elle nous donne l'occasion de vivre un moment historique : sur la cinquantaine de propositions de loi traitant des langues régionales à avoir été déposées sur le bureau de l'Assemblée nationale – parmi lesquelles celles de Marc Le Fur, de Jean-Jacques Urvoas et Armand Jung, etc. –, c'est la première qui parvient jusqu'à l'examen en commission. J'espère même qu'elle emportera votre conviction et permettra aux langues régionales de voir, enfin, la législation leur reconnaître un statut à la mesure de leur importance historique.

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