Allemagne : approbation de l'avenant à la convention du 21 juillet 1959 en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, ainsi qu'en matière de contribution des patentes et de contributions foncières, modifiée par les avenants des 9 juin 1969, 28 septembre 1989 et 20 décembre 2001 (n° 3152)
La séance est ouverte à seize heures trente.
Nous examinons, sur le rapport de M. Pierre-Yves Le Borgn', le projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention du 21 juillet 1959 entre la France et l'Allemagne en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, ainsi qu'en matière de contribution des patentes et de contributions foncières, modifiée par les avenants des 9 juin 1969, 28 septembre 1989 et 20 décembre 2001 (n° 3152).
La France et l'Allemagne sont liées par une convention fiscale signée le 21 juillet 1959 et modifiée par trois avenants, signés les 9 juin 1969, 28 septembre 1989 et 20 décembre 2001.
Le projet de loi soumis aujourd'hui à notre approbation vise à autoriser le quatrième avenant à cette convention, signé le 31 mars 2015 à Berlin, dont l'objet est de clarifier les règles fiscales applicables aux opérations impliquant des résidents des deux États pour renforcer la sécurité juridique des personnes morales et physiques dans nos deux pays.
Deux remarques liminaires, la première est que ce texte est très attendu, notamment parce qu'il va sécuriser la situation fiscale de dizaines de milliers de salariés de la zone frontalière française exerçant en Allemagne, et celle des résidents de France percevant des pensions de retraite versées de l'Allemagne au titre des assurances sociales légales.
La deuxième remarque est que nous n'avons pas du tout épuisé tous les sujets fiscaux et sociaux : j'ai par ailleurs souhaité, à l'occasion de ce rapport, consulter un large nombre de personnalités françaises et allemandes, dont la liste figure en annexe du présent rapport, et recueillir les avis de nos concitoyens sur le projet de loi, mais aussi sur d'autres sujets relevant des prélèvements fiscaux et sociaux. Il en ressort qu'un certain nombre de dysfonctionnements, qui portent préjudice à nos concitoyens et limitent les mobilités entre nos deux pays, sont encore irrésolus.
De tels freins aux échanges entre nos pays sont d'autant moins compréhensibles que l'on connaît l'étroitesse des relations entre nos deux pays, qui n'a pas son équivalent en Europe.
La communauté française en Allemagne est estimée à plus de 160 000 personnes, on compte presque autant d'Allemands en France et notre dialogue vit à tous les niveaux de la société civile. L'Allemagne est le principal partenaire commercial de la France, notre premier client et notre premier fournisseur. Les coopérations industrielles entre entreprises françaises et allemandes sont nombreuses. Les échanges sont intenses, notamment grâce à l'Office franco-allemand pour la Jeunesse, qui depuis 1963 a permis à plus de 8 millions de Français et Allemands de se rendre dans le pays voisin, d'en découvrir la culture et la langue. La coopération bilatérale éducative et universitaire franco-allemande est elle aussi sans équivalent en Europe, fondée sur la nécessité de promouvoir l'apprentissage de la langue du partenaire, socle de notre coopération.
Notre dialogue politique avec l'Allemagne s'appuie sur une coopération inédite, qui s'exprime, c'est son originalité, à tous les niveaux :
– bien sûr, entre le Président de la République et la Chancelière fédérale bien sûr, dont le dialogue est constant, comme l'a montré leur rencontre, il y a moins d'une semaine, sur la lutte contre le terrorisme.
– au niveau ministériel également, avec le conseil des ministres franco-allemand, enceinte de concertation unique en Europe.
– au niveau interparlementaire avec les groupes d'amitié – j'ai l'honneur de présider celui de l'Assemblée nationale, qui nous permettent de dialoguer sur tous les sujets, de même que des réunions communes avec le Bundestag, des échanges entre nos administrations.
– enfin au niveau des territoires, volet particulièrement actif car on compte plus de 2500 jumelages entre nos communes. La conférence de Metz sur la coopération transfrontalière, les 6 et 7 juillet 2015, a d'ailleurs rappelé la vitalité de ce dialogue territorial.
Les traités de Rome des Communautés européennes ont imposé la coopération franco-allemande comme condition et moteur de la construction européenne, de même que l'Acte unique européen, le Traité de Maastricht, l'Euro, l'espace Schengen, la construction d'une Politique européenne de sécurité et de défense, jusqu'à la mise en place de l'Union bancaire. Aujourd'hui plus que jamais, qu'il s'agisse de doter l'euro d'une capacité budgétaire et d'un gouvernement économique, de mettre au point des plans d'insertion des jeunes, une stratégie d'investissements notamment pour les nouvelles industries et pour les nouveaux systèmes de communication, une communauté européenne de l'énergie, aucune avancée concrète en Europe n'est possible sans consensus franco-allemand et sans volonté commune.
L'adoption de l'Agenda franco-allemand 2020, en février 2010, a constitué une nouvelle étape dans le rapprochement entre la France et l'Allemagne. Depuis, nos deux gouvernements ont décidé de mesures destinées à renforcer notre convergence économique et sociale, à donner une nouvelle impulsion à l'Europe de la défense. Nous avons aussi souhaité mettre l'accent sur les investissements (deux projets franco-allemands dans le cadre du plan Juncker), le numérique, avec une conférence franco-allemande qui s'est tenu le 27 octobre à Paris, ou encore plus récemment la lutte contre le terrorisme.
Le prochain conseil des ministres devrait se tenir au printemps, en France. L'intégration sociale fera partie des travaux, puisqu'une mission a été confiée à Jean-Marc Ayrault, et à la ministre-présidente de la Sarre, Annegret Kramp Karrenbauer, en vue d'élaborer « des projets bilatéraux pour promouvoir l'intégration au sein de nos sociétés ». On ne peut que se réjouir de l'inscription de ce thème à l'ordre du jour, car si le dialogue institutionnel est actif entre nos deux pays, il nous faut désormais faire disparaître les freins concrets, et ils demeurent hélas nombreux, à l'intégration de nos deux pays.
J'en viens donc au présent texte dont l'objet est précisément de lever quelques-uns de ces obstacles.
Le quatrième avenant à la convention fiscale entre la France et l'Allemagne a été signé à Berlin le 31 mars 2015.
Tout d'abord, il prévoit la pérennisation du régime des travailleurs frontaliers En matière d'imposition sur les revenus, le modèle de convention de l'OCDE et la plupart des accords bilatéraux en vigueur posent le principe de l'imposition des salariés dans le pays où ils exercent leur activité. Toutefois, certains dispositifs concernant les travailleurs frontaliers y dérogent et prévoient une imposition dans le pays de résidence afin de prendre en compte les liens entre ces contribuables et l'Etat où ils vivent, de financer les dépenses publiques correspondantes, et dans un but de simplification. Ce dispositif ancien concerne aujourd'hui plusieurs dizaines de milliers de personnes qui vivent en France et travaillent en Allemagne.
Depuis la fin des années 1990, l'Allemagne a souhaité supprimer ce régime qu'elle jugeait défavorable pour elle d'un point de vue budgétaire. Des négociations ont été engagées à compter de 2002. Devant la volonté française de maintenir ce dispositif, les parties se sont entendues dès l'année 2006 sur la pérennisation du dispositif contre le versement à l'Allemagne d'une compensation financière à l'instar de nos accords conclus avec la Suisse et la Belgique.
L'Allemagne souhaitait initialement récupérer l'intégralité de son manque à gagner fiscal mais a finalement accepté d'entrer dans une logique de partage des recettes effectivement perçues par la France. Il a été obtenu que le montant de la compensation corresponde à un pourcentage des rémunérations perçues par ces salariés, avec un plafond fixé à 44 % de l'impôt sur le revenu français acquitté par eux.
Sur la base d'un impôt sur le revenu annuel de 50 millions d'euros, cela représente 22 millions d'euros, qui seront versé l'année suivant celle de l'entrée en vigueur de l'avenant. Après 2020, ce montant fera l'objet d'une révision quinquennale.
Deuxième sujet, celui de l'imposition des retraites au titre des assurances sociales légales. La convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 permet une imposition des pensions versées au titre des assurances sociales légales par le seul État de source du revenu. Tel est également le cas de celles versées par une personne publique.
Une décision du tribunal constitutionnel de Karlsruhe du 6 mars 2002 a conduit l'Allemagne à modifier en 2005 sa législation interne, laquelle exonérait jusqu'alors les pensions versées à des non-résidents.
En 2009, les résidents de France ont reçu leurs premiers avis d'imposition. Environ 70 000 retraités, dont certains de revenus très modestes, ont été touchés par cette modification législative. Les associations de frontaliers ont alors alerté les autorités françaises des problèmes liés à la rétroactivité de ces procédures et aux difficultés financières et administratives en découlant.
Des discussions ont donc été engagées entre les autorités françaises et allemandes pour obtenir un assouplissement de la position allemande en sollicitant notamment un abandon partiel de la rétroactivité et une remise des intérêts et pénalités appliqués aux rappels d'impôts. Par ailleurs, nous avons souhaité modifier la convention pour plus de sécurité juridique.
Après plusieurs années de discussions, l'Allemagne a accepté de renoncer à l'imposition à la source des pensions versées au titre des assurances sociales légales en contrepartie de la mise en place d'une compensation financière entre les deux États.
L'avenant du 31 mars 2015 soumis au Parlement prévoit donc l'imposition des pensions versées par les assurances sociales légales dans le seul État de résidence (et non pas d'activité). Le régime des pensions publiques reste inchangé : c'est dans l'État où ils étaient fonctionnaires que les retraités continueront d'acquitter l'impôt
Pour ce qui est de la compensation, le premier versement sera effectué par la France sur la base d'un solde de 16 millions d'euros au titre de l'année 2013, actualisé à raison d'une augmentation de 9,4 % par an pour atteindre la somme de 30 millions d'euros en 2020. Ensuite, l'évolution du montant de la compensation fera l'objet de négociations entre les administrations tous les cinq ans. À défaut d'un accord, elle sera indexée au niveau de l'inflation.
Enfin, cet avenant comporte de nombreuses améliorations au regard de l'évolution des pratiques et des législations fiscales française et allemande.
Certaines d'entre elles auront un impact positif sur nos finances publiques, en particulier l'imposition des sportifs, artistes et mannequins dans l'État d'exercice de l'activité, la possibilité pour la France d'appliquer le prélèvement prévu à l'article 208 C du code général des impôts sur les produits distribués par des sociétés d'investissement immobilier exonérées ou encore l'alignement de l'imposition des cessions de titres de sociétés à prépondérance immobilière sur celle des plus-values sur immeubles.
J'aimerais clore mon propos par l'évocation rapide – et non exhaustive – de certains dysfonctionnements qui m'ont été signalés par nos concitoyens, en matière de prélèvement fiscaux et sociaux. D'apparence technique, ces problèmes affectent en réalité le quotidien de milliers de personnes que je représente en tant que député. Ils limitent également les échanges entre nos deux pays. Je ne les détaille pas tous ici, mais on y compte :
– la déclaration des intérêts produits par un plan d'épargne logement ou un contrat d'assurance-vie souscrit en France ;
– les règles d'imposition applicables aux retraites perçues de France en Allemagne et d'Allemagne en France, notamment dans la fonction publique ;
– le prélèvement de 15,5 % sur les retraites complémentaires de l'AGIRC et de l'ARRCO perçues en Allemagne (par opposition au prélèvement de 8,2 % sur les retraites générales allemandes) ;
– la double imposition des pensions alimentaires résultant de leur assujettissement partiel en Allemagne et total en France. Sujet auquel j'accorde une importante particulière en tant que député, car j'ai eu à connaître du problème plusieurs fois au sein de ma permanence.
Je souhaite, et j'y veillerai, à ce que le débat et la réflexion sur les sujets fiscaux ne soient pas oubliés. Nous devrions montrer, à la veille du conseil des ministres franco-allemand de 2016, qu'il existe une véritable volonté politique d'ouvrir certains sujets. Certains problèmes appellent un toilettage d'une convention qui n'a été modifiée que trois fois depuis 1959, d'autres exigent une coordination de nos législations. C'est un chantier de longue haleine. L'ambassadeur d'Allemagne, avec lequel je me suis entretenu pour préparer ce rapport, s'y est montré très ouvert.
C'est un signe positif. J'estime pour ma part que nous avons une obligation de résultat à l'égard de nos concitoyens.
Pour terminer, les gouvernements allemand et français ont pris l'engagement commun d'assurer la ratification de l'accord avant la fin de l'année 2015 afin que la nouvelle convention puisse s'appliquer au 1er janvier 2016. La ratification du côté allemand a été actée par le Bundestag et le Bundesrat le mois passé. La France ne peut pas de son côté ne pas honorer cette promesse. Je vous invite donc à adopter ce projet de loi. Je vous remercie.
Je vous remercie pour ce rapport très précis sur cette question de double-imposition. Vous avez opportunément élargi le propos à l'importance des relations franco-allemandes. Si l'Union européenne ne peut et ne doit pas tout faire, certaines actions sont indispensables et le consensus franco-allemand est essentiel.
Je vous informe à cet égard qu'une délégation de la Commission se rendra au Bundestag le 17 février 2016.
Nos relations avec l'Allemagne sont en effet intenses et vous avez eu raison de souligner, notre dialogue, indispensable : celles que vous avez au quotidien, mes contacts réguliers avec mon homologue du Bundestag, et le travail de Jean-Marc Ayrault, qui a été désigné par le Président de la République pour une mission de renforcement des relations franco-allemandes et qui se rendra encore la semaine prochaine en Allemagne.
Nous voterons ce projet de loi, d'autant qu'il est une matérialisation concrète de la relation franco-allemande. Ce texte mérite apparemment d'être actualisé et nous aurons donc le plaisir d'en reparler.
J'ai bien écouté le rapporteur. On présente les expatriés comme des privilégiés. Il y en a certes, mais il y a aussi de nombreuses situations injustes. Je voudrais insister sur celle qui concerne les pensions alimentaires : pour celui qui la perçoit elle est considérée comme un revenu mais n'est pas considérée comme une dépense pour celui qui la verse. J'aurais une question également : des personnes ont-elles répondu à la consultation lancée sur des problèmes liés à l'impôt de solidarité sur la fortune ?
J'insiste moi aussi sur les problèmes que rencontrent les couples binationaux séparés. Quand j'étais ministre de la Justice, nous avions réussi avec mon homologue allemande à faire en sorte qu'il n'y ait plus de doubles jugements susceptibles de diverger et à l'origine d'enlèvements d'enfants, en fixant que le tribunal compétent était celui du lieu où vivait le couple avant la séparation. Mais il restait à résoudre les questions financières liées au divorce et je constate que malheureusement, plus de quinze ans après, ces problèmes n'ont pas été résolus.
Je n'ai reçu aucune forme de remontée sur l'impôt de solidarité sur la fortune lors de cette consultation organisée via la possibilité de déposer des contributions à l'étude d'impact sur le site de l'Assemblée nationale.
Concernant les pensions alimentaires, je suis heureux que vous reteniez ce sujet, car il est immensément douloureux. Cela fait dix-huit mois que je « tanne » la direction de la législation fiscale pour que ce sujet soit abordé clairement. Les cas de séparation dans lesquelles un parent part dans l'autre pays sont nombreux. Il faut se saisir à bras le corps de ce problème, de ces éléments de la vie quotidienne ; ce sur quoi, nous parlementaires sommes jugés.
Pour rebondir sur les propos de la présidente, une part de la solution a été apportée par le règlement de Bruxelles II bis, mais une part seulement. Cela génère une incompréhension et nous devrions nous y intéresser plutôt que de mettre sous le tapis toute cette souffrance. Combien de fois ai-je entendu dans mes permanences le récit de ces situations douloureuses ? Il faut aussi décloisonner nos ordres juridiques. Je disais que huit millions de Français et d'Allemands ont pu connaître le pays de l'autre. Mais le droit de la famille franco-allemand, à commencer par le droit du divorce, des successions, de la tutelle des majeurs, reste à la traîne et nos compatriotes nous attendent depuis longtemps sur ces sujets.
Une remarque pour marquer moi aussi ma satisfaction. Je dirais qu'habituellement nous votons les approbations de conventions et accords internationaux avec beaucoup de retard ; ce qui n'est pas le cas des conventions que nous examinons aujourd'hui !
Je me joins à ces remerciements et je remercie Jean-Louis Destans qui a bien voulu me remplacer pour l'examen des conventions qui va suivre.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi (n° 3152).
Singapour : approbation de la convention en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu (n° 3153).
Nous poursuivons, avec l'examen, sur le rapport de M. Thierry Mariani, du projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre la France et Singapour en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu (n° 3153).
La France et Singapour ont signé le 15 janvier 2015 une nouvelle convention en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu. Ce texte actualise la convention fiscale franco-singapourienne actuellement en vigueur et datée du 9 septembre 1974 à laquelle il se substituera.
Je rappelle que ce texte régira la fiscalité des revenus avec la plate-forme de l'Asie du Sud-Est, la 4ème place financière mondiale, le siège de nombreux sièges sociaux, le lieu de vie de nombreux compatriotes, notre quatrième excédent commercial. C'est donc un texte d'une grande importance. La riche Cité-Etat de Singapour compte à ce jour environ 600 filiales de sociétés françaises. Près de la moitié de ces entités sont des bureaux de représentation régionaux. 85% des actifs français à Singapour sont des cadres ou des membres de professions intellectuelles. La communauté française est en croissance de 10 % par an et a doublé en huit ans, avec 11 565 Français enregistrés au consulat à la date du 27 février 2015. Cette communauté française est jeune (plus de 37 % ont moins de 18 ans, 44 % entre 25 et 44 ans), active (à 43 %) et dynamique. Cette vitalité génère d'ailleurs une pression croissante sur le Lycée Français de Singapour qui, avec environ 2 600 élèves, est aujourd'hui l'un des plus importants du réseau de l'AEFE et est en cours d'extension. J'ajoute que la durée de résidence de nos compatriotes à Singapour tend à s'accroître (plus de 37 % sont aujourd'hui présents depuis plus de 5 ans).
La France dégage un excédent commercial remarquable avec Singapour, qui se classe donc au 4ème rang des excédents de la France dans le monde après le Royaume-Uni, Hong Kong et les Émirats arabes unis. Il s'est établi à 2,2 milliards d'euros en 2014, en légère contraction par rapport au montant enregistré en 2013 mais encore supérieur aux niveaux historiquement élevés observés depuis la crise financière internationale. Le maintien d'un tel excédent est néanmoins lié à une contraction des échanges, qui ont atteint 7,8 milliards d'euros en 2014. La France a désinvesti de Singapour pour la deuxième année consécutive, avec des flux d'investissements directs étrangers (IDE) qui atteignent -67 millions d'euros en 2013 après -558 millions en 2012. Le stock d'IDE français s'établit à 8,1 milliards d'euros. L'enjeu pour la France est de rééquilibrer les secteurs de présence, l'aéronautique représentant aujourd'hui 20 % et elle n'y parvient que peu, dans un nouveau modèle économique fondé sur l'augmentation de la productivité avec une préférence aux Singapouriens surtout pour les emplois hautement qualifiés.
La nouvelle convention fiscale comporte 30 articles, principalement des dispositions relatives à l'élimination des doubles impositions. De manière générale, la plupart des clauses sont issues du modèle de convention de l'OCDE ou proches, à l'exception toutefois de l'article relatif aux redevances qui demeure dérogatoire et à cet égard assez décevant. On peut également regretter que certaines clauses introduites dans des conventions récemment négociées ne figurent pas dans la convention avec Singapour, comme par exemple s'agissant des sociétés de personnes et entités assimilées. Aucune clause d'assistance au recouvrement n'est par ailleurs introduite.
Néanmoins, le contenu négocié de la convention est plus favorable aux intérêts français que la convention de 1974. Pour le Trésor français, elle comporte des clauses anti-abus qui tendent à préserver pour la France sa capacité d'imposer et met fin au dispositif des crédits d'impôts forfaitaires. Pour les acteurs économiques, elle renforce la sécurité juridique en clarifiant certaines règles fiscales et allège la fiscalité de certains revenus. Je vous renvoie au rapport pour le commentaire de chaque article et me contenterai de mettre en exergue les éléments saillants.
S'agissant des impôts couverts, il s'agit des impôts sur le revenu et la nouvelle rédaction étend expressément le champ, côté français, à la CSG et aux contributions pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), ainsi qu'aux contributions sur l'impôt sur les sociétés.
L'article 5 de l'accord développe la notion d'établissement stable, critère central puisqu'il détermine le lieu d'imposition des entreprises. La définition est parfaitement conforme au modèle de l'OCDE, y compris la disposition relative aux agents indépendants (une entreprise n'est pas considérée comme un établissement stable du seul fait qu'elle exerce son activité par l'entreprise d'un agent indépendant). On notera que la convention avec la Chine prévoit une dérogation au modèle de l'OCDE pour les agents indépendants.
Concernant la qualification d'établissement stable, elle est améliorée. La nouvelle convention se fonde sur les stipulations de la convention de l'OCDE s'agissant des prestations de service et des chantiers (alors que l'accord avec Hong Kong par exemple y déroge). Les États ou territoires en développement ou émergents souhaitent en effet pouvoir retirer des recettes des investissements étrangers le plus tôt possible et le plus systématiquement possible.
Sera ainsi considéré comme un établissement stable, une fois la nouvelle convention applicable :
– un chantier, un projet de construction, de montage ou d'installation seulement si sa durée dépasse douze mois. Cette durée est de six mois dans la convention de 1974 ;
– les prestations de service d'une entreprise d'un autre territoire réalisées par l'intermédiaire de ses employés ou d'autres personnels engagés par l'entreprise à cet effet si les activités se poursuivent, pour le même projet ou un projet connexe, pour une ou plusieurs périodes totalisant une durée minimale de 365 jours dans les limites d'une période quelconque de 15 mois. Aucune disposition relative aux services ne figure dans la convention de 1974.
L'article 7 de l'accord traite de l'imposition des bénéfices des entreprises en s'appuyant sur la règle du modèle de l'OCDE. Les dispositions sont classiques. Il intègre des dispositions d'interprétation issues des commentaires de la convention modèle de l'OCDE que la France a l'habitude de prévoir afin d'éviter ce qu'il est d'usage d'appeler « la force attractive de l'établissement stable ». Il est ainsi énoncé que ne seront pas rattachés à un établissement stable des revenus qui n'y sont pas directement rattachables. L'article 9 de l'accord reprend l'article 9 du modèle de convention de l'OCDE relatif aux entreprises associées. Cet article extrêmement important est celui qui permet de lutter contre les prix de transfert (manipulation des prix intra-groupe pour minorer l'impôt).
L'article 6 de l'accord, relatif aux revenus immobiliers, est identique à celui de la convention actuelle. Il prévoit comme toujours l'imposition de ceux-ci dans le territoire de situation de l'immeuble, avec une définition un peu différente de celle utilisée habituellement. Il comporte une disposition fixant la même répartition du droit à imposer à l'article 14 pour les revenus provenant des actions, parts ou autres objets dans une société, une fiducie ou toute autre entité ou institution à prépondérance immobilière.
L'article 10 de l'accord est relatif aux dividendes. La convention retient une définition stricte. Il n'y a donc en la matière pas d'évolution par rapport à la précédente version. Cela étant, cette rédaction permet d'inclure les revenus soumis au régime des distributions par la législation fiscale française, c'est-à-dire les revenus réputés distribués, conformément à la jurisprudence du Conseil d'État.
Le 1 de l'article 10 pose le principe de l'imposition des dividendes dans la Partie, lieu de résidence de leur bénéficiaire. Le 2 de l'article 10 prévoit toutefois que les dividendes sortant peuvent aussi être imposés dans l'État dont la société distributrice est résidente sous réserve de respecter un taux de retenue à la source modulé en fonction du taux de détention. Si le taux de retenue à la source reste inchangé, à 15 %, pour les dividendes versés à des actionnaires personnes physiques, le taux passe de 10 % – prévu actuellement – à 5 % pour les dividendes distribués au profit d'un actionnaire personne morale détenant directement plus de 10 % dans la société distributrice. Il s'agit donc d'un allègement intéressant que concède Singapour.
On notera que dans la nouvelle convention, l'alinéa selon lequel « les dividendes payés à un résident de France par une société qui est un résident de Malaisie à partir de bénéfices réalisés à Singapour et distribués à titre de dividendes de Singapour, sont considérés comme des dividendes payés par une société qui est un résident de Singapour » est supprimé.
L'article 11 de l'accord traite de l'imposition des intérêts au sens large, avec quelques actualisations mais le taux reste inchangé à 10 % des revenus à la source. L'article 12 de l'accord traite des redevances et n'est malheureusement pas modifié. La convention prévoit donc toujours que les redevances sont en principe imposables dans l'État des bénéficiaires, sauf pour celles payées pour l'usage d'un droit d'auteur sur une oeuvre littéraire ou artistique, ou pour des informations ayant trait à une expérience acquise dans le domaine commercial, qui peuvent être imposées dans l'État de la source, selon le droit interne, soit 33,33 % pour la France et 10 % pour Singapour. Dans le modèle de l'OCDE, aucune retenue à la source n'est possible. La définition des redevances retenue est semblable à celle de 1974. Ne sont ainsi toujours pas visés expressément le traitement des redevances de logiciels et demeurent encore qualifiées comme telles les redevances payées pour l'usage d'un équipement industriel ou commercial ou scientifique, qualification ne figurant pourtant plus dans le modèle OCDE depuis 1992.
L'article 13 de l'accord prévoit la répartition de l'imposition des plus-values, avec une actualisation opportune de la rédaction pour viser l'ensemble des situations pratiques. Par exemple, la convention actuelle prévoit déjà que les gains résultant de la vente ou de l'échange de parts ou de droits dans une société de copropriété immobilière ou dans une société dont l'actif est principalement composé de biens immobiliers, sont imposables dans l'État de situation de l'immeuble. La nouvelle convention reprend ce principe, étend la liste des entités pour viser les fiducies ou toute autre institution ou entité à prépondérance immobilière et ajoute que les biens immobiliers affectés par une telle société à sa propre activité d'entreprise ne sont pas pris en compte pour le calcul du ratio.
L'article 21 prévoit le sort des revenus non visés dans la convention. Ces revenus sont taxables exclusivement dans l'Etat de résidence du bénéficiaire. Par rapport à la convention de 1974, cette disposition est étoffée. Ce principe ne s'applique pas lorsque le bénéficiaire effectif de tels revenus, sauf s'ils sont immobiliers, résident d'un État contractant, exerce dans l'autre État contractant une activité d'entreprise par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé et que le droit ou le bien générateur des revenus s'y rattache effectivement. Dans ce cas, les dispositions de l'article 7 [bénéfices d'entreprises] sont applicables. Par ailleurs, tout montant retiré par un résident d'un État contractant d'un plan épargne complémentaire constitué dans l'autre État contractant qui n'est pas traité dans les articles précédents de la présente Convention est imposable dans le second État contractant, à condition que ce second État ait accordé une déduction sur les cotisations à ce plan d'épargne complémentaire.
Concernant les procédures et leur mise en oeuvre, l'article 23 de l'accord prévoit les modalités d'élimination des doubles impositions.
Coté singapourien, lorsqu'un résident de Singapour reçoit des revenus provenant de France et imposables dans cet État, ils bénéficient d'une exemption à Singapour, sous réserve du respect des dispositions prévues par la loi sur l'impôt sur le revenu. Si ces dispositions ne sont pas satisfaites, Singapour accorde, directement ou par déduction, un crédit d'impôt sur l'impôt singapourien égal à l'impôt payé en France. Jusqu'à présent, seule la méthode du crédit d'impôt figurait.
Côté français, la double imposition des revenus provenant de Singapour et perçus par des personnes résidentes de France est éliminée par l'imputation, sur l'impôt français, d'un crédit d'impôt dont le montant dépend du type de revenu considéré, avec un crédit égal, suivant la nature du revenu au montant de l'impôt français (exemption avec progressivité ) ou au montant de l'impôt singapourien. Dans ce cas, le crédit d'impôt ne peut excéder le montant de l'impôt perçu en France et correspondant à ces revenus.
Dans les deux sens, les dividendes provenant d'un des deux États reçus par une société résidente de l'autre État sont exonérés d'impôt sur les sociétés si elle détient au moins 10 % du capital de celle qui distribue.
Dans l'intérêt du Trésor, la nouvelle convention exclue la déduction de l'impôt payé à l'étranger des revenus taxables en France et les « crédits d'impôts fictifs » sont supprimés. Cette suppression est lissée : les contrats de crédit-bail conclus avant le 1er mars 2012 continueront sous condition à bénéficier du dispositif. De plus, les crédits d'impôt forfaitaires continueront à s'appliquer aux redevances et intérêts pendant une période transitoire de douze mois à compter de la nouvelle convention, si la conduite des opérations donnant lieu à crédit d'impôt n'ait pas eu pour objectif principal d'obtenir le bénéfice de crédit d'impôt.
Dans le même esprit, la convention prévoit des clauses de sauvegarde pour l'application des avantages et pour préserver la capacité d'imposer dans un certain nombre de situations.
D'abord, une clause anti-abus, que la France essaie de généraliser dans ses conventions, figure à l'article 28 de la Convention. Cet article est une clause générale de sauvegarde et vise l'ensemble des avantages résultant des réductions ou exonérations d'impôt prévues par la convention. Il énonce que ces avantages ne sont pas accordés lorsque le principal objectif de certaines transactions, opérations ou accords est d'obtenir une position fiscale plus avantageuse et lorsque l'octroi de cet avantage dans de telles circonstances serait contraire à l'objet et au but des dispositions pertinentes de la Convention.
Une autre clause figure à l'article 22 « Limitation des dégrèvements » qui était déjà présente dans la Convention de 1974. Cet article limite le montant de revenus bénéficiant d'une exonération ou d'un taux réduit en France en application de la convention à la fraction transférée à Singapour qui y est soumise à l'impôt, lorsque la législation de Singapour prévoit que seuls les revenus transférés ou perçus à Singapour sont imposables.
Enfin, la Convention comporte une clause d'échange de renseignements à caractères fiscaux issue modèle de convention de l'OCDE et bien plus précise que celle résultant de l'avenant à la convention actuelle signé le 13 novembre 2009 visant à mettre les modalités d'échange de renseignements en conformité avec les derniers standards internationaux. La France disposera ainsi d'une base juridique complète en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. Cet article comporte une particularité notable : les renseignements reçus par un État contractant de la part de l'autre État pourront être utilisés à d'autres fins que fiscales lorsque cette utilisation sera prévue dans les lois des deux États et que le second l'autorisera (dernière phrase du 2 de l'article). C'est la rédaction de du modèle de convention de l'OCDE dans sa dernière version de 2014 qui est ici reprise pour la première fois.
Le Forum mondial sur la transparence et l'échange d'informations à des fins fiscales a évalué, lors de son assemblée plénière à Jakarta les 21 et 22 novembre 2013, la législation et les pratiques de Singapour. À cette occasion, Singapour a été noté comme « en grande partie conforme » aux standards internationaux. Cette évaluation le place au même niveau que des pays comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni. Les autorités de Singapour sont en mesure d'accéder aux informations détenues par les banques et les transmettre aux partenaires avec lesquels elles sont liées par une convention répondant au dernier standard de l'OCDE, ce qui est le cas avec la France. On rappellera pour finir que Singapour s'est engagé à procéder à l'échange automatique de renseignements à compter de 2018.
L'article 29 de l'accord prévoit une entrée en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant le jour de la réception de la dernière notification de l'accomplissement des procédures requises. Lorsque les dispositions de la Convention deviennent effectives, les dispositions de la convention de 1974 cessent d'avoir effet. La convention s'appliquera alors aux revenus imposables à compter du 1er janvier de l'année suivante.
En conséquence, je vous propose d'adopter le projet de loi de ratification pour une application effective à compter du 1er janvier 2017. Il représente une avancée substantielle pour la France et ses acteurs économiques, en termes d'imposition des revenus, notamment des dividendes, de simplification et clarification, et de lutte contre l'évasion fiscale.
Merci pour cette présentation limpide. Nous nous sommes enfoncés dans les méandres de la fiscalité franco-singapourienne avec délectation.
Je voudrais à mon tour remercier le rapporteur pour sa contribution, en présentant ce texte, à la démarche de simplification que chacun appelle de ses voeux. J'ai bien compris ce qu'il nous a dit des redevances et des autres types de revenus. Mais l'ISF, qui n'existe pas à Singapour, n'est pas visé. Cela pourrait-il offrir, même si je ne le pense pas, un moyen d'échapper à cet impôt ?
Je peux vous rassurer sur ce point. Les contribuables dont la résidence fiscale se situe à Singapour sont imposés en France pour leurs biens situés en France. Cela concerne d'ailleurs la quasi-totalité des Français expatriés.
Précisément. Qu'il s'agisse de Singapour ou d'autres pays, les contribuables n'échapperont pas à l'ISF sur leurs biens situés en France.
Comme les députés des Français de l'étranger ont accès aux listes électorales par Internet, j'ai pu envoyer la convention à l'ensemble des personnes inscrites au consulat, qui comptent des spécialistes du droit fiscal bien plus compétents que moi. J'ai eu quelques retours, mais aucune difficulté n'a été signalée. Ce texte donne satisfaction et nous pouvons l'adopter sans problème.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi (n°3153).
Suisse : approbation de l'accord modifiant le protocole additionnel à la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 modifiée, en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales (n° 2924)
Nous continuons, avec l'examen, sur le rapport de M. Boinali Saïd, du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et le Conseil fédéral suisse modifiant le protocole additionnel à la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 modifiée, en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales (n° 2924).
Cet accord entre la France et la Suisse du 25 juin 2014 vise à améliorer la coopération fiscale entre les deux pays et à normaliser les relations notamment sur la question du secret bancaire.
Il est le fruit de l'évolution du contexte fiscal international à partir de 2009. D'abord, la crise financière de 2008 a mis en cause les paradis fiscaux. Ensuite, c'est au même moment que le Congrès américain et l'administration Obama ont tiré les conséquences de l'affaire UBS, avec la violation délibérée par cette banque du droit américain, y compris par le démarchage illégal de clients américains sur le territoire des Etats-Unis. C'est aussi à peu près en même temps qu'ont éclaté en Europe, et notamment en France, deux affaires similaires : l'affaire HSBC et l'affaire UBS. Sous l'impulsion notamment des Etats-Unis, lesquels ont adopté dès 2010 leur propre législation, la loi FATCA, pour organiser la coopération des banques du monde entier avec leur administration fiscale, mais aussi sous l'impulsion de la France, le G20 a imposé à partir de 2009 la coopération fiscale et la levée du secret bancaire aux Etats et territoires qui, comme la Suisse, y étaient réticents.
Ces derniers y ont été contraints sous la menace de figurer sinon sur la liste des pays non coopératifs, c'est-à-dire des paradis fiscaux. Cela joue sur le mécanisme dit du risque de réputation, d'origine anglo-saxonne.
Deux obligations successives ont ainsi été créées.
D'abord, à partir de 2009, les pays ont eu l'obligation de conclure un nombre minimum de conventions fiscales de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales avec une clause dite d'échange d'informations sur demande les obligeant à répondre aux demandes des administrations étrangères sur des cas précis, sans pouvoir invoquer le secret bancaire. Le modèle à suivre a été celui établi par l'OCDE dans le cadre de son modèle de convention fiscale.
Ensuite, à partir de 2013, a été exigée la mise en place à l'horizon 2017 ou 2018, de l'échange automatique d'informations entre pays.
L'accord qui est aujourd'hui soumis pour examen à la commission des affaires étrangères ne concerne que l'échange d'informations sur demande. La Suisse mettra en oeuvre l'échange automatique avec deux autres supports juridiques, l'un de l'Union européenne, l'autre du Conseil de l'Europe et de l'OCDE.
Pour tenter d'éviter de figurer sur la liste de l'OCDE des pays et territoires non coopératifs, des paradis fiscaux, la Suisse a donc conclu en 2009 un avenant avec la France pour mettre aux normes ses relations fiscales en matière d'échange d'informations sur demande. Elle l'a cependant fait d'une manière assez retenue, en imposant notamment en février 2010 un échange de lettres sur les informations bancaires. Dans l'ensemble, un formalisme a été imposé dans les demandes d'une manière que l'on peut qualifier de bloquante.
En 2012, l'OCDE a modifié le commentaire de ses règles internes pour autoriser les demandes dites groupées relatives à un groupe des contribuables se trouvant dans la même situation, et faire échec aux pays qui comme la Suisse ne répondaient, éventuellement, qu'aux seules demandes individuelles.
Un nouvel accord a donc été conclu avec la France afin de procéder à une actualisation, et effacer aussi l'échange de lettres de 2010.
Sa teneur a été annexée au projet de nouvelle convention fiscale bilatérale sur les droits de succession pour remplacer, à la demande de la France, la vieille convention de 1953 trop défavorable à la France en raison notamment de l'imposition en Suisse des parts de SCI sur les biens immobiliers situés en France, lorsque le défunt réside en Suisse. Cette nouvelle convention a cependant fait l'objet d'un refus de ratification du Parlement suisse. Il a donc fallu trouver un autre vecteur pour l'actualisation des règles de coopération fiscale en matière d'échange d'informations sur demande.
C'est cet accord spécifique, et donc très limité, signé le 25 juin 2014 à Berne.
Il vise à modifier le protocole annexé à la convention franco-suisse de 1966 sur les impôts sur le revenu et la fortune, protocole qui explicite les modalités de mise en oeuvre de l'article 28. Ce dernier s'applique explicitement à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales pour tous les impôts et qui a donc une portée plus générale que le titre de la convention qui lui sert de support.
Trois modifications sont prévues :
- d'abord, l'accord assouplit les modalités d'identification des personnes sur lesquelles portent les demandes individuelles d'information, et introduit la possibilité de demandes groupées, portant sur un certain nombre de contribuables se trouvant dans la même situation ;
- ensuite, il simplifie l'accès aux informations bancaires en cessant d'exiger les coordonnées précises de l'établissement concerné ;
- enfin, une clause générale indique que les dispositions du protocole franco-suisse sur l'échange d'informations doivent être interprétées de manière à ne pas faire obstacle à l'échange effectif de renseignements.
C'est un texte qui intéresse la France car il va permettre d'exercer dans de meilleures conditions le contrôle fiscal international.
Son efficacité sera d'autant plus grande que le nombre de comptes illégaux en Suisse a fortement décru.
La simple perspective de l'amélioration de la coopération fiscale a fait que le nombre des comptes non déclarés à l'étranger, et en particulier en Suisse, a fortement décru.
Même après la mise en place effective de l'échange automatique, l'échange de renseignements sur demande restera nécessaire pour les cas de fraudes complexes, avec interposition de structures écrans ou autres.
Le dispositif de l'accord du 25 juin 2014 est également demandé par la Suisse.
En effet, ce pays a fait l'objet en 2011 d'un rapport d'évaluation négatif. Le Forum mondial sur la transparence et l'échange d'informations à des fins fiscales a donc jugé que le cadre législatif et conventionnel n'y était pas suffisant pour le faire passer dans la deuxième phase de l'évaluation, celle qui lui aurait permis de sortir de la liste des pays suspects.
Ce n'est que très récemment, en mars dernier, que ce passage en phase 2 a été accordé. Il est clair que l'examen correspondant portera notamment sur la volonté de coopération effective avec la France et la qualité de l'application du texte.
C'est pourquoi d'ailleurs, sans même attendre la ratification de l'accord, la Suisse a accéléré son délai de réponse aux demandes fiscales françaises depuis l'an passé.
C'est aussi pourquoi la Suisse a entouré la signature de l'accord du 25 juin d'une certaine solennité, puisque le ministre Michel Sapin et son homologue suisse se sont rencontrés ce même 25 juin 2014 à Berne.
Le Gouvernement suisse attend d'ailleurs la ratification de la France pour ratifier lui-même, sans passer par le parlement, puisqu'il bénéficie depuis 2011 d'une délégation générale pour ce type de texte.
Pour être exhaustif, l'accord du 25 juin ne règle pas la question de l'optimisation fiscale des sociétés.
C'est en effet l'objet d'un autre chantier de l'OCDE qui est encore en cours, mais en bonne voie. Le plan dit BEPS sur l'érosion des bases taxables et le transfert de profits a été adopté le 5 octobre dernier, par consensus.
Là aussi les perspectives sont bonnes.
C'est donc dans ce contexte et en raison de ses qualités intrinsèques qu'il convient d'adopter le présent projet de loi.
Vous avez fait référence aux demandes de régularisation pour les personnes ayant détenu des comptes bancaires non déclarés en Suisse. Les personnes qui demandent une régularisation peuvent-elles faire l'objet de poursuites pénales ?
Tel n'est pas le cas dès lors qu'ils se mettent en conformité.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi (n° 2924).
Italie : approbation du protocole additionnel à la convention relative au tunnel routier sous le Mont-Blanc (n° 2330)
Enfin, nous terminons, avec l'examen, sur le rapport de M. Meyer Habib, du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation du protocole additionnel à la convention entre la France et l'Italie relative au tunnel routier sous le Mont-Blanc, (n° 2330).
Le texte qu'il me revient de vous présenter est un protocole additionnel à la convention entre la France et l'Italie relative au tunnel routier du Mont-Blanc.
Il vise à combler un vide juridique apparu dans la convention de Lucques de 2006, qui réformait la gouvernance du tunnel à la suite du très grave incendie de 1999 qui avait coûté la vie à 39 personnes.
Comme vous le savez, le tunnel du Mont-Blanc, inauguré le 19 juillet 1965, est rapidement devenu la principale voie d'accès routière directe entre la France et l'Italie, avec un trafic de véhicules de plus de 3 300 véhicules légers et plus de 1 500 poids lourds chaque jour en 2012.
Le 24 mars 1999, un camion qui transportait de la farine a pris feu au milieu du tunnel, à la suite de quoi un enchaînement d'erreurs humaines et de dysfonctionnements matériels a transformé cet incident en lui-même mineur en une catastrophe qui a coûté la vie à 39 personnes et entraîné la fermeture du tunnel pendant presque trois ans.
L'enquête technique menée à la suite de la catastrophe a révélé des dysfonctionnements, notamment en matière de sécurité, dont l'ampleur appelait une réforme profonde de la gouvernance du tunnel.
C'est ce qu'ont permis l'accord intergouvernemental franco-italien du 14 avril 2000, puis, surtout, la convention du 24 novembre 2006, dite « convention de Lucques ». Se substituant à la convention d'origine de 1953, cette dernière consacrait le principe d'une structure unique en charge de l'exploitation du tunnel.
Cette unicité d'exploitation a été réalisée sous la forme d'un groupement d'intérêt économique européen associant les deux sociétés concessionnaires du tunnel qui avaient été créées en 1957 : la STMB du côté français, devenue en 1996 ATMB, et la SITMB du côté italien, désormais chargées d'assurer paritairement l'exploitation et l'entretien du tunnel.
Il a ainsi été mis fin au compromis institutionnel qui prévalait avant 1999 et qui avait entraîné des difficultés dans la coordination des travaux de modernisation du tunnel.
Les règles de sécurité du tunnel demeurent par ailleurs fixées par une commission intergouvernementale franco-italienne qui a notamment approuvé les travaux réalisés à la suite de l'accident et avant la réouverture du tunnel en 2002. La sécurité du tunnel est aujourd'hui bien mieux assurée qu'avant 1999.
Le protocole additionnel à la convention de Lucques que nous sommes appelés à examiner maintenant ne modifie pas l'ordre juridique du tunnel mais se contente de lever une ambiguïté d'ordre fiscal.
Les questions fiscales et douanières relatives à l'exploitation du tunnel étaient auparavant régies par l'accord signé à Paris le 7 février 1967, qui prévoyait la répartition par moitié entre les deux sociétés des recettes et dépenses induites par l'exploitation du tunnel. En créant le groupement européen d'intérêt économique, la convention de Lucques, qui se substituait aux textes antérieurs, n'avait cependant prévu aucune mesure de répartition de l'imposition des résultats entre les deux États signataires.
Ce vide juridique a amené les autorités italiennes, à la suite d'une procédure de contrôle fiscal déclenchée en 2009 à l'encontre du GEIE, dont le siège social est situé en Italie, à imposer en Italie la totalité du bénéfice dégagé par l'exploitation du tunnel. La société française ATMB, simultanément imposée en France, s'est ainsi trouvée doublement imposée.
Le présent accord vise donc à mettre par écrit ce qui a toujours été l'intention des États signataires de la convention de Lucques. Il rappelle que le GEIE – Tunnel du Mont-Blanc doit être considérée comme agissant au nom et pour le compte des sociétés concessionnaires, chacune demeurant imposée sur sa part des résultats dans l'État où elle a son siège. L'article 2 précise que le résultat du groupement est ramené à zéro à la clôture de chaque exercice fiscal par un jeu de refacturations entre ce dernier et les deux sociétés.
Ce protocole a été signé à Rome le 20 octobre 2011, les autorités italiennes ont notifié à la France sa ratification le 13 août 2002 et le Sénat a approuvé sa ratification le 30 octobre 2014. Je vous invite donc à en faire autant.
J'avais participé comme ministre des Transports à la renégociation du texte qui a abouti à l'accord franco-italien relatif à la nouvelle répartition du financement du tunnel. Je regrette qu'il ait fallu attendre trois ans avant d'approuver ce texte qui est pourtant d'un intérêt vital pour la région alpine et son environnement. J'espère qu'il sera rapidement mis en oeuvre afin de pouvoir préserver le massif et développer les échanges.
Je vous confirme que l'accord n'a pas de caractère rétroactif et prendra effet à compter de sa ratification. Quant aux coûts, les assureurs ont certainement été mis à contribution, mais je ne dispose pas d'éléments détaillés sur cette question. Cela mériterait un approfondissement.
Pour confirmer les propos des intervenants précédents, je rappelle que les automobilistes qui ont connu le tunnel du Mont-Blanc avant et après l'accident de 1999 ont tous constaté une nette différence. Des améliorations sécuritaires considérables ont été apportées, en particulier grâce à une meilleure gouvernance du tunnel. S'agissant des coûts, la société du tunnel du Mont-Blanc a très certainement payé une partie des compensations, en plus des assureurs.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi (n° 2330).
Sauvegarde des Droits de l'Homme : ratification du protocole n° 15 portant amendement à la convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (n° 2671)
Ce projet de loi tend à répondre à une préoccupation, celle d'un bon fonctionnement de la Cour européenne des droits de l'homme qui est ambolisée aussi bien en stock qu'en flux. La Cour doit faire face à un volume de requêtes individuelles considérables et en augmentation continue. Environ 65.000 requêtes sont introduites chaque année devant la Cour et au 31 décembre 2013, environ 99.900 affaires étaient pendantes devant une formation judiciaire de la Cour. Dans le même temps, elle rendait 916 arrêts concernant 3 659 requêtes, pour 89 738 décisions d'irrecevabilité.
La Cour a instauré une politique de traitement des requêtes en fonction des priorités et a institué une nouvelle instance de filtrage des requêtes en provenance de Russie, Turquie, Roumanie, Ukraine et Pologne, constituant plus de la moitié des affaires pendantes. Ces mesures devraient permettre de purger progressivement les affaires pendantes tout en assurant un traitement différencié pertinent, notamment en termes de délais.
Mais précisément en termes de délais, la garantie des droits fondamentaux des justiciables ne peut être assurée efficacement dans les conditions actuelles, qui voient un délai moyen de jugement des affaires de 21 mois et 7 jours et pour les affaires non prioritaires de 5 ans.
Ce protocole n°15 portant amendement à la Convention a pour objet premier d'améliorer le fonctionnement de la Cour et de la désencombrer en traduisant les travaux conduits à cet effet depuis la Conférence de haut niveau sur l'avenir de la Cour qui s'est tenue à Interlaken les 18 et 19 février 2010. Ce protocole donne ainsi effet à certaines dispositions qui sont issues de la Déclaration de la Conférence de Brighton réunie les 19 et 20 avril 2012.
Les amendements à la Convention qu'il comporte ont été élaborés, avec une participation active de la France, au sein du Comité directeur pour les droits de l'homme (CDDH), qui les a adoptés lors de sa réunion des 27 au 30 novembre 2012. Le Comité des ministres a adopté le projet de Protocole en tant que Protocole n°15 lors de sa session du 16 mai 2013, après que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe eut adopté un avis le 26 avril 2013.
Ce Protocole comporte 9 articles dont trois articles proposent d'amender la convention pour améliorer l'efficacité du système et réduire les délais de traitement des affaires recevables.
L'article 3 modifie l'article 30 de la Convention relatif au renvoi d'une affaire en Grande chambre par une chambre de la Cour, lorsque cette dernière estime que l'affaire à trancher soulève une question grave d'interprétation de la convention ou si la solution à une question peut conduire à une contradiction avec la jurisprudence de la Cour. Une partie à l'affaire pouvait jusqu'alors s'opposer à un tel renvoi. Cette possibilité est supprimée, ce qui contribuera à la cohérence de la jurisprudence de la Cour et en même temps diminuera les délais.
L'article 5 modifie l'irrecevabilité d'une requête en l'absence de préjudice important en supprimant la condition que l'affaire ait été dûment examinée par un tribunal interne. Cela vise théoriquement à éviter que la Cour ne soit encombrée d'affaires de peu d'importance.
– L'article 4 réduit de six à quatre mois le délai suivant la date de la décision interne définitive dans lequel une requête doit être introduite devant la Cour. Cette restriction du délai n'entrera en vigueur qu'à compter de l'expiration d'une période de six mois après l'entrée en vigueur du Protocole ; de telle manière que les éventuels demandeurs aient le temps de s'adapter.
Les autres dispositions sont elles aussi issues des travaux des conférences précitées.
L'article 2 du protocole modifie la condition d'âge des juges pour qu'elle porte sur l'âge des candidats et la fixer à 65 ans, afin que les juges nommés puissent effectuer l'intégralité de leur mandat de neuf ans non renouvelable.
L'article 1er modifie quant à lui le préambule de la convention pour rappeler que les États parties à la convention sont les premiers garants des droits et libertés définis par la convention et qu'ils disposent à cette fin d'une certaine marge d'appréciation.
Ce principe de subsidiarité n'affecte pas le droit de recours individuel et est encadré. Il doit être interprété au regard de l'effectivité des droits des justiciables, notamment de recours. D'autre part, la marge d'appréciation laissée aux États s'exerce in fine sous le contrôle de la Cour européenne des droits de l'Homme. Ainsi, il n'y a pas de marge d'appréciation lorsqu'il s'agit de droits comme la torture ou les traitements inhumains ou dégradants.
Conformément à l'article 7, le protocole entrera en vigueur le premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de trois mois après que l'ensemble des États parties aura signé et ratifié le protocole.
À la date du 17 novembre 2015, 41 États partie à la Convention avaient signé le Protocole. N'avaient toujours pas signé le Protocole : la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Grèce, la Lettonie, Malte et la Russie. Parmi les signataires, 22 États l'avaient ratifié.
Le Sénat a adopté le présent projet de loi et je vous propose de faire de même.
Avec François Rochebloine, je suis membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, et je vote donc régulièrement pour élire les juges. Ces derniers devaient à l'origine maîtriser la langue française et notre système juridique. Ce n'est plus cas des candidats présentés par les nouveaux Etats membres, notamment ceux des Balkans, ce qui est un vrai recul.
Je confirme les propos de Thierry Mariani sur le français. C'est pourtant une langue officielle du Conseil de l'Europe au même titre que l'anglais ! Il est arrivé que Jean-Claude Trichet, l'ancien président de la Banque centrale européenne, commence une intervention en anglais jusqu'à ce que nous intervenions pour l'interrompre. François Loncle en a été le témoin.
Nous attendons de notre ambassadeur qu'il rappelle certaines obligations. De peur de vexer, on accepte des gens qui n'ont absolument pas les qualifications requises et sont essentiellement centrés sur le droit anglo-saxon.
Je ne peux qu'aller dans votre sens, chers collègues. Pour autant, formons-nous suffisamment de juges ? Par ailleurs, les procédures de sélection nationale sont-elles bien transparentes ?
Le problème ne vient pas de la France. Il y a deux juges par pays. Certains pays voient tous leurs candidats retoqués car ils n'ont pas le niveau.
Le problème de la maîtrise et de l'emploi du français se pose aussi au sein de l'Union européenne. Pour avoir siégé au comité des régions, je peux vous dire qu'il est difficile de maintenir la place du français.
Au nom de la commission des affaires étrangères, nous pourrions peut-être adresser un courrier rappelant que le français est une langue officielle, comme l'anglais, et que nous souhaiterions que les juges soient, dans la mesure du possible, bilingues.
C'est même une obligation. De mémoire, il faut maîtriser l'anglais et le français ou avoir une connaissance approfondie de notre système juridique.
Il faut donc une piqure de rappel. Le président de la section française de l'Assemblée parlementaire de la francophonie que je suis signerait un tel courrier avec vous.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi (n° 2671).
La séance est levée à dix-huit heures.