Commission de la défense nationale et des forces armées

Réunion du 15 décembre 2015 à 17h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • DGA
  • déconstruction
  • démantèlement
  • matériaux

La réunion

Source

La séance est ouverte à dix-sept heures.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui l'amiral Jean-Philippe Rolland, chef de la division cohérence capacitaire de l'état-major des armées, et l'ingénieur général de l'armement François Mestre, chef du service de préparation des systèmes futurs et d'architecture de la direction générale de l'armement (DGA). Nous poursuivons ainsi un cycle d'auditions portant sur la défense et le développement durable, entamé la semaine dernière avec l'audition de responsables du service interarmées des munitions (SIMu) et du service des infrastructures de la défense (SID).

L'audition de l'amiral Rolland et de M. Mestre, ouverte au public et à la presse, a pour objet d'éclairer l'avenir des forces armées en matière d'investissements, dans l'optique des nouvelles contraintes qui s'imposent à l'armée dans le domaine environnemental – en termes de recyclage, mais aussi de préoccupations énergétiques.

Permalien
Amiral Jean-Philippe Rolland

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, nous vous remercions pour votre invitation à venir nous exprimer devant vous. François Mestre et moi-même travaillons au sein de deux entités distinctes, mais oeuvrant en étroite collaboration à la préparation de l'avenir.

Avant d'en venir aux implications des préoccupations environnementales pour la préparation de l'avenir dans l'équipement des forces, je veux rappeler en introduction que ces préoccupations sont très présentes dans l'emploi de nos forces, puisque le dérèglement climatique peut les impacter directement en entraînant leur intervention à la suite de catastrophes – tempête, canicule, inondation – et que la question environnementale constitue très souvent un facteur aggravant, voire déclenchant, de certaines crises internationales, du fait de la compétition pour les ressources en eau ou en énergie, ce qui nécessite là encore l'emploi des forces. Cette question a été évoquée récemment par le chef d'état-major des armées lors des tables rondes organisées dans le cadre de la préparation de la COP21. Sur ce point, je me bornerai à souligner que certaines entités des armées ont des missions spécifiques de prévention des dégradations environnementales – notamment des pollutions – ou de prise en compte des préoccupations relatives au développement durable – par exemple dans le cadre d'activités de contrôle des quotas de pêche ou de la taille des mailles de filets.

Si nous sommes aujourd'hui devant vous, c'est avant tout pour évoquer la façon dont nous construisons notre capacité en intégrant la dimension du développement durable. Nous le faisons tout au long du cycle de vie des équipements et des capacités, dans l'expression du besoin en équipements et de sa réponse, mais aussi durant les phases d'utilisation et de déconstruction.

La protection de l'environnement est prise en compte dans le besoin militaire. Dans la fiche de caractéristiques militaires (FCM) qui, décrivant le besoin de façon détaillée, constitue une sorte de cahier des charges, il est prévu un paragraphe spécifique sur les modalités de prise en compte des normes environnementales, qui doivent être intégrées au même titre que d'autres types de normes, notamment celles relatives à la sécurité du travail. Les mesures à prendre peuvent être de plusieurs ordres. Il s'agit d'abord de limiter l'émission et le rejet d'agents, de produits nocifs et polluants dans l'environnement, tout au long du cycle de vie ; ensuite, de tracer les matériaux à risque, en constituant une base de données à laquelle on pourra se référer lors de la phase de recyclage de l'ensemble des matériaux, après le retrait de service des équipements.

Les normes à respecter sur le plan environnemental, déclinées sur le plan technique par la DGA, sont à manipuler avec prudence en raison de l'impact opérationnel qu'elles peuvent avoir. L'exemple le plus probant que je puisse vous donner est celui des carburants des véhicules militaires. Comme vous le savez, l'Europe durcit peu à peu les normes d'émission – nous en sommes actuellement à la norme Euro 6 –, ce qui se répercute positivement sur la qualité des carburants et la conception des moteurs utilisés. En opérations extérieures, nous sommes parfois amenés à faire fonctionner les véhicules utilisés par l'armée de terre, ainsi que les véhicules de soutien, avec des carburants trouvés sur place, de moindre qualité que celle des carburants utilisés habituellement – notamment des carburants plus soufrés –, ne répondant pas aux exigences des normes européennes, ce qui peut avoir des conséquences négatives sur la performance opérationnelle de nos véhicules. Cela dit, rien ne serait pire que de faire venir d'Europe du carburant aux normes : le bilan carbone d'une telle opération serait très négatif. En fait, nous devons veiller à équiper nos véhicules de moteurs le plus respectueux possible de l'environnement, tout en préservant au maximum leur aptitude à être utilisés à peu près partout dans le monde.

Pour ce qui est des réponses aux besoins opérationnels, François Mestre vous renseignera mieux que je ne saurais le faire. Je me bornerai à vous dire que, durant la phase de réalisation des équipements, certaines spécifications particulières peuvent aboutir à des éléments de conception très forts. Ainsi, les futurs pétroliers ravitailleurs de la marine devront être à double coque : les navires actuels à simple coque dont nous sommes équipés ne sont pas en conformité avec les normes civiles internationales de prévention des pollutions. Or, dans une logique d'insertion complète dans le corpus réglementaire, nous avons pour objectif de nous conformer strictement à cette réglementation. En vertu des lois de programmation militaire, le dernier de nos pétroliers à simple coque, mis sur cale en 1985, devra rester en service jusqu'en 2029. Bien évidemment, le passage à la double coque se traduit par un renchérissement des programmes de remplacement. Mais en nous inscrivant dans cette logique d'insertion dans le corpus des normes civiles, nous avons également pour objectif de bénéficier de technologies largement répandues, donc d'une réduction des coûts de production – dans le domaine des fluides frigorifiques ou des peintures, par exemple.

Des réussites sont à noter dans des domaines où on ne les attendait pas forcément. Je citerai par exemple la jupe combustible de l'obus de 120 millimètres du char Leclerc : quand on tire un obus de ce type, l'essentiel de l'étui de la cartouche se consume dans la chambre. De même, l'armée de terre utilise désormais des mines antichars d'exercice biodégradables – elles sont constituées de tourbe compactée – qui peuvent éventuellement être laissées sur place après avoir été déployées, puisqu'elles ont la faculté de se décomposer naturellement sous l'action de la pluie.

Après la phase de conception, j'en viens à l'utilisation. Notre plus grande préoccupation au sujet des équipements en service est qu'une nouvelle réglementation vienne imposer, dans le cadre d'une modernisation, des adaptations coûteuses. Je pense ainsi à la norme REACH (Registration, Evaluation, Authorization and restriction of CHemicals, en français Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques), qui affecte nombre de nos missiles. Ainsi, nous devrons tenir compte de cette norme lorsque nous changerons les composants pyrotechniques des missiles Aster, qui constituent l'essentiel de l'ossature de la défense sol-air de l'armée de l'air et de la marine ; des travaux spécifiques de développement, assez significatifs, devront être effectués afin de mettre au point des propulseurs de remplacement sans dégradation des performances intrinsèques de ces missiles très complexes – et nous aurons exactement le même problème avec les missiles anti-navires.

Fort heureusement, les contraintes environnementales en phase d'utilisation peuvent aussi avoir des effets bénéfiques. Ainsi, la baisse des consommations en carburant des nouveaux matériels se traduit par des gains tactiques, logistiques et financiers, qui permettent de disposer de plus d'autonomie, ou de réduire l'empreinte au sol du stockage de carburant sur des bases projetées.

Dans le domaine de la transition énergétique, les impacts positifs viendront aussi de la diminution de notre dépendance énergétique vis-à-vis du pétrole. Ainsi, nous travaillons à ce que les biocarburants de deuxième, voire de troisième génération, puissent être utilisés sur certains équipements. Nous commençons déjà à obtenir une réduction de l'empreinte logistique au sol pour les énergies, en recourant à des énergies renouvelables telles que l'éolien ou le solaire. Par ailleurs, nous protégerons mieux le fantassin en lui permettant d'emporter des capacités d'énergie moins lourdes et plus durables, car le système de combat individuel FÉLIN (Fantassin à Équipements et Liaisons Intégrés) implique que le soldat soit aujourd'hui lourdement chargé, notamment par les batteries électriques nécessaires à la mise en oeuvre de ses équipements électroniques.

La dernière phase est celle du retrait des équipements du service, qui doit s'anticiper et se préparer dès la phase de conception des matériels, comme François Mestre vous l'expliquera, notamment en ce qui concerne les munitions. J'évoquerai pour ma part la politique très volontariste de déconstruction des bâtiments de la marine nationale. Aujourd'hui, tout bâtiment en service est doté d'un inventaire des matières dangereuses sous la forme d'un dossier spécifique permettant de tracer toutes les particules dangereuses, tous les matériaux appelés à faire l'objet d'un traitement spécifique en fin de vie. La déconstruction de nos plus anciens bâtiments, notamment ces deux unités emblématiques qu'étaient la Jeanne d'Arc et le Colbert, a été très coûteuse : elle a nécessité le traitement de 17 000 tonnes de matériaux, dont dix tonnes d'amiante rien que sur la Jeanne d'Arc, ce qui s'est traduit par une facture de 11,5 millions d'euros. Aujourd'hui, on peut espérer que la déconstruction des bâtiments dotés d'un passeport vert soit complètement amortie par la récupération des matériaux.

En conclusion, la préoccupation de protection de l'environnement est une constante de mieux en mieux prise en compte par nos forces tout au long de la durée du cycle de vie des matériels, depuis la conception jusqu'au retrait des services en passant par l'utilisation. Il ne faut pas perdre de vue qu'au fil de l'évolution des normes, l'impact environnemental entraîne des surcoûts et que lorsqu'il est impossible d'anticiper les adaptations rendues nécessaires, cela se traduit parfois par la restriction de notre périmètre opérationnel – certains ports sont ainsi susceptibles d'interdire leur accès à des bâtiments ne respectant pas un certain nombre de normes, notamment en matière de traitement des eaux usées. Nous devons, autant que faire se peut, disposer de référentiels normatifs relativement stables. En tout état de cause, plus tôt nous pouvons anticiper les évolutions normatives, mieux nous sommes capables de les prendre en compte et à moindre coût.

Permalien
François Mestre

La question du développement durable est prise en compte par les armées depuis de nombreuses années. Elle ne se limite pas au volet environnemental, mais intègre pleinement le volet économique, ainsi que les aspects sociaux dans la mesure du possible.

Les réglementations environnementales sont de plus en plus nombreuses et contraignantes et, même si certaines d'entre elles ne concernent pas directement la défense en raison de clauses d'exclusion, elles ont un effet structurant sur l'offre industrielle : du fait de leur mise en oeuvre, certaines technologies disparaissent, et elles deviennent de fait applicables. Lorsque cela ne dégrade pas les performances opérationnelles, on intègre les nouvelles normes dès leur entrée en application, même lorsqu'on pourrait s'en dispenser du fait de clauses d'exclusion – car il vaut mieux prévenir que subir : on tend par conséquent à une standardisation des technologies. Certaines mesures ne datent pas d'hier. Ainsi le passeport vert a-t-il été mis en place il y a plus de dix ans dans le cadre du programme de frégates multi-missions FREMM, dont j'ai eu la chance d'être directeur à la DGA.

Mon propos introductif portera sur trois axes principaux : premièrement, l'innovation technologique, et quelle est la contribution de la DGA dans ce domaine ; deuxièmement, la conduite des programmes d'armement – ce qui revient à décrire de quelle manière nous tenons compte des données contenues dans la fiche de caractéristiques militaires pour le volet environnemental – ; troisièmement, les activités de démantèlement, voire de dépollution, conduites par la DGA.

En matière d'innovation, nous suivons un processus assez standard d'études amont, qui constitue plutôt un outil de réponse aux besoins opérationnels, au sein duquel le volet environnemental n'est pas essentiel. Certains processus ayant vocation à capter l'innovation qui n'est pas conduite dans le cadre des études amont – je pense au Régime d'appui PME pour l'innovation duale (RAPID) et au processus Opération d'expérimentation réactive (OER) – permettent de faire émerger des solutions parfois intéressantes dans le domaine du développement durable.

Dans le cadre de RAPID, nous avons soutenu un projet consistant à combiner de façon automatique l'utilisation d'énergies renouvelables ou le stockage d'énergie avec la production standard d'énergie, ce qui permet d'envisager des économies de carburant de l'ordre de 30 %. Le projet est en phase d'évaluation au sein du camp militaire de Canjuers, dans le Var et, en fonction de ses résultats, nous pourrons envisager des acquisitions afin de doter les forces de ce dispositif – mais c'est une application susceptible de répondre également à des besoins dans le domaine civil.

Dans le secteur des matériaux – situé beaucoup plus en amont –, nous avons soutenu deux projets alternatifs dans le cadre de RAPID, afin de mettre au point des matériaux composites à base de fibre de lin, cette fibre possédant de remarquables qualités : elle est plus légère que les autres composites pour une résistance équivalente et présente une très bonne capacité d'absorption des vibrations, ainsi que d'excellentes performances en termes d'acoustique et de résistance au feu. Le développement de ce processus va nous permettre d'aider les industriels mettant en oeuvre cette technologie à proposer des solutions novatrices qui auront la capacité à se déployer dans les domaines militaire et civil.

En complément, la DGA assure le pilotage du programme 191, un programme dual dans lequel des subventions vont au CNES, mais aussi au CEA – avec un volet consacré à l'énergie, ce qui permet au CEA de développer de nouvelles solutions énergétiques, qui nous permettront d'être plus efficaces dans certains domaines.

J'en viens à la conduite des opérations. En réponse aux fiches de caractéristiques militaires, la DGA élabore des dossiers de changement de stade, qui comprennent tous un paragraphe intitulé « Aspects de développement durable », ayant vocation à répondre au cahier des charges environnemental. Au stade des programmes, les enjeux sont principalement d'ordre réglementaire, technique et économique. La prise en compte dans le dossier vise aussi à permettre aux directeurs de programmes de s'interroger sur tous les enjeux associés au développement durable. Cela doit aboutir à identifier et formaliser, au terme d'un processus réglementaire, toutes les exigences attachées à une spécification, c'est-à-dire toutes les questions auxquelles l'industriel devra répondre.

L'objectif du programme étant de rechercher le meilleur équilibre entre le coût global, les délais de réalisation et la performance technique, le volet environnemental, au travers de la normalisation qu'il impose à tout le secteur industriel, doit être pris en compte au plus tôt. Cela se traduit soit par des travaux de spécification, constituant le moyen de transférer à l'industrie les obligations attachées à la réalisation du programme concerné, soit par la conduite d'études assez lourdes. Ainsi, le travail de normalisation pour les navires que j'ai eu la chance de mener avec le bureau Veritas nous a conduits à nous interroger sur les normes appliquées dans le civil et ne contraignant pas le volet opérationnel, et sur celles qui, contraignant le volet opérationnel, ne sont pas applicables. La réglementation à laquelle nous avons abouti constitue une bonne base, très proche de la réglementation civile.

Une telle démarche implique de recourir aux technologies issues du monde civil, et compatibles avec les normes civiles : à chaque fois que cela est possible, nous essayons de nous appuyer sur des technologies de ce type, car cela évite de développer des filières orphelines, coûteuses et peu efficaces. Nous nous efforçons donc de mettre en oeuvre toutes les préconisations REACH, même celles pour lesquelles le ministère de la Défense bénéficie de clauses d'exclusion, afin de ne pas nous trouver dans une impasse en termes d'approvisionnement à plus ou moins brève échéance. Par ailleurs, cela nous permet de bénéficier pleinement des synergies et des effets de volume apportés par les activités civiles, donc de réaliser des économies.

Lorsque nous prescrivons en direction de l'industrie, nous devons nous assurer que nos demandes sont suivies d'effet. Durant les phases de développement du programme, nous appliquons le processus normal de conduite des programmes, au cours duquel les exigences déclinées sont vérifiées et mises en oeuvre. Ainsi, la mise en oeuvre des cartographies de substances dangereuses à bord des navires s'élabore en examinant toutes les cartes électroniques, tous les systèmes, un à un, de manière à disposer au terme du processus d'un plan faisant apparaître l'ensemble des composants du navire. Une fois le matériel construit, il reste à contrôler que les engagements contractuels sont bien tenus. Nous disposons pour cela d'un guide d'écoconception interactif, permettant à chacun des managers de vérifier que toutes nos exigences ont bien été prises en compte.

Un autre domaine dans lequel la DGA est active est celui de la certification de tous les centres DGA en ISO 14 000, ce qui revient à rechercher la meilleure protection de l'environnement dans le cadre de nos activités, notamment en termes de maîtrise des rejets.

Enfin, la dernière phase dans laquelle la DGA est impliquée est celle du démantèlement. La majorité des démantèlements sont assurés par les forces, avec une intervention de la DGA dans certains domaines particuliers, notamment celui du démantèlement des missiles complexes. Pour ce qui est des propulseurs des missiles balistiques, une usine a été construite à Saint-Médard-en-Jalles, en Gironde, en collaboration avec la société Herakles. Il est mis en oeuvre au sein de cette usine un processus de digestion biologique de la poudre des propulseurs, à l'issue duquel il ne reste que des boues pouvant être acheminées vers les circuits de recyclage de l'industrie. Un tel processus est beaucoup plus satisfaisant que celui auquel on recourait autrefois, consistant à brûler les propulseurs en plein air, ce qui dégageait de l'acide chlorhydrique.

De même, à Bourges, une unité de démantèlement des missiles complexes a été construite par la société MBDA. Au lieu de détruire ces missiles en les faisant exploser, comme nous le faisions autrefois, nous les démontons proprement en les découpant au jet d'eau puis en leur faisant subir un traitement thermique. Ce procédé permet de détruire jusqu'à 2 500 tonnes de munitions par an, en leur faisant emprunter un circuit efficace et compétitif.

Le dernier volet où la DGA intervient est celui consistant à assumer les activités passées. L'une des activités dans lesquelles nous intervenons le plus est le soutien à la dépollution du site de la Société nationale des poudres et explosifs (SNPE) d'Angoulême, qui constitue un chantier de grande ampleur, puisque nous avons 177 hectares à traiter. Lors de la dernière commission locale d'échange et de concertation (CLEC), l'ensemble des autorités se sont félicitées du bon déroulement des opérations.

En conclusion, je dirai que notre métier consiste à faire des choses difficiles, auxquelles la prise en compte des impératifs liés au développement durable ajoute des contraintes supplémentaires. Il serait facile d'intégrer ces contraintes en acceptant les dégradations de performances et les augmentations de coût qui en résultent, mais nous avons opté pour une autre démarche, consistant à nous imposer de trouver des solutions permettant de maintenir, voire d'améliorer les performances, car c'est de cela que nos forces ont besoin. Parallèlement, nous nous efforçons d'optimiser l'emploi des ressources afin que les forces disposent du maximum de moyens.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous prie de bien vouloir m'excuser, car je dois me rendre à Matignon afin d'assister à une réunion portant sur l'état d'urgence.

Présidence de M. Philippe Nauche, vice-président de la commission.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il y a quelque temps, nous avons entendu parler d'un incendie qui aurait eu lieu dans la chaufferie nucléaire du sous-marin Le Triomphant. Pouvez-vous nous communiquer des éléments précis sur la gravité de cet incendie, nous préciser s'il a eu lieu à un endroit proche du réacteur nucléaire, et quelles mesures préventives ont été prises pour éviter une catastrophe ?

Par ailleurs, on constate de plus en plus de pannes anodines à bord de nos sous-marins nucléaires, ce qui n'a rien d'étonnant au vu de leur ancienneté, pour ne pas dire de leur obsolescence. Un plan de renouvellement des sous-marins d'attaque est-il prévu ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La COP21, cela a été remarqué, n'a pas été très maritime. Nous nous souvenons tous du périple du Clemenceau. Tout le monde ne pratique pas de la même façon : alors que les Américains océanisent volontiers des bateaux, et même des porte-avions, nous avons quant à nous tendance à les déconstruire, mais pendant longtemps nous les mettions à Landévennec, ce qui n'était pas très bon pour l'environnement. L'océanisation de bateaux, après leur dépollution totale, ne serait-elle pas la solution, notamment pour le repeuplement halieutique, tant les fonds marins sont devenus une surface plane d'où ont disparu tous les talus où peuvent se réfugier poissons et crustacés ? Dans certains endroits du monde, et notamment en mer du Nord, on répand de la limaille de fer pour casser l'acidité des océans. Ne pourrions-pas faire d'une pierre deux coups, et océaniser des bateaux bien dépollués, afin de repeupler nos eaux et désacidifier les océans ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les Américains océanisent en effet tous leurs bateaux, peut-être en oubliant de les dépolluer au passage. Qu'est-ce qui différencie le modèle de dépollution d'un bateau qui va être totalement démantelé de celui d'un bateau dont on va se servir comme récif artificiel ? Des éléments doivent-ils être retirés lors d'un démantèlement en surface que l'on pourrait laisser si le bateau doit être placé au fond de l'eau ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le développement durable est une priorité au quotidien, et nos bateaux anciens sont polluants. Avez-vous une estimation des coûts pour mettre à niveau ces bâtiments ? Une analyse a-t-elle été conduite sur l'investissement qu'il faudrait engager pour leur mise aux normes ? Par ailleurs, la France possède-t-elle des compétences en matière de déconstruction de bâtiments maritimes ? Existe-t-il là un marché ?

Permalien
Amiral Jean-Philippe Rolland

La division cohérence capacitaire, monsieur Candelier, prépare les capacités de demain, à l'exclusion de celles qui sont partie prenante directe de la dissuasion sous-marine ou aéroportée. Je suis donc moins au fait des questions concernant les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE), mais je peux tout de même essayer de vous répondre. Les plus anciens de nos sous-marins d'attaque sont âgés et nous préparons leur remplacement. La réception du premier Barracuda est attendue pour 2018. La livraison des six sous-marins prévus s'étalera sur plus d'une décennie : le dernier sera livré en 2029. Nos sous-marins nucléaires du type Rubis vont donc encore vivre longtemps.

Pour plus de détails, il faut vous adresser à la marine nationale, mais mon passé d'atomicien – j'ai servi sur bâtiment à propulsion nucléaire de surface – me permet de vous indiquer que les chaufferies nucléaires et les organes immédiatement attenants de production d'énergie et de propulsion bénéficient de dispositifs de sécurité extrêmement renforcés. Quand j'ai eu connaissance de l'incident, je n'ai donc pas été inquiété outre mesure.

Quand je travaillais au cabinet du chef d'état-major de la marine, je voyais souvent des propositions alternatives à la déconstruction des coques arriver. La marine serait mieux placée pour vous répondre, monsieur Le Bris et monsieur Vitel, mais je peux dire que l'expérience de la coque de l'ex-Clemenceau a été difficilement vécue par les marins, car le travail avait été conduit avec une grande rigueur, et cela a été occulté par le traitement médiatique de cette affaire ; on est passé par une procédure de déconstruction dans un chantier européen. Depuis cette expérience, tout ce qui va vers des procédés alternatifs est considéré avec la plus grande précaution.

Nous avons bon espoir que la déconstruction des navires devienne de moins en moins coûteuse, voire qu'elle se fasse à bilan nul, car le recyclage des matériaux récupérés – acier, cuivre… – peut compenser les frais engagés. Sur certaines opérations récentes, nous ne sommes déjà pas loin de l'équilibre. Pour l'instant, les résultats des études conduites sur des projets d'océanisation des coques ne sont pas positifs, et nous restons donc dans des logiques de déconstruction.

Les chantiers de déconstruction se font souvent à l'étranger, par exemple au Royaume-Uni ou en Belgique, mais je sais aussi que certains industriels français ont commencé à se positionner. Je ne dispose pas des dernières informations à ce sujet, car c'est un peu éloigné de mon coeur de métier, mais il est possible que des appels d'offres aient vu des industriels français répondre.

En ce qui concerne la différence des exigences de déconstruction selon que les vieilles coques sont destinées à être immergées ou démantelées, les coûts sont identiques sur les matériaux nocifs pour l'environnement ou dangereux de par leur décomposition, mais dans le cas d'une immersion ces frais importants ne seraient pas compensés par les retours obtenus par le recyclage. Qui plus est, l'organisation d'un remorquage et d'une immersion, avec les études d'impact afférentes sur les espèces marines, est coûteuse, et je ne suis donc pas convaincu que ce soit économiquement intéressant, du point de vue de la marine.

Force est de reconnaître, monsieur Moyne-Bressand, que, s'agissant de nos vieux véhicules, les investissements consentis au-delà du strict entretien visent à les tenir à bout de bras en service opérationnel, en attendant que les capacités qui doivent les remplacer entrent en service, plutôt qu'à les moderniser profondément. Il existe quelques exceptions, notamment pour de petits bâtiments-écoles qui servent à la formation, dont la motorisation a été remplacée dans une logique de réduction du coût d'entretien. La remotorisation a été conforme aux normes en vigueur.

Lorsque nous allons devoir remplacer les composants pyrotechniques des missiles Aster, à partir de 2018, nous serons sur des montants proches d'une centaine de millions d'euros pour le développement des nouvelles solutions, et la production peut atteindre le tiers de la valeur de la munition. La prise en compte des nouvelles normes environnementales, en l'occurrence des normes REACH, représente donc un surcoût significatif.

Permalien
François Mestre

Nous sommes en train de créer une industrie du démantèlement. Dans le domaine aéronautique, le démantèlement des avions est entré dans une structure industrielle ; cela devient économiquement rentable. Dans le domaine naval, nos industriels disposent de toutes les compétences pour assurer de façon compétitive le démantèlement des bateaux et la valorisation de tout ce qui est à bord. Charge à eux d'accepter l'investissement initial pour entrer dans ce secteur.

Lorsque nous lançons un nouveau programme, la première question que nous nous posons est : ce produit entrera-t-il demain dans une chaîne normale de démantèlement ou faudra-t-il payer pour le déconstruire ? Nous faisons des choix de façon à ce que le produit entre dans une filière normale, et ce afin de pouvoir soutenir nos systèmes dans la durée.

Pour le matériel ancien, c'est seulement quand nous procédons à des rénovations que nous nous posons la question de la remise aux normes, avec les équipements nouveaux, mais quand nous sommes dans le maintien en l'état, l'intérêt économique est faible et il vaut mieux réserver l'argent pour lancer de nouveaux programmes de systèmes neufs.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Député de Charente et d'Angoulême, je souhaiterais un point plus précis sur la dépollution du site SNPE d'Angoulême. C'est une vraie réussite en termes de développement durable. La première tranche a permis de traiter quatre-vingt-dix hectares sur les 177 de l'ancienne poudrerie. Quel est le calendrier pour le reste ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pour la déconstruction des sous-marins nucléaires d'attaque et des SNLE, il semble que les industriels fassent appel à de la sous-traitance, prévoyant la revente des matériaux. Comment peut-on garantir que les matériaux seront bien décontaminés avant la revente, et comment assurer leur traçabilité une fois revendus ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pour le matériel plus ordinaire de l'armée de terre, où les volumes sont très importants, va-t-on plutôt vers une banalisation dans le cadre de la filière classique de démantèlement ou bien participez-vous à la structuration d'une filière spécifique ?

Permalien
François Mestre

Concernant le site d'Angoulème, monsieur Comet, nous pourrons vous transmettre des éléments complémentaires pour mieux répondre à vos interrogations.

Dans le démantèlement des systèmes militaires, monsieur le président, il y aura toujours deux étapes. La première est la démilitarisation : à cet égard, les éléments spécifiques qui donnent un caractère militaire aux véhicules continueront d'être traités dans des installations classées et surveillées. Une fois le produit banalisé, je suis convaincu qu'il peut entrer dans une chaîne standard de démantèlement.

Permalien
Amiral Jean-Philippe Rolland

Le démantèlement des SNLE comporte deux phases. Le traitement du réacteur fait l'objet de dispositions spécifiques. Les éléments des tranches propulsion attenantes à la tranche réacteur, qui pourraient être touchés par les rayonnements ionisants, doivent également recevoir une attention particulière. Une fois que ces aspects spécifiques, nucléaires, sont traités, on entre dans un schéma standard. La traçabilité des autres matières dangereuses a été généralisée avec le passeport vert. Nous n'en sommes pas encore là, car la découpe du premier SNLE n'a même pas encore commencé, à ma connaissance.

Permalien
François Mestre

Le démantèlement et la déconstruction des SNLE sont traités comme un programme d'armement, dans une structure projet, avec une analyse des enjeux associés, notamment le suivi des matériaux. Le projet sera de toute façon long.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Un contrôle des sous-traitants est-il prévu ? À Cherbourg, une partie de la déconstruction est sous-traitée à une société mixte.

Permalien
François Mestre

Je ne peux pas vous répondre précisément, mais je comprends votre question.

Informations relatives à la commission

La commission a procédé à la désignation des membres des missions d'information suivantes :

Mission d'information sur la présence et l'emploi des forces armées sur le territoire national :

– M. Jean-Jacques Candelier, Mmes Nathalie Chabanne et Geneviève Fioraso, MM. Philippe Meunier et Charles de la Verpillière.

Mission d'information sur le rôle de la marine nationale en Méditerranée :

– MM. Bernard Deflesselles, Gilbert Le Bris, Francis Hillmeyer, Gwendal Rouillard et Philippe Vitel.

La séance est levée à dix-huit heures.