Intervention de Pierre-Yves Le Borgn'

Réunion du 2 décembre 2015 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Yves Le Borgn', rapporteur :

La France et l'Allemagne sont liées par une convention fiscale signée le 21 juillet 1959 et modifiée par trois avenants, signés les 9 juin 1969, 28 septembre 1989 et 20 décembre 2001.

Le projet de loi soumis aujourd'hui à notre approbation vise à autoriser le quatrième avenant à cette convention, signé le 31 mars 2015 à Berlin, dont l'objet est de clarifier les règles fiscales applicables aux opérations impliquant des résidents des deux États pour renforcer la sécurité juridique des personnes morales et physiques dans nos deux pays.

Deux remarques liminaires, la première est que ce texte est très attendu, notamment parce qu'il va sécuriser la situation fiscale de dizaines de milliers de salariés de la zone frontalière française exerçant en Allemagne, et celle des résidents de France percevant des pensions de retraite versées de l'Allemagne au titre des assurances sociales légales.

La deuxième remarque est que nous n'avons pas du tout épuisé tous les sujets fiscaux et sociaux : j'ai par ailleurs souhaité, à l'occasion de ce rapport, consulter un large nombre de personnalités françaises et allemandes, dont la liste figure en annexe du présent rapport, et recueillir les avis de nos concitoyens sur le projet de loi, mais aussi sur d'autres sujets relevant des prélèvements fiscaux et sociaux. Il en ressort qu'un certain nombre de dysfonctionnements, qui portent préjudice à nos concitoyens et limitent les mobilités entre nos deux pays, sont encore irrésolus.

De tels freins aux échanges entre nos pays sont d'autant moins compréhensibles que l'on connaît l'étroitesse des relations entre nos deux pays, qui n'a pas son équivalent en Europe.

La communauté française en Allemagne est estimée à plus de 160 000 personnes, on compte presque autant d'Allemands en France et notre dialogue vit à tous les niveaux de la société civile. L'Allemagne est le principal partenaire commercial de la France, notre premier client et notre premier fournisseur. Les coopérations industrielles entre entreprises françaises et allemandes sont nombreuses. Les échanges sont intenses, notamment grâce à l'Office franco-allemand pour la Jeunesse, qui depuis 1963 a permis à plus de 8 millions de Français et Allemands de se rendre dans le pays voisin, d'en découvrir la culture et la langue. La coopération bilatérale éducative et universitaire franco-allemande est elle aussi sans équivalent en Europe, fondée sur la nécessité de promouvoir l'apprentissage de la langue du partenaire, socle de notre coopération.

Notre dialogue politique avec l'Allemagne s'appuie sur une coopération inédite, qui s'exprime, c'est son originalité, à tous les niveaux :

– bien sûr, entre le Président de la République et la Chancelière fédérale bien sûr, dont le dialogue est constant, comme l'a montré leur rencontre, il y a moins d'une semaine, sur la lutte contre le terrorisme.

– au niveau ministériel également, avec le conseil des ministres franco-allemand, enceinte de concertation unique en Europe.

– au niveau interparlementaire avec les groupes d'amitié – j'ai l'honneur de présider celui de l'Assemblée nationale, qui nous permettent de dialoguer sur tous les sujets, de même que des réunions communes avec le Bundestag, des échanges entre nos administrations.

– enfin au niveau des territoires, volet particulièrement actif car on compte plus de 2500 jumelages entre nos communes. La conférence de Metz sur la coopération transfrontalière, les 6 et 7 juillet 2015, a d'ailleurs rappelé la vitalité de ce dialogue territorial.

Les traités de Rome des Communautés européennes ont imposé la coopération franco-allemande comme condition et moteur de la construction européenne, de même que l'Acte unique européen, le Traité de Maastricht, l'Euro, l'espace Schengen, la construction d'une Politique européenne de sécurité et de défense, jusqu'à la mise en place de l'Union bancaire. Aujourd'hui plus que jamais, qu'il s'agisse de doter l'euro d'une capacité budgétaire et d'un gouvernement économique, de mettre au point des plans d'insertion des jeunes, une stratégie d'investissements notamment pour les nouvelles industries et pour les nouveaux systèmes de communication, une communauté européenne de l'énergie, aucune avancée concrète en Europe n'est possible sans consensus franco-allemand et sans volonté commune.

L'adoption de l'Agenda franco-allemand 2020, en février 2010, a constitué une nouvelle étape dans le rapprochement entre la France et l'Allemagne. Depuis, nos deux gouvernements ont décidé de mesures destinées à renforcer notre convergence économique et sociale, à donner une nouvelle impulsion à l'Europe de la défense. Nous avons aussi souhaité mettre l'accent sur les investissements (deux projets franco-allemands dans le cadre du plan Juncker), le numérique, avec une conférence franco-allemande qui s'est tenu le 27 octobre à Paris, ou encore plus récemment la lutte contre le terrorisme.

Le prochain conseil des ministres devrait se tenir au printemps, en France. L'intégration sociale fera partie des travaux, puisqu'une mission a été confiée à Jean-Marc Ayrault, et à la ministre-présidente de la Sarre, Annegret Kramp Karrenbauer, en vue d'élaborer « des projets bilatéraux pour promouvoir l'intégration au sein de nos sociétés ». On ne peut que se réjouir de l'inscription de ce thème à l'ordre du jour, car si le dialogue institutionnel est actif entre nos deux pays, il nous faut désormais faire disparaître les freins concrets, et ils demeurent hélas nombreux, à l'intégration de nos deux pays.

J'en viens donc au présent texte dont l'objet est précisément de lever quelques-uns de ces obstacles.

Le quatrième avenant à la convention fiscale entre la France et l'Allemagne a été signé à Berlin le 31 mars 2015.

Tout d'abord, il prévoit la pérennisation du régime des travailleurs frontaliers En matière d'imposition sur les revenus, le modèle de convention de l'OCDE et la plupart des accords bilatéraux en vigueur posent le principe de l'imposition des salariés dans le pays où ils exercent leur activité. Toutefois, certains dispositifs concernant les travailleurs frontaliers y dérogent et prévoient une imposition dans le pays de résidence afin de prendre en compte les liens entre ces contribuables et l'Etat où ils vivent, de financer les dépenses publiques correspondantes, et dans un but de simplification. Ce dispositif ancien concerne aujourd'hui plusieurs dizaines de milliers de personnes qui vivent en France et travaillent en Allemagne.

Depuis la fin des années 1990, l'Allemagne a souhaité supprimer ce régime qu'elle jugeait défavorable pour elle d'un point de vue budgétaire. Des négociations ont été engagées à compter de 2002. Devant la volonté française de maintenir ce dispositif, les parties se sont entendues dès l'année 2006 sur la pérennisation du dispositif contre le versement à l'Allemagne d'une compensation financière à l'instar de nos accords conclus avec la Suisse et la Belgique.

L'Allemagne souhaitait initialement récupérer l'intégralité de son manque à gagner fiscal mais a finalement accepté d'entrer dans une logique de partage des recettes effectivement perçues par la France. Il a été obtenu que le montant de la compensation corresponde à un pourcentage des rémunérations perçues par ces salariés, avec un plafond fixé à 44 % de l'impôt sur le revenu français acquitté par eux.

Sur la base d'un impôt sur le revenu annuel de 50 millions d'euros, cela représente 22 millions d'euros, qui seront versé l'année suivant celle de l'entrée en vigueur de l'avenant. Après 2020, ce montant fera l'objet d'une révision quinquennale.

Deuxième sujet, celui de l'imposition des retraites au titre des assurances sociales légales. La convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 permet une imposition des pensions versées au titre des assurances sociales légales par le seul État de source du revenu. Tel est également le cas de celles versées par une personne publique.

Une décision du tribunal constitutionnel de Karlsruhe du 6 mars 2002 a conduit l'Allemagne à modifier en 2005 sa législation interne, laquelle exonérait jusqu'alors les pensions versées à des non-résidents.

En 2009, les résidents de France ont reçu leurs premiers avis d'imposition. Environ 70 000 retraités, dont certains de revenus très modestes, ont été touchés par cette modification législative. Les associations de frontaliers ont alors alerté les autorités françaises des problèmes liés à la rétroactivité de ces procédures et aux difficultés financières et administratives en découlant.

