La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
Mes chers collègues, avant d’entamer cette séance de questions au Gouvernement, permettez-moi de vous présenter à tous, ainsi qu’à M. le Premier ministre et aux membres du Gouvernement, tous mes voeux pour l’année 2016, pour vous et ceux qui vous sont chers.
Monsieur le Premier ministre, les attentats qui ont frappé la France au coeur en 2015 sont restés une plaie béante. Ce que nous devons par-dessus tout aux victimes et à tous les Français, c’est une détermination totale dans notre lutte contre le terrorisme et contre l’islamisme radical.
Vous savez, monsieur le Premier ministre, que le groupe parlementaire Les Républicains a pris et prendra toutes ses responsabilités à chaque fois qu’il s’agit d’armer la France contre le terrorisme. Dans une grande démocratie, l’union nationale se construit entre la majorité et l’opposition. À deux reprises, nous vous avons proposé le vote de la déchéance de nationalité. Après l’avoir refusée, nous prenons acte que vous acceptez enfin qu’un individu qui porte les armes contre la France n’ait plus sa place dans notre communauté nationale. Toutefois, comme je vous l’ai dit au Congrès, nous pensons qu’une loi ordinaire suffirait pour mettre en place cette mesure.
Si vous recherchez l’unité nationale, commencez donc par l’unité gouvernementale ! En effet, les signes que donne votre garde des Sceaux ne sont pas bons pour la cohésion nationale.
Nous sommes prêts à soutenir le projet de loi constitutionnelle, car il signifierait que la France n’accepte plus l’inacceptable. Mais nous n’accepterons pas un marché de dupes qui tromperait les Français, qui consisterait à voter le principe de la déchéance de nationalité tout en repoussant son application aux calendes grecques.
Ma question est donc très précise, monsieur le Premier ministre : présenterez-vous, simultanément à la révision constitutionnelle, un projet de loi d’application ? Sans cette loi d’application, l’engagement pris par le Président de la République devant le Congrès ne serait qu’une énième promesse non tenue ! Vous le comprenez, monsieur le Premier ministre : nous avons besoin d’un engagement très clair de votre part !
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le président, je vous présente tous mes voeux pour cette année 2016, ainsi qu’à chacun d’entre vous.
Monsieur le président Jacob, comme vous l’avez dit, au cours de l’année 2015, notre pays a été touché en plein coeur. Ces derniers jours, nous avons tous eu l’occasion, à plusieurs reprises, souvent avec le Président de la République, de rendre hommage aux victimes des attentats terroristes. Les événements survenus la semaine dernière devant un commissariat parisien, l’agression antisémite qui s’est produite hier à Marseille, nous rappellent la réalité de cette menace.
Cette menace ne concerne pas uniquement la France, nous le savons bien ; et le terrible attentat qui s’est produit ce matin à Istanbul souligne encore combien cette menace nous concerne, concerne l’Europe, la Méditerranée, le monde.
Permettez-moi d’exprimer à nouveau, ici, ma solidarité envers les victimes et leurs proches, envers la Turquie, et envers nos amis allemands qui ont été très durement touchés. C’est ensemble, avec ces pays, que nous combattrons le terrorisme. Cette réalité – vous l’avez dit, monsieur le président Jacob – nous oblige à être à la hauteur de la situation.
Bien sûr, le débat existe, heureusement ! Il aura lieu ici même, argument contre argument, car plus que jamais, face à la menace terroriste, la démocratie doit vivre. Cette réalité nous oblige surtout à ne pas céder à la facilité des fausses polémiques, des petites phrases : nous devons rechercher – c’est votre souhait – l’union. C’est cet état d’esprit républicain qui anime le Président de la République et le Gouvernement ; c’est cet état d’esprit qui doit continuer à nous animer tous.
Le 16 novembre dernier, devant le Congrès, le Président de la République a annoncé une révision de la Constitution. Pour protéger les Français dans la durée, nous avons décidé d’inscrire dans la Constitution l’état d’urgence. Vous le savez, et vous l’avez rappelé, nous avons également proposé la déchéance de nationalité pour les personnes condamnées pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation, sans pour autant créer de situation d’apatridie.
Tuer des Français au nom de l’islamisme radical, du djihad, c’est se couper définitivement de la communauté nationale ; c’est rejeter, au fond, toute volonté de vivre ensemble. Dans ce cas, oui, l’État, la République, peuvent prendre de telles mesures.
Vous aurez à débattre de ce texte dans les prochaines semaines. Comme l’a annoncé le Président de la République devant le Congrès, je le présenterai devant le Parlement. Nous présenterons aussi deux projets de loi ordinaire pour l’accompagner, l’un en application de l’article premier, l’autre en application de l’article 2 de la révision constitutionnelle.
Nous présenterons ces textes en même temps – nous avons encore quelques jours devant nous – pour qu’ils entrent ensuite en application. Il est hors de question de perdre du temps alors que les Français attendent de notre part des engagements. C’est ce que nous faisons, et j’imagine que M. le ministre de l’intérieur y reviendra cet après-midi en répondant à vos questions. Nous aurons également l’occasion d’y revenir tout à l’heure quand nous nous rencontrerons à Matignon.
Nous devons prendre des décisions qui s’appliquent le plus rapidement possible. C’est ainsi que nous ferons vivre l’unité nationale ; c’est ainsi que nous répondrons à l’exigence des Français.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste.
La parole est à M. Yves Blein, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Ma question s’adresse à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.
Aider les agents des écoles à lutter contre le gaspillage alimentaire, participer à l’animation du conseil municipal de la jeunesse et des conseils de quartier, contribuer à la bonne marche de l’atelier santé ville, enrichir les activités périscolaires : voici quelques-unes des missions que huit jeunes en service civique prennent en charge dans ma commune, à Feyzin.
Les jeunes Français aiment s’engager. La jeunesse est par nature généreuse ; il faut que la nation accueille cette richesse et lui offre de multiples terrains d’expression et de réalisation. En fixant comme objectif que la moitié des jeunes Français puissent réaliser une mission de service civique, le Président de la République a lancé hier un formidable défi à la nation. Les services publics, bien sûr, les acteurs de l’économie sociale – notamment le mouvement associatif, déjà remarquablement mobilisé – et la société civile dans son ensemble doivent tous, sans exception, se mobiliser pour ne pas laisser en jachère cette formidable capacité de la jeunesse française à vouloir être utile à la société.
Car nous le savons bien : c’est dans cette envie d’être utile que prend naissance le sentiment d’appartenance à la nation, que s’épanouit la notion de solidarité, que se matérialise cette belle valeur qu’est la fraternité. 60 000 jeunes hier, 350 000 demain, sont et seront autant de messagers et de militants de l’esprit républicain dont nous avons tous, particulièrement en 2015, demandé avec force la réhabilitation. Ne laissons pas l’envie d’engagement de notre jeunesse sans terrain d’exercice, car c’est bien la République, et nul autre, qui doit capter et guider cette précieuse énergie !
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire comment vous comptez mettre en oeuvre cette promesse faite par le Président de la République à la France qui s’engage ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Un peu moins de bruit, mes chers collègues ; je suis sûr que vous êtes très heureux de vous retrouver, mais écoutez les orateurs !
La parole est à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.
Monsieur le député, la politique de la jeunesse ne se résume pas à l’engagement, mais il constitue – chacun voudra bien le reconnaître – une priorité. Le nombre de jeunes en service civique a triplé entre 2012 et 2015, pour atteindre 60 000 aujourd’hui. Créer une culture de l’engagement fondée sur le volontariat, et sortir d’un dispositif qui était au début confidentiel – disons-le – pour le généraliser et en faire progressivement un élément de notre contrat social, tel est l’enjeu. Il doit se manifester par des réponses à votre question, monsieur Blein.
Comment cela ? Tout d’abord, par une volonté politique, celle exprimée hier par le Président de la République à l’occasion de ses voeux à la jeunesse et aux forces de l’engagement – voeux formulés le 11 janvier, tout un symbole. Ensuite, par des moyens financiers : 1 milliard d’euros pour permettre à 350 000 jeunes – vous l’avez dit, monsieur le député – d’effectuer, d’ici 2019, un service civique. Ces mesures seront complétées par des quotas de création de services civiques qui seront imposés aux administrations d’État dès 2016. Nous négocierons, naturellement, avec les collectivités territoriales pour développer cette politique.
Troisième étage de la fusée : des moyens administratifs adaptés seront prévus, dans le cadre d’un Haut-commissariat à l’engagement qui sera placé sous l’autorité du Premier ministre, pour démontrer toute l’importance que revêt cette politique publique.
Mesdames et messieurs les députés, nous changeons d’échelle, nous changeons de dimension, pour reconnaître à notre jeunesse toute sa place dans la société. À l’engagement morbide, mortifère, des terroristes, nous opposons l’engagement pour la vie de notre jeunesse.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à M. Olivier Falorni, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le Premier ministre, ma question ne portera pas sur la déchéance de la nationalité, débat dont j’observe qu’il nous entraîne depuis quelques semaines, hélas, dans une consternante déchéance de la rationalité.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.
Il nous détourne finalement de l’essentiel ; et l’essentiel, c’est la question de savoir comment combattre le fanatisme barbare, comment le prévenir, comment l’empêcher et comment le réprimer.
On ne naît pas terroriste, on le devient. Et il faut savoir mettre des mots sur les maux qui minent notre société. Il faut dire que la déshérence de la citoyenneté peut parfois contribuer au phénomène viral du djihadisme.
Les mesures annoncées hier par le Président de la République sont, à ce sujet, judicieuses, qu’il s’agisse de l’allongement de la journée Défense et citoyenneté ou de la généralisation du service civique. J’y ajouterai la nécessaire extension du service militaire volontaire, dont l’un des trois centres en France ouvrira ses portes demain à La Rochelle.
Mais face aux crimes terroristes, la répression doit être implacable. L’essentiel est d’abord de mettre les terroristes hors d’état de nuire. Il me semble donc urgent d’étendre aux crimes de terrorisme la peine de perpétuité incompressible avec, si nécessaire, l’application de la rétention de sûreté.
Quel dispositif allez-vous donc mettre en place, monsieur le Premier ministre ? Dans le domaine dont nous parlons, le symbole est sans doute nécessaire, mais l’efficacité est absolument indispensable ; car, face au terrorisme, l’essentiel, ce n’est pas de déchoir ou de ne pas déchoir : l’essentiel, c’est de ne pas échouer.
Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur quelques bancs du groupe écologiste.
La parole est à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.
Je reprendrai votre expression, monsieur le député : « On ne naît pas terroriste, on le devient. »
Au pacte de sécurité, absolument nécessaire en cette période, il nous faut associer un pacte de citoyenneté ; et face au prosélytisme de la haine, de la violence et de l’exclusion, il nous faut opposer celui de l’altérité et de l’empathie.
Cette altérité, nous devons la construire avec des réponses républicaines. Je pense en premier lieu à l’enseignement moral et civique, défendu par Mme la ministre de l’éducation nationale : 300 heures, dès le plus jeune âge, pour les jeunes de notre pays, y seront consacrées.
Je pense par ailleurs à la journée Défense et citoyenneté. Il est vrai que le Président de la République, hier, lors de ses voeux à la jeunesse et aux forces de l’engagement, a ouvert le chantier d’une éventuelle extension de cette journée, qui permet un brassage social, à une semaine civique.
Je pense également au service civique, que j’ai évoqué tout à l’heure, et à sa généralisation, après 2020, à l’ensemble d’une génération.
Je pense enfin à la réserve citoyenne, qui se développe actuellement dans notre pays.
Le Président de la République a en outre évoqué la création d’un livret citoyen, qui serait remis à tout jeune, à partir de seize ans et jusqu’à vingt-cinq ans, afin d’attester son engagement auprès des autres dans notre société.
Ces mesures viennent compléter, monsieur le député, les 50 % de places supplémentaires créées dans les établissements pour l’insertion dans l’emploi – EPIDE. Et je n’oublie pas la création, en lien avec le ministre de la défense, de trois centres de service militaire volontaire, sur la base du service militaire adapté, le SMA, en outre-mer.
Telles sont les conditions d’une digue antiterroriste : faire en sorte que les prédateurs ne trouvent plus de proies, notamment dans les quartiers prioritaires de la ville.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur le Premier ministre, constitutionnaliser la déchéance de nationalité pour les binationaux coupables d’atteinte grave à la vie de la nation est tristement symbolique. Et ce symbole rompt avec l’un des éléments fondateurs de notre République : le principe d’égalité. Comme la République, la communauté nationale est une et indivisible : il n’y a pas deux catégories de Français.
Alors que la menace terroriste reste très forte en France et partout dans le monde – nous le voyons encore aujourd’hui en Turquie –, nous devons, sans faillir, faire preuve de détermination et d’efficacité face à la barbarie.
Or la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité est, par essence, inefficace et inutile pour combattre les terroristes. Elle est non seulement inutile, d’ailleurs, mais aussi hors sujet : hors sujet car la lutte contre le terrorisme ne relève pas de la question des binationaux ni du droit de la nationalité.
Répondre au défi terroriste suppose une réflexion sur l’organisation et les moyens de nos services de justice, de police, de gendarmerie et de renseignement. La lutte contre le terrorisme nécessite aussi des solutions aux maux qui nourrissent ce dernier, et nous oblige à en comprendre tous les ressorts. Nous devons comprendre pour nous défendre et nous protéger sur le long terme.
En définitive, la réécriture de notre texte fondateur signerait la victoire idéologique des terroristes djihadistes et de l’extrême-droite, qui ne croient pas en notre capacité à vivre ensemble. Solennellement, monsieur le Premier ministre, nous vous demandons le retrait de cette mesure inefficace qui mettrait à mal l’unité de notre République, à l’heure où nous avons, plus que jamais, besoin de nous rassembler autour de ses valeurs fondamentales.
Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
On l’a rappelé, la France a été frappée par les terroristes en 2015, et la menace reste particulièrement présente. Notre pays a été frappé au coeur, mais ce sont aussi les valeurs universelles, celles de la République, qui ont été attaquées : la liberté d’expression, la liberté de croire ou de ne pas croire, l’égalité, un art de vivre.
Ces crimes ne sont pas des crimes ordinaires. Le terrorisme fauche les vies et ébranle les consciences ; il cherche à faire naître la peur, la haine, et finalement la guerre. Son projet ne s’arrête pas à l’assassinat : il cherche à défaire une société, à détruire les solidarités, à briser le contrat social.
Nous devons réagir et, comme chaque gouvernement face à des actes de guerre, nous le faisons à travers les moyens donnés à la police, à la gendarmerie et aux services de renseignement. Je pense également, bien sûr, à la mobilisation de nos armées et aux moyens supplémentaires qui leur sont aussi donnés ; à la mobilisation du peuple français, depuis plusieurs mois, sous des formes chaque fois différentes mais toujours avec le même courage ; au nouveau patriotisme, enfin, qui doit s’installer : les Français ont brandi, et avec quelle force, les couleurs nationales et ont chanté notre hymne, La Marseillaise.
Les auteurs de ces actes doivent être poursuivis et sanctionnés. L’honneur d’une démocratie, c’est de désigner le djihadisme et l’islamisme radical comme des idéologies mortifères, et c’est d’affirmer, avec la plus grande force, qu’elle combat le terrorisme sur tous les fronts.
Trois jours après les attentats, le Président de la République s’est exprimé devant le Congrès : sa tâche était de tout faire pour que l’unité nationale s’impose à un moment où tout pouvait vaciller. C’est la raison pour laquelle il s’est engagé sur la constitutionnalisation, d’abord, de l’état d’urgence, avant de proposer d’étendre la déchéance de nationalité à tous ceux qui, nés ou devenus Français, se sont rendus coupables d’un crime terroriste, sans pour autant créer des apatrides.
Cette possibilité existe déjà dans de nombreux pays ; en France, elle est inscrite dans le code civil. Oui, monsieur Chassaigne, la République prévoit, depuis des dizaines d’années, une possibilité de déchéance de nationalité. Personne ne remet cette mesure en cause : Bernard Cazeneuve et moi-même, dans nos fonctions de ministre de l’intérieur, y avons d’ailleurs eu recours.
L’extension de cette mesure ne porte pas atteinte aux valeurs républicaines, bien au contraire : elle a une valeur symbolique, hautement symbolique même, bien entendu ; mais elle a aussi des effets concrets. De toute façon, monsieur Chassaigne, quelle autre sanction un terroriste qui veut donner et se donner la mort pourrait-il craindre ? La prison ? Là n’est donc pas le sujet. Le sujet, pour la nation, est d’affirmer, à travers ce nouveau patriotisme, ce que nous sommes, nous, Français, autour de nos valeurs, celles d’un patriotisme généreux, qui n’exclut personne.
Aucun binational ne doit se sentir concerné par la mesure dont nous parlons, de même qu’aucun naturalisé – et j’en suis un, monsieur Chassaigne – n’a eu à se sentir concerné par les déchéances de nationalité que nous avons engagées.
Être Français, c’est au-delà du droit du sol ou du droit du sang, et c’est au-delà de la naturalisation : c’est appartenir à une communauté de valeurs, la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité, le respect de la loi.
Alors oui, face au nouveau monde dans lequel nous sommes entrés, face à l’instabilité que nous observons partout, nous devons affirmer ce qu’est la nation, ce qu’est le patriotisme, ce qu’est être Français, partout dans le monde, où l’on nous admire pour notre courage. Ce courage, c’est d’aller jusqu’au bout ; c’est de respecter la parole engagée par le Président de la République devant le Congrès ; car engager sa parole devant le Congrès, devant la nation tout entière, c’est être à la hauteur de ses responsabilités.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le Premier ministre, dans la nuit de samedi à dimanche, un incendie criminel a ravagé l’église Saint-Louis de Fontainebleau.
Un autel du XVIe siècle a été entièrement brûlé, des hosties consacrées jetées sur le sol, et l’Enfant-Jésus de la crèche volé. Un peu plus tard, c’est un autre incendie, probablement accidentel, qui a détruit l’église de Veneux-les-Sablons, avant la chute mystérieuse d’une croix en forêt de Fontainebleau.
Ces actes inqualifiables ont suscité de nombreuses réactions d’indignation, à Fontainebleau ainsi que dans tout le pays. Ils ont profondément choqué les membres de la communauté catholique..
… et aggravé leur inquiétude face la recrudescence, ces derniers mois, d’actes antichrétiens en France. Je veux leur exprimer toute ma compassion et ma solidarité.
En visant le coeur de la foi catholique, les criminels n’ont pas seulement insulté la communauté des croyants : ils ont offensé la communauté nationale tout entière, car lorsqu’un culte est profané et des sépultures dégradées, ce sont la République et ses valeurs qui sont piétinées.
Après les attentats de Paris, de telles profanations contribuent à entretenir un climat de peur et de suspicion. Quelles que soient les motivations de leurs auteurs, elles doivent être condamnées avec la plus grande fermeté.
Je salue la venue du ministre de l’intérieur hier soir à Fontainebleau, mais regrette la réaction trop tardive du Gouvernement face à des événements si graves dans le contexte actuel.
Nos concitoyens n’attendent pas seulement de l’État du réconfort et du soutien : ils en attendent des actes concrets.
Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous assurer que tout sera entrepris pour retrouver les auteurs de ces actes et les sanctionner sévèrement ? Pouvez-vous nous assurer que la protection des lieux de culte sera renforcée dans notre pays ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe UDI.
Madame la députée, nous étions hier soir ensemble à Fontainebleau, avec les représentants des forces de sécurité, les élus, et le représentant du procureur de la République. Vous insistez sur la nécessité d’assurer la protection des lieux de culte. Je veux ici rendre hommage aux dizaines de milliers de policiers et de gendarmes qui, depuis le mois de janvier dernier, par des gardes statiques et dynamiques, assurent la protection de l’ensemble de ces lieux en France.
Applaudissements sur tous les bancs.
Comme vous étiez en ma compagnie hier soir à Fontainebleau, vous avez, comme moi, entendu l’évêque et le prêtre de la paroisse de Saint-Louis remercier chaleureusement l’État et les forces de sécurité pour le travail accompli depuis des mois, et notamment pour leur engagement au moment de Noël, qui a permis aux messes de se dérouler dans un climat de sécurité absolue.
Si la laïcité est la possibilité de croire et de ne pas croire, elle offre aussi à ceux qui ont fait le choix, par l’exercice de leur libre arbitre, d’une religion, la liberté de la pratiquer.
Il n’y a donc pas lieu, madame la députée – et je me réjouis que cela n’ait pas été le cas hier soir au moment de ma visite – de polémiquer sur ce sujet. Tous les lieux de culte sont protégés, soit, en permanence, plus de 2 000 églises, près de 800 mosquées et un très grand nombre de synagogues.
En effet, l’État a une responsabilité particulière, qu’il assume par l’engagement des forces de l’ordre : assurer la protection de tous les lieux de culte.
Vous indiquez que notre réaction a été tardive : je rappelle que les faits ont eu lieu le matin, et qu’il a fallu, pour des raisons tenant aux particularités de l’enquête, obtenir des informations, que j’ai communiquées dès le dimanche.
Je me suis rendu hier sur place ; nous y étions ensemble. Lorsque l’essentiel est en jeu, nous devons laisser les polémiques de côté.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, sur quelques bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Stéphane Demilly, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le Premier ministre, l’industrie de notre pays a perdu plus de 41 000 emplois en 2015. Et l’année s’est achevée sur une nouvelle annonce de suppression d’emplois par l’entreprise Pentair à Ham, dans la Somme.
Je veux ici vous en exposer la situation sous la forme d’une charade, que j’intitulerai la charade de l’inacceptable et de la provocation.
Mon premier a un carnet de commandes bien rempli, mon deuxième réalise près de 20 % de marge brute, mon troisième a donné, ces dernières semaines, quarante-six heures de travail hebdomadaire à ses salariés pour répondre à une forte demande, et mon quatrième compte, parmi ses plus importants clients, de nombreuses entreprises dont l’État est actionnaire.
Mon tout, monsieur le Premier ministre, est une usine qui va fermer ses portes au coeur de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie sans que le Gouvernement réagisse ! L’ironie de cette charade peut sembler choquante, mais elle n’est pas à la hauteur du cynisme dont ont fait preuve les dirigeants de ce groupe américain, qui, la veille du 25 décembre – vous entendez bien, du 25 décembre ! – ont annoncé en guise de cadeau de Noël aux 133 salariés de l’usine, à la stupéfaction générale, leur licenciement pur et simple.
Avec le président de la région, Xavier Bertrand, nous avons rencontré le comité de direction de ce groupe vendredi dernier. Nous lui avons fait part de notre totale incompréhension ainsi que du désarroi des salariés face à l’annonce de cette fermeture injustifiée du site de Ham et aux réductions d’effectifs envisagées sur ceux d’Armentières et de Saint-Ouen l’Aumône.
Le 18 janvier prochain, lors de la réunion du comité central d’entreprise, la direction va probablement confirmer cette fermeture, le jour même – autre ironie de l’histoire ! – où le Président de la République présentera son plan d’urgence pour l’emploi. Mais pour Ham, il sera trop tard !
Monsieur le Premier ministre, l’État-client a son mot à dire. Ne pas réagir, c’est cautionner cette fermeture ! Je vous en conjure, prenez l’initiative d’une rencontre en urgence avec les plus hauts responsables de ce groupe industriel, car une fois de plus, le 18 janvier, il sera trop tard !
Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur quelques bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.
Monsieur le député, vous avez raison de souligner à quel point la décision qui a été annoncée le 15 décembre dernier par le groupe Pentair est de nature inacceptable. En effet, vous l’avez rappelé, les chiffres sont là : la viabilité économique de l’ensemble de ces sites productifs semble avérée, et l’engagement de l’ensemble des personnels y travaillant est une réalité.
Face à cette annonce, qu’allons-nous faire ? Trois choses. Premièrement, nous avons d’ores et déjà, avec le commissaire au redressement productif concerné et l’ensemble des services de Bercy, procédé à une analyse détaillée de la viabilité économique et industrielle de ces trois sites. Il s’agit du site de Ham, qui est donc menacé de fermeture, avec ses 132 salariés, et des sites d’Armentières et de Saint-Ouen l’Aumône qui, comme vous l’avez rappelé, pourraient être frappés par des suppressions d’emplois.
Nous avons convoqué la direction française du groupe, mais également engagé une série de contacts avec sa direction américaine, afin de demander des explications sur ces restructurations, qui s’inscrivent dans un plan d’ensemble qu’il a décidé de mettre en oeuvre pour restructurer ses marques et ses sites productifs.
Dans le cadre de ce dialogue – que nous engagerons de manière très précise et transparente vis-à-vis de l’ensemble des élus concernés –, nous avons bon espoir de conduire le groupe à revisiter ses choix et à revenir sur ses décisions – et plus précisément les suppressions de postes qu’il a annoncées.
Deuxièmement, si le groupe devait confirmer ces décisions, la loi du 29 mars 2014 visant à reconquérir l’économie réelle, dite loi Florange, lui impose de chercher un repreneur. D’ores et déjà, nous avons examiné l’ensemble des repreneurs potentiels, en particulier pour le site de Ham.
Il faut le faire dès maintenant, car si nous ne disposons d’aucune garantie, nous ne devons faire preuve d’aucun fatalisme : ces trois sites ont un avenir industriel.
Troisièmement, et vous l’avez relevé à juste titre, il ne s’agit pas que de la commande d’État. La filière amont du groupe Pentair est la filière chimique et énergétique. Nous avons, d’ores et déjà, pris contact avec l’ensemble des groupes énergéticiens afin qu’ils puissent prendre toutes leurs responsabilités et confirmer des commandes pour ces sites.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, François Hollande a profité de ses voeux aux Français pour annoncer un plan d’urgence en faveur de l’emploi. Après bientôt quatre années au pouvoir, après avoir cumulé tant d’erreurs, promulgué tant de lois inutiles, voire néfastes, qui devaient pourtant tout changer, votre communication politique bat son plein.
Que peut changer un tel plan pour les demandeurs d’emploi, les apprentis, les chefs d’entreprise ? Rien selon les économistes, rien selon les partenaires sociaux, et rien pour une majorité de Français lassés des promesses sans lendemain. Allez-vous toucher au contrat de travail ? Non. Allez-vous toucher au temps de travail ? Non, vous l’avez dit.
Alors que nos partenaires européens ont repris le chemin de la croissance avec des baisses spectaculaires du taux de chômage, la France reste engluée dans un chômage de masse qui ne cesse d’augmenter en dépit de tous les indicateurs mondiaux positifs : plus d’un million de demandeurs d’emploi supplémentaires depuis 2012.
Même votre ministre du travail n’y croit pas. Elle a ainsi annoncé que le chômage ne baisserait pas en 2016, avant de se faire taper sur les doigts et d’être dans l’obligation de se contredire trois jours plus tard, ce matin même.
Les Français le savent, le plan de formation annoncé par François Hollande est un moyen de faire baisser artificiellement le nombre de demandeurs d’emploi dans notre pays car, oui, lorsque l’État finance à coups de déficits publics des formations, des personnes sortent des compteurs de Pôle emploi, et vous faites baisser artificiellement la courbe du chômage.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Ce n’est pas une réponse au problème de l’emploi dans notre pays. Au lieu de cumuler séminaires et réunions, dites ce que vous allez faire. Cessez de mentir aux Français, sortez de votre communication politique à outrance, et entrez enfin dans l’action.
Quelles formations, quel coût, quel financement – la dette ou les régions – pour qui, quels emplois au bout du chemin ? Quelles mesures prendrez-vous enfin pour créer de l’emploi dans notre pays ? Les Français sont en droit de savoir.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Je ne me contredis absolument pas, monsieur le député.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
J’ai expliqué qu’en 2015, il y avait eu près de 40 000 créations nettes d’emploi dans notre pays, qu’après de nombreuses années de destruction d’emplois, il fallait bien sûr accueillir favorablement, mais que cela n’a pas été suffisant au regard de notre croissance démographique.
Cette mobilisation pour l’emploi a un double objectif : soutenir la création d’emplois par un soutien à l’embauche et former les demandeurs d’emploi qui ne sont pas qualifiés ou qui le sont peu. Près de 2 millions de demandeurs d’emploi n’ont pas le niveau bac, près de 680 000 d’entre eux ont un niveau inférieur au CAP, et il est bon pour la compétitivité de notre économie et pour l’investissement humain de partir des besoins des territoires, des besoins des entreprises bassin d’emploi par bassin d’emploi.
Vous parlez tout le temps des emplois non pourvus. Comment être opérationnels ? Ce plan de formation est ambitieux, bien sûr, mais il faut une mobilisation des présidents de région, des partenaires sociaux, des DIREN, de l’ensemble des partenaires, en partant des besoins des entreprises et en respectant de nombreux engagements, sur la transition énergétique, le numérique, les services à la personne.
La question des emplois non pourvus pollue parfois le débat politique, laissant penser que les demandeurs d’emploi sont des paresseux.
Voilà quel est l’enjeu, accompagner l’investissement public, l’investissement privé par l’investissement humain. Je crois que c’est un signe en direction des demandeurs d’emploi.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à Mme Colette Langlade, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le ministre de l’intérieur, en 2015, une terrible menace, la menace terroriste issue du djihadisme, a frappé notre pays en plein coeur à de multiples reprises.
Les terroristes ont frappé en janvier en s’en prenant à la presse libre, aux forces de l’ordre, à nos concitoyens de confession juive. Les terroristes ont frappé en novembre en s’en prenant à la jeunesse, au sport, à la culture, à notre art de vivre, fait de convivialité et de partage.
D’autres pays ont été touchés. D’autres attentats sur notre sol ont été déjoués par nos services de renseignement ou par la bravoure de citoyens. À Montpellier et à Orléans, à la fin de l’année 2015, des opérations redoutables et meurtrières étaient planifiées pour toucher notre pays et notre peuple en plein coeur.
Barbès la semaine dernière, Marseille hier, Istanbul aujourd’hui, la menace terroriste reste à un niveau maximal, mes chers collègues.
Dans ce cadre, la mobilisation du Gouvernement, des forces de police et de gendarmerie, de nos forces armées, des services de renseignement et de la justice et, plus largement, de l’ensemble des pouvoirs publics demeure bien évidemment totale.
Les terroristes nous observent. Ils nous testent et veulent nous déstabiliser.
Ils attendent deux choses. Parce qu’ils ne croient ni en la démocratie ni en l’État de droit, ils pensent que nous sommes faibles et que nous n’allons pas nous doter de moyens pour répondre. Parce qu’ils refusent le principe de la diversité, obsédés par leur idéologie totalitaire et intolérante, ils attendent que les nations et les peuples se divisent face aux attaques.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire comment s’organise en 2016 la riposte au terrorisme ?
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la députée, nous sommes confrontés à un niveau de menace qui demeure exceptionnellement élevé. Il faut dire aux Français la vérité : ce n’est pas parce que les attentats qui se sont produits en 2015 s’éloignent que la menace faiblit. Ce qui s’est passé à Istanbul, à Marseille, à Paris, le nombre de personnes que nous arrêtons chaque jour grâce au travail de la Direction générale de la sécurité intérieure, le nombre de filières que nous démantelons témoignent du niveau élevé de cette menace.
Dans le courant de l’année 2015, dix-huit filières de recrutement ont été démantelées par les services de police et de renseignement, à Orléans, à Nîmes, partout en France, des filières qui conduisaient des jeunes, parfois vulnérables, à s’engager sur le théâtre des opérations terroristes, sur un chemin sans retour, car, lorsqu’ils reviennent de telles opérations, ils ne sont guidés que par la violence et la haine. Onze attentats ont été déjoués, dont six entre le printemps et la fin de l’année 2015, attentats fomentés par ceux qui avaient préparé les attentats du 13 novembre. Nous sommes donc face à une menace dont le niveau demeure très élevé.
Comment faisons-nous ? Nous augmentons les effectifs des services de police et de renseignement. Nous leur donnons des moyens en véhicules, en armes, en dispositifs de protection, en outils numériques. Nous agissons au plan européen pour augmenter le contrôle aux frontières, mettre en place le PNR, lutter contre la fraude documentaire. Daech a en effet volé de nombreux passeports vierges pour permettre l’arrivée sur le territoire européen, sous de fausses identités, de personnes représentant un véritable danger pour la nation. Nous faisons aussi en sorte, en liaison avec les acteurs internet, de développer un contre-discours…
Monsieur le Premier ministre, j’associe mes collègues Valérie Boyer et Dominique Tian à ma question, qui concerne la terrible agression perpétrée hier, à coups de machette, par un jeune adolescent de moins de seize ans à l’encontre d’un enseignant de l’école juive La Source, située à Marseille, dans ma circonscription. Je tiens tout d’abord à adresser de nouveau tout mon soutien à la victime et à ses proches.
Alors qu’il se rendait à pied à l’établissement où il dispense des cours de théologie, le professeur, portant une kippa, a été agressé par un jeune homme qui avait la ferme intention de le tuer, selon ses propres dires. La victime, qui s’est défendue, a indiqué aux enquêteurs avoir vu beaucoup de haine dans les yeux de ce jeune garçon. Heureusement, un riverain a fait fuir l’agresseur.
Ce qui fait frémir, au-delà de cet acte odieux et révoltant, c’est que l’auteur revendique clairement le caractère antisémite de son geste, accompli au nom d’Allah et de Daech, et sa haine des juifs. Il s’agit d’un adolescent, de nationalité turque et d’origine kurde, présenté comme un bon élève et totalement inconnu des services de police et de justice. Le procureur a annoncé qu’il se serait radicalisé via Internet. Sa famille semblait tout ignorer de sa radicalisation. Il ne fréquentait pas la mosquée.
Alors que la section antiterroriste du parquet de Paris a été saisie de l’affaire, monsieur le Premier ministre, quels moyens supplémentaires pouvons-nous déployer pour parvenir à identifier ces jeunes gens qui, hors de tout radar, se radicalisent sur Internet ?
L’heure est grave, car ces actes inqualifiables se multiplient. En novembre, un professeur d’histoire d’une école juive de Marseille avait été blessé à coups de couteau. Un mois auparavant, en octobre, un déséquilibré avait agressé deux fidèles et un rabbin. Chaque agression de ce type et la crainte même de la subir sont en soi une tache sur le drapeau tricolore, une injure faite à la République.
Il est urgent de renforcer la sécurité des personnes, plus particulièrement aux abords des lieux publics. Monsieur le Premier ministre, les parents d’élèves des familles juives de Marseille ont peur : que leur répondez-vous ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur Teissier, je vous remercie pour cette question qui, dans la relation qu’elle fait de ce qui s’est produit à Marseille hier, est parfaitement précise et tout à fait exacte. Cela correspond aux informations qui m’ont été communiquées. Je m’associe à vos propos pour dire que toute la représentation nationale et le Gouvernement condamnent avec la plus grande fermeté la monstruosité de ces actes antisémites qui sont, pour les Français de confession juive, une véritable blessure. Elle est irréparable, car le traumatisme occasionné suscite des souffrances qui durent longtemps.
J’ai eu hier soir au téléphone le professeur victime de cette agression. Je confirme son traumatisme, sa peine et son incompréhension. Mais je veux rappeler aussi la grande dignité de la communauté juive, qui s’est exprimée hier et appelle toujours, lorsque des événements de ce type se produisent, à la concorde et à la fraternité, parce que ce sont des valeurs que portent magnifiquement les juifs de France.
Vous me demandez ce que nous pouvons faire. Le profil de celui qui a frappé hier est très caractéristique de ces jeunes vulnérables qui se radicalisent par la fréquentation d’Internet. Qu’avons-nous fait et quels résultats avons-nous d’ores et déjà obtenus ? Nous avons pris des dispositions dans la loi du 13 novembre 2014, qui permettent le blocage administratif des sites appelant et provoquant au terrorisme. Nous avons bloqué 115 adresses Internet et nombre de ces sites ont fait l’objet de poursuites judiciaires. Ce travail est indispensable, parce que beaucoup de ceux qui se radicalisent le font en fréquentant de tels sites.
Par ailleurs, nous avons mis en place dans la loi relative au renseignement la détection sur données anonymes qui permettra, grâce au travail des services de renseignement, de mieux repérer le comportement de ceux qui fréquentent ces sites, de les identifier et de les empêcher d’agir. Cette loi n’est pas une loi de surveillance de masse, mais de lutte contre le terrorisme.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste.
La parole est à M. Jean-Luc Laurent, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le ministre de l’intérieur, ce week-end, le Conseil français du culte musulman a pris une heureuse initiative en organisant une opération « mosquées ouvertes », pour inviter tout le monde à découvrir les lieux, mais aussi la réalité de l’islam de France. Vous vous êtes rendu à Saint-Ouen, quand j’étais pour ma part au Kremlin-Bicêtre.
Heureuse initiative, mais aussi courageuse initiative que de l’organiser en ce week-end de janvier, un an après les tueries de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, attentats commis au nom d’un islam malade, assassin et djihadiste, d’un islam de mort. La République n’a pas à faire la police des religions, mais elle doit, avec lucidité, veiller à favoriser un islam ouvert et pacifique, un islam démocratique et, demain, peut-être, sécularisé. À l’échelle des siècles et au vu de la situation du monde, on mesure toute la difficulté de la tâche.
Pourtant, c’est à cela qu’aspirent plusieurs millions de Français qui veulent croire en paix et pratiquer cet islam ouvert. Cela relève d’abord de la responsabilité de nos compatriotes musulmans, mais, dans le cadre protecteur de la loi de 1905, qui n’a pour moi rien d’une contrainte ou d’un carcan, la République doit autant que possible les y aider, à tous les niveaux.
J’ai signé, il y a quelques semaines, le bail emphytéotique administratif permettant la construction d’une mosquée au Kremlin-Bicêtre. Certaines voix se sont élevées pour proposer la création d’un véritable institut des cultures musulmanes, en faveur d’un islam des Lumières contre les prédicateurs obscurantistes comme Tariq Ramadan. Que comptez-vous faire, monsieur le ministre ?
Monsieur Laurent, nous évoquions à l’instant, en réponse à la question de Guy Teissier, les actes antisémites et les attentats qui se sont produits le 13 novembre. À l’occasion de ces événements absolument tragiques, par ce qu’ils représentent de monstruosité, d’inhumanité et de rupture avec les principes de la République, les musulmans de France ont porté une parole forte, éminemment républicaine. Pour leur parler et les voir souvent, je peux dire devant la représentation nationale qu’un islam de France est en train de naître, de plain-pied dans la République, fier d’y être et affirmant son appartenance première à la République et sa condamnation sans faille des événements abjects qui se sont produits et qui nous rappellent ce dont le terrorisme est capable.
Pour en être convaincu, il n’y a qu’à lire la déclaration de l’ensemble des composantes de l’islam de France, qui se sont réunies à l’Institut du monde arabe quelques jours après les attentats et qui, sous la responsabilité du président du CFCM, Anouar Kbibech, ont adressé une véritable déclaration d’amour à la République. Je veux remercier les musulmans de France pour leur courage, leur détermination et l’affirmation de leur attachement à la République.
Nous devons aller plus loin. S’agissant de la formation des imams, nous devons développer les diplômes universitaires et permettre à ceux qui ont vocation à devenir aumôniers de disposer d’une formation aux principes civiques et républicains. Douze diplômes universitaires – DU – ont été ouverts. Nous devons faire en sorte qu’il y ait une fondation de l’islam de France en 2016, pour assurer la transparence du financement des lieux de culte ainsi qu’une meilleure connaissance de l’islam en France, et créer les conditions d’une relation apaisée dans la République avec l’islam de France. Tels sont les sujets inscrits à notre programme de travail en 2016.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la garde des sceaux, à l’issue du conseil des ministres du 23 décembre, le Premier ministre nous a annoncé que 250 djihadistes étaient de retour de Syrie ou d’Irak. Ma question est simple : que comptez-vous faire pour que ces individus soient punis comme ils le méritent après avoir combattu dans les rangs de l’État Islamique, après avoir combattu l’armée française, et surtout pour protéger nos compatriotes ?
Depuis les attentats de janvier, vous avez en effet refusé toute mesure de rétention administrative à l’encontre de ces criminels ; ils sont donc libres d’aller et de venir sur notre territoire, dans nos quartiers, comme bon leur semble. Aucune circulaire de votre part n’a donné d’instructions aux magistrats quant au sort qu’il fallait leur réserver. Au contraire, votre circulaire du 5 décembre 2014, prise en application de la loi sur le terrorisme, rappelle que les magistrats doivent appliquer la présomption d’innocence puisque le fait d’avoir séjourné sur un théâtre d’opérations ne suffit pas à caractériser une infraction. Il est vrai que la Syrie est une destination touristique très en vogue !
De toute évidence, madame la garde des sceaux, de telles instructions sont inadaptées à l’horreur des crimes et à la barbarie perpétrées par ces individus, notamment contre les chrétiens et les yézidis.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Personne ne peut dire pourtant qu’il ignore ces crimes ! Un jugement rendu cette semaine par le tribunal correctionnel de Paris a condamné un djihadiste à seulement six ans de prison, refusant la période de sûreté pour ménager, selon les attendus du jugement, sa « volonté de réinsertion ».
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Voilà de quoi, reconnaissez-le, nous inquiéter. Quel message d’absence de fermeté !
Il existe pourtant dans notre code pénal des dispositions relatives aux crimes de guerre ou au génocide prévoyant des peines très lourdes, jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité, et ces dispositions valent aussi pour les complices. Ce sont ces peines qu’il faut appliquer en l’occurrence.
Dès lors, madame la garde des sceaux, je vous demande de nous dire où sont ces 250 individus et quelles poursuites pénales seront engagées contre eux ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Vives protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.
S’il vous plaît, retrouvez votre calme ! C’est le Gouvernement qui décide quel est le ministre qui répond, vous le savez.
Mesdames, messieurs les députés, je voudrais vous remercier pour la chaleur de votre accueil qui me va droit au coeur.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Il est toujours agréable, sur les sujets les plus importants qui devraient appeler le rassemblement le plus grand, que de voir des polémiques inutiles poindre… Mais la lutte contre le terrorisme, vous le savez bien, monsieur Marleix, est un sujet qui appelle l’engagement de nombreux ministères et, en la matière, ceux de la justice et de l’intérieur, comme en témoigne l’excellence des relations entre le parquet antiterroriste, dirigé par François Molins, et les services de police, agissent de concert.
Vous me posez une question extrêmement précise et je vais y répondre : 250 personnes sont revenues des théâtres d’opérations terroristes et il y a eu 232 interpellations, 168 incarcérations, 60 contrôles judiciaires. Par conséquent, monsieur Marleix, lorsque vous laissez entendre à la représentation nationale, et donc aux Français, qu’il n’y aurait pas de fermeté face aux terroristes qui retournent chez nous, vous maniez la contrevérité !
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.
Le sujet de la lutte contre le terrorisme mérite beaucoup mieux que les contrevérités et les mises en cause injustes de ministres qui, comme la garde des sceaux, donnent le meilleur d’eux-mêmes dans la lutte contre le terrorisme !
Mêmes mouvements.
Ils prennent les décisions qui doivent être prises, et les Français ne s’y trompent pas, car ils savent la détermination qui est la nôtre et ils savent que cette détermination sera sur le métier jour après jour, car la guerre contre le terrorisme, nous la gagnerons !
Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, l’été dernier, les agriculteurs se sont largement mobilisés à travers une manifestation inédite, rarement observée dans notre pays. Ils ont ainsi souhaité vous dire que la situation est grave et que sans mesure de structure, sans engagement de long terme, les filières de l’élevage en France sont condamnées !Aujourd’hui, il faut le dire avec lucidité : la crise agricole s’aggrave, et à l’espoir initial suscité par les annonces du Gouvernement succède une cruelle désillusion.
Monsieur le ministre, il y a trois mois, dans ce même hémicycle, vous proposiez d’utiliser le projet de loi de finances rectificatif pour rénover de fond en comble la fiscalité agricole, objectif louable mais pour quels résultats ? Où est, au final, le grand changement annoncé ? Où sont l’audace, la réforme, l’innovation que vous réclamiez devant nous à cor et à cri ?
Certes, au niveau européen, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de l’agriculture, le travail est collectif et, par définition, complexe. Pour autant, cela ne justifie pas un aveu d’impuissance. La France doit oser défendre la voie d’une politique nouvelle de l’étiquetage, oser proposer des moyens concrets pour lutter contre les distorsions de concurrence. Au niveau national, osons un vaste mouvement d’allégement des charges afin de sécuriser les revenus agricoles et agissons aussi pour mieux répartir les richesses entre l’amont et l’aval des filières par des prix rémunérateurs. Enfin, osons un vaste mouvement de simplification administrative et réglementaire dans les domaines des déclarations exigées par la PAC, des registres phytosanitaires, des cahiers de fertilisation, des dossiers à remplir au titre des installations classées pour la protection de l’environnement – ICPE.
Monsieur le ministre, nous vous avons beaucoup entendu en tant que porte-parole du Gouvernement. Mais que proposez-vous en tant ministre de l’agriculture ? Nous voulons des actes !
Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.
Monsieur Benoit, je note, dans le ton que vous avez employé, une passion pour les sujets agricoles qui, en l’occurrence, aurait pu être un peu tempérée.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Vous êtes en train de laisser penser qu’une réforme de la fiscalité réglerait le problème des marchés agricoles. C’est ce que vous venez de dire aux agriculteurs. Mais je tiens à vous rappeler que si nous sommes dans cette situation, en particulier s’agissant du lait, c’est parce que le prix de celui-ci a baissé de 30 % à l’échelle mondiale. Par conséquent, quand vous dites qu’il suffirait de prendre des mesures fiscales pour régler le problème, vous proférez un mensonge vis-à-vis des agriculteurs.
Ce n’est pas ce qu’il a dit !
Monsieur le député, je ne vous ai pas beaucoup entendu lorsqu’on a engagé des politiques visant à maintenir un certain niveau de prix, qui a baissé depuis. Personne parmi l’opposition ne les a saluées ni soutenues. Aujourd’hui, le prix du porc est passé de 1,40 euro à 1,07 euro. Là est la question. Il s’agit d’un problème de prix, de marché. C’est un sujet majeur.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Or, vous laissez penser que par des mesures fiscales ou quelques mesures de normes, on va régler le problème. Cela se réglera non pas ainsi, mais par une réorganisation des filières et, certes, par la fiscalité. Sur ce dernier point, votre assemblée a voté, en loi de finances rectificative, des dispositions qui permettront aux agriculteurs de faire des provisions durant les bonnes années. Mais laisser penser qu’on réglerait le problème de la crise en décidant qu’il n’y aurait plus rien à payer, c’est un mensonge, monsieur le député, et il faut le dire ! Je ne crois pas que c’est comme cela qu’on fera changer les choses et qu’on améliorera quoi que ce soit. Il faut surtout donner de l’espoir aux filières par la contractualisation, par l’engagement de structurations.
Un dernier mot s’agissant de l’étiquetage. J’ai négocié à ce sujet lors de la crise des lasagnes. Il faudrait cependant que l’on s’accorde au moins sur un point : l’Allemagne, qui abat mais qui n’a pas d’animaux nés sur son sol, ne veut pas d’un étiquetage qui indique le pays où est né et où a été élevé le bétail.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le Premier ministre, le message que le peuple nous a adressé l’an dernier à quatre reprises est terrifiant : il n’a plus confiance. Quelques semaines après ce terrible avertissement, nous nous en accommodons déjà.
Dans ce contexte, malgré l’engagement sans cesse renouvelé de transparence, la poursuite des négociations du mystérieux traité de libre-échange transatlantique, dit TAFTA, m’interpelle. D’autant que, depuis quelques années déjà, nous acceptons l’existence d’un système d’arbitrage qui s’apparente de plus en plus à un dispositif de justice internationale parallèle.
La France serait-elle devenue si faible et inféodée à ce nouveau monde sans visage, sans âme, sans politique, qu’elle ne pourrait plus faire machine arrière ? À moins que le peuple ne soit jugé inapte à comprendre les enjeux dissimulés derrière l’extrême technicité de centaines de pages illisibles. Si nous ne cessons, à juste titre, de rappeler le péril que constituerait le retour du fascisme et du totalitarisme, pourquoi une discrétion si effrayante à propos du monstre capitaliste, apolitique et sans visage ?
Nous savons aujourd’hui que l’inacceptable, bien vendu en quelques semaines de pilonnage intensif, peut être imposé à un peuple qui, pourtant, n’en voulait pas, y compris par référendum.
Monsieur le Premier ministre, puisqu’il convient de rassurer notre peuple, pouvez-vous nous indiquer quelle est la position de la France sur la préparation de ce traité et la suite qu’elle compte lui donner ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur quelques bancs du groupe écologiste.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député, vous interrogez le Gouvernement sur un sujet essentiel. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur cette question à plusieurs reprises, notamment devant les commissions compétentes de votre assemblée.
Ce sujet pose de nombreuses questions de transparence. Nous y travaillons : nous avons obtenu, avec d’autres, à la fin de 2014, la transparence sur le mandat de négociation, base sur laquelle nous construisons un agenda de la transparence. À ce titre, je reçois régulièrement au Quai d’Orsay des parlementaires de tous les groupes, ainsi que des représentants de la société civile, afin de leur rendre des comptes. Une page spécifique a d’ailleurs été créée sur le site internet du Quai d’Orsay.
Concernant l’arbitrage, vous avez parfaitement raison. Il est inacceptable que des juridictions d’exception soient saisies par de grandes firmes multinationales sur des enjeux majeurs de politique énergétique, de politique alimentaire, et, tout simplement, sur des choix démocratiques. C’est pourquoi, au nom de la France, j’ai présenté au niveau européen une proposition de création d’une Cour permanente de justice commerciale internationale,
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains
pour veiller à l’interdiction des conflits d’intérêt, à l’interdiction d’attaquer des choix démocratiques, avec la volonté de poser des règles publiques, politiques, démocratiques et accessibles à tous.
Alors qu’il y a un an, nous défendions seuls, ou presque, cette proposition, elle est devenue aujourd’hui le consensus européen en la matière : la Commission européenne la défend à son tour. Il reste beaucoup à faire sur le fond pour défendre les intérêts français. Nous y sommes vigilants.
S’agissant de l’agriculture, je mène avec Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, la diplomatie des terroirs, non seulement pour accéder aux marchés publics américains…
… mais aussi pour obtenir de l’équité et de la réciprocité dans le commerce international. C’est la position de la France, qui conditionne, pour nous, la poursuite de ces négociations.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le Premier ministre, quand allez-vous passer de la parole aux actes ? Samedi dernier, le « ni-ni » a encore frappé avec une énième manifestation anti-aéroport à Nantes. Ni interdite, ni autorisée ! C’est certainement un cas de jurisprudence en plein état d’urgence ! Encore l’enlisement ! Libérer le pont de Cheviré, axe principal de la circulation à Nantes, c’était la moindre des choses. Mais libérer l’emprise de Notre-Dame-des-Landes, occupée depuis des années, ce serait mieux !
Les représentants des centaines de riverains de Notre-Dame-des-Landes, régulièrement harcelés, rackettés et intimidés, ont été reçus vendredi dernier par le nouveau président de la région des Pays de la Loire, Bruno Retailleau. Ces habitants sont marqués et usés par une attente interminable : il leur est interdit d’emprunter des axes publics, fermés illégalement et de façon arbitraire à la circulation par les opposants au projet. Comme si la République pouvait reculer et capituler en rase campagne !
L’été dernier, le tribunal administratif de Nantes a tranché en faveur du projet d’aéroport du Grand Ouest, en épuisant les derniers recours. Maintenant, plus rien ne s’oppose au démarrage des travaux. Il est donc plus que temps de mettre fin à une situation intolérable !
Monsieur le Premier ministre, vous avez une obligation de cohérence et de décision en dernier ressort. Je vous rappelle qu’en décembre 2014, il y a plus d’un an déjà, vous parliez de passer à l’action après le jugement du tribunal administratif.
Il est urgent – nous l’avons déjà dit plusieurs fois devant la représentation nationale – de rétablir la liberté de circulation sur toute l’emprise de Notre-Dame-des-Landes et, surtout, d’expulser ceux qui troublent l’ordre public, d’en finir avec ce qui est devenu, malheureusement, le symbole des blocages français. C’est, en superficie, la plus grande zone de non droit de France ! Monsieur le Premier ministre, allez-vous enfin répondre aux Français qui demandent l’application de la loi au nom de l’intérêt général ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député, vous m’interrogez tout d’abord sur les manifestations et les débordements survenus sur le pont de Cheviré. Je veux rappeler rapidement les conditions dans lesquelles cette manifestation s’est déroulée, puisque plus de 7 000 personnes ont manifesté, ce qui était leur droit le plus légitime, dans des conditions tout à fait normales.
Mais à l’issue du rassemblement, certaines personnes n’ont pas respecté l’engagement de dispersion. Environ 250 individus – sur les 7 000 manifestants dont j’ai parlé – ont entrepris, à l’aide d’une cinquantaine de tracteurs, de bloquer le pont de Cheviré. Après les demandes de dispersion et les sommations d’usage, le préfet a employé les forces de l’ordre pour libérer le pont et rétablir la circulation, comme cela devait se faire. Cette intervention a été conduite avec discernement et la juste force nécessaire. Cela a permis qu’il n’y ait aucun blessé parmi les forces de l’ordre.
Par ailleurs, hier soir, vers 18 heures 30, à Savenay, trois tracteurs agricoles fonçaient délibérément sur les gendarmes du peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie de Nantes, occasionnant plusieurs blessés parmi les forces de la gendarmerie, auxquelles le Gouvernement veut apporter tout son soutien et sa solidarité.
Naturellement, ces personnes ont été immédiatement interpellées et placées en garde à vue. Nous sommes donc tout à fait déterminés à faire respecter l’ordre public,
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains
qui garantit à la fois la liberté de manifestation et, face à des fauteurs de troubles,
« Et les travaux ? » sur les bancs du groupe Les Républicains
la nécessité de rétablir l’ordre public lorsque cela est nécessaire. Enfin, comme vous le savez, le projet de construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes suit son cours, comme il est juridiquement possible et nécessaire de le faire.
La parole est à M. Pascal Demarthe, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Ma question s’adresse à M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.
Monsieur le ministre, en novembre 2014, Jean-Philippe Cavaillé, directeur des ressources humaines de Goodyear Dunlop Tires France, annonçait qu’il n’y aurait aucun repreneur pour l’usine de pneumatiques Goodyear d’Amiens-Nord. Pourtant, en octobre 2013, quelques mois avant la fermeture de l’unité de production et au terme d’un long et âpre combat de six années entre Goodyear et les représentants des salariés, le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, avait affirmé qu’il avait reçu une offre de reprise partielle du site amiénois par Maurice Taylor, PDG du groupe Titan. Pascale Boistard, alors députée de la Somme, avait effectué un travail remarquable en tant que rapporteure de la commission d’enquête parlementaire sur le sujet. En janvier 2015, l’usine fermait définitivement.
Au total, 1 008 anciens salariés ont été concernés par le congé de reclassement. Depuis, les représentants du personnel ont lancé plusieurs procédures judiciaires : une action prud’homale pour invalider le motif de licenciement économique et une action de groupe aux États-Unis concernant les maladies professionnelles. Les salariés, qui effectuaient un travail irréprochable au sein du site, sont désabusés.
Ce matin, huit anciens salariés de l’usine Goodyear d’Amiens-Nord ont été condamnés à vingt-quatre mois de prison, dont neuf de prison ferme, pour la séquestration durant trente heures en 2014 du directeur des ressources humaines et du directeur de la production. Ces huit personnes ont évoqué à la barre un coup de colère face à une direction qui n’apportait aucune réponse à la détresse sociale dans laquelle se trouvaient les salariés de l’entreprise. Comprenant le caractère non prémédité de cette action, Goodyear, comme les deux cadres concernés, avaient, dans une perspective d’apaisement, retiré leur plainte. Si une sanction était nécessaire, car nul ne peut se faire justice soi-même sur le territoire de la République, la sévérité de la décision me pousse toutefois à exprimer ma profonde émotion et mon soutien aux salariés et à leurs familles.
Dans ce contexte, quel signal pouvons-nous envoyer aux 600 salariés…
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Merci, monsieur le député.
La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.
Monsieur le député, vous avez rappelé la situation très critique du site Goodyear d’Amiens, en faveur duquel mon prédécesseur Arnaud Montebourg s’était beaucoup battu, qui m’avait poussé à intervenir à plusieurs reprises dans les mois qui avaient suivi ma prise de fonctions. Je rappelle que malgré tous les efforts du Gouvernement, il n’y avait plus de solution industrielle pour le site. La seule solution, qui était proposée par le groupe Titan, comportait des exigences inacceptables en matière sociale, de salaire et de compétitivité ; elle n’a donc pu être retenue.
Des décisions de justice ont été rendues ce matin, et il ne m’appartient pas de les commenter. Toutefois, deux actions sont en cours. D’abord, une convention de reclassement a été signée pour 1 009 salariés. Deux tiers d’entre eux ont trouvé une solution : plus de 200 ont obtenu des contrats longs, c’est-à-dire soit des contrats à durée indéterminée, soit des contrats à durée déterminée de plus de six mois ; plus de 250 bénéficient d’une formation en vue d’une reconversion ; 130 sont partis à la retraite ; 80 ont créé leur propre entreprise. Pour le tiers restant, la convention a été prolongée de trois mois.
Parallèlement, un travail de revitalisation a été engagé dans le cadre d’une convention signée entre Goodyear et le préfet. Nous persévérons dans cette voie : 6 millions d’euros ont d’ores et déjà été affectés à cet objectif, et nous continuerons à flécher des crédits, en liaison avec la région, afin de revitaliser l’agglomération d’Amiens, qui souffre beaucoup. Cela suppose que les salariés…
Monsieur le Premier ministre, comment ne pas exprimer notre indignation face à la dérive sécuritaire du Président de la République et de votre gouvernement ? Après le tournant social-libéral, les aventures militaires, vous enfoncez aujourd’hui un clou de plus sur le cercueil de la gauche.
« Oh ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.
Quelle déchéance, au regard de ce que la gauche avait fait en 1981 – je pense en particulier à l’abolition de la peine de mort et à la suppression de la Cour de sûreté de l’État !
Trente-cinq ans plus tard, pour satisfaire de misérables calculs politiciens,
« Bravo ! » sur quelques bancs du groupe Les Républicains
vous vous apprêtez à toucher à notre loi fondamentale en y introduisant la déchéance de nationalité. Avec un cynisme sidérant, vous recyclez une obsession de l’extrême droite, dont vous légitimez la logique xénophobe en la faisant entrer par la grande porte.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.
Partant, vous stigmatisez 3,7 millions de binationaux, vous portez atteinte au caractère indivisible de la citoyenneté et vous ouvrez une brèche dans le sacro-saint droit du sol. Non, monsieur le Premier ministre, vous ne rassemblez pas les Français, vous les divisez !
Au nom de la guerre que vous prétendez mener contre le terrorisme, vous vous apprêtez à introduire l’état d’urgence dans la Constitution et vous préparez une loi qui va profondément réformer le code pénal et le code de procédure pénale. Petit à petit, vous détricotez l’État de droit pour installer un État de sécurité. Vous posez les bases d’une société dans laquelle la sécurité prime la liberté, où le juge judiciaire est en retrait par rapport au policier, au procureur, au préfet, et où le législatif est derrière l’exécutif, qui va désormais légiférer par ordonnances.
Au nom de cette logique guerrière, vous nourrissez la peur au lieu d’affirmer les valeurs démocratiques, qui sont pourtant le meilleur rempart contre ce poison.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe écologiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Sourires.
Monsieur Mamère, au-delà de l’outrance de vos propos, que je ne veux même pas commenter, j’affirme en effet mon désaccord absolu avec votre vision de la gauche et de la France, ainsi qu’avec les termes que vous avez utilisés.
Vous parlez de « dérive sécuritaire », mais nos compatriotes ont besoin de sécurité, et c’est l’honneur de ce gouvernement, de cette majorité et de l’ensemble du Parlement que d’avoir été au rendez-vous à chaque fois qu’il a fallu voter des lois qui nous permettent de mieux lutter contre le terrorisme tout en préservant notre État de droit et nos libertés – mais il est vrai que ce n’était pas votre cas.
Vous parlez d’« aventures militaires »…
On me dit parfois : « Ne répondez pas à M. Mamère, n’entrez pas dans son jeu, ne répondez pas à ses outrances ». Je sais bien qu’on peut tout entendre aujourd’hui dans notre vie publique, mais tout de même ! Des « aventures militaires » ? Mais lesquelles, monsieur Mamère ? Quand nos soldats sont allés sauver le Mali, ce pays ami, ce pays d’Afrique qui a l’amour de la France et qui était confronté à une invasion terroriste, était-ce une « aventure militaire » ? Et est-ce une « aventure militaire » lorsqu’il s’agit de combattre le terrorisme en Irak et en Syrie ? Enfin !
Je vous le confirme, monsieur Mamère : nous n’avons rien à faire ensemble. Vous nous parlez de valeurs, quand des gens proches de vous, avec qui vous signez des pétitions, participent de mouvements avec M. Tariq Ramadan, qui mettent profondément en cause les valeurs de la République et de la France ?
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Mais nous savons vos outrances, et je me rappelle vos mots quelques minutes après un terrible accident d’autocar dans votre département.
Monsieur Mamère, vous n’en ratez pas une, vous êtes toujours en dehors de la réalité, vous ne comprenez rien, ni à la France ni à la gauche !
« Bravo ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Moi, mon rôle, c’est d’être chef du Gouvernement et d’assurer la protection des Français !
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de Mme Laurence Dumont.
L’ordre du jour appelle le débat sur le rapport du comité d’évaluation et de contrôle sur l’évaluation des politiques publiques en faveur de la mixité sociale dans l’éducation nationale. La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séance de questions-réponses. Je vous rappelle que la durée des questions et des réponses est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Yves Durand, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Je vais m’exprimer au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen mais également en tant que co-rapporteur, avec Rudy Salles, du rapport du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques. Dans cette étude, nous avons voulu faire des propositions, quitte à bousculer quelques idées reçues.
C’est là l’un des charmes et aussi l’un des objets ce type d’exercice.
Nous avons mis en avant l’objectif de mixité scolaire autant que celui de mixité sociale pour assurer la réussite scolaire de tous les élèves. Le rapport comporte des constats, mais également un certain nombre de préconisations ; plusieurs d’entre elles ont déjà été prises en compte par le ministère : elles sont déjà appliquées ou en cours d’application. Cela montre, madame la ministre, combien votre ministère est à l’écoute du Parlement. Je ne vais pas reprendre toutes les propositions qui ont été émises, chaque parlementaire ayant déjà pu en prendre connaissance. J’aborderai en particulier deux d’entre elles, qui ont été débattues et qui ont pour objet d’améliorer la réussite de l’ensemble des élèves et d’atteindre la mixité scolaire et sociale, qui est coeur des préoccupations de ce rapport.
La première de ces propositions traduit la volonté de maintenir les filières d’excellence dans les collèges en difficulté, par exemple – ce n’est qu’un exemple – les classes bilangues, dont on a beaucoup parlé au moment de la réforme du collège. Il s’agit de maintenir ces classes, non pas lorsqu’elles créent de la ségrégation – ce qui est parfois le cas, à l’évidence – mais, au contraire, quand elles permettent de conserver ceux que je nommerai de « bons élèves », c’est-à-dire des élèves ayant les capacités de réussir par eux-mêmes, appartenant souvent à des milieux favorisés dans des secteurs en proie à des difficultés sociales ou scolaires. Il n’y a peut-être pas de règle générale, même si la préoccupation de la non-ségrégation scolaire et sociale est évidente. Il faut peut-être appréhender ce sujet davantage au cas par cas.
La deuxième proposition, qui a suscité quelques questions, est la proposition numéro 6, qui a pour objet, en partenariat avec l’État, de faire accompagner par les collectivités territoriales l’implantation d’établissements privés sous contrat dans les quartiers défavorisés. Il ne s’agit pas, bien sûr, de revenir sur les lois qui régissent les rapports entre le public et le privé et entre l’État et les établissements privés sous contrat, mais d’associer ceux-ci – qui, je le rappelle, assument une mission de service public depuis la loi Debré de 1959 – à participer à l’effort de reconquête scolaire de ces quartiers ghettoïsés. Cela exige évidemment que deux conditions soient remplies. D’une part, les établissements privés doivent respecter les critères de mixité sociale et scolaire : c’est une proposition générale du comité de suivi, qui souhaite que l’enseignement privé partage l’ambition de la mixité sociale et scolaire et assume également la tâche à engager à cette fin. C’est la première condition, sine qua non. D’autre part, cette installation ne doit pas fragiliser les établissements publics. Il ne s’agit pas de créer des concurrences avec des filières qui existeraient déjà, mais, au contraire, d’établir une véritable complémentarité, toujours dans l’état d’esprit lié à l’exercice de cette mission de service public.
Chacun doit prendre sa part à l’effort républicain de reconquête de cette belle ambition de l’égalité devant l’excellence scolaire. Tel est l’objectif poursuivi par cette proposition, qui va d’ailleurs dans le même sens que la première proposition que j’ai présentée. C’est cet objectif de réussite pour tous qui nous a réunis, Rudy Salles et moi-même. Je ne doute pas que ces réflexions seront écoutées et, plus encore, ce que je souhaite, entendues.
Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, nous débattons aujourd’hui du rapport que nos collègues Yves Durand et Rudy Salles ont produit dans le cadre des travaux du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, consacré à la mixité sociale dans l’éducation nationale. Je voudrais tout d’abord remercier nos collègues pour la qualité de leur travail et pour le caractère innovant de certaines de leurs propositions. Ces compliments sont sincères et j’espère qu’ils me feront pardonner les points de divergence que je peux avoir avec une partie de leur rapport.
En préambule, je voudrais dire à Mme la ministre qu’il eût été judicieux d’attendre la parution de ce rapport, par respect pour le travail parlementaire et par cohérence, avant de lancer son opération « mixité à l’école », dans laquelle certains départements se sont trouvés impliqués malgré eux. Je pense en particulier au département du Doubs, qui a appris par voie de presse qu’il était volontaire pour expérimenter la mixité dans quelques-uns de ses collèges. Ces méthodes traduisent de l’amateurisme et trahissent l’affichage politique. Je peux vous dire que, sur le terrain, les choses ont été très mal perçues.
Le rapport de nos collègues commence par établir le constat que notre système serait particulièrement ségrégué. C’est aussi la conclusion que le ministère a tirée des dernières évaluations du programme international pour le suivi des acquis des élèves – PISA – qui constatent – ce qui est en effet tragique – que l’école amplifie les inégalités sociales. La solution serait d’améliorer la mixité à l’école. Qu’en est-il de la réalité chiffrée de la ségrégation ? Le système français est-il particulièrement ségrégué, comme le disent nos collègues ? Le Conseil national d’évaluation du système scolaire – le CNESCO – vient de rendre une étude, dont je vais citer quelques passages, qui nuance fortement le postulat de nos rapporteurs : « On trouve un petit nombre d’établissements qui accueillent un public soit très favorisé, soit très défavorisé. » L’étude évoque également « 5 % d’établissements où les classes aisées sont presque absentes et 5 % où la proportion de classes défavorisées dépasse le triple de la moyenne nationale. » Le phénomène est essentiellement urbain.
En outre, les chiffres qui circulent donnent parfois lieu à des analyses ou à des commentaires totalement erronés. Par exemple, dans le rapport, il est écrit que 5 % des établissements scolarisent 70 % d’élèves défavorisés. Dans un grand quotidien, cela devient « 5 % d’établissements scolarisent 70 % des élèves défavorisés », ce qui n’est pas du tout la même chose. On voit donc que, sur cette question de la ségrégation, les chiffres et les analyses doivent être observés avec une grande précision.
Ce que l’on peut dire assurément est que l’on ne se trouve pas devant un phénomène de masse, qui serait le problème majeur de notre école, même s’il faut effectivement le traiter. Je partage également votre avis lorsque vous dites que le but premier de l’école est la réussite, et non la mixité. Le vrai sujet est de savoir comment on fait réussir les élèves. J’ai tendance à penser que la réponse est scolaire plutôt que sociale. L’école ne peut pas régler tous les problèmes que l’État n’a pas réglés, qu’il s’agisse de la politique de la ville, malgré les milliards qui y ont été consacrés, ou de l’absence de maîtrise des flux migratoires, qui a concentré des populations fragiles dans des quartiers, donc dans des écoles.
Parmi les propositions de nos collègues, je ne crois pas à celles qui relèvent de la coercition, comme de subordonner les moyens des établissements privés à l’impératif de mixité sociale, ou encore d’affecter les élèves en fonction des diplômes des parents. C’est une forme de fichage social qui serait, à mon sens, très contre-productive. S’agissant du privé, est-il souhaitable de le stigmatiser, alors qu’il oeuvre déjà dans le sens de la mixité ? Votre rapport indique en effet que 40 % des postes créés dans le privé dans le cadre du plan en faveur des réussites ont été consacrés à des publics ou des territoires fragiles.
Mais la mixité ne doit pas non plus être érigée en totem. Je vous ai déjà parlé, madame la ministre, des écoles de la Fondation Espérance Banlieues. Dans celles-ci, pas de mixité sociale, ni scolaire d’ailleurs. Les initiateurs s’attachent à raccrocher des élèves parmi les plus défavorisés et les plus en difficulté, grâce à une innovation pédagogique que permet le hors contrat et un engagement extraordinaire des équipes. Les résultats sont exceptionnels. Si je peux me permettre un conseil, madame la ministre, vous devriez vous intéresser à cette fondation, qui accomplit un travail d’une extraordinaire utilité scolaire et sociale, que l’État devrait soutenir. C’est pourquoi j’accueille avec intérêt la proposition de nos rapporteurs de permettre aux collectivités, pour autant qu’elles le puissent budgétairement, de financer des établissements privés dans des secteurs difficiles.
Je constate avec satisfaction que les rapporteurs confirment que l’offre d’excellence est un facteur de mixité. Pourquoi, alors, avoir supprimé partout de telles offres ? Il faut au contraire les multiplier partout où c’est possible. On ne redira jamais assez combien les sections européennes, les classes bilangues ou les options de langues anciennes, offertes dans 90 % des collèges, étaient utiles pour maintenir de la mixité dans certains établissements. Les chefs d’établissements vous l’ont dit, madame la ministre, en vain : vous les avez supprimées.
Je trouve intéressante l’idée de démolir les établissements ghettos, à l’image de ce que l’ANRU a fait dans certaines zones. Intéressante aussi, l’idée de redéfinir le temps de présence des enseignants auprès des élèves. On sait qu’il y a là un puissant facteur de réussite pour les élèves les plus en difficulté. Intéressante, enfin, l’idée d’évaluer les établissements, du point de vue scolaire ainsi que de celui de la sécurité, et d’en informer les familles, ce qui offrirait le double avantage de mettre les établissements en responsabilité et de rassurer les familles. Certaines de ces propositions, que je viens d’évoquer, ont le mérite de traiter le sujet d’une façon moins simpliste que cela n’a été fait ces derniers temps, mais elles exigeront beaucoup de courage politique.
La parole est à M. Rudy Salles, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous débattons cet après-midi d’un thème qui me tient particulièrement à coeur puisque je suis l’auteur, aux côtés d’Yves Durand, du rapport sur l’évaluation des politiques publiques en faveur de la mixité sociale dans l’éducation nationale, qui est l’objet de nos discussions. Nous avons éprouvé beaucoup d’intérêt et pris beaucoup de plaisir à étudier ce sujet dans le détail et à essayer de transcender les clivages traditionnels pour essayer d’aller à l’essentiel, c’est-à-dire favoriser la réussite de nos enfants.
Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour vous dire, madame la ministre, que nous regrettons que vous n’ayez pas attendu la publication de notre rapport pour formuler vos propositions en matière de mixité sociale. Je trouve que c’est un mauvais signe envoyé aux représentants de la nation quant à leur travail.
L’institution scolaire est un prisme au travers duquel peuvent être abordés tous les problèmes de la société. Qu’il s’agisse du respect de la laïcité, de l’idéal démocratique ou de l’égalité des chances, l’école est au coeur de la plupart des enjeux contemporains. Encore récemment, l’étude de l’Institut national d’études démographiques – l’INED – et de l’Institut national de la statistique et des études économiques – l’INSEE – intitulée « Trajectoires et origines : enquête sur la diversité des populations en France » montre que, si 59 % des garçons de la population majoritaire sont bacheliers, seuls 48 % des enfants d’immigrés obtiennent ce diplôme – 26 % seulement pour les parents originaires de Turquie, 40 % pour l’Afrique sahélienne et 41 % pour l’Algérie.
Ces chiffres soulignent, s’il le fallait encore, la faillite de l’école républicaine à garantir l’égalité des chances sans distinction d’origine ou de condition sociale.
Pour combattre cette réalité, la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a confié une nouvelle mission au service public de l’éducation : veiller à la mixité sociale des publics scolarisés dans les établissements d’enseignement. Le défi est grand, car l’un des facteurs prépondérants à l’absence de mixité à l’école est d’abord la ségrégation résidentielle. Plus celle-ci est marquée, plus les établissements scolaires sont ségrégués même si, il faut le souligner, de grands progrès ont été accomplis grâce en particulier au programme national de rénovation urbaine lancé en 2003 par Jean-Louis Borloo.
Une fois le constat posé, quels peuvent être les remèdes pour que notre école redevienne un modèle d’intégration et de progrès ? J’estime pour ma part que le premier écueil serait de concentrer les débats autour de la carte scolaire. En effet, la réponse aux phénomènes de ségrégation se trouve ailleurs, notamment dans la réforme des pratiques pédagogiques et la révision du modèle d’allocation des moyens. Mes collègues du groupe UDI et moi-même restons convaincus que lorsque les équipes pédagogiques sont soudées, fortes et travaillent dans la durée, avec un chef d’établissement qui joue un rôle de manager, tant l’ambiance que les résultats sont satisfaisants ; nous avons pu le remarquer dans de multiples établissements.
Nous proposons également la mise en place d’un dispositif de soutien sur le modèle de celui de l’association Coup de pouce Clé : il faut que dès le premier trimestre en cours préparatoire, l’enseignant et le chef d’établissement soient en mesure de détecter les élèves qui rencontrent les premières difficultés d’apprentissage et d’appropriation. Un enfant en difficulté dès le primaire exige une mobilisation totale de l’ensemble de la communauté éducative dont le coût est évalué à 2 000 euros par enfant. À titre de comparaison, le coût généré par un redoublement est de 5 000 euros.
Enfin, alors que nous débattons aujourd’hui de la mixité sociale, je ne pourrais conclure mes propos sans évoquer à mon tour la suppression des classes bilangues prévue par la réforme du collège. Nous vous l’avons répété à de nombreuses reprises, madame la ministre : vous faites une grave erreur en niant la réalité et le succès du dispositif des classes bilangues. Jusqu’à présent, les élèves étaient recrutés dans ces classes sans sélection, sur le seul fondement de leur motivation. C’est un fait avéré, les classes bilangues enregistraient l’inscription d’enfants de catégories sociales moyennes ou favorisées dans les collèges des zones urbaines sensibles et contribuaient largement à la mixité sociale d’un établissement. Tous les chefs d’établissement que nous avons rencontrés dans les quartiers difficiles regrettent unanimement cette mesure.
Mes chers collègues, l’absence de mixité a des conséquences terribles. Non seulement elle oblige les professeurs à diminuer leurs exigences pédagogiques, mais elle a aussi pour conséquence de cliver la société. Alors que nous commémorons les terribles attentats qui ont frappé notre pays au mois de janvier 2015, on ne peut passer sous silence le fait que l’absence de mixité sociale au collège et au lycée est un des meilleurs terreaux de la radicalisation.
Madame la ministre, soyez certaine que les députés du groupe UDI seront vigilants quant à vos nouvelles promesses. Je pense en particulier à l’association du secteur privé, chez lequel j’ai pu constater une réelle volonté de participer à la bataille pour la mixité.
Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, notre système éducatif est élitiste et aggrave les inégalités. C’est en France que les performances scolaires sont le plus liées aux origines sociales et le constat sévère dressé dans le cadre du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques par nos deux rapporteurs Yves Durand et Rudy Salles, se retrouve dans de nombreux travaux récents sur le sujet. Je pense notamment à ceux du Conseil économique, social et environnemental – CESE –, du Conseil national de l’évaluation du système scolaire – CNESCO – ou encore à celui de Jean-Paul Delahaye, inspecteur général de l’éducation nationale, pour n’évoquer que ces quelques exemples.
Ce constat est affligeant, mais il n’est guère surprenant. Ségrégation sociale, scolaire et résidentielle se renforcent mutuellement, au point que nos établissements scolaires sont en moyenne plus ségrégués que ceux des autres pays de l’OCDE. Près de 10 % de nos établissements sont même assimilés à des « ghettos scolaires ». Les élèves défavorisés sont surreprésentés dans les établissements déjà socialement défavorisés, et cette tendance augmente sous l’effet des stratégies d’évitement qui alimentent une concurrence déloyale entre les établissements renforcée pour partie par les phénomènes de labellisation. Or, l’effet « établissement ségrégué » renforce les inégalités d’apprentissage et équivaut pour les élèves défavorisés à deux ou trois années de retard scolaire. Comment accepter qu’une partie de notre population soit tenue à l’écart et condamnée à une scolarité écourtée, incomplète, qui conduit trop souvent au décrochage scolaire ?
On sait que la ségrégation sociale est un obstacle pour la réussite de tous et menace le vivre ensemble, dont on parle tant, et nos valeurs républicaines. La lutte contre les inégalités est une priorité qui doit mobiliser l’ensemble de nos politiques publiques. Il y va de notre capacité à construire une société où chacun dispose des mêmes droits et des mêmes chances de réussite. Il y va du respect de notre pacte républicain.
C’est pourquoi il est urgent d’agir pour que la démocratisation de la réussite soit enfin une réalité. La plupart des mesures prises depuis 2012 servent cette ambition : la restauration de la formation des enseignants, la priorité donnée au primaire, la scolarisation des enfants dès deux ans, le dispositif « plus de maîtres que de classes ».
Cependant, au vu de la situation, il est nécessaire d’aller plus loin en mettant en oeuvre nombre des recommandations formulées dans les différents rapports établis sur ces enjeux, dont celui dont il est question aujourd’hui. Je pense par exemple à la fermeture des établissements ghettos, à la révision de la sectorisation et au travail à mener sur les critères d’affectation ou les indicateurs.
Certaines pistes et expérimentations proposées dans le rapport ne demandent d’ailleurs qu’à être approfondies. À ce propos, si parmi les diverses pistes avancées une attention accrue devrait être accordée au respect des cycles, je soutiens pleinement la démarche de concertation avec l’ensemble des acteurs sur laquelle s’appuient les récentes annonces relatives aux secteurs multi-collèges. Ouvrir davantage l’école, y compris aux familles, ne peut que contribuer à la réussite des politiques menées et, surtout, à celle des élèves.
Il conviendrait aussi d’examiner de façon plus attentive les initiatives en cours qui rencontrent du succès, comme celle du collège Rimbaud d’Amiens. Dans cet établissement, une refonte de la sectorisation en cohérence avec le réseau de transport et un travail des équipes sur la pédagogie et le climat scolaire ont permis une meilleure mixité sociale et une progression des résultats de l’ensemble des élèves. En effet, si la mixité sociale doit être au coeur des politiques de sectorisation, il ne faut pas oublier que les pays qui ont le plus réduit la ségrégation scolaire sont ceux qui ont gommé les hiérarchisations et les concurrences entre établissements. Il faut donc également rendre les établissements plus attractifs au moyen notamment d’une amélioration du climat scolaire, d’un travail sur la pédagogie – en favorisant par exemple les pédagogies différenciées et l’innovation –, ou encore d’une homogénéisation de l’offre de formation. C’est d’ailleurs un des objectifs de la réforme du collège, que de proposer une offre éducative de qualité, quel que soit l’établissement concerné, pour mettre fin à la ségrégation scolaire. Je suis donc étonnée de la proposition no 16 de ce rapport.
Un autre enjeu essentiel qui mériterait plus d’attention pour que les choses changent est la formation des enseignants. Volontaires, ces derniers se sentent parfois démunis sur le terrain. Il est urgent de leur donner, au travers de leur formation initiale et continue, les clés et outils pour une école réellement inclusive. En outre, bien sûr, la question des moyens est incontournable, et le rapport du Comité d’évaluation et de contrôle fait à cet égard des propositions intéressantes. Cela étant dit, il ne s’agit pas de soutenir financièrement la création de nouveaux établissements privés dans les quartiers défavorisés, clairement identifiée comme un facteur supplémentaire de déstabilisation et de renforcement de la ségrégation. Le fil conducteur du renforcement et du redéploiement des moyens financiers et humains doit au contraire être l’amélioration de la mixité, et même des mixités, facteur de réussite pour toutes et tous.
Cela suppose de mettre fin à la « ségrégation budgétaire » pointée dans le rapport en affectant réellement plus de moyens aux élèves qui ont les besoins les plus importants. Cela suppose aussi de mieux valoriser encore dans la carrière des enseignants les années passées en réseau d’éducation prioritaire plus ou REP+, de constituer des équipes stables, ou encore de repenser le système des affectations. Des pistes existent, il faut désormais les suivre, car l’école de la République doit être inclusive et incarner un espoir pour chacun, quels que soient son origine sociale, son lieu d’habitation ou ses difficultés.
La parole est à M. Jean-Noël Carpentier, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si notre école est capable de très belles réussites et peut bénéficier d’un engagement formidable du personnel enseignant, nous constatons tous que notre système scolaire souffre de sérieuses lacunes. La plus importante d’entre elles, reconnue unanimement et qui nous chagrine, est le caractère inégalitaire d’un système scolaire qui échoue à assurer la réussite de tous les élèves, quel que soit leur milieu.
Les nombreuses enquêtes nationales et internationales le démontrent : notre école a une fâcheuse tendance à amplifier les inégalités sociales. Néanmoins, il serait trop facile de tout mettre sur le dos de l’école. C’est évident : elle n’agit pas en dehors des réalités de notre pays qui, lui-même, ne va pas bien non plus. Pour autant, notre école ne doit pas baisser les bras. Elle doit permettre à chacun de s’élever dans la société.
Ce phénomène de reproduction est un facteur d’autant plus aggravant dans les établissements où il y a peu ou pas de mixité sociale, notamment en milieu urbain. Pour améliorer notre école, pour que nos concitoyens continuent de la soutenir, il faut pouvoir briser certaines des barrières qui fondent le reproche légitime d’inégalité face au savoir. La connaissance doit pénétrer tous les milieux. À cette fin, notre école est indispensable.
C’est pour cette raison que notre débat sur la mixité sociale à l’école est utile. Voilà bien des années que nous tentons de réaliser cet objectif. Cependant, à nouveau, l’école ne peut à elle seule créer de la mixité là où les politiques publiques, la politique du logement et les politiques de la ville ont échoué, ce qui est le cas depuis de nombreuses années et dans de nombreux quartiers, une situation qui touche des millions de nos concitoyens.
Notre pays a encore bien des défis à relever en matière d’urbanisme et de transports, en matière d’aménagement du territoire. Nourrissant le phénomène de reproduction sociale, l’existence de véritables poches de pauvreté provoque la ghettoïsation de certains établissements scolaires tandis que d’autres cultivent l’élitisme social.
Toutes ces lacunes, nous les connaissons depuis longtemps. Il faut les corriger. C’est dans cet esprit que, dès 2013, nous avons inscrit la mixité sociale dans la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République ; c’est une fierté pour notre majorité. Aujourd’hui, il convient néanmoins d’accélérer le pas pour améliorer notre système scolaire.
Dans le rapport établi pour le comité d’évaluation et de contrôle sur l’évaluation des politiques publiques en faveur de la mixité sociale dans l’éducation nationale, MM. Yves Durand et Rudy Salles, après avoir établi un constat, font plusieurs préconisations. Certaines d’entre elles me paraissent contestables, voire très contestables ; d’autres sont intéressantes et pragmatiques, notamment l’adaptation des critères de la carte scolaire. Un redécoupage des secteurs me paraît effectivement indispensable. Il faut en finir avec la règle immuable du « un secteur, un collège ». Madame la ministre, il faut élargir l’expérimentation des secteurs multi-collèges. Je suis favorable à la redéfinition des secteurs scolaires pour que les élèves puissent dépendre de plusieurs collèges, et ce, en toute transparence, en concertation avec l’ensemble de la communauté éducative, notamment les parents d’élèves. Il faut redessiner la carte scolaire avec plusieurs collèges par secteur, notamment dans les zones denses. Il appartient ensuite à l’institution de permettre le brassage des élèves en convainquant les parents par des moyens nouveaux et mieux répartis dans ces nouveaux secteurs notamment en termes d’options, de filières et de transports scolaires.
Dans le même esprit, si j’émets de sérieuses réserves sur la proposition du rapport sur l’aide à l’installation des écoles privées au prétexte de permettre la mixité dans les quartiers défavorisés, je suis en revanche très favorable à ce que les établissements publics situés dans ces zones en difficulté bénéficient d’aides supplémentaires ainsi que de filières attrayantes. Malgré la réforme sur l’école prioritaire, nous ne le faisons pas suffisamment. Les chiffres le montrent : nous sommes en retard par rapport à certains pays en termes d’éducation prioritaire. De même, il est indispensable de garantir l’égalité des moyens et des options pour tous les élèves, quelle que soit leur zone d’habitation.
Je souhaite également que nous encouragions l’innovation pédagogique. Le monde a changé, nos enfants aussi. Bien des études conduites par des chercheurs de renom en sciences cognitives ouvrent le chemin. Il est bien légitime aujourd’hui d’espérer que ces recherches s’appliquent enfin dans des méthodes d’apprentissage nouvelles. Il faut également aider les enseignants à se les approprier.
Tels sont les éléments que je souhaitais verser au débat. La quête de la mixité sociale à l’école est une quête bien improbable et, par certains aspects, un peu illusoire. Pourtant, elle est indispensable pour aller vers une école plus juste et plus efficace.
La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, en matière de mixité sociale et d’inégalité, il faut tout de même rappeler que l’école de la République a permis à des générations de filles et de garçons d’acquérir des connaissances quel que soit le milieu social dont ils étaient issus. L’école obligatoire, gratuite et laïque a été et est encore pour beaucoup d’enfants un levier d’épanouissement des individus, en particulier de leur liberté et de leur citoyenneté. Il est néanmoins vrai que son action et ses résultats sont limités, fragilisés voire gâchés par la persistance d’inégalités sociales dans l’accès au savoir, aux diplômes et aux métiers. On évoque souvent les emplois, mais il faudrait plutôt parler de métiers.
Pour corriger cette situation, il faut assurer une réelle mixité sociale dont la sectorisation n’est qu’un élément et surtout permettre à chaque enfant, partout et sur tout le territoire, de disposer du meilleur et de tous les outils de la connaissance tout au long de ses études. Cela suppose des mesures inégalitaires afin de vaincre les inégalités créées non par l’école mais par les politiques menées dans la société. Il faut prendre en compte tous les enfants, filles et garçons, car la qualité des études ne s’oppose pas selon moi à la démocratisation de leur accès et de leur durée.
C’est pourquoi il faut de nouveau parler d’une école obligatoire de trois à dix-huit ans et à cette fin passer de l’égalité des chances à l’égalité tout court, c’est-à-dire à la réussite pour toutes et tous qui fonde la loi sur la refondation de l’école dont nous aurons l’occasion de parler demain matin. L’école ne doit pas être un lieu de compétition où les meilleurs gagnent en laissant le plus grand nombre sur le côté. Je rappelle qu’actuellement quatre enfants d’ouvriers non qualifiés sur dix seulement sont bacheliers. Les pays où les inégalités sociales sont les plus fortes sont ceux qui sélectionnent les élèves le plus tôt. Nous avons besoin d’une promotion du plus grand nombre, ce qui exige des moyens.
Certes, le budget de l’enseignement scolaire a augmenté mais cela ne fait pas le compte pour généraliser la scolarisation des enfants de moins de trois ans, mettre en place le dispositif « plus de maîtres que de classes », retrouver les effectifs de maîtres spécialisés des RASED ou reconstruire une véritable médecine scolaire. On pourra parler d’égalité et de réussite pour toutes et tous si tous ces facteurs sont assurés, notamment pour les populations les plus modestes. Au collège, une expérimentation de sectorisation a commencé tant bien que mal. En créant la possibilité de parcours différents, la réforme ne risque-t-elle pas de contrarier le droit de chaque collégien et collégienne de disposer de toutes les disciplines nécessaires quel que soit le territoire où il habite et le collège où il étudie ?
Pour garantir le droit du plus grand nombre d’enfants de recevoir la formation lui permettant d’exercer le métier de son choix, il faut également cesser de considérer l’enseignement professionnel comme une filière moindre, une voie de garage de l’éducation nationale, et assurer partout et sur tout le territoire une offre de formation de haut niveau et diversifiée, quelle que soit la région où les enfants étudient. Les avancées technologiques de nos sociétés appellent un développement sans précédent des formations et du niveau de qualification et de connaissance de tous les individus. La mixité sociale est nécessaire mais exige, pour être traduite concrètement, d’agir sur tous les paramètres de la réussite scolaire.
Cela consiste par exemple à développer des passerelles entre l’école et les familles grâce au service public des arts et de la culture de notre pays et à créer un lien de confiance entre parents et enseignants, ce qui selon moi ne signifie pas une coéducation. Chacun est dans son rôle et l’éducation parentale n’a pas le même sens que l’éducation nationale. Il ne faut pas confondre les deux. Cela consiste également à favoriser, grâce aux collectivités territoriales, les liens entre les écoles et tous les établissements culturels mais aussi à corriger les inégalités d’accès, d’encadrement et de contenu des activités organisées dans le cadre des nouveaux rythmes scolaires, car l’offre proposée aux enfants est très inégalitaire.
Enfin, nul ne conteste le besoin de développer l’apprentissage. Cela exige de placer au sein de cette ambition la réussite de toutes et tous. L’apprentissage ne doit pas lui non plus être considéré comme un pis-aller, ce qui suppose le respect des droits des apprentis et des entreprises ouvertes à ce devoir de formation. Si nous abordons, en posant la question de la mixité sociale à l’école, le type de société dans laquelle nous voulons vivre et si nous souhaitons une société fondée sur la participation consciente et libérée de chacun de ses membres pour un développement utile et bénéfique au plus grand nombre, alors nous devons mener une action inlassable pour faire de l’éducation une priorité afin de développer à l’école une mixité sociale synonyme de réussite pour toutes et tous à l’école et dans la société.
La parole est à Mme Sylvie Tolmont, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, la mixité est, selon vos termes, madame la ministre, « en République, une nécessité ». La mixité traduit et renforce notre volonté de construire ensemble un projet commun. Elle permet aussi la rencontre de l’autre et offre un bagage essentiel pour emprunter la route de la citoyenneté. À l’inverse, et tel est bien le péril dont il faut nous préserver, partout où le principe de mixité n’opère plus, la ségrégation sociale gagne du terrain et les valeurs républicaines sont attaquées. Dans l’enceinte même de l’école, la mixité vise l’effacement de toutes les marques des nombreuses inégalités qui caractérisent notre société. Toujours selon vos termes, « à l’école, c’est une exigence ».
Pourtant, elle est difficile à atteindre. Je me réjouis que cette question soit posée au sein de l’Assemblée nationale avec la hauteur et la considération qu’elle mérite. En tant qu’espace majeur de socialisation pour chaque enfant de France, l’école nourrit de belles ambitions. Par-delà l’enseignement aux élèves d’un socle d’apprentissages et de compétences nécessaire à la formation professionnelle de chacun, l’école est surtout un lieu de sensibilisation aux principes républicains, de transmission de notre mémoire collective et d’éducation aux notions d’ouverture, d’égalité, de fraternité et de justice permettant à chacun de devenir un citoyen libre et éclairé. Toutes ces valeurs ne peuvent être inculquées qu’à condition de côtoyer l’altérité.
Ainsi, la mixité sociale à l’école n’est pas seulement un voeu pieux. Elle est d’abord le garant de l’expression républicaine dans nos écoles, elle est ensuite une réponse à la lutte contre toutes les formes de discrimination et elle est enfin un outil favorisant la réussite éducative pour tous. Il est donc de notre responsabilité de refuser d’y renoncer. Animé par la conviction que l’application de la mixité a un sens seulement si elle se construit dans l’harmonisation des politiques de la ville, du logement et de l’égalité des territoires, l’État s’est pleinement saisi de cet engagement. Afin d’atteindre l’objectif de mixité, le Gouvernement a mené deux actions dont je salue la méthode coopérative.
Tout d’abord, un comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté, dont un volet est intégralement consacré au renforcement de la mixité sociale, s’est réuni en mars et en octobre derniers. Ensuite, vous avez engagé en novembre dernier une démarche, madame la ministre, reposant sur le souci de fédérer la communauté éducative à l’échelle de dix-sept territoires pilotes pour construire des solutions concrètes afin de renforcer la mixité dans les collèges. Cette perspective s’inscrit parfaitement dans la continuité de la refondation de l’école et de la réforme du collège.
C’est au nom de cette même ambition qu’a été établi le rapport de nos deux collègues Yves Durand et Rudy Salles dont je salue l’excellent travail. Ce rapport porte sur l’évaluation des politiques publiques en faveur de la mixité sociale dans l’éducation nationale et développe l’idée selon laquelle l’objectif de mixité sociale à l’école est une composante fondamentale du projet républicain dans la mesure où il est l’expression même des principes d’égalité et de fraternité en premier lieu et un moyen de lutter contre les discriminations sociales en second lieu. Ainsi, chacun convient que les différences entre les établissements et entre les classes au sein des établissements créent des situations de ségrégation sociale qui accentuent l’inégalité des chances.
Le rapport fait aussi l’aveu que la mixité parfaite n’existe pas et qu’il faut tendre davantage vers une forme d’équilibre social fondé sur une répartition des élèves entre les établissements d’un territoire correspondant non pas à la répartition des groupes sociaux dans la population française mais bien à celle qui est observée dans la population du territoire où se trouvent les écoles et les collèges. En outre, cette étude révèle les limites de l’action de l’école qui ne peut à elle seule réparer les fractures de la société. En effet, certains établissements sont dépourvus de mixité car ils se situent dans des quartiers qui eux-mêmes n’en sont pas dotés. Le facteur résidentiel étant absolument prépondérant en matière de ségrégation sociale dans les établissements scolaires, une concertation globale associant les projets de mixité sociale des établissements scolaires aux politiques de la ville, du logement et de la rénovation urbaine s’impose.
En effet, la mixité sociale à l’école est une quête impossible si la mixité sociale est inexistante dans le périmètre des écoles. À titre d’exemple, le rapport met en exergue une corrélation entre le lieu de résidence et les difficultés rencontrées dans le milieu scolaire en rappelant que 421 des 500 collèges accueillant le plus d’élèves résidant en zones urbaines sensibles relèvent de l’éducation prioritaire. Si je me réjouis que la mixité sociale fasse l’objet d’un débat nécessaire, par-delà les théories et les interrogations, gardons à l’esprit qu’elle repose sur des réalités humaines. Aussi, l’objectif ultime et unanime qui doit nous rassembler tous demeure le souci d’offrir des perspectives, un avenir, des espérances et des projets à nos milliers d’enfants scolarisés en France.
La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Madame la présidente, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, très sincèrement, je suis très heureuse du contenu du débat de cet après-midi comme de la qualité des interventions qui ont précédé la mienne. Il ne faut nourrir aucun regret sur le fait que nous ayons décidé de lancer une démarche de mixité sociale dans les collèges avant que ce débat ne se tienne, pour une raison simple évoquée unanimement sur tous les bancs : la mixité sociale est un enjeu majeur et il faut désormais s’y attaquer rapidement. Ce sont précisément des raisons de rapidité et d’efficacité qui nous ont amenés à lancer cette démarche avec les collectivités locales.
Vous êtes des élus locaux, du moins certains d’entre vous, et savez le temps que prend un conseil départemental pour délibérer, retenir un territoire, nous accompagner dans cette démarche et créer de nouveaux secteurs multi-collèges afin que tout cela entre en vigueur dès la rentrée 2016. Autrement dit, si vous considérez sur tous les bancs que la mixité sociale est un enjeu majeur et urgent, alors il nous fallait agir rapidement. Cela ne signifie pas que vos propositions et les recommandations des rapporteurs ne seront pas prises en compte dans la suite de la démarche. Elles le seront d’autant plus qu’elles rejoignent très fortement la plupart de nos priorités et de nos axes de travail.
Revenons un instant sur la mixité sociale. Au fond, elle est selon moi absolument indissociable de ce que nous souhaitons tous pour l’école, c’est-à-dire qu’elle forme des élèves, qu’elle en fasse des citoyens autonomes, instruits et éduqués et qu’elle soit le lieu où les élèves trouvent les moyens de leur réussite future. Or l’absence de mixité sociale, chacun le sait, constitue un obstacle à la réussite et condamne de très nombreux élèves à la médiocrité car ils ne voient pas s’ouvrir devant eux des perspectives leur permettant de se projeter, de se dépasser et de déployer à leur tour leurs talents et leurs mérites. Voilà à quoi mène l’absence de mixité sociale.
Agir pour davantage de mixité sociale, c’est au fond refuser que la recherche de l’excellence dans notre pays passe par le sacrifice de la grande majorité au profit de quelques-uns. C’est défendre, comme je le fais depuis que je suis à la tête de ce ministère, une exigence généralisée pour tous. C’est renforcer l’élitisme républicain, si tant est que l’on entende par là celui qui fonde la réussite sur le mérite et le travail et non sur la naissance et la connaissance des codes par les parents. C’est pourquoi nous voulons élargir le nombre d’élèves qui peuvent accéder à l’excellence et donc devenir un jour l’élite de notre pays. Plus la base de recrutement de cette élite sera large, plus nos élites potentielles seront dans quelques années nombreuses et meilleures elles seront. On ne peut pas avoir le moindre doute sur ce sujet.
Développer la mixité sociale, c’est donc offrir à la France la possibilité d’avoir des élites de meilleure qualité, de toutes provenances et de tous profils, quels que soient leur lieu de naissance et leur catégorie sociale d’origine. C’est une immense richesse. Ce que nous sommes en train de construire, si nous y arrivons, sera au service de la France. C’est ainsi que nous serons fidèles à la promesse de l’histoire républicaine qui fonde l’appartenance à la République dont on parle beaucoup en ce moment et dont on essaie beaucoup de convaincre les élèves. L’appartenance à la République, faut-il le rappeler, est fondée sur l’égalité non seulement des droits mais aussi des chances, ce qui suppose de distinguer le mérite individuel selon le travail et l’effort uniquement. Voilà ce que je veux faire prévaloir en effet dans toutes nos écoles, quel que soit le territoire où elles se trouvent.
J’ai constaté avec plaisir que vous ne vous résignez pas à cette tendance inégalitaire qui est à l’oeuvre depuis trop d’années maintenant. Ne pas se résigner permet de construire. Quand on écoute les uns et les autres, que l’on sonde le terrain et que l’on sort des postures, on réalise que les questions de la réussite scolaire et de la mixité sociale sont étroitement liées.
C’est ce que souligne votre rapport, cher Yves Durand, cher Rudy Salles, sur l’évaluation des politiques publiques en faveur de la mixité sociale dans l’éducation nationale. Je vous remercie pour ce travail méticuleux et précieux d’évaluation, dont nous reprendrons nombre de préconisations.
Le premier des constats que dresse votre rapport, que je partage et qui motive mon action, c’est que notre système scolaire est profondément ségrégué. Les chiffres sont connus, les études se succèdent depuis plusieurs années : loin de réduire les inégalités, le système scolaire les accroît.
Nous connaissons l’ampleur, et même la cartographie de la ségrégation sociale : 10 % de nos collèges – 700 – comptent moins de 6 % de collégiens d’origine sociale défavorisée. Dans le même temps, plus de 82 % de collégiens d’origine sociale défavorisée sont scolarisés dans 10 % seulement des collèges. Par ailleurs, les écarts de composition sociale moyens entre collèges publics et collèges privés se sont accrus ces dix dernières années.
Cela n’est pas sans conséquence. Comment défendre le mérite, le travail, l’effort si, d’une certaine façon, tout est joué avant même qu’un élève ait franchi le seuil de l’institution scolaire, sous le seul poids des déterminismes sociaux et économiques ?
Bien sûr, l’on trouvera toujours des exemples d’élèves issus de milieux défavorisés qui ont brillamment réussi. Cet argument est souvent utilisé dans le débat public par ceux qui ne veulent surtout rien changer. Certes, la réussite de ces élèves est remarquable, d’autant qu’ils ont dû surmonter de nombreux obstacles. Mais leur nombre est infime. La poursuite d’études longues à l’université, faut-il le rappeler, reste très marquée par les origines sociales, culturelles, géographiques. Aujourd’hui encore, les enfants d’ouvriers ne représentent que 5 % des étudiants en cursus de doctorat, 6 % des étudiants en classe préparatoire, et seulement 2,7 % des élèves des écoles normales supérieures et autres grandes écoles. Il ne faut pas faire de la réussite de quelques-uns – des exceptions – un prétexte à ne rien changer !
Le deuxième constat que je partage, c’est que l’absence de mixité conduit trop souvent à l’échec scolaire. Oui, je le confirme, et les études nous le disent, les établissements ségrégués peuvent créer des dynamiques d’apprentissage négatives, qui tirent vers le bas les élèves les plus fragiles. Oui, le turnover qui affecte les équipes pédagogiques de ces établissements et le fait que l’on y envoie des enseignants plus jeunes et moins expérimentés ne facilitent pas l’instauration de conditions d’apprentissage propices à la réussite.
Remédier à cette situation était l’un des objectifs de la réforme de l’éducation prioritaire, première réforme que j’aie eu à conduire à ce poste – Yves Durand l’a dit dans son propos introductif, beaucoup de choses ont été faites depuis 2012 ! Contrairement à ce que la presse en a retenu, il ne s’agit pas uniquement d’une réforme de la carte – bien qu’elle ait permis de remédier à des situations insupportables, puisque des établissements très défavorisés ne figuraient pas sur la carte. Cette réforme a consisté à augmenter considérablement les indemnités des enseignants, pour attirer les enseignants moins jeunes et plus expérimentés. Elle a permis également de mettre en oeuvre des accompagnements pédagogiques qui permettent de réussir, comme l’accueil des moins de 3 ans en maternelle. Le fait d’accompagner les élèves en classe de sixième tous les jours jusqu’à 16 h 30, en mettant en place un tutorat systématique pendant les heures libres de leur emploi du temps, est une nouveauté. De la même manière, nous avons souhaité libérer du temps pour les enseignants, afin qu’ils puissent se former et accueillir en bonne et due forme les parents. Cette réforme est entrée en vigueur à la rentrée 2015. Les retours de terrain sont très bons ; il faut continuer.
Mais, on l’a vu par le passé, le simple fait d’être dans un établissement aidé ne garantit pas de meilleurs résultats en français ou en mathématiques. C’est la raison pour laquelle nous insistons sur les fondamentaux. Avec la refonte des programmes, nous avons veillé à ce que la maîtrise du français redevienne une priorité aussi bien à l’école primaire qu’au collège, y compris par des exercices répétés, de l’entraînement régulier. La maîtrise du français est essentielle, et nous devons y veiller, particulièrement dans les établissements qui souffrent de difficultés sociales.
Certes, l’école ne peut pas tout et vous faites le constat qu’elle ne saurait vaincre à elle seule les déséquilibres que d’autres politiques n’ont su corriger. Vous avez raison, les logiques sociales et économiques à l’oeuvre sur un territoire sont complexes et la mixité sociale est aussi l’affaire de la politique de la ville. Mais entre ne rien faire et tout résoudre, il existe une marge d’action possible, que nous devons investir.
Plusieurs d’entre vous l’ont dit, l’époque que nous vivons exige de se rendre audible des élèves lorsque l’on parle des valeurs de la République, du triptyque égalité-liberté-fraternité – auquel on pourrait adjoindre la laïcité. Mais comment être audible lorsque certains élèves n’ont jamais fait l’expérience de la mixité sociale, lorsque certains voient leur avenir bouché et ne croient pas du tout à la capacité de « faire société » ? C’est pourquoi, au-delà de la réussite scolaire, l’objectif de mixité sociale est si important.
Alors, comment fait-on ? La mixité sociale ne se décrète pas, elle ne s’impose pas, comme mille exemples l’ont déjà montré. C’est un sujet qui provoque beaucoup de crispations et de tensions, qui a été abordé de façon clivante, polémique et idéologique, sans que la situation évolue.
Je souhaitais procéder autrement. C’est aussi l’intention qui sourd de votre rapport, et en cela, je m’y reconnais. La mixité sociale est une politique qui doit s’élaborer patiemment, en concertation avec l’ensemble des personnes concernées, depuis les personnels de l’éducation nationale jusqu’aux élèves et à leurs familles, en passant par les collectivités locales qui se mobilisent sur le terrain.
Ce n’est pas la carte scolaire qui fera évoluer le territoire, c’est le territoire qui doit être à l’origine de notre action et apporter les solutions concrètes. Comme le préconise votre rapport, notre démarche ne consiste pas à engager une énième refonte de la carte scolaire, mais à adopter une approche territorialisée, au cas par cas, des besoins de mixité.
Aujourd’hui, 15 académies et 20 départements, de droite comme de gauche, ont exprimé leur souhait de s’engager dans cette démarche – je suis certaine, madame Genevard, que vous soutiendrez activement l’entrée du vôtre –, soit le double de ce qui avait été envisagé initialement. C’est une bonne nouvelle, que nous devons savoir accueillir comme telle.
Ces territoires pilotes mettront en oeuvre différentes mesures, qui seront, tout au long du processus, accompagnées et évaluées. La circulaire du 7 janvier 2015 offre déjà à ces territoires des dispositions nouvelles, notamment la création de secteurs multi-collèges. Vous le disiez, nous devons rompre avec ce système de secteurs à un collège, où une population socialement homogène se retrouve dans un même établissement.
Définir des secteurs multi-collèges permet de décloisonner la sectorisation actuelle, d’agir au même moment sur plusieurs établissements, en évitant les logiques de concurrence trop souvent à l’oeuvre, et de rééquilibrer la population. Au sein de ces nouveaux secteurs, l’éducation nationale pourra déterminer des critères d’affectation des élèves, en concertation avec les départements et les communes, la communauté éducative, et notamment les parents.
Les territoires pilotes pourront également s’appuyer sur d’autres leviers, comme l’offre éducative. Développer une pédagogie d’excellence est, bien sûr, pour un établissement ségrégué, la meilleure façon d’attirer une population plus aisée.
Pour que cette démarche soit une politique publique, et non l’accumulation de vingt expériences territoriales différentes, un suivi est prévu. Les résultats obtenus dans chacun des territoires seront diffusés, afin que les actions puissent être reproduites ailleurs en France. Nous avons souhaité mettre en place un accompagnement scientifique. Une dizaine de scientifiques reconnus, des chercheurs qui travaillent de longue date sur la mixité sociale et qui ont accepté de suivre chaque département, évalueront les résultats en matière de réussite scolaire et de climat scolaire.
Votre rapport insiste beaucoup, et avec raison, sur l’amélioration de la connaissance scientifique en matière de mixité sociale. L’éducation nationale se dote progressivement d’outils de mesure. Le rapport « Grande pauvreté et réussite scolaire » de l’inspecteur général Jean-Paul Delahaye, qu’évoquait tout à l’heure Barbara Pompili, a mis en lumière les conséquences de la grande pauvreté sur l’échec scolaire. Deux récents rapports du conseil national de l’évaluation du système scolaire, le CNESCO, ont permis de dresser un état des lieux de la mixité sociale dans les collèges français et de présenter les expériences internationales. Ces différents travaux complètent les études menées par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, la DEPP, en lien avec l’INSEE, qui établissent des indicateurs de ségrégation pouvant être utilisés à l’échelle territoriale.
Si la dynamique que nous avons lancée a des chances de fonctionner, et si un certain nombre de départements ont décidé de s’engager dans cette démarche, c’est que la DEPP a précédemment observé les territoires et analysé les établissements scolaires, afin de produire de façon objective et scientifique la réalité de la ségrégation sociale. Car voilà bien un sujet dont on parle depuis des décennies, sans disposer d’un chiffre précis sur tel ou tel établissement ! Jusque-là, personne ne pouvait dire à un élu local guidé par la volonté de faire mieux en matière sociale, quel était le taux d’enfants issus de milieux défavorisés dans tel établissement, ou quel serait le résultat s’il venait à mixer les populations de deux collèges différents.
Ces derniers mois, et c’est nouveau, nous avons mobilisé nos services statistiques afin qu’ils dressent un état des lieux, un diagnostic de la ségrégation sociale dans tous les territoires. Nous le mettons à la disposition des élus locaux des départements, qui pourront aussi utiliser ces outils dans les réunions publiques auprès des parents. Car il s’agit d’un travail de conviction. Il faut que l’opinion publique prenne conscience de la gravité de la ségrégation. Nous continuerons donc de développer la recherche scientifique en la matière.
Le rapport se penche aussi sur le modèle d’allocation des moyens, invitant à donner plus aux établissements qui en ont le plus besoin. S’il y a un sujet auquel je suis attachée – et vous commencez à me connaître ! –, c’est bien la lutte contre les inégalités de réussite scolaire. La première chose que j’ai demandée aux services en arrivant à la tête de ce ministère était de construire un nouveau modèle d’allocation des moyens.
Jusqu’à présent, en dehors du cadre de l’éducation prioritaire, l’on donnait les mêmes moyens à tous les établissements scolaires en France, sur critère démographique. Depuis la rentrée 2015, nous avons changé notre modèle pour tenir compte désormais, au-delà de la démographie, des difficultés sociales de la population des établissements et de leur réalité territoriale, afin de mieux adapter les moyens à leurs contraintes, en particulier lorsqu’ils se trouvent en zone rurale.
Ce nouveau modèle d’allocation des moyens a des conséquences concrètes. Il a ainsi permis à Marseille d’obtenir, cette rentrée, 97 emplois de plus que ce qu’elle aurait obtenu sans lui, en raison des difficultés sociales auxquelles elle doit faire face. De même, Créteil recevra 178 emplois supplémentaires et Versailles, 89.
Cette réalité sociale est aujourd’hui prise en compte.
Un autre sujet sur lequel je partage votre analyse est celui de l’offre d’excellence. Vous dites qu’elle mérite d’être mieux régulée. C’est vrai, cette offre d’excellence donne souvent lieu à des stratégies de contournement qui conduisent à l’inverse du résultat recherché, à savoir la constitution, là où l’on recherchait de la mixité sociale, de zones socialement homogènes, où se rassemblent ceux qui, d’une certaine façon, veulent se tenir à l’écart des autres. Sans vouloir y mettre fin, car il est toujours bien de disposer d’une offre d’excellence, nous devons la réguler. C’est pourquoi, pour revenir aux langues vivantes, j’ai souhaité réformer le collège. Plutôt que de faire perdurer un système où seuls certains pouvaient accéder aux classes bilangues – tant mieux pour eux mais un responsable politique qui a le souci de la mixité sociale ne pouvait s’en satisfaire –, nous devions permettre à tous les collégiens d’apprendre une deuxième langue, avec plus d’heures de cours, et plus précocement, à savoir dès la classe de cinquième, sachant que l’apprentissage des langues vivantes est un gage de réussite dans le monde qui est le nôtre.
Dans quelques jours, le 22 janvier prochain, j’annoncerai, pour répondre à tous ceux qui se sont inquiétés de l’avenir des langues vivantes dans notre pays, les résultats de la carte académique des langues vivantes, que nous avons élaborée dans tous les territoires pour diversifier les langues que les élèves apprennent à l’école et mieux assurer la continuité des apprentissages linguistiques. C’est bien beau de faire apprendre une langue vivante dès le premier ou le deuxième degré, encore faut-il en assurer le suivi. Quel intérêt de commencer l’allemand en primaire si l’on ne peut pas continuer un certain nombre d’années et ensuite, au collège ? Enfin, une politique académique des langues est menée dans ce pays pour répondre à toutes ces questions.
Vous verrez, cher Yves Durand, qu’une attention particulière a été portée à l’offre linguistique dans les réseaux de l’éducation prioritaire, les REP. Elle répondra à votre souci d’accorder davantage de moyens aux établissements de ces réseaux pour ouvrir de véritables classes bilangues, et permettre que l’apprentissage d’une deuxième langue dès le primaire se poursuive au collège. Les établissements de ces territoires pourront ainsi proposer une offre pédagogique d’excellence, sans pour autant donner lieu à des manoeuvres de contournement contraires à la logique de mixité sociale puisque cette offre serait faite à tous les élèves intéressés de l’établissement, et non ceux choisis pour intégrer des classes à part.
Vous exprimez aussi le souhait, messieurs les rapporteurs, d’ouvrir les perspectives des élèves des établissements les plus défavorisés. Je partage cette préoccupation et j’annoncerai dans les prochains jours la mise en place de parcours d’excellence dans ces établissements. Je pense que vous approuverez cette proposition.
Le parcours d’excellence aura pour objectif de conduire des jeunes de milieux modestes vers une poursuite d’études ou une insertion professionnelle ambitieuse et réussie. Les premiers dispositifs mis en place pour favoriser la mobilité sociale et l’accès d’élèves issus de milieux défavorisés aux grandes écoles, auront bientôt quinze ans – à Sciences Po Paris, l’ESSEC etc. Nous avons aujourd’hui un certain recul pour en dresser un bilan objectif. Il s’avère que ces dispositifs sont restés relativement en marge du système éducatif avec des effets très limités sur le nombre d’élèves concernés et la réduction des inégalités. Or, les enjeux de la mobilité sociale n’ont sans doute jamais été aussi forts qu’aujourd’hui car nous sommes entrés dans une société de la connaissance, une société mondialisée. Notre avenir est en jeu et nous devons former le plus grand nombre, élargir nos élites. C’est une nécessité économique mais aussi un impératif pour la cohésion de notre société.
C’est à cet enjeu que veulent répondre les parcours d’excellence. Ils permettront demain aux collégiens de troisième des REP qui seront volontaires – nous commencerons par les REP + à la rentrée 2016, avant d’étendre le dispositif à l’ensemble des REP – de préparer avec ambition la poursuite de leurs études, l’accès à l’enseignement supérieur, l’insertion professionnelle, grâce à un véritable accompagnement, la connaissance de toutes les opportunités, de tous les horizons possibles. Ce dispositif s’appuie tout d’abord sur la mise en place de partenariats entre ces collèges REP, les établissements d’enseignement supérieur et de grandes entreprises. Nous construisons ces partenariats pour que se tisse un premier réseau, en un sens celui des élèves qui n’en ont pas.
Il s’appuiera également sur un accompagnement solide puisque les élèves, dès la troisième, seront regroupés en petits groupes de travail d’une dizaine de collégiens, encadrés par un tuteur chargé de renforcer la maîtrise des connaissances et des compétences, mais aussi de travailler la motivation, la confiance en soi, le travail personnel, et d’organiser des visites, qu’il s’agisse de visites culturelles, dans des entreprises ou des lieux de formation, ou de rencontres avec des étudiants. Toutes ces rencontres auront pour objectif d’élargir les possibles et de rassurer les élèves qui ont parfois le sentiment de se retrouver dans des impasses.
Ces parcours doivent donner à ceux qui en témoignent l’envie et qui mettent leurs efforts et leur travail au service de leur réussite, les moyens d’accéder à des filières, à des voies, à des métiers qu’ils ne connaissaient pas et auxquels ils n’imaginaient pas pouvoir jamais accéder.
Il faut par ailleurs assurer la continuité. Les élèves de troisième qui bénéficient de ce parcours seront suivis jusqu’au baccalauréat, toujours avec la même logique, à la différence que le suivi sera plus individualisé et assuré par des étudiants, que nous recruterons. Ils seront un soutien mais aussi une source d’inspiration.
Voilà ce que je voulais vous dire de ces parcours d’excellence sur lesquels je ferai des annonces dans quelques jours et dont nous voudrions faire bénéficier les élèves de REP pour aller jusqu’au bout de la logique de l’éducation prioritaire. D’amont en aval, ces élèves doivent être placés dans les meilleures conditions possibles pour se projeter dans l’avenir.
Je conclurai par la proposition relative à l’enseignement privé. Comme vous, je suis persuadée que rien ne se fera sans la mobilisation de tous les acteurs concernés, y compris les établissements privés. C’est pourquoi, dans la démarche relative à la mixité sociale, j’ai voulu que ces établissements soient associés au pilotage des projets. Je veux profiter de cette tribune pour saluer l’engagement de l’enseignement privé, au niveau national, en faveur de la mixité sociale. Nous nous sommes réunis à plusieurs reprises avec eux et nous savons qu’ils veulent avancer sur cette question. Bien sûr, la priorité de mon ministère reste l’école publique mais la mixité est l’affaire de tous et nous avons tout à gagner de l’implication de ces partenaires.
Parmi les différentes démarches conduites dans les vingt départements, vous verrez qu’un certain nombre – pas toutes car la situation n’est pas la même partout – impliqueront des établissements privés.
Au travers de ces mesures, ces dispositifs, ces territoires pilotes, j’ai voulu vous montrer que nous tenions une occasion, peut-être inédite, de progresser avec pragmatisme et en dehors des débats clivants et polémiques. Nous devons tenir compte de la réalité des territoires pour démontrer que la mixité sociale n’est ni un totem ni un tabou, mais qu’elle est tout simplement au coeur de notre capacité à fonder une société unie, soudée, et rassemblée.
Nous en venons aux questions, en commençant par le groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à Mme Anne-Christine Lang.
Madame la ministre, chers collègues, la question de la mixité n’est ni un slogan, ni une chimère, ni un totem ni un de ces mots vides de sens dont on aime à parsemer les discours pour se donner bonne conscience. C’est une nécessité et un enjeu majeur de cohésion sociale. Si l’on considère, et c’est le cas de beaucoup d’entre nous, qu’il faut se battre sans relâche, aujourd’hui plus que jamais, pour une société ouverte, tolérante et solidaire, alors convenons ensemble que c’est d’abord à l’école et au collège que doit se faire cet apprentissage de l’altérité, que l’on crée du commun, et refuser tout ce qui s’apparente à de l’entre-soi, tant au niveau des établissements que des classes.
Nous ne pouvons donc que nous féliciter du lancement de l’expérimentation multi-collèges qui permettra d’accroître la mixité dans une vingtaine de territoires où les ségrégations de tous ordres minent le pacte républicain et font naître le sentiment chez des milliers d’enfants que la promesse républicaine n’a pas été tenue puisque toute émancipation et toute mobilité sociale apparaissent hors de portée.
Cette démarche se fonde d’abord sur la confiance accordée aux acteurs de terrain qui pourront, ce qui est inédit, élaborer collectivement les critères d’affectation qui leur semblent les plus pertinents et les plus adaptés pour atteindre l’objectif de mixité sur leur territoire, et transformer ainsi en une démarche citoyenne et transparente un exercice jusqu’ici technocratique et abscons, souvent perçu par nos concitoyens comme arbitraire et injuste.
Je me félicite également que des scientifiques de renom, je pense notamment à Agnès van Zanten, Julien Grenet, Son-Thierry Ly et Arnaud Riegert, dont les travaux font autorité en matière de ségrégation scolaire, soient, grâce à vous madame la ministre, pleinement engagés dans cette démarche expérimentale de recherche-action. C’est, là encore, totalement inédit.
Cette expérimentation concernera dans un premier temps une vingtaine de territoires. Comment envisagez-vous l’extension, voire la généralisation de ce dispositif ?
Au stade de l’expérimentation, nous n’avons pas pour objectif de dresser une liste exhaustive de l’ensemble des établissements ségrégués sur le territoire. Cela n’aurait d’ailleurs pas de sens puisque nous nous fondons avant tout sur le volontariat des départements. L’objectif n’est donc pas quantitatif : il s’agit tout simplement de mener cette expérimentation, là où elle nous semblait le plus justifiée.
Nous avons tout d’abord procédé à un diagnostic partagé sur le territoire à partir d’outils créés spécifiquement par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance. J’ai, avant l’été dernier, mandaté tous les recteurs pour qu’ils rencontrent les nouveaux exécutifs des conseils départementaux et leur proposent un travail d’analyse fine des phénomènes de ségrégation à l’oeuvre dans leur territoire.
À partir du diagnostic, les académies et les départements volontaires ont identifié ensemble un ou plusieurs territoires pilotes. Un département peut compter plusieurs territoires pilotes, ce qui explique que nous menions plus de quinze expérimentations – vingt-cinq environ.
Pour être pilote, un territoire doit compter un ensemble de collèges, pas trop nombreux, entre lesquels pourrait s’exercer le choix des familles, avec une échelle de distance-temps qui rende réaliste le déplacement des élèves – en cas de réaffectation, le temps de déplacement ne devrait pas être insupportable. Il faut également un ensemble de collèges suffisamment ségrégués entre eux.
Le dispositif, je le répète, mobilise quinze académies, vingt départements et vingt-cinq territoires pilotes. Certaines collectivités ont fait preuve d’une vraie appétence pour cette démarche. Maintenant, c’est une entreprise de longue haleine supposant conviction et démonstration par la preuve qu’il est possible de faire progresser la mixité, et ce sans opposition stérile, avec des leviers vraiment efficaces comme les secteurs multi-collèges.
Pardonnez-moi, madame la présidente : je vois que je l’ai largement dépassé !
J’en termine en évoquant l’accompagnement scientifique, qui sera un accompagnement opérationnel : dans chacun des territoires pilotes, un scientifique accompagne le dispositif et mène une évaluation relative à la réduction de la ségrégation sociale et scolaire et à l’impact de la mixité sociale sur les résultats et sur le climat des établissements. Un deuxième niveau d’évaluation, conduit cette fois-ci par le CNESCO, sera déployé à la fin de l’année 2016 pour tirer le bilan des premières expérimentations entrées en vigueur à la rentrée 2016.
Je rappelle que les questions comme les réponses sont limitées à deux minutes.
La parole est à M. Pascal Demarthe.
Madame la ministre, le Gouvernement a fait de la jeunesse la priorité du quinquennat. Les inégalités en termes de réussite scolaire sont, aujourd’hui encore, trop importantes en France. Elles sont la résultante de parcours scolaires soumis au déterminisme social : la culture dominante acquise dans sa plus large part par la socialisation familiale est ensuite celle qui est reconnue et privilégiée par l’institution scolaire.
Le manque de mixité sociale au sein de l’école ne peut que favoriser la reproduction des inégalités, dans la mesure où les élèves fragiles doivent fournir un plus grand effort d’apprentissage et ont, de fait, besoin de moyens plus importants.
Or notre système scolaire est marqué par une forte ségrégation sociale. Dans le classement de l’OCDE, la France figure au trentième rang sur soixante-cinq en matière de mixité sociale à l’école. Surtout, le lien entre le milieu socio-économique dont l’élève est issu et sa performance scolaire est le plus élevé de tous les pays de l’OCDE, selon l’enquête PISA de décembre 2013. Notre pays est donc celui qui est le plus affecté par le déterminisme social.
Parmi les propositions figurant dans le rapport du comité d’évaluation et de contrôle pour empêcher que l’école ne soit un lieu de reproduction des inégalités sociales, je retiens un modèle d’allocation des moyens qui fait des besoins des élèves la priorité, en prenant en compte deux nouveaux critères pour la déterminer : le nombre d’élèves obtenant de faibles résultats aux évaluations nationales et le nombre d’élèves dont les parents sont peu diplômés ou ne le sont pas. L’hétérogénéité des situations scolaires justifie en effet que l’on calcule l’allocation des moyens d’une manière plus ajustée aux besoins effectifs des élèves défavorisés.
Donner plus à ceux qui ont moins, c’est permettre de progresser vers notre objectif de réussite globale du système scolaire français et d’atteindre l’objectif précis que le Gouvernement s’est fixé : ramener à moins de 10 % les écarts de réussite scolaire entre les élèves. Quelles actions l’éducation nationale mène-t-elle d’ores et déjà, ou compte-t-elle renforcer, pour donner plus à ceux qui en ont le plus besoin ?
J’essaierai cette fois-ci de respecter mon temps de parole, madame la présidente !
S’agissant de l’allocation des moyens, j’ai eu l’occasion d’exposer ce que nous faisons depuis la rentrée scolaire et que nous poursuivrons. Je prends note des propositions formulées dans le rapport. Peut-être l’allocation des moyens devra-t-elle encore évoluer un jour, lorsque nous serons satisfaits des résultats de la première évolution que nous avons imprimée pour mieux tenir compte des difficultés sociales et territoriales.
Mais, pour répondre à votre question plus générale sur notre action face à ces difficultés, j’insisterai sur la réforme de l’éducation prioritaire. Ce dispositif concerne tout de même un millier de collèges et un collégien sur cinq. Les collèges et les écoles qui lui sont affiliées ont bénéficié cette année de 352 millions d’euros de plus et de 2 150 postes supplémentaires d’assistants d’éducation prioritaire.
Sans m’étendre sur les améliorations que cela a permis, je mettrai l’accent sur le dispositif « plus de maîtres que de classes » prévu par la loi de refondation. Le nombre de maîtres surnuméraires dépasse aujourd’hui les 2 500. Nous veillons à affecter en priorité ces personnels dans les établissements situés dans les territoires les plus en difficulté. Les remontées qui nous parviennent sont extrêmement positives, puisque le dispositif permet non seulement de prendre régulièrement les élèves en petits groupes pour les faire travailler sur les fondamentaux, mais aussi d’améliorer la professionnalité de l’ensemble de l’équipe pédagogique, le maître surnuméraire venant partager les expériences avec les différents enseignants et en tirer les leçons.
Enfin, nous entendons poursuivre la préscolarisation des enfants de moins de trois ans, en nous concentrant, là encore, sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville. La proportion d’enfants de moins de trois ans préscolarisés dans ces quartiers atteignait près de 21 % en 2014, contre 17 % en 2012. Cette montée en puissance doit être soutenue.
Nous en venons aux questions du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Frédéric Reiss.
La mixité sociale à l’école est un serpent de mer qui, par sa dimension hors normes, presque mythique, hante de manière récurrente les esprits des ministres de l’éducation nationale.
Sourires.
Tout est dit dans le titre du remarquable rapport de nos collègues Yves Durand et Rudy Salles : « Pour une mixité sociale au service de la réussite de tous les élèves ». D’ailleurs, les parents applaudissent aux initiatives qui vont dans ce sens et trouvent cet enjeu formidable… pour les enfants des autres !
Madame la ministre, dans votre démarche un peu précipitée visant à renforcer la mixité sociale dans les collèges, vous souhaitez réaliser des expérimentations dans des secteurs multi-collèges, pour ensuite généraliser les bonnes pratiques. C’est le bon sens même, car le problème de la mixité sociale à l’école s’inscrit dans le temps long, celui du chercheur et du scientifique, et non dans le temps éphémère d’une fonction ministérielle.
« Créer un bonus dans l’orientation pour les élèves des établissements de la nouvelle mixité », comme le préconise le CNESCO, me semble être une bonne mesure, incitative pour les collèges. J’ajoute que le système éducatif français progressera de manière décisive quand l’apprentissage et l’enseignement professionnel seront devenus des filières d’excellence.
Mais ma question portera sur la stabilité des équipes enseignantes dans les réseaux d’éducation prioritaire.
Avec une offre de formation améliorée, y compris dans le domaine périscolaire, avec un encadrement pédagogique renforcé, avec des spécificités affirmées – faire disparaître les options serait une erreur –, avec le mérite récompensé, les établissements concernés verront leur attractivité démultipliée. Quelles mesures comptez-vous prendre pour permettre aux chefs d’établissement de lutter contre les inégalités scolaires en s’appuyant sur des projets d’établissement vertueux et des professeurs motivés au sein d’équipes pédagogiques stables ?
Je vous remercie, monsieur le député, d’avoir soulevé l’importante question du turnover des équipes pédagogiques dans les établissements les plus en difficulté, car c’est dans ce qu’on appelle « l’effet maître » que réside l’essentiel des solutions. Voilà pourquoi, lors la réforme de l’éducation prioritaire, nous avons augmenté de 100 % les indemnités des enseignants exerçant en REP+ et de 50 % celles des enseignants exerçant en REP.
Nous avons également veillé à leur dégager du temps de formation, comme je l’indiquais tout à l’heure, ainsi que du temps pour préparer leurs cours et pour rencontrer les parents. Pour mémoire, dans les réseaux d’éducation prioritaire « plus » – donc dans les 350 collèges où cela va le plus mal –, les enseignants de collège disposent désormais d’une heure et demie par semaine, et ceux du primaire de neuf jours par an, pour accomplir ces tâches.
Quant aux élèves de ces réseaux, ils bénéficient d’un meilleur accompagnement grâce à la préscolarisation des moins de trois ans, à l’amélioration du tutorat pour les élèves de troisième, mais aussi au développement des internats de proximité. Je crois beaucoup à ce dispositif dont certains jeunes des milieux modestes ont besoin.
Pour ce qui est de l’attractivité des établissements, j’ai déjà évoqué ce que la nouvelle carte académique des langues nous permettrait de faire. Je conclurai donc en mettant l’accent sur les parcours d’excellence, qui concerneront désormais tous les établissements des REP+ dans un premier temps, puis ceux des REP, de manière à tirer vers le haut l’ambition des élèves et leur capacité à se projeter.
Le 1er décembre dernier, MM. Yves Durand et Rudy Salles présentaient leur rapport d’information sur l’évaluation des politiques publiques en faveur de la mixité sociale dans l’éducation nationale. Au cours de la discussion large et intense qui s’est ensuivie, j’ai souligné la réelle audace du travail réalisé et des propositions formulées, et défendu l’ambition des parents pour leurs enfants, notamment dans leur recherche du meilleur établissement de scolarisation – et lorsque je parle des parents, il ne s’agit pas seulement de ceux qui appartiennent aux classes socioprofessionnelles supérieures, ou même moyennes, mais bel et bien d’un nombre très important de parents.
Des établissements privés sous contrat sont ainsi choisis parce qu’ils apportent, aux yeux des familles, une réponse à leurs préoccupations. Le rapport souligne d’ailleurs une certaine réussite de ces établissements qui ne sont pas situés seulement dans les beaux quartiers et qui accueillent des élèves issus de familles et de quartiers très différents. Nous en connaissons plusieurs exemples sur le terrain.
Madame la ministre, pensez-vous, pour donner suite à ce rapport, étudier et faire étudier les raisons d’une telle réussite ? Parmi ces raisons, je distinguerai pour ma part la place et l’autorité du chef d’établissement, ainsi que l’adhésion des familles au projet éducatif. Ces pistes retiendront-elles votre attention ? Comptez-vous les approfondir ?
Je soulignerai tout d’abord que l’enseignement privé n’est pas soumis à la sectorisation et que la liberté de choix des parents ne sera pas remise en cause.
C’était un simple rappel, madame la députée.
Pourquoi les parents choisissent-ils le privé ? C’est assurément une très bonne question, sur laquelle les chercheurs se sont penchés. Les résultats de leurs enquêtes, que je pourrai vous communiquer, montrent que les raisons sont protéiformes. Cela n’est pas nécessairement une question de conviction religieuse, par exemple. Parfois, c’est parce qu’un établissement public n’a pas donné satisfaction : on essaie alors autre chose. Parfois, c’est parce que l’on souhaite une pédagogie différenciée…
Une telle diversité explique, du reste, le rapport plutôt apaisé qu’entretient aujourd’hui la société avec la question du privé et du public. Jusqu’au sein d’une même fratrie, on peut trouver des enfants scolarisés dans le public et d’autres dans le privé. L’offre n’est tout simplement pas la même.
Ce qui m’intéresse du point de vue de la mixité sociale, c’est que, comme je l’indiquais dans mon propos introductif, le gap s’est renforcé entre les collèges publics et les collèges privés en termes de composition sociale au cours des dix dernières années. Cela doit nous alerter. Aussi demandons-nous à l’enseignement privé de prendre une part de responsabilité dans cet enjeu de mixité sociale, même si, n’étant pas soumis à la sectorisation, il ne sera pas tenu aux mêmes obligations que l’enseignement public.
Il est vrai que dans un certain nombre de territoires, et j’en ai été moi-même surprise en approfondissant le sujet, le privé est assez engagé dans des démarches favorisant la mixité sociale. C’est une bonne chose, et nous entretenons à cet égard de bonnes relations avec le SGEC, le secrétariat général de l’enseignement catholique. Celui-ci ne découvre pas la question de la mixité, et il a souhaité de son propre chef être associé à la réflexion sur les territoires pilotes.
Concrètement, dans les quelques territoires où le privé pourra être impliqué, il sera possible d’établir des objectifs et des stratégies partagés, par exemple pour rééquilibrer la composition sociale des établissements, y compris privés, sur plusieurs années. Il s’agira aussi de veiller – je suis sûre que vous avez ce sujet à l’esprit – à ce que plus aucun élève ne fasse l’objet d’une éviction du privé vers le public en cours de scolarité, car ces évictions alimentent la machine négative, ou encore de négocier le développement de tel ou tel établissement en le conditionnant à une réduction de la ségrégation.
Nous pouvons envisager toutes ces pistes de travail sans qu’il soit utile de trop les cadrer au plan national, car je sais que différentes perspectives commencent à se dessiner au niveau des territoires et des réalités locales.
La parole est à M. Rudy Salles, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Madame la ministre, lorsque vous étiez dans l’opposition, vous dénonciez l’assouplissement de la carte scolaire opéré par la précédente majorité. Maintenant que vous êtes aux responsabilités, force est de constater que vous n’avez pas changé foncièrement les choses et que la carte scolaire reste un outil de gestion de la mixité sociale inadapté, voire hypocrite.
L’évitement généré par la carte scolaire condamne les familles populaires ou immigrées à un entre-soi qui est souvent vécu comme une discrimination. Actuellement, la carte scolaire aggrave les inégalités sociales plutôt qu’elle ne les corrige, car seuls les parents informés savent comment la contourner.
Mes chers collègues, je suis bien conscient de la difficulté de reproduire à l’identique des politiques publiques suivies dans d’autres pays, mais Yves Durand et moi avons été frappés par le modèle éducatif des Pays-Bas et je voulais vous en dire quelques mots.
Dans ce pays, des coefficients de pondération, établis sur la base de critères précis, notamment la catégorie socio-professionnelle des parents, conduisent à affecter aux écoles des moyens humains et des ressources supplémentaires.
Ne pensez-vous pas que pour lutter efficacement contre les phénomènes de ségrégation il convient de s’attaquer à l’allocation des moyens plutôt qu’à la répartition des élèves ?
C’est une bonne question, monsieur le député. J’ai eu l’occasion de dire que nous nous sommes attaqués à l’allocation des moyens, je n’y reviendrai donc pas.
Pour autant, je ne pense pas que cela puisse nous exonérer d’une réflexion, ou plus exactement d’un travail sur la question de la mixité sociale au sein des établissements scolaires.
On ne peut pas se satisfaire de donner plus à certains établissements, comme nous le faisons aujourd’hui avec l’éducation prioritaire, en considérant que c’est dans ces établissements que se concentrent les difficultés sociales. On ne peut pas se satisfaire de laisser les élèves entre eux, même si on leur accorde plus de moyens pour avoir la conscience tranquille.
Certes, il faut poursuivre cette politique qui consiste à donner plus aux établissements qui concentrent les difficultés sociales, mais il nous faut également nous demander comment faire en sorte, de façon dynamique et à plus long terme, que les nouvelles classes d’âge qui intègrent ces collèges soient mieux réparties sur le territoire pour mettre fin à la ségrégation qui existe aujourd’hui. Ces deux éléments sont complémentaires.
Pardonnez-moi, monsieur Salles, pouvez-vous me rappeler sur quoi portait votre première question ?
En effet, vous avez évoqué l’assouplissement de la carte scolaire engagé par Nicolas Sarkozy. De nombreuses enquêtes démontrent, vous en conviendrez, que c’était une mauvaise décision : Assouplir la carte scolaire sans prendre aucune mesure d’accompagnement aboutit à une situation que nous connaissons par coeur : les familles qui en ont les moyens échappent à la carte scolaire, ce qui renforce la ségrégation pour les autres familles. C’est exactement ce qui s’est passé.
Vous avez ajouté que nous n’avions rien changé lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités. C’est faux puisque Vincent Peillon, mon prédécesseur, dès qu’il est arrivé aux responsabilités, a considérablement remis en question l’assouplissement de la carte scolaire en demandant que les demandes de dérogation ne soient acceptées que si elles sont justifiées – handicap, accueil d’une fratrie ou toute autre raison sérieuse qui mérite le changement d’affectation d’un élève.
Aujourd’hui, lorsque je parle de mixité sociale, je ne m’en tiens pas uniquement à l’outil que constitue la carte scolaire. Nous avons commis l’erreur, au cours des dernières années, de penser « mixité sociale = carte scolaire ». Car la mixité sociale passe par autre chose. Il est normal de revoir la carte là où c’est nécessaire, mais la mixité sociale passe aussi par le développement d’offres pédagogiques d’excellence dans certains établissements et par beaucoup d’autres moyens.
Madame la ministre, mes chers collègues, je veux à mon tour saluer la qualité de ce rapport et souligner que pour nous, l’absence de mixité sociale en milieu scolaire est très préjudiciable et concentre les difficultés, pour les enseignants comme pour les élèves des collèges et des écoles du premier degré, et cela dans des quartiers qui connaissent déjà des difficultés sociales.
On voit aujourd’hui les limites des politiques réparatrices. On attribue plus de moyens à certains établissements, par le biais de l’éducation prioritaire – c’est normal et il faut le faire – mais ce n’est qu’une politique réparatrice.
L’élément le plus structurant est la politique d’urbanisme et de logement, il faut le rappeler, car c’est elle qui détermine l’existence – ou non – d’une forme de séparatisme scolaire. Je ne reprendrai pas, pour ma part, l’expression d’apartheid social employée par le Premier ministre, car je considère qu’elle est trop dure, mais c’est le point le plus difficile à faire bouger.
Il faut donc prendre rapidement des mesures pragmatiques pour améliorer la mixité sociale dans l’éducation nationale, madame la ministre, et je soutiens votre démarche d’expérimentation.
Je voudrais apporter mon appui à deux propositions.
La première est la proposition no 9 du rapport visant à réformer la carte scolaire sur une base intégrant davantage la carte des transports en commun – cela ne vous étonnera pas de la part d’un écologiste. Dans les zones urbaines, grâce au réseau de transports en commun, il nous est possible d’extraire les élèves de leur quartier pour qu’ils intègrent un autre collège, ce qui permet un certain brassage – à condition de ne pas allonger les temps de parcours.
J’appuie également la proposition no 8 du rapport. Il s’agit, tout en sachant que ce n’est sans doute pas possible en fin de mandat, de procéder à une restructuration plus profonde de la carte scolaire et d’envisager la suppression de ces collèges qui sont pris dans une spirale d’échec et dont les effectifs sont en baisse. Quelques collèges de l’agglomération nantaise comptent moins de deux cents élèves. Cela n’est pas viable et nuit à la qualité pédagogique des enseignements proposés aux élèves.
Quel est votre avis, madame la ministre, sur ces deux propositions ?
Je vous remercie, monsieur le député, d’avoir une nouvelle fois illustré mon propos : la carte scolaire n’est qu’un outil parmi d’autres moyens d’action. Parmi ceux-ci il y a la possibilité de fermer un collège qui est entré dans la spirale négative que vous évoquez. Cette possibilité est envisagée dans un certain nombre de départements. Dans les départements qui sont partie prenante des expérimentations, nous nous servons de l’opportunité que représente la construction de nouveaux collèges pour revoir la carte scolaire et repartir sur de meilleures bases. Cette possibilité est l’une de celles qui seront utilisées.
Vous évoquez d’autre part les réseaux de transports en commun. C’est une bonne démarche que de redéfinir la carte scolaire, dans les grandes métropoles, à partir des réseaux de transports en commun. Même si la démarche ne vaut que pour ces territoires, on peut tout à fait l’envisager et elle fait actuellement l’objet de discussions. Dans les régions où la ségrégation est importante, la nouvelle carte scolaire pourra être « mouchetée » – c’est une image que je n’ai pas besoin de vous expliquer…
Dans les zones rurales, nous avons envisagé des réseaux de collèges intégrés afin de couvrir une surface plus importante et permettre un meilleur équilibre des populations.
Les leviers sont donc très divers et variés, et d’un territoire à l’autre ce n’est pas du tout la même réponse qui sera apportée. Pour revenir aux territoires urbains, la mise en place de secteurs multi-collèges prévue par les textes qui ont été adoptés change considérablement la donne.
La parole est à M. Jean-Noël Carpentier, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Madame la ministre, le manque de mixité sociale est l’un des problèmes de notre école. Bien sûr nous tentons d’améliorer la situation, mais force est de constater que c’est très difficile dans certains quartiers où sont déjà concentrés beaucoup de problèmes.
C’est l’ensemble de nos politiques publiques qu’il faut réinterroger, notamment en matière d’urbanisme, de transports ou d’aménagement du territoire.
Cette mixité sociale à l’école peut paraître parfois illusoire, mais elle est indispensable pour améliorer notre système scolaire. C’est une revendication importante de la communauté éducative.
Certes, le débat sur cette question n’est pas toujours aisé. Il est même parfois polémique et il renvoie, il faut le dire, à certains égoïsmes sociaux. Mais il doit avoir lieu. De ce point de vue, madame la ministre, je salue l’engagement du Gouvernement pour affirmer son utilité.
Néanmoins, ne pensez-vous pas qu’il faille aller encore plus loin sur cette question, notamment en augmentant les moyens des établissements qui se trouvent en difficulté, mais aussi en refondant la carte scolaire – et non en la supprimant – et en assurant une transparence totale, qu’il s’agisse de son élaboration ou de son application, actuelle ou future ?
Dans cet esprit d’ouverture du service public de l’éducation aux usagers, êtes-vous favorable à ce que les représentants des parents d’élèves soient associés à l’ensemble du processus et figurent dans les instances qui définissent les critères d’affectation des élèves, de l’école maternelle au lycée ?
Bien sûr, monsieur le député. Il est prévu que les parents d’élèves soient associés. D’une manière générale, la plus grande transparence règne sur cette démarche.
Je rappelle que les collectivités départementales qui souhaitent s’engager dans cette démarche doivent organiser une délibération et que celle-ci doit être adoptée par l’assemblée départementale – il y a donc bien de la transparence. En outre, les élus locaux doivent associer la communauté éducative, au premier rang de laquelle les parents d’élèves – c’est la transparence sur le terrain. Dans les secteurs multi-collèges, les critères d’affection des élèves seront décidés par l’ensemble de la communauté éducative – ce qui est également parfaitement transparent. Enfin, les évaluations réalisées par les chercheurs feront l’objet d’une publicité. Nous sommes réellement dans une démarche de transparence. Personne ne doit en douter ou penser que se jouent des enjeux qu’il ne comprend pas.
La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Madame la ministre, mes chers collègues, les conclusions du rapport présenté par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques font froid dans le dos.
À l’heure où de nombreux acteurs discutent de la nécessité de refonder notre pacte républicain et de créer du vivre ensemble, ce rapport démontre clairement que le système scolaire français n’est pas un outil de promotion de la mixité sociale. À l’inverse, l’éducation nationale est victime d’un véritable apartheid social.
Certains chiffres édifiants témoignent de la ségrégation à l’oeuvre tout au long du cycle de formation. Au collège, déjà, on observe une concentration des élèves favorisés et des élèves très favorisés dans un nombre restreint d’établissements. Cette tendance s’accélère au lycée sous l’effet du tri social opéré par l’orientation en fin de troisième.
La spirale de la ségrégation ne semble pas reculer. Cela met en danger l’idée même de l’école républicaine.
J’aimerais insister sur l’enjeu de la carte scolaire. Le rapport le montre clairement, la recherche de l’entre-soi pousse les familles aisées à éviter certains établissements en contournant la carte scolaire, instituant une sélection par les relations, le capital culturel, l’argent.
La carte scolaire est indispensable pour stopper l’exode des familles les plus aisées vers des établissements prisés. Cependant, nous le savons, la société est déjà parcourue d’inégalités. L’école à deux vitesses se construit donc en parfaite symétrie, dans un pays qui voit les bidonvilles se développer aussi vite que les quartiers d’affaires.
Pour valoriser une école qui joue son rôle de promotion sociale et limiter la reproduction des inégalités, il est urgent d’élargir le débat et de ne pas nous cantonner à une réflexion éducative stricte.
La mixité sociale doit se construire par le biais de politiques publiques ambitieuses – politique éducative mais également politiques du logement, de l’emploi, de l’implantation des services publics.
Ma question est donc la suivante : quelle stratégie de partenariat et de transversalité doivent adopter l’éducation nationale et les pouvoirs publics pour promouvoir la mixité sociale dans les territoires de notre pays ?
Vous avez répondu en grande partie à ma question dans le cadre de votre intervention, mais vous pouvez encore apporter quelques précisions, par exemple s’agissant des moyens financiers.
Vous avez raison, monsieur le député, il faut être attentif à ces questions. Vous l’avez compris, le partenariat sera construit au niveau local. Nous veillerons à ce que, dans chaque académie, les établissements qui s’engagent dans cette démarche soient accompagnés, notamment sur le plan financier. Lorsqu’il s’agira, par exemple, de développer une offre pédagogique d’excellence dans tel ou tel établissement parce que c’est le levier qui aura été retenu pour favoriser la mixité sociale, nous y mettrons les moyens.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Fixation de l’ordre du jour.
Questions sur la politique en matière d’énergie.
La séance est levée.
La séance est levée à dix-huit heures quinze.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly