Intervention de Amiral Jean-Philippe Rolland

Réunion du 15 décembre 2015 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Jean-Philippe Rolland :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, nous vous remercions pour votre invitation à venir nous exprimer devant vous. François Mestre et moi-même travaillons au sein de deux entités distinctes, mais oeuvrant en étroite collaboration à la préparation de l'avenir.

Avant d'en venir aux implications des préoccupations environnementales pour la préparation de l'avenir dans l'équipement des forces, je veux rappeler en introduction que ces préoccupations sont très présentes dans l'emploi de nos forces, puisque le dérèglement climatique peut les impacter directement en entraînant leur intervention à la suite de catastrophes – tempête, canicule, inondation – et que la question environnementale constitue très souvent un facteur aggravant, voire déclenchant, de certaines crises internationales, du fait de la compétition pour les ressources en eau ou en énergie, ce qui nécessite là encore l'emploi des forces. Cette question a été évoquée récemment par le chef d'état-major des armées lors des tables rondes organisées dans le cadre de la préparation de la COP21. Sur ce point, je me bornerai à souligner que certaines entités des armées ont des missions spécifiques de prévention des dégradations environnementales – notamment des pollutions – ou de prise en compte des préoccupations relatives au développement durable – par exemple dans le cadre d'activités de contrôle des quotas de pêche ou de la taille des mailles de filets.

Si nous sommes aujourd'hui devant vous, c'est avant tout pour évoquer la façon dont nous construisons notre capacité en intégrant la dimension du développement durable. Nous le faisons tout au long du cycle de vie des équipements et des capacités, dans l'expression du besoin en équipements et de sa réponse, mais aussi durant les phases d'utilisation et de déconstruction.

La protection de l'environnement est prise en compte dans le besoin militaire. Dans la fiche de caractéristiques militaires (FCM) qui, décrivant le besoin de façon détaillée, constitue une sorte de cahier des charges, il est prévu un paragraphe spécifique sur les modalités de prise en compte des normes environnementales, qui doivent être intégrées au même titre que d'autres types de normes, notamment celles relatives à la sécurité du travail. Les mesures à prendre peuvent être de plusieurs ordres. Il s'agit d'abord de limiter l'émission et le rejet d'agents, de produits nocifs et polluants dans l'environnement, tout au long du cycle de vie ; ensuite, de tracer les matériaux à risque, en constituant une base de données à laquelle on pourra se référer lors de la phase de recyclage de l'ensemble des matériaux, après le retrait de service des équipements.

Les normes à respecter sur le plan environnemental, déclinées sur le plan technique par la DGA, sont à manipuler avec prudence en raison de l'impact opérationnel qu'elles peuvent avoir. L'exemple le plus probant que je puisse vous donner est celui des carburants des véhicules militaires. Comme vous le savez, l'Europe durcit peu à peu les normes d'émission – nous en sommes actuellement à la norme Euro 6 –, ce qui se répercute positivement sur la qualité des carburants et la conception des moteurs utilisés. En opérations extérieures, nous sommes parfois amenés à faire fonctionner les véhicules utilisés par l'armée de terre, ainsi que les véhicules de soutien, avec des carburants trouvés sur place, de moindre qualité que celle des carburants utilisés habituellement – notamment des carburants plus soufrés –, ne répondant pas aux exigences des normes européennes, ce qui peut avoir des conséquences négatives sur la performance opérationnelle de nos véhicules. Cela dit, rien ne serait pire que de faire venir d'Europe du carburant aux normes : le bilan carbone d'une telle opération serait très négatif. En fait, nous devons veiller à équiper nos véhicules de moteurs le plus respectueux possible de l'environnement, tout en préservant au maximum leur aptitude à être utilisés à peu près partout dans le monde.

Pour ce qui est des réponses aux besoins opérationnels, François Mestre vous renseignera mieux que je ne saurais le faire. Je me bornerai à vous dire que, durant la phase de réalisation des équipements, certaines spécifications particulières peuvent aboutir à des éléments de conception très forts. Ainsi, les futurs pétroliers ravitailleurs de la marine devront être à double coque : les navires actuels à simple coque dont nous sommes équipés ne sont pas en conformité avec les normes civiles internationales de prévention des pollutions. Or, dans une logique d'insertion complète dans le corpus réglementaire, nous avons pour objectif de nous conformer strictement à cette réglementation. En vertu des lois de programmation militaire, le dernier de nos pétroliers à simple coque, mis sur cale en 1985, devra rester en service jusqu'en 2029. Bien évidemment, le passage à la double coque se traduit par un renchérissement des programmes de remplacement. Mais en nous inscrivant dans cette logique d'insertion dans le corpus des normes civiles, nous avons également pour objectif de bénéficier de technologies largement répandues, donc d'une réduction des coûts de production – dans le domaine des fluides frigorifiques ou des peintures, par exemple.

Des réussites sont à noter dans des domaines où on ne les attendait pas forcément. Je citerai par exemple la jupe combustible de l'obus de 120 millimètres du char Leclerc : quand on tire un obus de ce type, l'essentiel de l'étui de la cartouche se consume dans la chambre. De même, l'armée de terre utilise désormais des mines antichars d'exercice biodégradables – elles sont constituées de tourbe compactée – qui peuvent éventuellement être laissées sur place après avoir été déployées, puisqu'elles ont la faculté de se décomposer naturellement sous l'action de la pluie.

Après la phase de conception, j'en viens à l'utilisation. Notre plus grande préoccupation au sujet des équipements en service est qu'une nouvelle réglementation vienne imposer, dans le cadre d'une modernisation, des adaptations coûteuses. Je pense ainsi à la norme REACH (Registration, Evaluation, Authorization and restriction of CHemicals, en français Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques), qui affecte nombre de nos missiles. Ainsi, nous devrons tenir compte de cette norme lorsque nous changerons les composants pyrotechniques des missiles Aster, qui constituent l'essentiel de l'ossature de la défense sol-air de l'armée de l'air et de la marine ; des travaux spécifiques de développement, assez significatifs, devront être effectués afin de mettre au point des propulseurs de remplacement sans dégradation des performances intrinsèques de ces missiles très complexes – et nous aurons exactement le même problème avec les missiles anti-navires.

Fort heureusement, les contraintes environnementales en phase d'utilisation peuvent aussi avoir des effets bénéfiques. Ainsi, la baisse des consommations en carburant des nouveaux matériels se traduit par des gains tactiques, logistiques et financiers, qui permettent de disposer de plus d'autonomie, ou de réduire l'empreinte au sol du stockage de carburant sur des bases projetées.

Dans le domaine de la transition énergétique, les impacts positifs viendront aussi de la diminution de notre dépendance énergétique vis-à-vis du pétrole. Ainsi, nous travaillons à ce que les biocarburants de deuxième, voire de troisième génération, puissent être utilisés sur certains équipements. Nous commençons déjà à obtenir une réduction de l'empreinte logistique au sol pour les énergies, en recourant à des énergies renouvelables telles que l'éolien ou le solaire. Par ailleurs, nous protégerons mieux le fantassin en lui permettant d'emporter des capacités d'énergie moins lourdes et plus durables, car le système de combat individuel FÉLIN (Fantassin à Équipements et Liaisons Intégrés) implique que le soldat soit aujourd'hui lourdement chargé, notamment par les batteries électriques nécessaires à la mise en oeuvre de ses équipements électroniques.

La dernière phase est celle du retrait des équipements du service, qui doit s'anticiper et se préparer dès la phase de conception des matériels, comme François Mestre vous l'expliquera, notamment en ce qui concerne les munitions. J'évoquerai pour ma part la politique très volontariste de déconstruction des bâtiments de la marine nationale. Aujourd'hui, tout bâtiment en service est doté d'un inventaire des matières dangereuses sous la forme d'un dossier spécifique permettant de tracer toutes les particules dangereuses, tous les matériaux appelés à faire l'objet d'un traitement spécifique en fin de vie. La déconstruction de nos plus anciens bâtiments, notamment ces deux unités emblématiques qu'étaient la Jeanne d'Arc et le Colbert, a été très coûteuse : elle a nécessité le traitement de 17 000 tonnes de matériaux, dont dix tonnes d'amiante rien que sur la Jeanne d'Arc, ce qui s'est traduit par une facture de 11,5 millions d'euros. Aujourd'hui, on peut espérer que la déconstruction des bâtiments dotés d'un passeport vert soit complètement amortie par la récupération des matériaux.

En conclusion, la préoccupation de protection de l'environnement est une constante de mieux en mieux prise en compte par nos forces tout au long de la durée du cycle de vie des matériels, depuis la conception jusqu'au retrait des services en passant par l'utilisation. Il ne faut pas perdre de vue qu'au fil de l'évolution des normes, l'impact environnemental entraîne des surcoûts et que lorsqu'il est impossible d'anticiper les adaptations rendues nécessaires, cela se traduit parfois par la restriction de notre périmètre opérationnel – certains ports sont ainsi susceptibles d'interdire leur accès à des bâtiments ne respectant pas un certain nombre de normes, notamment en matière de traitement des eaux usées. Nous devons, autant que faire se peut, disposer de référentiels normatifs relativement stables. En tout état de cause, plus tôt nous pouvons anticiper les évolutions normatives, mieux nous sommes capables de les prendre en compte et à moindre coût.

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