Des discussions ont donc été engagées entre les autorités françaises et allemandes pour obtenir un assouplissement de la position allemande en sollicitant notamment un abandon partiel de la rétroactivité et une remise des intérêts et pénalités appliqués aux rappels d'impôts. Par ailleurs, nous avons souhaité modifier la convention pour plus de sécurité juridique.

Après plusieurs années de discussions, l'Allemagne a accepté de renoncer à l'imposition à la source des pensions versées au titre des assurances sociales légales en contrepartie de la mise en place d'une compensation financière entre les deux États.

L'avenant du 31 mars 2015 soumis au Parlement prévoit donc l'imposition des pensions versées par les assurances sociales légales dans le seul État de résidence (et non pas d'activité). Le régime des pensions publiques reste inchangé : c'est dans l'État où ils étaient fonctionnaires que les retraités continueront d'acquitter l'impôt

Pour ce qui est de la compensation, le premier versement sera effectué par la France sur la base d'un solde de 16 millions d'euros au titre de l'année 2013, actualisé à raison d'une augmentation de 9,4 % par an pour atteindre la somme de 30 millions d'euros en 2020. Ensuite, l'évolution du montant de la compensation fera l'objet de négociations entre les administrations tous les cinq ans. À défaut d'un accord, elle sera indexée au niveau de l'inflation.

Enfin, cet avenant comporte de nombreuses améliorations au regard de l'évolution des pratiques et des législations fiscales française et allemande.

Certaines d'entre elles auront un impact positif sur nos finances publiques, en particulier l'imposition des sportifs, artistes et mannequins dans l'État d'exercice de l'activité, la possibilité pour la France d'appliquer le prélèvement prévu à l'article 208 C du code général des impôts sur les produits distribués par des sociétés d'investissement immobilier exonérées ou encore l'alignement de l'imposition des cessions de titres de sociétés à prépondérance immobilière sur celle des plus-values sur immeubles.

J'aimerais clore mon propos par l'évocation rapide – et non exhaustive – de certains dysfonctionnements qui m'ont été signalés par nos concitoyens, en matière de prélèvement fiscaux et sociaux. D'apparence technique, ces problèmes affectent en réalité le quotidien de milliers de personnes que je représente en tant que député. Ils limitent également les échanges entre nos deux pays. Je ne les détaille pas tous ici, mais on y compte :

– la déclaration des intérêts produits par un plan d'épargne logement ou un contrat d'assurance-vie souscrit en France ;

– les règles d'imposition applicables aux retraites perçues de France en Allemagne et d'Allemagne en France, notamment dans la fonction publique ;

– le prélèvement de 15,5 % sur les retraites complémentaires de l'AGIRC et de l'ARRCO perçues en Allemagne (par opposition au prélèvement de 8,2 % sur les retraites générales allemandes) ;

– la double imposition des pensions alimentaires résultant de leur assujettissement partiel en Allemagne et total en France. Sujet auquel j'accorde une importante particulière en tant que député, car j'ai eu à connaître du problème plusieurs fois au sein de ma permanence.

Je souhaite, et j'y veillerai, à ce que le débat et la réflexion sur les sujets fiscaux ne soient pas oubliés. Nous devrions montrer, à la veille du conseil des ministres franco-allemand de 2016, qu'il existe une véritable volonté politique d'ouvrir certains sujets. Certains problèmes appellent un toilettage d'une convention qui n'a été modifiée que trois fois depuis 1959, d'autres exigent une coordination de nos législations. C'est un chantier de longue haleine. L'ambassadeur d'Allemagne, avec lequel je me suis entretenu pour préparer ce rapport, s'y est montré très ouvert.

C'est un signe positif. J'estime pour ma part que nous avons une obligation de résultat à l'égard de nos concitoyens.

Pour terminer, les gouvernements allemand et français ont pris l'engagement commun d'assurer la ratification de l'accord avant la fin de l'année 2015 afin que la nouvelle convention puisse s'appliquer au 1er janvier 2016. La ratification du côté allemand a été actée par le Bundestag et le Bundesrat le mois passé. La France ne peut pas de son côté ne pas honorer cette promesse. Je vous invite donc à adopter ce projet de loi. Je vous remercie.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion