Intervention de Thierry Mariani

Réunion du 2 décembre 2015 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Mariani, rapporteur :

La France et Singapour ont signé le 15 janvier 2015 une nouvelle convention en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu. Ce texte actualise la convention fiscale franco-singapourienne actuellement en vigueur et datée du 9 septembre 1974 à laquelle il se substituera.

Je rappelle que ce texte régira la fiscalité des revenus avec la plate-forme de l'Asie du Sud-Est, la 4ème place financière mondiale, le siège de nombreux sièges sociaux, le lieu de vie de nombreux compatriotes, notre quatrième excédent commercial. C'est donc un texte d'une grande importance. La riche Cité-Etat de Singapour compte à ce jour environ 600 filiales de sociétés françaises. Près de la moitié de ces entités sont des bureaux de représentation régionaux. 85% des actifs français à Singapour sont des cadres ou des membres de professions intellectuelles. La communauté française est en croissance de 10 % par an et a doublé en huit ans, avec 11 565 Français enregistrés au consulat à la date du 27 février 2015. Cette communauté française est jeune (plus de 37 % ont moins de 18 ans, 44 % entre 25 et 44 ans), active (à 43 %) et dynamique. Cette vitalité génère d'ailleurs une pression croissante sur le Lycée Français de Singapour qui, avec environ 2 600 élèves, est aujourd'hui l'un des plus importants du réseau de l'AEFE et est en cours d'extension. J'ajoute que la durée de résidence de nos compatriotes à Singapour tend à s'accroître (plus de 37 % sont aujourd'hui présents depuis plus de 5 ans).

La France dégage un excédent commercial remarquable avec Singapour, qui se classe donc au 4ème rang des excédents de la France dans le monde après le Royaume-Uni, Hong Kong et les Émirats arabes unis. Il s'est établi à 2,2 milliards d'euros en 2014, en légère contraction par rapport au montant enregistré en 2013 mais encore supérieur aux niveaux historiquement élevés observés depuis la crise financière internationale. Le maintien d'un tel excédent est néanmoins lié à une contraction des échanges, qui ont atteint 7,8 milliards d'euros en 2014. La France a désinvesti de Singapour pour la deuxième année consécutive, avec des flux d'investissements directs étrangers (IDE) qui atteignent -67 millions d'euros en 2013 après -558 millions en 2012. Le stock d'IDE français s'établit à 8,1 milliards d'euros. L'enjeu pour la France est de rééquilibrer les secteurs de présence, l'aéronautique représentant aujourd'hui 20 % et elle n'y parvient que peu, dans un nouveau modèle économique fondé sur l'augmentation de la productivité avec une préférence aux Singapouriens surtout pour les emplois hautement qualifiés.

La nouvelle convention fiscale comporte 30 articles, principalement des dispositions relatives à l'élimination des doubles impositions. De manière générale, la plupart des clauses sont issues du modèle de convention de l'OCDE ou proches, à l'exception toutefois de l'article relatif aux redevances qui demeure dérogatoire et à cet égard assez décevant. On peut également regretter que certaines clauses introduites dans des conventions récemment négociées ne figurent pas dans la convention avec Singapour, comme par exemple s'agissant des sociétés de personnes et entités assimilées. Aucune clause d'assistance au recouvrement n'est par ailleurs introduite.

Néanmoins, le contenu négocié de la convention est plus favorable aux intérêts français que la convention de 1974. Pour le Trésor français, elle comporte des clauses anti-abus qui tendent à préserver pour la France sa capacité d'imposer et met fin au dispositif des crédits d'impôts forfaitaires. Pour les acteurs économiques, elle renforce la sécurité juridique en clarifiant certaines règles fiscales et allège la fiscalité de certains revenus. Je vous renvoie au rapport pour le commentaire de chaque article et me contenterai de mettre en exergue les éléments saillants.

S'agissant des impôts couverts, il s'agit des impôts sur le revenu et la nouvelle rédaction étend expressément le champ, côté français, à la CSG et aux contributions pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), ainsi qu'aux contributions sur l'impôt sur les sociétés.

L'article 5 de l'accord développe la notion d'établissement stable, critère central puisqu'il détermine le lieu d'imposition des entreprises. La définition est parfaitement conforme au modèle de l'OCDE, y compris la disposition relative aux agents indépendants (une entreprise n'est pas considérée comme un établissement stable du seul fait qu'elle exerce son activité par l'entreprise d'un agent indépendant). On notera que la convention avec la Chine prévoit une dérogation au modèle de l'OCDE pour les agents indépendants.

Concernant la qualification d'établissement stable, elle est améliorée. La nouvelle convention se fonde sur les stipulations de la convention de l'OCDE s'agissant des prestations de service et des chantiers (alors que l'accord avec Hong Kong par exemple y déroge). Les États ou territoires en développement ou émergents souhaitent en effet pouvoir retirer des recettes des investissements étrangers le plus tôt possible et le plus systématiquement possible.

Sera ainsi considéré comme un établissement stable, une fois la nouvelle convention applicable :

– un chantier, un projet de construction, de montage ou d'installation seulement si sa durée dépasse douze mois. Cette durée est de six mois dans la convention de 1974 ;

– les prestations de service d'une entreprise d'un autre territoire réalisées par l'intermédiaire de ses employés ou d'autres personnels engagés par l'entreprise à cet effet si les activités se poursuivent, pour le même projet ou un projet connexe, pour une ou plusieurs périodes totalisant une durée minimale de 365 jours dans les limites d'une période quelconque de 15 mois. Aucune disposition relative aux services ne figure dans la convention de 1974.

L'article 7 de l'accord traite de l'imposition des bénéfices des entreprises en s'appuyant sur la règle du modèle de l'OCDE. Les dispositions sont classiques. Il intègre des dispositions d'interprétation issues des commentaires de la convention modèle de l'OCDE que la France a l'habitude de prévoir afin d'éviter ce qu'il est d'usage d'appeler « la force attractive de l'établissement stable ». Il est ainsi énoncé que ne seront pas rattachés à un établissement stable des revenus qui n'y sont pas directement rattachables. L'article 9 de l'accord reprend l'article 9 du modèle de convention de l'OCDE relatif aux entreprises associées. Cet article extrêmement important est celui qui permet de lutter contre les prix de transfert (manipulation des prix intra-groupe pour minorer l'impôt).

L'article 6 de l'accord, relatif aux revenus immobiliers, est identique à celui de la convention actuelle. Il prévoit comme toujours l'imposition de ceux-ci dans le territoire de situation de l'immeuble, avec une définition un peu différente de celle utilisée habituellement. Il comporte une disposition fixant la même répartition du droit à imposer à l'article 14 pour les revenus provenant des actions, parts ou autres objets dans une société, une fiducie ou toute autre entité ou institution à prépondérance immobilière.

L'article 10 de l'accord est relatif aux dividendes. La convention retient une définition stricte. Il n'y a donc en la matière pas d'évolution par rapport à la précédente version. Cela étant, cette rédaction permet d'inclure les revenus soumis au régime des distributions par la législation fiscale française, c'est-à-dire les revenus réputés distribués, conformément à la jurisprudence du Conseil d'État.

Le 1 de l'article 10 pose le principe de l'imposition des dividendes dans la Partie, lieu de résidence de leur bénéficiaire. Le 2 de l'article 10 prévoit toutefois que les dividendes sortant peuvent aussi être imposés dans l'État dont la société distributrice est résidente sous réserve de respecter un taux de retenue à la source modulé en fonction du taux de détention. Si le taux de retenue à la source reste inchangé, à 15 %, pour les dividendes versés à des actionnaires personnes physiques, le taux passe de 10 % – prévu actuellement – à 5 % pour les dividendes distribués au profit d'un actionnaire personne morale détenant directement plus de 10 % dans la société distributrice. Il s'agit donc d'un allègement intéressant que concède Singapour.

On notera que dans la nouvelle convention, l'alinéa selon lequel « les dividendes payés à un résident de France par une société qui est un résident de Malaisie à partir de bénéfices réalisés à Singapour et distribués à titre de dividendes de Singapour, sont considérés comme des dividendes payés par une société qui est un résident de Singapour » est supprimé.

L'article 11 de l'accord traite de l'imposition des intérêts au sens large, avec quelques actualisations mais le taux reste inchangé à 10 % des revenus à la source. L'article 12 de l'accord traite des redevances et n'est malheureusement pas modifié. La convention prévoit donc toujours que les redevances sont en principe imposables dans l'État des bénéficiaires, sauf pour celles payées pour l'usage d'un droit d'auteur sur une oeuvre littéraire ou artistique, ou pour des informations ayant trait à une expérience acquise dans le domaine commercial, qui peuvent être imposées dans l'État de la source, selon le droit interne, soit 33,33 % pour la France et 10 % pour Singapour. Dans le modèle de l'OCDE, aucune retenue à la source n'est possible. La définition des redevances retenue est semblable à celle de 1974. Ne sont ainsi toujours pas visés expressément le traitement des redevances de logiciels et demeurent encore qualifiées comme telles les redevances payées pour l'usage d'un équipement industriel ou commercial ou scientifique, qualification ne figurant pourtant plus dans le modèle OCDE depuis 1992.

L'article 13 de l'accord prévoit la répartition de l'imposition des plus-values, avec une actualisation opportune de la rédaction pour viser l'ensemble des situations pratiques. Par exemple, la convention actuelle prévoit déjà que les gains résultant de la vente ou de l'échange de parts ou de droits dans une société de copropriété immobilière ou dans une société dont l'actif est principalement composé de biens immobiliers, sont imposables dans l'État de situation de l'immeuble. La nouvelle convention reprend ce principe, étend la liste des entités pour viser les fiducies ou toute autre institution ou entité à prépondérance immobilière et ajoute que les biens immobiliers affectés par une telle société à sa propre activité d'entreprise ne sont pas pris en compte pour le calcul du ratio.

L'article 21 prévoit le sort des revenus non visés dans la convention. Ces revenus sont taxables exclusivement dans l'Etat de résidence du bénéficiaire. Par rapport à la convention de 1974, cette disposition est étoffée. Ce principe ne s'applique pas lorsque le bénéficiaire effectif de tels revenus, sauf s'ils sont immobiliers, résident d'un État contractant, exerce dans l'autre État contractant une activité d'entreprise par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé et que le droit ou le bien générateur des revenus s'y rattache effectivement. Dans ce cas, les dispositions de l'article 7 [bénéfices d'entreprises] sont applicables. Par ailleurs, tout montant retiré par un résident d'un État contractant d'un plan épargne complémentaire constitué dans l'autre État contractant qui n'est pas traité dans les articles précédents de la présente Convention est imposable dans le second État contractant, à condition que ce second État ait accordé une déduction sur les cotisations à ce plan d'épargne complémentaire.

Concernant les procédures et leur mise en oeuvre, l'article 23 de l'accord prévoit les modalités d'élimination des doubles impositions.

Coté singapourien, lorsqu'un résident de Singapour reçoit des revenus provenant de France et imposables dans cet État, ils bénéficient d'une exemption à Singapour, sous réserve du respect des dispositions prévues par la loi sur l'impôt sur le revenu. Si ces dispositions ne sont pas satisfaites, Singapour accorde, directement ou par déduction, un crédit d'impôt sur l'impôt singapourien égal à l'impôt payé en France. Jusqu'à présent, seule la méthode du crédit d'impôt figurait.

Côté français, la double imposition des revenus provenant de Singapour et perçus par des personnes résidentes de France est éliminée par l'imputation, sur l'impôt français, d'un crédit d'impôt dont le montant dépend du type de revenu considéré, avec un crédit égal, suivant la nature du revenu au montant de l'impôt français (exemption avec progressivité ) ou au montant de l'impôt singapourien. Dans ce cas, le crédit d'impôt ne peut excéder le montant de l'impôt perçu en France et correspondant à ces revenus.

Dans les deux sens, les dividendes provenant d'un des deux États reçus par une société résidente de l'autre État sont exonérés d'impôt sur les sociétés si elle détient au moins 10 % du capital de celle qui distribue.

Dans l'intérêt du Trésor, la nouvelle convention exclue la déduction de l'impôt payé à l'étranger des revenus taxables en France et les « crédits d'impôts fictifs » sont supprimés. Cette suppression est lissée : les contrats de crédit-bail conclus avant le 1er mars 2012 continueront sous condition à bénéficier du dispositif. De plus, les crédits d'impôt forfaitaires continueront à s'appliquer aux redevances et intérêts pendant une période transitoire de douze mois à compter de la nouvelle convention, si la conduite des opérations donnant lieu à crédit d'impôt n'ait pas eu pour objectif principal d'obtenir le bénéfice de crédit d'impôt.

Dans le même esprit, la convention prévoit des clauses de sauvegarde pour l'application des avantages et pour préserver la capacité d'imposer dans un certain nombre de situations.

D'abord, une clause anti-abus, que la France essaie de généraliser dans ses conventions, figure à l'article 28 de la Convention. Cet article est une clause générale de sauvegarde et vise l'ensemble des avantages résultant des réductions ou exonérations d'impôt prévues par la convention. Il énonce que ces avantages ne sont pas accordés lorsque le principal objectif de certaines transactions, opérations ou accords est d'obtenir une position fiscale plus avantageuse et lorsque l'octroi de cet avantage dans de telles circonstances serait contraire à l'objet et au but des dispositions pertinentes de la Convention.

Une autre clause figure à l'article 22 « Limitation des dégrèvements » qui était déjà présente dans la Convention de 1974. Cet article limite le montant de revenus bénéficiant d'une exonération ou d'un taux réduit en France en application de la convention à la fraction transférée à Singapour qui y est soumise à l'impôt, lorsque la législation de Singapour prévoit que seuls les revenus transférés ou perçus à Singapour sont imposables.

Enfin, la Convention comporte une clause d'échange de renseignements à caractères fiscaux issue modèle de convention de l'OCDE et bien plus précise que celle résultant de l'avenant à la convention actuelle signé le 13 novembre 2009 visant à mettre les modalités d'échange de renseignements en conformité avec les derniers standards internationaux. La France disposera ainsi d'une base juridique complète en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. Cet article comporte une particularité notable : les renseignements reçus par un État contractant de la part de l'autre État pourront être utilisés à d'autres fins que fiscales lorsque cette utilisation sera prévue dans les lois des deux États et que le second l'autorisera (dernière phrase du 2 de l'article). C'est la rédaction de du modèle de convention de l'OCDE dans sa dernière version de 2014 qui est ici reprise pour la première fois.

Le Forum mondial sur la transparence et l'échange d'informations à des fins fiscales a évalué, lors de son assemblée plénière à Jakarta les 21 et 22 novembre 2013, la législation et les pratiques de Singapour. À cette occasion, Singapour a été noté comme « en grande partie conforme » aux standards internationaux. Cette évaluation le place au même niveau que des pays comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni. Les autorités de Singapour sont en mesure d'accéder aux informations détenues par les banques et les transmettre aux partenaires avec lesquels elles sont liées par une convention répondant au dernier standard de l'OCDE, ce qui est le cas avec la France. On rappellera pour finir que Singapour s'est engagé à procéder à l'échange automatique de renseignements à compter de 2018.

L'article 29 de l'accord prévoit une entrée en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant le jour de la réception de la dernière notification de l'accomplissement des procédures requises. Lorsque les dispositions de la Convention deviennent effectives, les dispositions de la convention de 1974 cessent d'avoir effet. La convention s'appliquera alors aux revenus imposables à compter du 1er janvier de l'année suivante.

En conséquence, je vous propose d'adopter le projet de loi de ratification pour une application effective à compter du 1er janvier 2017. Il représente une avancée substantielle pour la France et ses acteurs économiques, en termes d'imposition des revenus, notamment des dividendes, de simplification et clarification, et de lutte contre l'évasion fiscale.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion