Intervention de Annie Genevard

Séance en hémicycle du 12 janvier 2016 à 15h00
Débat sur les politiques publiques en faveur de la mixité sociale dans l'éducation nationale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnie Genevard :

Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, nous débattons aujourd’hui du rapport que nos collègues Yves Durand et Rudy Salles ont produit dans le cadre des travaux du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, consacré à la mixité sociale dans l’éducation nationale. Je voudrais tout d’abord remercier nos collègues pour la qualité de leur travail et pour le caractère innovant de certaines de leurs propositions. Ces compliments sont sincères et j’espère qu’ils me feront pardonner les points de divergence que je peux avoir avec une partie de leur rapport.

En préambule, je voudrais dire à Mme la ministre qu’il eût été judicieux d’attendre la parution de ce rapport, par respect pour le travail parlementaire et par cohérence, avant de lancer son opération « mixité à l’école », dans laquelle certains départements se sont trouvés impliqués malgré eux. Je pense en particulier au département du Doubs, qui a appris par voie de presse qu’il était volontaire pour expérimenter la mixité dans quelques-uns de ses collèges. Ces méthodes traduisent de l’amateurisme et trahissent l’affichage politique. Je peux vous dire que, sur le terrain, les choses ont été très mal perçues.

Le rapport de nos collègues commence par établir le constat que notre système serait particulièrement ségrégué. C’est aussi la conclusion que le ministère a tirée des dernières évaluations du programme international pour le suivi des acquis des élèves – PISA – qui constatent – ce qui est en effet tragique – que l’école amplifie les inégalités sociales. La solution serait d’améliorer la mixité à l’école. Qu’en est-il de la réalité chiffrée de la ségrégation ? Le système français est-il particulièrement ségrégué, comme le disent nos collègues ? Le Conseil national d’évaluation du système scolaire – le CNESCO – vient de rendre une étude, dont je vais citer quelques passages, qui nuance fortement le postulat de nos rapporteurs : « On trouve un petit nombre d’établissements qui accueillent un public soit très favorisé, soit très défavorisé. » L’étude évoque également « 5 % d’établissements où les classes aisées sont presque absentes et 5 % où la proportion de classes défavorisées dépasse le triple de la moyenne nationale. » Le phénomène est essentiellement urbain.

En outre, les chiffres qui circulent donnent parfois lieu à des analyses ou à des commentaires totalement erronés. Par exemple, dans le rapport, il est écrit que 5 % des établissements scolarisent 70 % d’élèves défavorisés. Dans un grand quotidien, cela devient « 5 % d’établissements scolarisent 70 % des élèves défavorisés », ce qui n’est pas du tout la même chose. On voit donc que, sur cette question de la ségrégation, les chiffres et les analyses doivent être observés avec une grande précision.

Ce que l’on peut dire assurément est que l’on ne se trouve pas devant un phénomène de masse, qui serait le problème majeur de notre école, même s’il faut effectivement le traiter. Je partage également votre avis lorsque vous dites que le but premier de l’école est la réussite, et non la mixité. Le vrai sujet est de savoir comment on fait réussir les élèves. J’ai tendance à penser que la réponse est scolaire plutôt que sociale. L’école ne peut pas régler tous les problèmes que l’État n’a pas réglés, qu’il s’agisse de la politique de la ville, malgré les milliards qui y ont été consacrés, ou de l’absence de maîtrise des flux migratoires, qui a concentré des populations fragiles dans des quartiers, donc dans des écoles.

Parmi les propositions de nos collègues, je ne crois pas à celles qui relèvent de la coercition, comme de subordonner les moyens des établissements privés à l’impératif de mixité sociale, ou encore d’affecter les élèves en fonction des diplômes des parents. C’est une forme de fichage social qui serait, à mon sens, très contre-productive. S’agissant du privé, est-il souhaitable de le stigmatiser, alors qu’il oeuvre déjà dans le sens de la mixité ? Votre rapport indique en effet que 40 % des postes créés dans le privé dans le cadre du plan en faveur des réussites ont été consacrés à des publics ou des territoires fragiles.

Mais la mixité ne doit pas non plus être érigée en totem. Je vous ai déjà parlé, madame la ministre, des écoles de la Fondation Espérance Banlieues. Dans celles-ci, pas de mixité sociale, ni scolaire d’ailleurs. Les initiateurs s’attachent à raccrocher des élèves parmi les plus défavorisés et les plus en difficulté, grâce à une innovation pédagogique que permet le hors contrat et un engagement extraordinaire des équipes. Les résultats sont exceptionnels. Si je peux me permettre un conseil, madame la ministre, vous devriez vous intéresser à cette fondation, qui accomplit un travail d’une extraordinaire utilité scolaire et sociale, que l’État devrait soutenir. C’est pourquoi j’accueille avec intérêt la proposition de nos rapporteurs de permettre aux collectivités, pour autant qu’elles le puissent budgétairement, de financer des établissements privés dans des secteurs difficiles.

Je constate avec satisfaction que les rapporteurs confirment que l’offre d’excellence est un facteur de mixité. Pourquoi, alors, avoir supprimé partout de telles offres ? Il faut au contraire les multiplier partout où c’est possible. On ne redira jamais assez combien les sections européennes, les classes bilangues ou les options de langues anciennes, offertes dans 90 % des collèges, étaient utiles pour maintenir de la mixité dans certains établissements. Les chefs d’établissements vous l’ont dit, madame la ministre, en vain : vous les avez supprimées.

Je trouve intéressante l’idée de démolir les établissements ghettos, à l’image de ce que l’ANRU a fait dans certaines zones. Intéressante aussi, l’idée de redéfinir le temps de présence des enseignants auprès des élèves. On sait qu’il y a là un puissant facteur de réussite pour les élèves les plus en difficulté. Intéressante, enfin, l’idée d’évaluer les établissements, du point de vue scolaire ainsi que de celui de la sécurité, et d’en informer les familles, ce qui offrirait le double avantage de mettre les établissements en responsabilité et de rassurer les familles. Certaines de ces propositions, que je viens d’évoquer, ont le mérite de traiter le sujet d’une façon moins simpliste que cela n’a été fait ces derniers temps, mais elles exigeront beaucoup de courage politique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion