La question du développement durable est prise en compte par les armées depuis de nombreuses années. Elle ne se limite pas au volet environnemental, mais intègre pleinement le volet économique, ainsi que les aspects sociaux dans la mesure du possible.
Les réglementations environnementales sont de plus en plus nombreuses et contraignantes et, même si certaines d'entre elles ne concernent pas directement la défense en raison de clauses d'exclusion, elles ont un effet structurant sur l'offre industrielle : du fait de leur mise en oeuvre, certaines technologies disparaissent, et elles deviennent de fait applicables. Lorsque cela ne dégrade pas les performances opérationnelles, on intègre les nouvelles normes dès leur entrée en application, même lorsqu'on pourrait s'en dispenser du fait de clauses d'exclusion – car il vaut mieux prévenir que subir : on tend par conséquent à une standardisation des technologies. Certaines mesures ne datent pas d'hier. Ainsi le passeport vert a-t-il été mis en place il y a plus de dix ans dans le cadre du programme de frégates multi-missions FREMM, dont j'ai eu la chance d'être directeur à la DGA.
Mon propos introductif portera sur trois axes principaux : premièrement, l'innovation technologique, et quelle est la contribution de la DGA dans ce domaine ; deuxièmement, la conduite des programmes d'armement – ce qui revient à décrire de quelle manière nous tenons compte des données contenues dans la fiche de caractéristiques militaires pour le volet environnemental – ; troisièmement, les activités de démantèlement, voire de dépollution, conduites par la DGA.
En matière d'innovation, nous suivons un processus assez standard d'études amont, qui constitue plutôt un outil de réponse aux besoins opérationnels, au sein duquel le volet environnemental n'est pas essentiel. Certains processus ayant vocation à capter l'innovation qui n'est pas conduite dans le cadre des études amont – je pense au Régime d'appui PME pour l'innovation duale (RAPID) et au processus Opération d'expérimentation réactive (OER) – permettent de faire émerger des solutions parfois intéressantes dans le domaine du développement durable.
Dans le cadre de RAPID, nous avons soutenu un projet consistant à combiner de façon automatique l'utilisation d'énergies renouvelables ou le stockage d'énergie avec la production standard d'énergie, ce qui permet d'envisager des économies de carburant de l'ordre de 30 %. Le projet est en phase d'évaluation au sein du camp militaire de Canjuers, dans le Var et, en fonction de ses résultats, nous pourrons envisager des acquisitions afin de doter les forces de ce dispositif – mais c'est une application susceptible de répondre également à des besoins dans le domaine civil.
Dans le secteur des matériaux – situé beaucoup plus en amont –, nous avons soutenu deux projets alternatifs dans le cadre de RAPID, afin de mettre au point des matériaux composites à base de fibre de lin, cette fibre possédant de remarquables qualités : elle est plus légère que les autres composites pour une résistance équivalente et présente une très bonne capacité d'absorption des vibrations, ainsi que d'excellentes performances en termes d'acoustique et de résistance au feu. Le développement de ce processus va nous permettre d'aider les industriels mettant en oeuvre cette technologie à proposer des solutions novatrices qui auront la capacité à se déployer dans les domaines militaire et civil.
En complément, la DGA assure le pilotage du programme 191, un programme dual dans lequel des subventions vont au CNES, mais aussi au CEA – avec un volet consacré à l'énergie, ce qui permet au CEA de développer de nouvelles solutions énergétiques, qui nous permettront d'être plus efficaces dans certains domaines.
J'en viens à la conduite des opérations. En réponse aux fiches de caractéristiques militaires, la DGA élabore des dossiers de changement de stade, qui comprennent tous un paragraphe intitulé « Aspects de développement durable », ayant vocation à répondre au cahier des charges environnemental. Au stade des programmes, les enjeux sont principalement d'ordre réglementaire, technique et économique. La prise en compte dans le dossier vise aussi à permettre aux directeurs de programmes de s'interroger sur tous les enjeux associés au développement durable. Cela doit aboutir à identifier et formaliser, au terme d'un processus réglementaire, toutes les exigences attachées à une spécification, c'est-à-dire toutes les questions auxquelles l'industriel devra répondre.
L'objectif du programme étant de rechercher le meilleur équilibre entre le coût global, les délais de réalisation et la performance technique, le volet environnemental, au travers de la normalisation qu'il impose à tout le secteur industriel, doit être pris en compte au plus tôt. Cela se traduit soit par des travaux de spécification, constituant le moyen de transférer à l'industrie les obligations attachées à la réalisation du programme concerné, soit par la conduite d'études assez lourdes. Ainsi, le travail de normalisation pour les navires que j'ai eu la chance de mener avec le bureau Veritas nous a conduits à nous interroger sur les normes appliquées dans le civil et ne contraignant pas le volet opérationnel, et sur celles qui, contraignant le volet opérationnel, ne sont pas applicables. La réglementation à laquelle nous avons abouti constitue une bonne base, très proche de la réglementation civile.
Une telle démarche implique de recourir aux technologies issues du monde civil, et compatibles avec les normes civiles : à chaque fois que cela est possible, nous essayons de nous appuyer sur des technologies de ce type, car cela évite de développer des filières orphelines, coûteuses et peu efficaces. Nous nous efforçons donc de mettre en oeuvre toutes les préconisations REACH, même celles pour lesquelles le ministère de la Défense bénéficie de clauses d'exclusion, afin de ne pas nous trouver dans une impasse en termes d'approvisionnement à plus ou moins brève échéance. Par ailleurs, cela nous permet de bénéficier pleinement des synergies et des effets de volume apportés par les activités civiles, donc de réaliser des économies.
Lorsque nous prescrivons en direction de l'industrie, nous devons nous assurer que nos demandes sont suivies d'effet. Durant les phases de développement du programme, nous appliquons le processus normal de conduite des programmes, au cours duquel les exigences déclinées sont vérifiées et mises en oeuvre. Ainsi, la mise en oeuvre des cartographies de substances dangereuses à bord des navires s'élabore en examinant toutes les cartes électroniques, tous les systèmes, un à un, de manière à disposer au terme du processus d'un plan faisant apparaître l'ensemble des composants du navire. Une fois le matériel construit, il reste à contrôler que les engagements contractuels sont bien tenus. Nous disposons pour cela d'un guide d'écoconception interactif, permettant à chacun des managers de vérifier que toutes nos exigences ont bien été prises en compte.
Un autre domaine dans lequel la DGA est active est celui de la certification de tous les centres DGA en ISO 14 000, ce qui revient à rechercher la meilleure protection de l'environnement dans le cadre de nos activités, notamment en termes de maîtrise des rejets.
Enfin, la dernière phase dans laquelle la DGA est impliquée est celle du démantèlement. La majorité des démantèlements sont assurés par les forces, avec une intervention de la DGA dans certains domaines particuliers, notamment celui du démantèlement des missiles complexes. Pour ce qui est des propulseurs des missiles balistiques, une usine a été construite à Saint-Médard-en-Jalles, en Gironde, en collaboration avec la société Herakles. Il est mis en oeuvre au sein de cette usine un processus de digestion biologique de la poudre des propulseurs, à l'issue duquel il ne reste que des boues pouvant être acheminées vers les circuits de recyclage de l'industrie. Un tel processus est beaucoup plus satisfaisant que celui auquel on recourait autrefois, consistant à brûler les propulseurs en plein air, ce qui dégageait de l'acide chlorhydrique.
De même, à Bourges, une unité de démantèlement des missiles complexes a été construite par la société MBDA. Au lieu de détruire ces missiles en les faisant exploser, comme nous le faisions autrefois, nous les démontons proprement en les découpant au jet d'eau puis en leur faisant subir un traitement thermique. Ce procédé permet de détruire jusqu'à 2 500 tonnes de munitions par an, en leur faisant emprunter un circuit efficace et compétitif.
Le dernier volet où la DGA intervient est celui consistant à assumer les activités passées. L'une des activités dans lesquelles nous intervenons le plus est le soutien à la dépollution du site de la Société nationale des poudres et explosifs (SNPE) d'Angoulême, qui constitue un chantier de grande ampleur, puisque nous avons 177 hectares à traiter. Lors de la dernière commission locale d'échange et de concertation (CLEC), l'ensemble des autorités se sont félicitées du bon déroulement des opérations.
En conclusion, je dirai que notre métier consiste à faire des choses difficiles, auxquelles la prise en compte des impératifs liés au développement durable ajoute des contraintes supplémentaires. Il serait facile d'intégrer ces contraintes en acceptant les dégradations de performances et les augmentations de coût qui en résultent, mais nous avons opté pour une autre démarche, consistant à nous imposer de trouver des solutions permettant de maintenir, voire d'améliorer les performances, car c'est de cela que nos forces ont besoin. Parallèlement, nous nous efforçons d'optimiser l'emploi des ressources afin que les forces disposent du maximum de moyens.