La commission des affaires étrangères suit avec une grande attention les sujets européens, notamment en amont des Conseils. Mais s'il a semblé utile de rapporter cette proposition de résolution relative au Conseil européen qui se tiendra demain et après-demain, c'est que celui-ci traitera de sujets qui ont mobilisé notre commission au cours des dernières semaines.
La proposition de résolution déposée par Philippe Cordery et adoptée hier par la commission des affaires européennes regroupe des positions fortes que l'Assemblée nationale a déjà eu l'occasion d'exprimer dans un texte unique, clair et précis. Tout en réaffirmant l'importance de l'échelon européen pour affronter notre monde, elle pointe les mesures opérationnelles qu'il convient de prendre pour que l'Europe nous protège : sécurité des citoyens par la lutte contre le terrorisme, accueil des réfugiés demandant asile et protection, maîtrise des flux migratoires économiques et efficacité de la construction économique et monétaire.
La résolution invite à saisir les négociations en cours avec le Royaume-Uni comme une opportunité de redéfinir les ambitions et les moyens de l'Union économique et monétaire et de l'espace de justice et de sécurité pour mettre en pratique, de manière intelligente, l'Europe différenciée qui est la seule forme d'Union européenne possible. Elle suggère que, dans ce cadre, la Commission européenne remette d'ici le mois d'octobre 2016 trois rapports évaluant les coûts économiques et sociaux de la suppression de l'espace Schengen, de la zone Euro et des actions communes en matière de défense, pour faire émerger des propositions en vue d'un approfondissement dans ces trois domaines, auxquels la résolution consacre l'essentiel de ses points.
En matière de lutte contre le terrorisme, nous devons trouver des réponses efficaces sans remettre en cause les valeurs démocratiques, alors que les menaces sont multiformes et difficiles à appréhender, comme le montre la propagande radicale via Internet. La lutte contre le terrorisme fait partie intégrante de la politique étrangère de l'Union européenne, comme l'a souligné le Conseil des affaires étrangères du 9 février 2015, et des décisions importantes doivent être mises en oeuvre au sein de l'Union pour renforcer nos moyens de défense. L'agenda européen pour la sécurité présenté par la Commission européenne le 28 avril dernier place la lutte contre le terrorisme et contre la radicalisation au coeur de cette nouvelle stratégie.
Pour la première fois, la France a fait jouer la clause de l'article 42.7 du traité de l'Union qui instaure une solidarité européenne en cas d'agression armée. Il convient de souligner l'engagement des Allemands qui ont autorisé l'envoi de troupes et la fourniture de matériel militaire pour lutter contre Daech en Syrie. Nous connaissons trop les limites de la participation de nos partenaires dans l'effort de protection de l'Europe que la France a entrepris depuis des mois pour nous satisfaire de mesures symboliques. Tout en se réjouissant de la réponse de nos partenaires quant à l'application de l'article 42.7, le texte émet aussi le souhait que les dépenses militaires et de sécurité nationale – qui servent à assurer la sécurité de toute l'Union – ne soient pas prises en compte dans le calcul des déficits publics de chaque État membre.
La lutte antiterroriste exige une coopération et une interconnexion accrues pour suivre les personnes comme les mouvements financiers. La proposition de résolution en appelle à la pleine mobilisation des instruments en vigueur pour lutter contre le terrorisme, la criminalité organisée et la cybercriminalité et contient plusieurs points relatifs à l'accès, à l'échange et au traitement de l'information.
La commission Libertés publiques du Parlement européen a adopté, le 10 décembre, la directive sur le fichier des passagers aériens, dit PNR – passenger name record –, acceptant le compromis mis au point quelques jours auparavant par le Conseil des ministres. La directive prévoit un contrôle sur les vols internationaux et internes à l'Union européenne et permet de conserver les données personnelles des passagers durant six mois, puis jusqu'à cinq ans de manière masquée. Le Parlement européen devrait se prononcer prochainement en séance plénière pour permettre à ce dispositif d'être opérationnel début 2016. C'est l'aboutissement de quatre ans de discussions et il faut s'en réjouir.
Pour prévenir les attaques terroristes, il est indispensable de renforcer les échanges d'information entre les services de police et les systèmes judiciaires européens. Tout doit être mis en oeuvre pour rendre Europol et Eurojust plus réactifs et capables de coopérer étroitement avec les autorités nationales. L'Union européenne dispose de plusieurs instruments pour faciliter les échanges d'information entre États membres, agences et institutions. Europol a été renforcé dans le cadre de l'accord informel signé le 26 novembre 2015 entre États membres ; il faut développer les échanges d'information entre services de renseignement de l'Union, notamment à travers l'interconnexion de bases de données appropriées.
Naturellement, la proposition de résolution rappelle la nécessité de concilier mesures de sécurité et respect des droits. Elle insiste aussi sur la nécessité de mettre l'accent sur la prévention et la dé-radicalisation, grâce à la construction d'un contre-discours de tolérance.
Le texte pointe également la question du financement du terrorisme. L'Europe demeure en effet trop timorée dans la lutte contre ces financements et il conviendrait que le Conseil européen affirme cet objectif majeur de tarissement des flux. Le paquet législatif adopté en mai 2015 a permis de réviser le cadre applicable à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme pour proposer une approche fondée sur les risques, plus efficace et conforme aux recommandations du groupe d'action financière (GAFI). Mais pour aller plus loin, il faudrait harmoniser les compétences des cellules nationales de renseignement financier. L'Union européenne pourrait enfin exploiter la possibilité offerte par les traités de geler les avoirs liés au terrorisme sur son territoire.
Concernant la crise migratoire, la proposition de résolution appelle à accélérer la mise en oeuvre concrète des mesures déjà décidées, notamment sur la relocalisation des réfugiés. Le texte salue l'accord trouvé au Conseil européen sur le mécanisme permanent pour une relocalisation des personnes ayant besoin d'une protection internationale, mais appelle à le rendre pleinement effectif, ainsi que la proposition d'activation d'un mécanisme de répartition d'urgence. Les auditions que nous avons conduites au sein de cette commission ont montré que la mise en oeuvre de ces mesures reste très insatisfaisante, alors que la France s'est beaucoup engagée pour élaborer ces compromis qui permettent à la fois de faire face dignement à l'afflux de demandeurs d'asile, d'en limiter le nombre et de contenir l'immigration économique. Deux hot spots seulement sont réellement opérationnels aujourd'hui et la relocalisation ne fonctionne pas.
Des efforts considérables sont également nécessaires pour améliorer les mécanismes de contrôle aux frontières extérieures de l'Union. Il faut, là encore, se doter de moyens juridiques opérationnels. La Commission européenne vient de présenter un projet de législation sur les gardes-frontières, qui modifiera le règlement de l'Agence Frontex afin de donner à celle-ci une plus large autonomie d'action et le pouvoir d'agir de son propre chef en cas d'urgence, et créera un véritable corps de gardes-frontières autonomes. La proposition de résolution soutient ce projet qui ne sera pas facile à mettre sur pied.
Il s'agit aussi de consolider l'espace Schengen qui représente un acquis fondamental pour les citoyens et qui, à défaut de révision ciblée, pourrait être durablement remis en cause. À long terme, les flux migratoires que connaît l'Europe sont appelés à se développer. C'est pourquoi il faut insister sur l'importance de la politique de voisinage qui devra aller au-delà des impératifs de sécurité pour proposer des initiatives en faveur du développement des pays limitrophes. La proposition de résolution insiste sur la mise en oeuvre rapide des propositions du sommet de La Valette.
Enfin, comme d'autres propositions adoptées par l'Assemblée nationale, ce texte soutient l'objectif d'un nouveau paquet législatif sur l'asile visant à instaurer de véritables règles communes en la matière et appuyé par la création d'un Office européen pour la protection des réfugiés.
La résolution aborde enfin le problème du « Brexit ». Il faut saisir l'opportunité des négociations avec le Royaume-Uni pour jeter les bases d'une union différenciée efficace, que le Président de la République a appelée de ses voeux. Nous devons permettre à chaque pays d'aller ou non plus loin, sans détricoter les traités ni remettre en question ce qui fait l'originalité et la force du modèle européen.
David Cameron a transmis une lettre présentant les quatre volets de négociation dans la perspective du référendum annoncé, à laquelle le président Donald Tusk a répondu le 7 décembre dernier. Contrairement à ce que souhaitait le Premier ministre britannique, il n'y aura pas d'accord au Conseil européen de décembre, l'échéance étant désormais fixée à février. On peut regretter le souhait du Royaume-Uni de revenir sur le principe d'une union sans cesse plus étroite des peuples et débattre des moyens de mieux associer les parlements nationaux – car sur le principe nous y sommes évidemment favorables –, mais deux demandes sont problématiques.
La première, qui cristallise les tensions, est celle de la restriction de l'accès aux prestations sociales des immigrés européens au Royaume-Uni pendant quatre ans. Elle heurte clairement les principes de libre-circulation et de non-discrimination. La seconde est celle de l'articulation entre la zone euro et les États qui n'en sont pas membres : il s'agit d'un enjeu important, mais il n'est pas question de donner aux non-membres un droit de regard sur l'Union économique et monétaire. Des solutions pragmatiques ont toujours été trouvées, comme par exemple pour l'union bancaire. Fixer un principe général est dangereux car ceux qui sont restés à l'écart de la monnaie unique ne doivent pas empêcher les autres États d'aller vers plus d'Europe. La proposition rappelle cette ligne rouge des négociations et en appelle à un nouveau compromis de Luxembourg équilibré.
Car – c'est le dernier thème abordé par la proposition de résolution – les États appartenant à la zone euro doivent au contraire réaffirmer leur volonté de franchir une nouvelle étape dans l'intégration économique et politique, qui aille au-delà d'une réaction à la crise. L'Union économique et monétaire doit protéger les citoyens et être un facteur de progrès ; cela suppose d'en résorber les dysfonctionnements, sur un plan non seulement monétaire, mais aussi économique et social, et en matière de gouvernance.
Les pays de la zone euro ont fait le choix de partager leur souveraineté monétaire, renonçant à l'arme de la dévaluation unilatérale, sans pour autant se doter de nouveaux instruments économiques, sociaux, fiscaux et budgétaires communs. Il faut donc franchir une nouvelle étape qui consacre le principe de responsabilité budgétaire tout en assurant une véritable coordination macroéconomique et des mécanismes de solidarité. C'est un défi énorme et sans doute le Conseil européen de cette semaine ne parviendra-t-il pas à faire émerger un consensus. Néanmoins, la proposition de résolution réaffirme le soutien à cette ambition.
En conclusion, je vous propose d'adopter cette proposition de résolution sans modification. Elle est guidée par un souci d'efficacité face aux menaces et aux défis extérieurs comme intérieurs – un principe sur lequel nous pouvons largement nous retrouver.