Intervention de Claudy Vouhé

Réunion du 1er décembre 2015 à 17h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Claudy Vouhé, féministe, co-fondatrice et militante de Genre en action, réseau international francophone pour l'égalité des femmes et des hommes dans le développement :

Je représente Genre en action. Ce réseau, qui n'est pas une ONG, fonctionne en s'appuyant sur le militantisme et porte de nombreuses actions dans les pays en développement, en établissant toujours des ponts entre le Nord et le Sud. Je n'ai pas la prétention de me présenter comme une grande experte des enjeux climatiques. Il est vrai que lorsqu'on travaille sur les questions de genre, on est toujours sollicité – le genre devant s'intégrer transversalement dans toutes les thématiques, qui changent tous les deux ou trois ans. J'interviendrai donc ici en tant que militante puisque je travaille depuis une vingtaine d'années sur les politiques publiques.

Pour nous tous qui travaillons sur les questions des relations hommes-femmes depuis longtemps, il n'y a finalement rien de nouveau sous le soleil avec le changement climatique, si ce n'est que le soleil chauffe un peu plus. En conséquence, l'accès des femmes à la terre, à l'eau et à la production agricole, déjà faible, s'en trouve encore diminué. Des maladies, telle la malaria dans les régions côtières qui avait disparu, réapparaissent. De façon générale, ce qui n'était déjà pas aisé auparavant, comme l'accès à l'éducation et l'exercice d'une activité dans le secteur informel, l'est encore moins aujourd'hui. De même, les questions climatiques intensifient la violence – conflits et violences domestiques – là où elle était déjà présente : des témoignages illustrent notamment que là où les changements climatiques font peser une pression économique importante sur la famille, les violences conjugales augmentent systématiquement. Mais encore une fois, rien de nouveau sous le soleil : tous ces problèmes existaient déjà. Ne faisons pas semblant de découvrir que la question des rapports et de l'égalité entre les femmes et les hommes émerge avec l'enjeu climatique.

Je présenterai quatre points sous forme d'ABCD.

Le point A renvoie à la question de l'analyse. En tant que praticienne travaillant avec des acteurs et des porteurs de projets, j'ai remarqué que, sur la question du changement climatique comme sur bien d'autres, nous manquons de façon flagrante de repères statistiques, à la fois qualitatifs et quantitatifs. Nous en manquons encore davantage s'agissant de la question urbaine. Nous avons ainsi des difficultés à croiser les questions du développement urbain, du genre et du changement climatique. En revanche, nous disposons de données plus nombreuses concernant le monde rural.

La recherche est très importante puisque ce qui n'est ni « problématisé » ni « objectivé » a beaucoup de mal à être pris en compte sérieusement. Les diagnostics établis au niveau « macro » sont très techniques et scientifiques. Quant aux diagnostics plus « micros », qui font davantage apparaître la face humaine des conditions climatiques, ils sont réalisés à trop petite échelle pour peser dans la balance des choix politiques. Autre difficulté, pour analyser l'enjeu du climat et du genre, il faut croiser non pas simplement ces deux données mais aussi la thématique sur laquelle on travaille. Nous nous trouvons donc devant une problématique à trois axes. L'impact du changement climatique a un certain visage lorsqu'il est question de santé, un autre lorsqu'il s'agit d'éducation et un autre encore quand on aborde les enjeux agricoles. Croiser ces thématiques suppose d'innover sur le plan méthodologique.

Dans nombre de pays francophones, nous ne devons pas perdre de vue la question des conflits – à cet égard, l'intervention de M. Lévêque était tout à fait à propos. Comment travailler la question de l'égalité et des changements climatiques dans des pays complètement déstructurés et dépourvus d'État ?

Mon point B est une lapalissade : il concerne le budget. Comme je le rappelais dans un atelier consacré, la semaine dernière, à la budgétisation en relation avec la problématique du genre : « Montre-moi tes talons de chèque et je te dirai quelles sont tes valeurs ». Pour étudier la question du changement climatique, il convient évidemment d'aborder celle de sa budgétisation. Et comme il y a ici des parlementaires, c'est-à-dire des personnes qui votent les budgets, j'espère que cette remarque, qui est aussi une incitation, sera entendue.

Nous savons que c'est le troisième objectif ou « OMD 3 », consacré à l'égalité femmes-hommes, qui a été le moins financé des huit Objectifs du millénaire pour le développement. Qu'est-ce qui nous garantit maintenant que l'objectif 5 des nouveaux objectifs de développement durable ne sera pas traité de la même manière ?

Les associations de femmes et les réseaux féministes sont de plus en plus incités à travailler sur les questions de changement climatique. Mais le portefeuille – au sens financier du terme – de ces associations est déjà fort sollicité pour traiter les problèmes de violence, d'économie et d'agriculture. Va-t-on rajouter des préoccupations liées au genre dans les budgets de l'égalité ou va-t-on trouver des mécanismes pour mettre du genre dans les budgets climatiques ? Comment nous assurer que les 100 milliards d'euros du Fonds vert, somme colossale comparée à celle qui est consacrée aux questions d'égalité, seront aussi mobilisés pour traiter ces dernières ? Il en va de choix éthiques et pas seulement financiers.

Nous nous posons également la question de savoir où va aller l'argent. On sait en effet que les femmes sont bien plus sollicitées dans le cadre des stratégies d'adaptation que dans celles d'atténuation. Or, actuellement, le gros de l'argent est alloué à ces dernières.

Le point C concerne la capacité. Nous nous apercevons que nous sommes tous novices sur ces questions même si de plus en plus de formations et d'outils apparaissent pour croiser les questions de justice de genre et de justice climatique. Nous avons donc besoin d'oeuvrer au renforcement des compétences en la matière. Je parle de justice dans les deux cas car il ne s'agit pas simplement de travailler avec ou pour les femmes, ou de les former mais bien de traiter la question du pouvoir. Il convient de veiller à l'élaboration d'outils et de méthodes correspondant à la multiplicité d'acteurs – publics, privés, associatifs, non gouvernementaux et élus – que les changements climatiques réunissent à la table des négociations. Cela suppose d'innover et de disposer de moyens. Il convient aussi de sensibiliser les groupes de femmes et d'hommes au savoir, au savoir-faire et au savoir-être. J'ai récemment lu un document dans lequel une étudiante expliquait qu'au Cameroun, toute pénurie, sécheresse ou intempérie brutale était considérée comme un châtiment divin. Comment expliquer les choses de manière concrète et démystifier ces explications peu rationnelles qui freinent notre action ?

Enfin, le point D sera « en trois D », si je puis me permettre : il vise notre capacité à articuler le développement – encore pensé par beaucoup en termes strictement économiques –, la durabilité – en termes de biodiversité mais aussi de droits humains – et la démocratie. Comment favoriser la participation des femmes à la chose publique et politique ? Ainsi que vous l'avez souligné, Madame la présidente, il y a beaucoup de cravates à la table des négociations et cela est aussi vrai au niveau local. Même si l'on a beaucoup misé sur la décentralisation, les femmes restent trop peu nombreuses dans les instances politiques locales. Or, c'est bien là qu'est prise une grande partie des décisions et que se joue la capacité des femmes à être entendues. Si les femmes ne sont pas présentes autour de la table des négociations – qu'elle soit locale, nationale ou internationale –, leur voix peut-elle véritablement s'exprimer ?

Pour conclure, je partagerai avec vous ces mots prononcés par une femme nigérienne avec qui je discutais dernièrement : « On a mis le feu à la maison des femmes, on a coupé l'eau et maintenant, on voudrait qu'elles soient les pompières ! ». Voilà qui résume de manière très imagée la question de l'atténuation.

Enfin, je relaierai une demande que m'a adressée hier au téléphone Mme Andrée Michel. Il s'agit de rappeler à ce micro que nous invitons tout le monde à soutenir la création d'un tribunal pénal international pour la République démocratique du Congo (RDC), comme il en a existé un pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie. La question des violences contre les femmes ne doit pas être reléguée au second plan par rapport à celle des changements climatiques. N'oublions pas nos autres combats.

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