La séance est ouverte à 17 heures 15.
Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.
Colloque sur la « Lutte contre le dérèglement climatique : les femmes en première ligne » avec M. Philippe Lévêque, directeur général de l'association humanitaire CARE France ; Mme Claudy Vouhé, féministe, co-fondatrice et militante de Genre en action, réseau international francophone pour l'égalité des femmes et des hommes dans le développement ; Mme Usha Nair, représentante (Pays du Sud) du Women and gender constituency (WGC) ; Mme Eleanor Blomstrom, directrice de programme, représentante du Women's environment and development organization (WEDO) ; Mme Hindou Oumarou Ibrahim, coordinatrice de l'Association des femmes peules autochtones du Tchad.
Je vous remercie d'être présents dans cette salle pour assister à ce colloque organisé par la Délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes et consacré au thème « Femmes et climat ». Il semble qu'en France, ce sujet n'ait pas été évident au départ.
Je me réjouis d'accueillir aujourd'hui, dans l'enceinte de l'Assemblée nationale, autant de personnes passionnées par la lutte contre le dérèglement climatique qui, comme nous le précisons dans l'intitulé de ce colloque, place les femmes en première ligne. Je tiens tout particulièrement à saluer les différents intervenants ainsi que nos collègues parlementaires.
Alors que les chefs d'État sont rassemblés en ce moment même au Bourget pour prendre des décisions que nous espérons fortes et courageuses face au dérèglement climatique qui menace l'avenir de la planète, je suis heureuse que notre délégation puisse contribuer à mettre l'accent sur le lien entre les femmes et le climat, aspect trop méconnu et pourtant évident lorsqu'on commence à y travailler. Sans être trop longue, je voudrais rappeler quelques faits.
Les femmes sont les premières touchées par le dérèglement climatique. Selon l'Organisation des Nations unies (ONU), elles courent quatorze fois plus de risques de mourir lors d'une catastrophe naturelle, principalement parce qu'elles ne sont pas ciblées en priorité par les programmes d'alerte et de prévention de ces catastrophes. Le changement climatique affecte particulièrement les pays en développement et, en leur sein, les populations les plus vulnérables. Or, nous le savons tous, les femmes constituent 70 % des populations pauvres. La vulnérabilité des femmes est supérieure à celle des hommes en raison du statut social inférieur dans lequel elles sont confinées. Ce statut se traduit souvent pour elles par une faible autonomie, une absence de liberté de décision, un faible accès à leurs droits et à l'information. Moins instruites dans les pays pauvres, les femmes se trouvent plus démunies face aux catastrophes. Autre aspect méconnu, dans les zones sinistrées, les femmes supportent des contraintes supplémentaires : l'accès aux soins et à la contraception se trouve souvent compromis. Les conséquences sont multiples à plus long terme : ainsi, leur temps de travail s'allonge avec la raréfaction des ressources en bois ou en eau. Ces contraintes qui provoquent des surcharges de travail pour faire vivre la famille entraînent souvent une déscolarisation plus rapide des jeunes filles. Et qui dit déscolarisation dit aussi non-alphabétisation, pauvreté et difficultés à entrer dans la vie active.
Mais, parce qu'elles sont en première ligne, les femmes sont aussi déjà les actrices de la lutte contre le dérèglement climatique. Ce sont elles qui innovent localement et qui élaborent – comme le soulignent les négociateurs de la Conférence de Paris sur le changement climatique (COP21) – des stratégies d'adaptation aux conséquences du réchauffement. Des études ont démontré que, chaque fois que des problèmes d'environnement se sont posés, les femmes ont joué un rôle actif. Au Bangladesh, des femmes presque totalement dénuées de ressources exploitent des îlots limoneux particulièrement fertiles mais instables le long des fleuves. Une étude portant sur le reboisement, effectué dans soixante et un pays en quinze ans, montre que les résultats ont été meilleurs là où les femmes et les organisations non gouvernementales (ONG) locales avaient été impliquées. L'une d'elles a d'ailleurs obtenu le prix Nobel de la paix pour ce reboisement. Mais, comme souvent, leur contribution est sous-évaluée et trop peu mise en valeur à grande échelle. Tout le monde gagnerait pourtant à se servir de ce qui existe et fonctionne déjà localement. Il faudrait pour cela que l'expérience des femmes soit entendue dans les grandes négociations internationales – trop masculines.
Promouvoir la place des femmes, c'est agir pour la planète. M. François Hollande, le Président de la République, l'a lui-même affirmé à l'ONU lors de la dernière Assemblée générale en septembre. Il demande que, dans le cadre des moyens financiers dégagés lors de la Conférence de Paris, les projets présentés par les femmes soient considérés comme prioritaires. C'est, par ailleurs, l'une des recommandations que nous avons formulée avec Mmes Chantal Jouanno et Danielle Bousquet dans un appel intitulé « Soutenir les femmes face au dérèglement climatique : Pourquoi nous nous engageons » – appel qui est à votre disposition à l'entrée de cette salle et que vous pouvez, toutes et tous, continuer à signer afin d'en renforcer la portée. Cet appel a déjà été remis à M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du développement international, le 16 octobre dernier, lors d'une journée dans son département ministériel. Le ministre s'est alors engagé pour que le combat soit aussi pour et avec les femmes. Comme il l'a rappelé dans une tribune parue en mars, les femmes doivent être placées au coeur des stratégies nationales et locales pour la lutte contre le dérèglement climatique, et au coeur des relations internationales. Je m'en félicite.
Mais nous demandons des résultats concrets et des engagements des parties – à commencer par l'inscription en bonne place dans l'accord des principes d'autonomisation des femmes et d'égalité femmes-hommes. Il semble que ces éléments, qui figuraient dans le texte lorsque celui-ci faisait vingt pages, y soient toujours maintenant qu'il en compte cinquante mais seulement entre crochets – ce qui signifie qu'ils restent sujets à discussion et peuvent encore être supprimés. Notre colloque nous offre l'opportunité de faire savoir haut et fort que les femmes ne seront pas des variables d'ajustement de l'accord sur le climat. Parvenir à cet objectif suppose d'obtenir un consensus. C'est pour nous une ligne rouge : les droits fondamentaux ne sont négociables ni pour les hommes ni pour les femmes : ce sont des droits humains. Que certains pays conservateurs conditionnent leur participation à leur refus de reconnaître l'égalité femmes-hommes est pour nous honteux et inefficace, et constitue une négation de la réalité des faits. Le climat est une affaire de droits humains. Vous l'aurez peut-être remarqué – et cela m'a frappée hier soir encore en regardant le Petit journal : il n'y a que des hommes parmi les experts sur le climat.
Je cède à présent la parole à nos intervenants, à commencer par M. Philippe Lévêque, directeur général de CARE depuis mai 2000. CARE est une fondation née en 1945. C'est l'un des plus grands réseaux d'aide humanitaire dans quatre-vingt-dix pays. Ce réseau plaide en faveur de la thématique qui nous rassemble aujourd'hui et accomplit un travail que j'apprécie beaucoup en faveur des jeunes filles en tant qu'avenir du développement – leur éducation apportera des points de PIB supplémentaires aux pays parvenant à accomplir un effort en ce sens.
Je commencerai par aborder les questions de sécurité, non pas dans notre pays mais au Cameroun et en Centrafrique. J'ai visité la semaine dernière un camp de réfugiés centrafricains au Cameroun, petit pays qui accepte chez lui 250 000 réfugiés centrafricains – effort comparable à celui que font le Liban ou la Jordanie et à mettre en regard avec la faiblesse des chiffres d'accueil de réfugiés en Europe. J'y ai parlé avec une femme bororo peule centrafricaine, dont les propos m'ont ému au point que j'en ai eu les larmes aux yeux. Cette femme a quitté la Centrafrique après que son mari et ses enfants eurent été tués devant elle, et a certainement été violée une quinzaine de fois même s'il est impensable qu'elle le dise – a fortiori devant un étranger – de peur d'être rejetée. Or, les premiers mots qu'elle m'a adressés, en ce dimanche qui a suivi les attentats de Paris, ne concernaient pas les violences qu'elle avait subies mais la France : elle m'a fait part, dans sa langue, de sa peine de savoir que Paris était « en guerre », transposant à cette ville ce qu'elle avait vécu dans les campagnes. Je souhaite donc d'abord rendre hommage aux victimes des attentats et des guerres, aux réfugiés et aux femmes subissant des violences – tant celles de la guerre que du changement climatique.
Comme vous l'avez souligné, Madame la présidente, CARE est une grande ONG de solidarité internationale, intervenant tant en cas d'urgence que dans le cadre de programmes de développement. Une partie importante de nos projets étant aujourd'hui remise en cause par les impacts du changement climatique, nous devons faire évoluer ces programmes. Parmi les urgences, nous devons aussi prendre en compte le fait que la situation des femmes est encore plus difficile que celle des hommes. Il nous faut ainsi traiter ce que nous avons appelé la double injustice d'être à la fois une femme et une victime des dérèglements climatiques. Comme vous le savez, hommes et femmes n'ont pas la même capacité à agir ou à réagir en cas d'urgence ou de problème climatique. Cela va de soi dans cette salle, mais pas du tout dans l'esprit des dirigeants, ni forcément pour toutes les ONG. Faire comprendre la nécessité d'adopter une approche différenciée des situations est un véritable combat.
Les statistiques onusiennes correspondent à une réalité que je vois sur le terrain. Savez-vous nager, madame Coutelle ?
C'est un luxe pour une femme. C'est d'ailleurs un excellent paramètre de démocratie, de dynamisme de la vie sociale et de respect. C'est un luxe de femme occidentale, japonaise ou russe, ainsi qu'un luxe générationnel. Dans les pays où nous travaillons, la plupart des femmes, ne savent pas nager. Ce fait qui peut paraître anodin est très important. Certes, les hommes ne savent pas forcément nager. Mais les vêtements masculins permettent de réagir différemment.
Pour avoir travaillé en Thaïlande à la suite du tsunami de 2004-2005, je puis vous dire que 80 % des victimes étaient des femmes, à cause du problème des systèmes d'alerte précoce, qui existaient encore moins à l'époque qu'aujourd'hui mais aussi parce qu'elles ne savaient pas nager. En outre, après la vague, les victimes se retrouvent souvent sans vêtements. Or une femme nue n'appellera jamais des hommes à son secours et finira par lâcher la branche à laquelle elle avait réussi à s'accrocher. Cet exemple illustre ce que nous voyons sur le terrain et qui nous conduit ensuite à porter la voix des gens que nous rencontrons auprès de nos dirigeants.
De même, plus de 90 % des victimes des inondations très importantes qui ont eu lieu au Pakistan en 1990 furent des femmes, essentiellement du fait du changement des pratiques rurales. En effet, les hommes sont souvent obligés de partir à la ville tandis que les femmes restent dans la demeure familiale, au sein de leur village du fin fond du Pakistan. À l'époque, il n'y avait pas de téléphones portables ni de système d'alerte précoce de sorte que les femmes n'étaient pas informées de ce qui les menaçait. Et en l'absence de routes et de moyens de communication, les hommes n'ont pas pu retourner au village. Il faut savoir que, lorsque l'eau monte, les femmes ne quittent la maison avec leurs enfants qu'à la toute dernière minute, alors qu'il est déjà trop tard pour partir, car, dans certaines sociétés, il est impensable qu'une femme sorte de son habitation. Voilà qui explique le nombre disproportionné de victimes féminines en cas de grande urgence.
Sur le terrain, nous devons donc adapter nos programmes tant dans l'urgence que dans la post-urgence. Cela signifie prendre en charge la personne victime de traumatismes et de violences mais aussi faire évoluer nos programmes agricoles. Nous essayons également d'adapter les programmes de développement puisque ce sont les agricultrices qui se retrouvent en première ligne.
Dans l'accord en cours de négociation, la partie consacrée aux droits humains est en effet fragilisée. Lorsque le Président de la République a reçu, samedi dernier, des responsables d'ONG en présence de M. Laurent Fabius et de Mme Ségolène Royal, nous l'avons interrogé quant à la place des droits humains et en particulier des droits de la femme dans cet accord. Il nous a été confirmé que ces éléments étaient entre crochets dans le texte car certains États s'y opposent, les plus conservateurs d'entre eux veulent parler de « droits de l'Humanité » – avec une majuscule –, ce qui nous ramène vingt ans en arrière, nous éloignant de la notion consacrée de « droits humains ». La question du genre et du changement climatique est donc fondamentale. Et le fait qu'elle ne soit pas traitée aujourd'hui nous préoccupe beaucoup.
Cela nous renvoie à une autre difficulté politique que je rencontre souvent. Hier a été prise une photo de famille regroupant les quelque 150 chefs d'État présents à Paris. Vous le savez, une bonne partie d'entre eux n'a absolument rien à faire des changements climatiques – il faut être là, c'est tout. De même, ils sont nombreux à n'avoir que faire de leur population. Il y a donc un lien très fort entre dérèglement climatique et démocratie – quel que soit le sens que l'on donne à ce terme et la forme qu'il prend. Je ne porte pas de jugement de valeur mais encore faut-il qu'il y ait des élections dans un pays et que l'on se préoccupe de ses habitants. En tout état de cause, les ruraux votent peu – et les rurales, encore moins. Les dirigeants des capitales portent donc peu d'intérêt aux paysannes.
Nous qui sommes sur le terrain, essayons, avec les élus locaux, les petites entreprises et les paysans, d'organiser nos projets autour de communautés de femmes au sein d'associations villageoises d'épargne et de crédit (AVEC), en nous fondant sur la tontine qui existe en Afrique et ailleurs. Nous aidons ces femmes à s'organiser dans des coopératives pour générer de petites activités économiques. Nous nous sommes beaucoup appuyés sur ces réseaux de femmes à partir des programmes de santé maternelle, d'éducation primaire et de lutte contre le VIH pour faire évoluer les pratiques agricoles. De plus en plus d'hommes partent pour la ville face à l'appauvrissement de la terre. Il en résulte que, dans les villages, les normes sociales changent et les femmes se retrouvent en première ligne comme agricultrices sans y être forcément préparées. Le bon côté de la chose est que cela leur donne davantage voix au chapitre.
J'ai récemment effectué un voyage au centre de l'Inde, dans l'État du Chhattisgarh, où compte tenu du caractère erratique de la mousson, les pratiques agricoles doivent évoluer. Les hommes de la région étant partis à la ville, les femmes se retrouvent dans les rizières alors que tel n'était pas leur rôle habituel. Dans ces zones forestières, elles avaient plutôt coutume de pratiquer le maraîchage ou la cueillette. Elles m'ont demandé comment lutter contre les éléphants : en Inde, l'espace forestier se restreignant, les éléphants se rapprochent en effet des villages pour venir manger et les femmes ne savent que faire. Il nous faut donc monter des projets permettant à la fois de protéger l'environnement et les paysannes. Elles sont conduites à apprendre des techniques agricoles qu'elles ne connaissaient pas forcément auparavant.
J'ai aussi emmené deux députées à Madagascar en septembre dernier : nous y avons effectué un voyage d'études sous l'angle de l'impact du dérèglement climatique, vu par les femmes. Or, à notre retour à l'Assemblée nationale malgache, j'ai été frappé de constater qu'il y avait quinze hommes pour une seule femme – qui, d'ailleurs, n'a dit mot. Nous retrouvons ainsi partout les traits que nous voyons chez nous.
Tels sont les éléments que je souhaitais souligner dans le cadre de cette première intervention relative à l'impact du dérèglement climatique sur le terrain et au type de solutions que nous pouvons et devons apporter, tant face à l'urgence qu'aux problèmes de développement. Je voulais également insister sur la nécessité de nous mobiliser pour faire remonter la question des droits dans l'agenda.
Je vous remercie. Nous allons à présent entendre Mme Claudy Vouhé, spécialiste de l'intégration transversale du genre dans les politiques publiques, qui collabore depuis les années 1980 dans les centres de recherche, les universités et les agences bilatérales et multilatérales.
Je représente Genre en action. Ce réseau, qui n'est pas une ONG, fonctionne en s'appuyant sur le militantisme et porte de nombreuses actions dans les pays en développement, en établissant toujours des ponts entre le Nord et le Sud. Je n'ai pas la prétention de me présenter comme une grande experte des enjeux climatiques. Il est vrai que lorsqu'on travaille sur les questions de genre, on est toujours sollicité – le genre devant s'intégrer transversalement dans toutes les thématiques, qui changent tous les deux ou trois ans. J'interviendrai donc ici en tant que militante puisque je travaille depuis une vingtaine d'années sur les politiques publiques.
Pour nous tous qui travaillons sur les questions des relations hommes-femmes depuis longtemps, il n'y a finalement rien de nouveau sous le soleil avec le changement climatique, si ce n'est que le soleil chauffe un peu plus. En conséquence, l'accès des femmes à la terre, à l'eau et à la production agricole, déjà faible, s'en trouve encore diminué. Des maladies, telle la malaria dans les régions côtières qui avait disparu, réapparaissent. De façon générale, ce qui n'était déjà pas aisé auparavant, comme l'accès à l'éducation et l'exercice d'une activité dans le secteur informel, l'est encore moins aujourd'hui. De même, les questions climatiques intensifient la violence – conflits et violences domestiques – là où elle était déjà présente : des témoignages illustrent notamment que là où les changements climatiques font peser une pression économique importante sur la famille, les violences conjugales augmentent systématiquement. Mais encore une fois, rien de nouveau sous le soleil : tous ces problèmes existaient déjà. Ne faisons pas semblant de découvrir que la question des rapports et de l'égalité entre les femmes et les hommes émerge avec l'enjeu climatique.
Je présenterai quatre points sous forme d'ABCD.
Le point A renvoie à la question de l'analyse. En tant que praticienne travaillant avec des acteurs et des porteurs de projets, j'ai remarqué que, sur la question du changement climatique comme sur bien d'autres, nous manquons de façon flagrante de repères statistiques, à la fois qualitatifs et quantitatifs. Nous en manquons encore davantage s'agissant de la question urbaine. Nous avons ainsi des difficultés à croiser les questions du développement urbain, du genre et du changement climatique. En revanche, nous disposons de données plus nombreuses concernant le monde rural.
La recherche est très importante puisque ce qui n'est ni « problématisé » ni « objectivé » a beaucoup de mal à être pris en compte sérieusement. Les diagnostics établis au niveau « macro » sont très techniques et scientifiques. Quant aux diagnostics plus « micros », qui font davantage apparaître la face humaine des conditions climatiques, ils sont réalisés à trop petite échelle pour peser dans la balance des choix politiques. Autre difficulté, pour analyser l'enjeu du climat et du genre, il faut croiser non pas simplement ces deux données mais aussi la thématique sur laquelle on travaille. Nous nous trouvons donc devant une problématique à trois axes. L'impact du changement climatique a un certain visage lorsqu'il est question de santé, un autre lorsqu'il s'agit d'éducation et un autre encore quand on aborde les enjeux agricoles. Croiser ces thématiques suppose d'innover sur le plan méthodologique.
Dans nombre de pays francophones, nous ne devons pas perdre de vue la question des conflits – à cet égard, l'intervention de M. Lévêque était tout à fait à propos. Comment travailler la question de l'égalité et des changements climatiques dans des pays complètement déstructurés et dépourvus d'État ?
Mon point B est une lapalissade : il concerne le budget. Comme je le rappelais dans un atelier consacré, la semaine dernière, à la budgétisation en relation avec la problématique du genre : « Montre-moi tes talons de chèque et je te dirai quelles sont tes valeurs ». Pour étudier la question du changement climatique, il convient évidemment d'aborder celle de sa budgétisation. Et comme il y a ici des parlementaires, c'est-à-dire des personnes qui votent les budgets, j'espère que cette remarque, qui est aussi une incitation, sera entendue.
Nous savons que c'est le troisième objectif ou « OMD 3 », consacré à l'égalité femmes-hommes, qui a été le moins financé des huit Objectifs du millénaire pour le développement. Qu'est-ce qui nous garantit maintenant que l'objectif 5 des nouveaux objectifs de développement durable ne sera pas traité de la même manière ?
Les associations de femmes et les réseaux féministes sont de plus en plus incités à travailler sur les questions de changement climatique. Mais le portefeuille – au sens financier du terme – de ces associations est déjà fort sollicité pour traiter les problèmes de violence, d'économie et d'agriculture. Va-t-on rajouter des préoccupations liées au genre dans les budgets de l'égalité ou va-t-on trouver des mécanismes pour mettre du genre dans les budgets climatiques ? Comment nous assurer que les 100 milliards d'euros du Fonds vert, somme colossale comparée à celle qui est consacrée aux questions d'égalité, seront aussi mobilisés pour traiter ces dernières ? Il en va de choix éthiques et pas seulement financiers.
Nous nous posons également la question de savoir où va aller l'argent. On sait en effet que les femmes sont bien plus sollicitées dans le cadre des stratégies d'adaptation que dans celles d'atténuation. Or, actuellement, le gros de l'argent est alloué à ces dernières.
Le point C concerne la capacité. Nous nous apercevons que nous sommes tous novices sur ces questions même si de plus en plus de formations et d'outils apparaissent pour croiser les questions de justice de genre et de justice climatique. Nous avons donc besoin d'oeuvrer au renforcement des compétences en la matière. Je parle de justice dans les deux cas car il ne s'agit pas simplement de travailler avec ou pour les femmes, ou de les former mais bien de traiter la question du pouvoir. Il convient de veiller à l'élaboration d'outils et de méthodes correspondant à la multiplicité d'acteurs – publics, privés, associatifs, non gouvernementaux et élus – que les changements climatiques réunissent à la table des négociations. Cela suppose d'innover et de disposer de moyens. Il convient aussi de sensibiliser les groupes de femmes et d'hommes au savoir, au savoir-faire et au savoir-être. J'ai récemment lu un document dans lequel une étudiante expliquait qu'au Cameroun, toute pénurie, sécheresse ou intempérie brutale était considérée comme un châtiment divin. Comment expliquer les choses de manière concrète et démystifier ces explications peu rationnelles qui freinent notre action ?
Enfin, le point D sera « en trois D », si je puis me permettre : il vise notre capacité à articuler le développement – encore pensé par beaucoup en termes strictement économiques –, la durabilité – en termes de biodiversité mais aussi de droits humains – et la démocratie. Comment favoriser la participation des femmes à la chose publique et politique ? Ainsi que vous l'avez souligné, Madame la présidente, il y a beaucoup de cravates à la table des négociations et cela est aussi vrai au niveau local. Même si l'on a beaucoup misé sur la décentralisation, les femmes restent trop peu nombreuses dans les instances politiques locales. Or, c'est bien là qu'est prise une grande partie des décisions et que se joue la capacité des femmes à être entendues. Si les femmes ne sont pas présentes autour de la table des négociations – qu'elle soit locale, nationale ou internationale –, leur voix peut-elle véritablement s'exprimer ?
Pour conclure, je partagerai avec vous ces mots prononcés par une femme nigérienne avec qui je discutais dernièrement : « On a mis le feu à la maison des femmes, on a coupé l'eau et maintenant, on voudrait qu'elles soient les pompières ! ». Voilà qui résume de manière très imagée la question de l'atténuation.
Enfin, je relaierai une demande que m'a adressée hier au téléphone Mme Andrée Michel. Il s'agit de rappeler à ce micro que nous invitons tout le monde à soutenir la création d'un tribunal pénal international pour la République démocratique du Congo (RDC), comme il en a existé un pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie. La question des violences contre les femmes ne doit pas être reléguée au second plan par rapport à celle des changements climatiques. N'oublions pas nos autres combats.
Je vais à présent donner la parole à Mme Usha Nair, responsable indienne d'une association qui coordonne les activités en lien avec le changement climatique. Elle représente pour les pays du Sud le groupe Women and gender constituency, l'un des neuf groupes qui sont parties prenantes à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Elle participe et intervient à la COP21. À ce titre, elle est présente au Bourget et nous a fait le plaisir et l'amitié de venir à l'Assemblée nationale.
Je vous remercie, Madame la présidente, de m'avoir invitée à participer à cette table ronde. Je voudrais d'emblée témoigner toute notre sympathie et présenter toutes nos condoléances à la population parisienne qui a subi de terribles attentats, il y a quelques semaines.
Je suis Usha Nair du Women and Gender Constituency. Je représente la All India Women's Conference, organisation nationale de femmes créée en 1927 active dans le domaine de l'autonomisation des femmes par l'alphabétisation, l'éducation, le développement des compétences, la sensibilisation juridique, la législation, la santé, le bien-être des familles, la formation au leadership, l'environnement etc. Dès le sommet de Rio en 1992, nous avons promu des mesures visant à protéger l'environnement et à atténuer le changement climatique, bien qu'à l'époque, ces mots n'aient pas eu le même sens qu'aujourd'hui. Nous avons plus de 100 000 bénévoles et avons oeuvré à l'autonomisation des femmes. Le changement climatique est un thème sur lequel nous travaillons depuis seulement cinq ou six ans.
Compte tenu de notre longue expérience de travail de terrain avec les femmes, laissez-moi vous dire à quel point nous apprécions le rôle important que jouent les femmes dans la mise en oeuvre des politiques sur le terrain. Aucune politique – aussi bien rédigée, conçue, planifiée et prévue soit-elle – ne peut réussir si les femmes ne participent pas à sa mise en oeuvre. L'expérience nous a également montré que si on ne les consulte pas, si l'on ne prend pas en considération leur opinion, aucune politique ne peut vraiment être efficace.
Le changement climatique a un grand effet de nivellement. Il ne fait pas de différence entre les riches et les pauvres, les puissants et ceux qui n'ont aucun pouvoir, les grands décideurs et les populations silencieuses pour qui ces politiques sont conçues. Il n'y a aucune discrimination dans la façon dont les durs effets du changement climatique sont répartis. À l'est, à l'ouest, au nord, au sud, tous les pays et toutes les populations sont affectés d'une façon ou d'une autre par le dérèglement climatique. Il s'agit donc d'un défi pour l'humanité tout entière. Il n'y a pas là de place pour les jeux politiques et pour les petits débats. Le temps nous manque et à moins que nous n'agissions de façon urgente, avec un engagement passionné et en étant unis, un avenir bien sombre nous attend. Le monde de nos enfants et de nos petits-enfants est menacé. Si nous faisons preuve de laxisme au lieu d'agir immédiatement, nous volerons aux générations futures le droit à une vie normale sur terre.
Si le changement climatique a un grand effet de nivellement et ne fait aucune distinction entre les êtres humains, pourquoi est-il important de parler des femmes et du changement climatique ? Parce que les femmes sont les agents du changement, permettant cette transformation nécessaire à la gestion du dérèglement climatique. Elles sont une partie de la solution mais en même temps, les victimes des événements extrêmes que suscite le changement climatique – bien plus que les hommes.
Les statistiques montrent qu'un plus grand pourcentage de femmes que d'hommes sont victimes du changement climatique et en meurent : pourquoi cela ? Une de mes amies philippines, parlant de son expérience, raconte que les femmes aident les enfants, les anciens et même le bétail, les mettent en sécurité en premier lieu. Puis elles retournent sur place pour essayer de récupérer quelques pauvres effets dans leur maison – quelques objets ou vêtements. En outre, et comme cela a été dit, la plupart des femmes ne savent pas nager, ce qui leur fait courir un plus grand danger encore.
Ces statistiques traitent principalement des impacts directs du changement climatique – tels que les déplacements ou le fait de perdre la vie. Mais ce changement entraîne sur la vie des femmes et des jeunes filles d'autres effets, innombrables et non mesurables, qui ne sont pas pris en considération lorsque l'on calcule les pertes et les dégâts.
Dans de nombreuses régions du monde, des croyances patriarcales et des préjugés exposent les femmes au danger. D'un côté, on les empêche d'avoir accès à l'éducation, à la santé, à la nutrition et à l'indépendance économique. De l'autre, elles sont censées assumer des responsabilités domestiques très importantes. Porter et élever des enfants sont des responsabilités essentielles, mais n'oublions pas toutes les tâches ménagères : la préparation des repas et la nécessité d'aller chercher du combustible, d'aller puiser de l'eau, de s'occuper du bétail et de travailler dans les champs. Les effets du changement climatique sont tels qu'il est très difficile aujourd'hui pour ces femmes de s'acquitter de toutes ces fonctions à la fois.
Au cours de mes entretiens avec les femmes des zones rurales indiennes, une femme m'a raconté que, puisqu'il fait désormais plus chaud, elle doit se mettre à travailler dans les champs beaucoup plus tôt le matin, à partir de quatre heures. Auparavant, elle avait le temps de préparer le repas de la famille avant de partir aux champs à six heures ou même plus tard. Maintenant, ce n'est plus possible. Ainsi, c'est sa famille qui ne peut plus se nourrir normalement. Ses enfants ne peuvent aller à l'école à l'heure, ce qui a un impact sur leur éducation. Dans la plupart des foyers, les hommes s'expatrient vers les villes voisines pour assurer la subsistance. Les anciens et les infirmes sont laissés sur place et ce sont les femmes qui s'en occupent. La femme elle-même en souffre : elle est affaiblie, sa santé se dégrade et elle ne peut se livrer à des activités – artisanales notamment – qui, autrefois, apportaient un revenu. C'est donc l'ensemble de la famille qui se trouve affecté de différentes manières.
On sait que les femmes doivent parcourir des kilomètres pour aller chercher de l'eau, du bois ou du fourrage. Mais ce que l'on sait moins, c'est que les jeunes filles sont également forcées d'accompagner leurs aînées, ce qui les prive du droit à l'éducation et des chances d'améliorer leur vie. Ces jeunes filles sont donc finalement dépossédées de droits obtenus au terme de nombreuses années de combat – tels que le droit à l'éducation, à une vie décente et à un état de santé acceptable.
Toutefois, il ne faut pas considérer les femmes uniquement comme la partie vulnérable de la société. Bien sûr, ce sont elles qui paient le tribut le plus lourd. Mais elles sont également une partie de la solution. Les femmes se sont montrées fortes face à des événements extrêmement durs. Elles ont conçu des systèmes de résilience et adopté des méthodes innovantes pour s'adapter à ces nouvelles conditions. Si, par exemple, on cherche des alternatives aux combustibles fossiles, qui, mieux que les femmes, connaît les solutions alternatives les mieux adaptées ? Les femmes étant dépositaires de la sagesse traditionnelle dans toutes les communautés, elles peuvent proposer des solutions à la fois ancestrales et inusitées face aux problèmes de pollution, de santé et de sécurité alimentaire. Lors d'un atelier récent consacré au changement climatique, des femmes nous ont dit qu'elles faisaient pousser des herbes dans leur cour pour lutter, justement, contre la pollution atmosphérique. D'autres nous ont indiqué qu'elles concoctaient des remèdes à partir d'herbes et de plantes traditionnelles pour lutter contre les problèmes de santé occasionnés par le changement climatique. Certaines cherchent même des sources d'alimentation saine dans la nature.
On sait maintenant que les catalyseurs du changement ne peuvent être que les femmes car elles peuvent adopter et promouvoir des modes de vie durables dans leur famille et leur communauté. Un mouvement qui démarre au foyer peut ensuite s'étendre vers toute la communauté et transmettre un message à l'État et au reste du monde.
Faire en sorte que les femmes puissent s'asseoir aux tables où sont prises les décisions permettra de rétablir une certaine justice climatique. Cela ne permettra pas seulement aux femmes d'être représentées en nombre dans différentes instances. Il s'agit bien de décision. Comme l'a dit l'oratrice précédente, il faut absolument favoriser le renforcement des capacités pour aider les femmes à pénétrer les lieux de pouvoir et à participer vraiment à l'activité normative.
Nous devons également faire en sorte que les besoins des femmes ne soient pas laissés de côté par des accords, quels qu'ils soient. Le Women and Gender Constituency, l'une des neuf organisations reconnues par la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), fournit de multiples moyens à la société civile et aux ONG oeuvrant pour les droits des femmes, l'égalité entre hommes et femmes et la protection de l'environnement de peser sur les conférences annuelles et de faire progresser la CCNUCC. Elle fournit une plate-forme permettant un échange d'informations entre les membres et le secrétariat de la Convention-cadre. Au terme d'une large consultation effectuée auprès des membres de cette organisation et des défenseurs de la lutte contre le changement climatique, nous avons finalisé une liste de demandes importantes pour la COP21. Nous espérons qu'à l'issue de cette conférence, ces demandes auront été prises en compte.
Il est essentiel de faire en sorte que le genre soit une préoccupation centrale dans l'accord de Paris pour nous assurer qu'un mandat sera vraiment donné pour agir sur le terrain. C'est la seule façon de faire en sorte que l'on puisse changer la vie des femmes. Ce n'est que comme cela que la COP21 pourra apporter un changement. La vision et l'engagement politiques sont nécessaires pour parvenir à un accord. La plupart d'entre vous ici sont des élus du peuple : le soutien de chacune et de chacun d'entre vous est essentiel pour que notre vision du genre soit une réalité. Nous vous demandons votre soutien et votre appui. (Applaudissements.)
Je vous remercie. Nous diffuserons cette liste dont le texte se trouve reproduit et mis en distribution dans la salle.
Nous en venons à l'intervention de Mme Eleanor Blomstrom, représentante du Women's Environment and Development Organization (WEDO), dont l'abréviation se prononce « We do ». À New York, vous êtes la coordinatrice du Women Major Group qui représente de nombreuses ONG auprès des Nations unies, notamment dans le domaine du développement durable.
Je vous remercie de cette invitation. C'est un grand plaisir pour moi d'être ici et un honneur de faire partie de ce panel. Je tenais à préciser que WEDO fait aussi partie du Women and Gender Constituency. WEDO est une organisation mondiale de défense des droits des femmes, s'appuyant sur la vision d'un monde juste promouvant et protégeant les droits humains, l'égalité entre les sexes et l'intégrité de l'environnement. WEDO accomplit ce travail depuis le Sommet de la Terre de 1991.
On nous a longtemps posé la question suivante : pourquoi les femmes et l'environnement ? Il est donc toujours précieux d'avoir l'opportunité de l'expliquer plus en détail. Dans notre travail, nous accordons beaucoup d'importance aux partenariats. Nous en nouons avec des organisations du monde entier – qu'elles oeuvrent en faveur des femmes, du développement environnemental ou des droits humains, et qu'elles soient gouvernementales ou intergouvernementales comme les Nations unies par exemple. Dans le cadre de son travail sur le changement climatique, WEDO fait partie de plusieurs réseaux importants, dont le Women and Gender Constituency ainsi que Global Gender and Climate Alliance.
Je voudrais commencer par aborder le changement climatique, en évoquant notamment des solutions qui soient justes en termes de genre. Les intervenants précédents y ayant déjà fait allusion, je ferai de mon mieux pour ne pas répéter les informations de contexte qui vous ont été données. J'aborderai également la dimension financière de l'enjeu climatique et élargirai le tableau afin de prendre en compte le concept de développement durable, le nouvel Agenda 2030 pour le développement durable et les Sustainable development goals (STG).
Pourquoi le changement climatique ? Il n'est probablement pas nécessaire de soulever ici cette question car c'est l'un des problèmes les plus urgents de notre époque. Nous savons que ce changement cause des souffrances humaines et des pertes économiques sur la planète. Moi qui suis américaine, j'ai constaté que, dans les pays développés, nous nous sentons très souvent à l'abri de ce changement. Or, cela est faux : les littoraux s'érodent partout, les sécheresses sont de plus en plus fréquentes et nous connaissons dans tous les pays des vagues de chaleur. Mais ces effets ne sont pas ressentis de manière identique. Ce sont bien entendu ceux qui – pays ou individus – ont le moins de ressources qui sont les plus vulnérables. Et ceux qui ont le pouvoir et la richesse seront les premiers à bénéficier de la transition que nous espérons pouvoir accomplir vers une société sobre en carbone. Il convient donc d'agir dès à présent pour nous assurer que les mesures que nous élaborons pour faire face au changement climatique s'attaqueront aussi à l'injustice que favorise ce changement, et pour soutenir les transformations systémiques dont les intervenants qui m'ont précédée ont déjà parlé.
Je ne répéterai pas pourquoi ces enjeux concernent plus particulièrement les femmes. Nous savons que celles-ci sont, de manière disproportionnée, davantage affectées que les hommes par les effets négatifs du changement climatique. Cela est bien sûr dû aux rôles qui leur sont dévolus du fait de leur genre et à la construction sociale du genre qui confine souvent les femmes dans des tâches non rémunérées de reproduction et de soins. Dans le même temps, il est intéressant de souligner que ces mêmes rôles liés au genre confèrent aux femmes des connaissances que les hommes n'ont peut-être pas en matière de gestion des ressources naturelles, d'agriculture et de conservation des graines – éléments qui sont menacés par le changement climatique mais qui constituent aussi précisément les solutions et le type d'information dont nous avons besoin pour faire face à ce changement.
J'ai ici un graphique que nous utilisons chez WEDO lorsque nous favorisons le renforcement de capacités pour expliquer les écarts existant entre les femmes et les hommes et les effets du changement climatique sur les femmes. Pour prendre un exemple, dans de nombreux pays, les femmes produisent plus de 60 % des aliments et en cas de catastrophe naturelle, ces femmes sont les premières touchées. Les terres sont souvent endommagées pendant une certaine période et, dans le même temps, les femmes disposent rarement de titres de propriété sur ces terrains. C'est pourquoi, lorsque ces terres commencent à être réutilisées, il est possible qu'elles ne soient pas réallouées aux femmes qui avaient l'habitude de les cultiver pour produire de la nourriture à destination de leurs familles et de leurs communautés.
C'est là un exemple parmi d'autres. Mais je souhaitais surtout insister sur le fait que les solutions existent et que les femmes portent un ensemble de solutions non seulement ici même à la COP, mais aussi dans des communautés de par le monde, sans que cela soit forcément lié à la CCNUCC. Ces propositions visent parfois à répondre à des catastrophes et aux effets d'un changement climatique qu'elles ressentent sans même le nommer explicitement. D'autres fois, les femmes sont très proactives : comprenant la menace que cela représente pour leur communauté, elles décident de réagir pour prévenir le désastre. Les femmes sont capables d'anticiper les changements et d'inventer des solutions. J'en donnerai tout à l'heure quelques exemples.
Mais je voudrais redire que, si ces solutions sont mises en oeuvre sur le terrain, il importe, dans le même temps, que Mme Usha Nair, que Mme Hindou Oumarou Ibrahim et que d'autres collègues militantes soient présentes au Bourget pour plaider – cela est absolument capital – en faveur de l'instauration d'un cadre législatif nous permettant de nous adresser à nos représentants nationaux et de leur rappeler leurs obligations en vue de mettre en acte les engagements pris par les pays signataires. Il est capital de développer des stratégies au sein même de la COP21 mais aussi de mener un travail de terrain, et que des personnes assurent le lien entre les deux.
En juin, lors d'un événement parallèle, des projets en cours ont été présentés. Mais dans le même temps ont été reconnus certains manques à pallier pour rendre ces projets plus efficaces. Après le passage du typhon Haiyan aux Philippines, par exemple, la résilience des femmes fut évidente et elles ont constitué un mouvement puissant face à cette catastrophe. Mais elles se sont rendu compte qu'elles avaient besoin de voir renforcée leur capacité à réduire les risques de catastrophe liés au changement climatique. Au Nigeria, certaines de mes collègues travaillent sur des projets visant à adapter et à améliorer l'accès des femmes à l'énergie mais cela nécessite aussi de pouvoir accéder à un financement suffisant pour soutenir les femmes et garantir que leur savoir traditionnel soit mis à profit. En Amazonie, dans le cadre de projets d'atténuation des risques, on a également recours à des femmes indigènes en raison de leurs connaissances et techniques traditionnelles. Mais nous devons poursuivre nos efforts pour garantir leur participation à la mise en oeuvre de ces solutions afin qu'il ne s'agisse pas simplement de projets menés par des femmes indigènes mais bien de solutions décidées au niveau national et appliquées à l'échelon local, impliquant ces femmes afin qu'elles mettent ces connaissances sur le devant de la scène.
Dans les pays développés, les femmes mènent un mouvement anti-nucléaire car elles ont compris l'importance du danger que représentent certaines technologies trop risquées bien qu'elles soient parfois présentées comme des solutions au changement climatique et à la crise des énergies fossiles.
Dans l'espace public, et plus précisément au sein des espaces Génération climat, nous avons présenté les résultats d'un concours intitulé Gender just solutions dont les gagnants sont originaires du monde entier. L'une des solutions ayant été retenue au terme de la compétition vise à la formation des femmes des Îles Marshall pour qu'elles puissent installer des réfrigérateurs solaires photovoltaïques. D'autres solutions visent à la prise en compte de la question du genre dans les politiques nationales dédiées au changement climatique. Il y a donc des projets aussi bien techniques que non techniques, certains d'entre eux étant même « transformateurs » au sens où ils visent à faire évoluer certaines structures.
Ces solutions vont de pair avec une campagne très importante qui est menée en ce moment même : the Women's Global Call for Climate Justice. Vous pourrez, sur le site internet de cette campagne, découvrir les actions que mènent des femmes du monde entier pour faire face au changement climatique et en appeler à leurs gouvernants. Sont présentés sur le site les effets négatifs du changement climatique de même que les solutions proposées.
Mme Usha Nair vous a présenté les Women's Key Demands de la Women and Gender Constituency. Il est donc inutile que je les répète. Mais il importe que vous compreniez ce que nous faisons au Bourget. Je souhaiterais souligner quelles sont les demandes les plus importantes pour les pays développés, du point de vue d'une organisation basée aux États-Unis telle que WEDO. L'une de ces exigences est la suivante : nous ne voulons pas d'un objectif d'émissions nulles car cela fournirait l'opportunité de proposer des solutions technologiquement risquées ou qui supposent d'utiliser la terre à des fins de production de biomasse à grande échelle. Or, cela se traduit souvent par des expropriations qui, comme nous le savons, affectent plus souvent les femmes que les hommes. Ces demandes concernent donc la sécurité alimentaire, les droits des femmes et la production agricole.
Nous nous prononçons aussi en faveur de technologies plus sûres pour les humains et l'environnement, accessibles à tous et sensibles au genre. Nous pensons qu'il est très important que les pays développés prennent leur juste part des réductions d'émissions : il faut retenir des principes d'équité et de responsabilités communes mais différenciées. Les pays développés doivent revoir quelques-unes de leurs contributions pour essayer de combler cet écart d'émissions dont vous avez dû entendre parler.
Venons-en aux financements qui sont d'une importance vitale. Les 100 milliards de dollars sont un montant minimum plutôt qu'un maximum, qui doit être revu à la hausse au moins tous les cinq ans, et utilisé de manière égale entre atténuation et adaptation. Nous devons aussi étudier la manière dont le financement du changement climatique peut affecter les femmes.
Le Fonds vert pour le climat (FVC) est un instrument extraordinaire, le premier à avoir une politique intégrée d'égalité entre les femmes et les hommes. Nous devons examiner la façon dont les projets répondent à cette préoccupation du genre, et les résultats actuels sont un peu mitigés. À cet égard, les législateurs nationaux peuvent jouer un rôle important. Dans les pays où elle opère, l'Agence française de développement (AFD) peut ainsi s'assurer que les groupes locaux de femmes participent aux projets, ce qui aura un effet de structuration et de renforcement de leur rôle. Ces groupes peuvent ne pas être totalement opérationnels dès à présent, mais le fait de participer à un projet les aidera à développer leurs compétences.
Rappelons l'existence d'un horizon plus vaste : en septembre dernier, à New York, l'ONU a adopté un programme de développement durable qui prévoit 17 objectifs et 169 cibles à atteindre en 2030. L'égalité des sexes est le cinquième objectif ; la lutte contre les changements climatiques est le treizième. Nous devons veiller à la manière dont nos gouvernements vont respecter les engagements qu'ils ont pris. Nous devons aussi nous intéresser à la manière dont la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) s'intègre dans ce programme plus large. Les deux programmes ne peuvent être envisagés séparément parce que le climat est lié au développement et aux droits de l'homme.
Nous faisons partie du Groupe majeur femmes (WMG – Women's Major Group) qui joue un rôle déterminant. Pour terminer, je voudrais dire que nous avons besoin de changements profonds et que nous devons soutenir ceux qui les provoqueront. (Applaudissements.)
Merci pour votre contribution. Ceux qui ne sont pas au Bourget peuvent avoir du mal à comprendre le déroulement des négociations. Comment peser sur ces négociations ? Comment les décisions finales seront-elles prises d'ici au 11 décembre ?
À présent, je suis très heureuse d'accueillir Mme Hindou Oumarou Ibrahim, coordinatrice de l'Association des femmes peules et autochtones du Tchad (AFPAT). Créée en 1999 et reconnue en 2005, l'AFPAT vise à améliorer les conditions de vie des populations peules, en particulier des Bororos, à travers des programmes de promotion des droits humains et des droits des peuples autochtones, et des programmes de protection de l'environnement.
Que puis-je ajouter ? Si la femme est contrainte d'apprendre à nager pour survivre, elle doit aussi faire avec le soleil. La hausse minime des températures à l'échelle de la planète, nous la ressentons vraiment beaucoup au Tchad : cet été, le thermomètre est monté à cinquante-deux degrés. Imaginez une femme qui doit aller chercher de la nourriture pour sa famille par une telle chaleur.
Je viens d'une communauté d'éleveurs nomades du Tchad, les Peuls Bororos, où les différences entre les femmes et les hommes sont vraiment considérables. Les femmes subissent donc les conséquences du changement climatique d'une manière très différente des hommes. Elles vivent en harmonie avec l'environnement. Quand il y a de l'eau et des pâturages, le bétail se porte bien, donne beaucoup de lait. Tout va bien. La communauté mange bien, peut vendre des produits et gagner un peu d'argent.
Le réchauffement climatique change tout. Chez les Bororos, les femmes s'occupent de l'approvisionnement en eau et en nourriture. Comme vient de le dire notre soeur de l'Inde, les femmes doivent maintenant se lever très tôt et redoubler d'énergie. Elles doivent aller très loin dans la brousse pour chercher du bois, des feuilles et des fruits, afin de nourrir leur famille. Pour compléter l'alimentation de la communauté, elles doivent aussi aller faire d'autres travaux avec les femmes sédentaires. Auparavant, elles pouvaient consacrer ce temps à l'éducation de leurs enfants.
Ces transformations de vie affectent aussi les hommes, les chefs de famille, qui s'occupent traditionnellement du bétail. Pendant les saisons sèches, qui durent beaucoup plus longtemps qu'auparavant, ils doivent aller travailler dans d'autres villes pour pouvoir envoyer de l'argent à la maison. Les femmes restent seules avec les enfants et les personnes âgées et elles deviennent doublement vulnérables : elles doivent prendre soin et assurer la sécurité de la famille, jouant à la fois le rôle de l'homme et de la femme.
Cette double charge n'est pas reconnue, ce qui fait vraiment très mal. Au niveau local, seul les hommes sont consultés sur les décisions à prendre. Or, le changement climatique affecte l'environnement, c'est-à-dire l'homme et la femme : nous buvons la même eau, nous respirons le même air. Nous devons chercher les solutions ensemble. Comme l'a bien souligné Eleanor Blomstrom, les femmes sont attentives aux détails qui sont si importants quand il s'agit de trouver de bonnes solutions aux changements climatiques. Les hommes s'intéressent aux grands repères tels que la création de fonds, par exemple, mais ils omettent souvent de s'interroger sur la manière dont ces mesures peuvent atteindre les populations les plus vulnérables et atténuer leurs souffrances. Les femmes, qui vont chercher les feuilles, maîtrisent beaucoup mieux cet environnement et elles pensent à des solutions rapides qui vont améliorer leur quotidien et atténuer leurs souffrances.
Au niveau national, quand il s'agit d'associer les femmes aux prises de décisions, on nous parle de quotas. Dans chaque projet, l'ONU demande d'intégrer 50 % de femmes. Comme les femmes sont plus nombreuses, elles restent moins représentées. Qui a défini les pourcentages pour les hommes qui, eux, déterminent les quotas de femmes ? Il ne s'agit pas seulement de compter les sièges et de viser la parité mais il faut aussi attribuer des postes de décision aux femmes et pas seulement dans des domaines qui ne concernent qu'elles. Quand on parle de Fonds vert, de fonds d'adaptation ou de barrages, les femmes sont tout autant concernées que les hommes. Ces mesures vont même affecter davantage la vie des femmes que celle des hommes. Si leur avis n'est pas pris en compte dès le début, comment les décisions auraient-elles un impact sur leur vie par la suite ?
Nous participons aux négociations internationales dans le WMG. Y a-t-il un Groupe majeur hommes ? Les hommes négocient ; pour les femmes, on a créé le WMG au sein des groupes de la société civile. Pour ma part, je ne vois pas les choses de cette manière. Dans chaque délégation nationale, il devrait y avoir des femmes en tant qu'expertes chargées de proposer des solutions. Or, si vous prenez la liste des Nations unies où figurent les points focaux des 196 pays, vous ne trouverez pas 30 % de femmes. Leurs diplômes et leurs capacités devraient pourtant leur permettre de participer aux négociations et d'influer sur les décisions.
Comme l'a indiqué Madame la députée, les passages sur l'égalité des sexes sont mis entre crochets dans tous les textes des négociations. Ces documents reconnaissent l'importance à accorder aux femmes et aux questions de genre. Mais nous voulons que les droits des femmes soient reconnus dans les textes sur l'adaptation, l'atténuation et les transferts de technologie. Nous avons des connaissances traditionnelles à transmettre dans tous ces domaines. C'est de cette manière que les femmes vont sauver le monde, elles qui se soucient des générations futures. Qu'ils nous donnent nos responsabilités et ils verront comment nous ferons la différence pour sauver ce monde ! (Applaudissements.)
Nous aurions dû vous demander votre avis pour le titre du colloque : les femmes sauveront le monde. Merci pour votre fougue et pour les vérités que vous rappelez sans cesse. Vous avez raison, les femmes doivent être partie prenante des négociations au même titre que les hommes.
Je vais maintenant donner la parole à la salle, en laissant à chaque intervenant le soin de se présenter.
En premier lieu, je vous prie d'excuser Mme Danielle Bousquet, la présidente du HCEFH, qui aurait beaucoup aimé participer à nos débats, mais qui est malheureusement immobilisée pour encore quelques semaines. Vous avez travaillé avec Mme Danielle Bousquet et avec Mme Chantal Jouanno pour l'élaboration du document intitulé « Les femmes actrices de la lutte contre le dérèglement climatique ». Je vous invite, toutes et tous, à signer l'appel du document de plaidoyer, illustré par une jolie photo prise par M. John Bannon pour le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Cette photo représente des femmes somaliennes réfugiées au Kenya.
Je voudrais également remercier tous les intervenants qui ont couvert des terrains très complémentaires. Les femmes aspirent à sauver le monde, mais je crois que c'est tous ensemble que nous le ferons.
S'agissant des contributions nationales, pouvez-vous nous dire comment inciter les États à renforcer leur contribution sur ce volet « Femmes et changement climatique » ? Une cinquantaine d'États ont inclus une plus ou moins grande mention du genre, du rôle des femmes, de leur place, dans certains projets. Ne peut-on pas – notamment dans les plaidoyers du Groupe Femmes et Genre (WGC – Women and Gender Constituency) – demander une plus grande implication des femmes au niveau national, au moment des clauses de rendez-vous ?
Votre appel à mettre le genre dans les contributions nationales m'interpelle. C'est vraiment l'aspect le plus important. La plupart de ces contributions nationales ne sont pas issues d'une concertation. Au Tchad, la contribution a été rédigée par des consultants, mais nous avons réussi à y faire inclure le genre et les droits humains. Mon association a d'abord organisé une réunion avec les communautés et nous avons exprimé nos attentes au gouvernement. Ensuite, nous avons organisé un déjeuner où nous avons convié le ministre de l'Environnement pour lui présenter nos demandes. Nous lui avons dit : « Votre contribution nationale ne convient pas parce qu'elle ne prend pas en compte les droits humains et le genre. Vous prétendez nous représenter à Paris ? Les communautés ne sont pas d'accord et nous allons faire une conférence de presse. » C'était deux jours avant le dépôt de la contribution. À notre grande surprise, le genre et les droits humains y ont été mentionnés. Mais ce n'est pas là la totalité des objectifs. Il importe maintenant que les femmes ne soient pas des figurantes dans des ateliers de restitution où elles n'auront qu'à s'inscrire et signer. Nous devons nous battre pour influer sur les projets mis en oeuvre.
Pour ma part, j'aimerais insister sur deux points. En premier lieu, je pense qu'il faut aussi tenir compte du fait que, dans la plupart des pays, ce qu'on appelle les mécanismes pour le genre – tels que le ministère pour les Droits des femmes ou pour la Promotion des genres, quel que soit son nom – sont les parents pauvres du système étatique. Quels relais institutionnels peuvent utiliser les membres de la société civile au Mali, au Tchad ou ailleurs ? Ne devraient-ils pas pouvoir s'appuyer sur le ministère chargé de coordonner tous les travaux effectués dans ce domaine ? Bien souvent ce ministère agit comme un obstacle plutôt que comme un levier et nous sommes obligés de le contourner. La question de la place et du rôle des mécanismes nationaux est à poser.
En second lieu, et je pense que mes collègues francophones me soutiendront, je regrette que la plupart des documents et des communications soient en anglais, en dépit des quelques efforts accomplis, ce qui complique singulièrement le travail de nos associations partenaires dans les pays du sud et en France. Mon but n'est pas de plaider pour la francophonie, mais je tiens à dire que l'utilisation quasi exclusive de l'anglais pose un vrai problème : d'une part, cela limite énormément le choix des personnes qui peuvent participer à certaines de ces réunions où les francophones sont généralement très marginaux ; d'autre part, nombre de publications ne sont pas publiées en français. L'an dernier, nous avons traduit gratuitement un texte que le Groupe majeur femmes n'avait pas les moyens de publier dans notre langue. C'est un véritable enjeu. Et je ne vous parle même pas de ces « usines à gaz » que sont les appels à projet dont toutes les composantes sont rédigées exclusivement en anglais ! Les associations francophones n'essaient même pas d'y répondre. L'accès à l'information et au financement est un grand problème quand la langue ne s'y prête pas.
Pour ma part, je m'intéresse beaucoup à la famille et à la santé dont les intervenants ont aussi parlé. Je soutiens donc l'appel en faveur d'une éthique universelle, et j'insiste sur la prise en considération des droits sexuels et reproductifs dans tous les projets politiques. La valeur des femmes est trop souvent niée alors que, jusqu'à preuve du contraire, ce sont encore elles qui portent les enfants.
Pour que le monde soit plus juste, il faut reconnaître ces droits sexuels et reproductifs, ainsi que la participation des femmes à tous les niveaux dans le cadre des luttes qui nous semblent essentielles. Elles doivent avoir leur mot à dire sur ce qui concerne les ressources de la terre, le droit à la propriété, le droit à la santé, etc. Nous essayons donc de nous soutenir et de travailler sur la formation des femmes qui ne peuvent accéder à la culture que si elles ont été éduquées et que si elles ont accès aux codes leur permettant de transmettre leurs idées.
Pour conclure, j'aimerais souligner l'une des conséquences de la sécheresse : elle provoque une immigration des femmes qui n'existait pas auparavant.
Pendant ces premiers jours au Bourget, j'ai eu le sentiment que les négociateurs, chefs d'État et intervenants, étaient absolument aveugles au genre. Je n'ai pas lu toutes les déclarations des chefs d'État, mais j'ai constaté que la problématique des femmes et du genre était pratiquement absente des débats. Ce matin encore, au cours des débats sur les énergies renouvelables, il y avait beaucoup de bons sentiments, de projets et d'actions, mais à aucun moment il n'a été question du rôle des femmes et de la manière dont elles étaient particulièrement concernées. On a parlé de la santé mais pas vraiment des femmes.
Nous sommes entre nous et nous prêchons des convertis. Il conviendrait peut-être de changer de stratégie pour atteindre les personnes chargées de ces questions afin d'influer sur leurs décisions. Il me semble que même la société civile présente au Bourget n'a pas accès aux négociateurs et aux leaders qui prennent les décisions. Il faut faire entendre la voix des femmes et des féministes, tel est mon message.
Je suis fondatrice d'APEO, une organisation à but non lucratif qui travaille depuis onze ans dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), dans la province du Sud-Kivu, auprès des femmes et des enfants victimes des conflits armés. Je remercie Mme Claudy Vouhé d'en avoir parlé parce qu'il s'agit vraiment d'une cause oubliée.
Cette relation entre conflits et climat, nous la vivons concrètement dans les villages où nous intervenons sous l'égide du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA – Office for the Coordination of Humanitarian Affairs) de l'ONU qui organise l'action des nombreuses associations présentes sur le terrain. Nous participons aux réunions régionales des ONG.
Quand il y a des mouvements de population, les arbres sont coupés, les routes de desserte agricole deviennent inaccessibles et très peu d'ONG se rendent dans les villages d'où viennent les victimes. Or, il y a de nombreux problèmes à résoudre dans ces villages où restent des veuves et des orphelins. Les femmes parviennent à bénéficier de soins physiques après avoir parcouru des kilomètres et des kilomètres à pied, mais elles ont aussi besoin d'une prise en charge psychologique.
Actuellement, nous nous inquiétons beaucoup des inondations dues aux perturbations climatiques, phénomènes qui s'ajoutent aux conséquences des conflits armés. Pas plus tard que la semaine dernière, plusieurs écoles ont été inondées dans les villages. Des milliers d'enfants se retrouvent dehors, exposés au recrutement forcé, tandis que les jeunes filles sont souvent emmenées comme esclaves sexuelles. Ce double phénomène – conflits armés et dérèglements climatiques – touche directement les femmes qui sont des moteurs dans les villages où je travaille : le plus souvent ce sont elles qui vont chercher le bois et la nourriture pour la famille.
Nous avons lancé un programme baptisé MILKA, l'acronyme de « Champs, source de vie » en mashi, la langue parlée dans le Sud-Kivu (Mikolo l'ishwa l'iriba lya kalamo). Souvent victimes de viols sur leur lieu de travail, ces femmes n'osent plus retourner aux champs et nous les aidons à se soigner physiquement et psychologiquement. Nous faisons aussi de la formation car, sous l'influence d'ONG qui sont arrivées là avec des produits chimiques, elles ont délaissé puis oublié l'usage d'engrais organiques, tels que la bouse. Elles doivent réapprendre comment planter sur un petit lopin de terre de manière à manger aujourd'hui, demain et après-demain.
Malheureusement, nous n'avons pas beaucoup de moyens et ces femmes sont seules ; le gouvernement est loin ; elles sont livrées à elles-mêmes. S'il vous plaît, pensez à lier l'impact des conflits armés et des dérèglements climatiques lors de vos interventions, car ces phénomènes se conjuguent particulièrement en RDC.
Troublée par l'intervention de ma voisine, je suis désolée de revenir à des choses plus banales et moins sensibles. Je travaille aux côtés de Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État chargée des droits des femmes, qui me prie de vous présenter ses excuses parce qu'elle ne peut pas être présente ce soir. En son nom, je vous remercie, Madame la présidente, de toutes les actions que vous menez. Nous avons créé ensemble une dynamique certaine autour de l'appel « Soutenir les femmes face au dérèglement climatique : Pourquoi nous nous engageons », de différentes rencontres, de la manifestation que vous avez organisée il y a quelques jours à l'Hôtel de ville et de tous ces débats.
J'ai bien entendu la remarque un peu pessimiste de Mme Ouafae Sananès, mais je crois que cette dynamique est forte. Je salue aussi le travail d'ONG comme CARE. Votre plaidoyer est remarquable, Monsieur Lévêque, et vous avez donné beaucoup d'exemples. Il n'y a pas une réponse unique et aboutie mais, grâce à toutes les initiatives engagées, il existe un mouvement qui va dans le bon sens.
J'ai une question qui reprend la remarque de Mme Vouhé sur l'utilisation quasi exclusive de l'anglais. Dans le Groupe Femmes et Genre, il me semble que l'Europe est représentée à travers le groupement Femmes d'Europe pour un futur commun (WECF – Women in Europe for a common future). Mais je ne mesure pas bien la présence réelle d'ONG et d'associations françaises et européennes. Pourriez-vous nous en dire plus ? Peut-être avons-nous à faire un effort de mobilisation à travers WECF ou d'une autre façon ? C'est tout de même, comme vous l'avez souligné, l'un des neuf piliers des négociations. Peut-être devrions-nous être plus actifs à travers ce réseau ?
Au sein du Groupe Femmes et Genre, il y a plusieurs réseaux très actifs dont certains sont européens. Nous avons eu des expériences très fructueuses de lobbying auprès de gouvernements européens. Nous voulons, bien entendu, élargir le rayonnement de notre groupe, car plus il y aura de monde, mieux cela vaudra.
Je me demande si vous parlez de WECF ou si vous pensez que vous devriez rejoindre d'autres organisations en Europe. En tout cas, comme l'a dit Mme Usha Nair, il y a beaucoup d'organisations européennes. Nous travaillons beaucoup avec le WECF, une organisation très active qui coopère notamment avec les grands groupes de femmes sur le développement durable et le programme post-2015. Comme nous, le WECF a une vision très large de ce qui se passe et une bonne interaction avec les autres organisations. Évidemment, toute nouvelle venue sera bien accueillie.
À mon tour, j'aimerais insister sur l'importance de la santé et sur celle des droits sexuels et reproductifs qu'il ne faut pas cesser de mentionner dans tous nos débats car ces problématiques sont étroitement liées aux changements climatiques. Le climat a un impact sur ces droits et vice versa. Pourtant, nous manquons de bonnes études dans ce domaine qui reste peu exploré. Les négociations politiques ne sont pas forcément le lieu idéal pour traiter de ces questions car les négociateurs tentent surtout d'obtenir un accord, mais j'en ai parlé avec des collègues. Quand nous en serons à la phase de mise en oeuvre, la question qui se posera sera de savoir comment intégrer ces droits dans les stratégies nationales et dans les plans d'action pour l'égalité des sexes et la lutte contre les changements climatiques qui seront développés. Il est très important que nous nous impliquions à ce niveau.
Lors de la conférence sur la réduction des risques de catastrophe, nous avons beaucoup oeuvré pour que les droits sexuels et reproductifs soient pris en compte, car les femmes sont particulièrement vulnérables dans la phase qui suit une catastrophe. Certains collègues japonais nous ont ainsi expliqué que des femmes avaient subi des violences sexuelles et des viols dans des abris, gérés et surveillés par des hommes, mis en place après le tremblement de terre et le tsunami. Rappelons que la santé et les droits sexuels et reproductifs font partie de l'objectif 5 de développement durable. Mais c'est un vrai défi d'arriver à faire admettre l'idée de droits sexuels à tous les pays.
Mme Isabelle Gougenheim s'interroge sur la présence des associations françaises et francophones dans les instances internationales où elles sont effectivement minoritaires. Mme Monique Dental, qui est membre du groupe français Genre et justice climatique, pourrait peut-être nous donner des précisions. Les structures françaises ou francophones qui travaillent sur ces questions sont de petites associations militantes qui n'ont pas de gros moyens ou de grosses productions. Elles ont beaucoup de mal à fonctionner. Un groupe travaille au Bourget sur la plate-forme « Genre et développement », avec un petit soutien du ministère des Affaires étrangères et de l'AFD. Cela étant, la plupart du temps, le travail demandé est sans commune mesure avec le budget alloué.
Quitte à paraître un peu mercenaire, j'en reviens toujours aux questions d'argent qui pèsent très lourd face à notre capacité d'agir. Certes, nous sommes toutes militantes et bénévoles, mais c'est tout de même très compliqué d'entreprendre des actions quand les moyens manquent. Certaines associations françaises ou francophones aimeraient être davantage impliquées mais elles se heurtent au problème de la langue et à celui du financement. Les associations françaises n'ont d'ailleurs pas la même approche que leurs consoeurs anglo-saxonnes en matière de levée de fonds, et elles font peu appel au secteur privé.
Le financement représente en effet un vrai défi. D'un côté, il est très réconfortant de voir que nous pouvons compter sur des traducteurs bénévoles à l'intérieur de notre communauté d'organisations de défense des droits des femmes. D'un autre côté, cela montre combien il est difficile d'obtenir des financements pour mener de véritables actions sur le terrain.
Je tenais à indiquer que j'ai beaucoup apprécié ce qu'ont dit tous les intervenants à cet intéressant débat, et je voudrais revenir sur l'un des propos de Mme Sananès qui estime que les négociateurs sont aveugles au genre. En fait, tout dépend du sujet abordé. Mais il est vrai que, quand il est question d'atténuation – ce qui implique des discussions sur les énergies renouvelables et les réductions d'émissions –, il est pratiquement impossible d'intégrer des notions telles que l'égalité ou le droit des femmes. Ce sont des débats très politiques aux multiples enjeux. Nous avons pourtant essayé, depuis plus de huit ans, de faire intégrer ces problématiques en suggérant que les femmes travaillent sur l'atténuation et les énergies renouvelables et qu'elles ont des solutions à apporter. Mais ces avancées restent insuffisantes. Il faudrait un renforcement des capacités des associations pour que les femmes apportent une réelle contribution et qu'elles soient entendues.
Comme Mme Blomstrom l'a fait dans sa première intervention, je voudrais rappeler que le FVC a très bien intégré une politique d'égalité entre les femmes et les hommes. Avec le Groupe Femmes et Genre et le Women's media group, nous avons beaucoup oeuvré pour que ce principe soit intégré dans les accords. Aujourd'hui, il est encourageant de voir que beaucoup de pays inscrivent l'égalité entre les femmes et les hommes dans leur déclaration.
En effet, nous pouvons apporter une note positive au débat. Cette fois-ci, une cinquantaine de pays ont inscrit cette égalité dans leur déclaration, du jamais vu. C'est une avancée, même si le genre a tendance à disparaître quand sont abordés des thèmes tels que la transition énergétique.
Je vais donner la parole à Mme Marie-Noëlle Battistel qui a suivi la loi sur la transition énergétique, et qui s'intéresse aux barrages et aux solutions alternatives aux énergies fossiles. À ce titre, elle a reçu une accréditation pour le Bourget valable tous les jours… ce qui est rarissime. Pour ma part, j'ai une accréditation valable une journée. Je précise que Marie-Noëlle Battistel est membre de la DDF.
Merci à tous pour vos interventions très intéressantes et la force de vos messages qui reflètent une vraie réalité de terrain. Dans des pays où les conditions de vie sont difficiles et où se déroulent parfois des conflits armés, les femmes jouent un rôle crucial dans les domaines de l'alimentation, de la santé et de l'éducation, et elles subissent de plein fouet les conséquences du dérèglement climatique.
Comme Madame la présidente vient de l'indiquer, je suis accréditée à la COP21 en tant que référente de la commission des Affaires économiques où je m'intéresse tout particulièrement aux questions d'énergie. Je serais un peu plus optimiste que vous, Madame Sananès, qui avez eu l'impression que la question des femmes était peu ou pas évoquée dans les débats. Pour ma part, j'ai assisté à l'inauguration par Mme Ségolène Royal et par M. Nicolas Hulot de l'espace Générations climat, ouvert à la société civile. La ministre de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie a commencé son intervention en soulignant que les femmes ont toute légitimité pour être actrices du combat contre le dérèglement climatique puisqu'elles en sont les premières victimes. La ministre a donc entendu le message.
Nous devons évidemment rester mobilisés et vigilants pour que les femmes aient toute leur place dans ce combat pour la planète. Vous pouvez compter sur la mobilisation de la Délégation aux droits des femmes, présidée par Mme Catherine Coutelle. Ces questions de genre et de droits des femmes doivent être abordées dans tous les débats et vous pouvez me faire confiance pour les soulever le plus souvent possible.
La société civile est présente au Bourget mais il y a aussi d'autres mobilisations citoyennes à l'extérieur, même si la marche prévue a dû être annulée pour des raisons de sécurité. Existe-t-il des ponts entre les deux ? Comment les modes d'action peuvent-ils se renouveler pour plus d'efficacité ?
Comme nous n'avons pas pu beaucoup marcher à Paris, nous l'avons fait virtuellement. Il me paraît extrêmement intéressant de s'appuyer sur ce qui se passe ailleurs. La mobilisation se fera via les réseaux sociaux, c'est la beauté et la force de notre monde global qui a aussi ses limites.
Dans l'accord, il y a quelques points clefs. M. Laurent Fabius veut un texte mercredi soir pour commencer à travailler. Il faut sortir ce qui est entre crochets. À mon avis, il faut réussir à faire figurer quelques mots comme « droits humains » et « égalité des femmes et des hommes » dans le texte. J'ai bien conscience que cela ne sera pas satisfaisant pour les personnes ici présentes, mais cela n'ira pas plus loin sur la santé, les conflits, etc. Nous en sommes là : faire passer quelques mots. Les activistes, la société civile et les politiques de nos pays savent qu'il est nécessaire de s'appuyer sur ce corpus pour avancer.
L'accord qui sera conclu dans quinze jours – sans doute pas celui que nous souhaitons – constituera un point de départ. La COP21 n'est pas une fin en soi, c'est le mécanisme qui compte. Naturellement, si nous restons sur une trajectoire à trois degrés, nous pouvons rentrer à la maison et nous désespérer, mais nous serons probablement autour de deux degrés. À partir de là, il faudra revoir tous les cinq ans les ambitions affichées. C'est là-dessus que nous devrons mobiliser les sociétés civiles à travers le monde afin de sensibiliser nos élus. Ces rendez-vous tous les cinq ans sont extrêmement importants.
Pour ce qui concerne la mobilisation, nous avons fait le lien entre l'intérieur et l'extérieur. Ceux qui participent à la négociation ont créé les comités qui avaient le projet d'organiser la marche du 29 novembre. La marche s'est transformée en chaîne humaine où nous avons envoyé une délégation de représentantes des peuples autochtones. Malheureusement, cela s'est mal fini dans certains endroits.
Nous attendons maintenant la fin de la première semaine et la sortie du premier texte. Si les notions de genre et de droits humains y figurent, nous nous mobiliserons pour que les politiques les maintiennent. Si elles n'y figurent pas, nous manifesterons à l'intérieur même de la zone bleue pour dire : « Cela suffit maintenant ! ». Il faut que ces notions soient inscrites dans l'accord qui sera conclu dans quinze jours. (Applaudissements.)
Dites-nous comment participer puisque nous n'avons pas de badges ! Nous avons travaillé sur des textes mais peut-être devrions-nous recourir à l'arme de la nudité que les Africaines ont utilisée avant les Femen ?
En partant de l'Assemblée nationale, je pense que nous aurons du succès ! (Sourires.) La zone bleue est difficile d'accès et nous aurons du mal à aller y manifester mais il y a une zone verte.
Exactement. Ceux qui n'ont pas de badge peuvent accéder à la zone verte, dédiée à la société civile, sur simple présentation d'une pièce d'identité : cet espace Générations climat, accolé au Bourget, est ouvert de dix heures trente à dix-neuf heures. Nous possédons de nombreux pavillons et vous pouvez vous joindre tout le temps à nos activités. S'agissant des manifestations, nous les organiserons au vu des textes qui seront publiés à l'issue des négociations techniques, c'est-à-dire à la fin de la semaine.
Tout dépend de ce que vous voulez faire. Si vous voulez vous mobiliser autour du texte publié à la fin de la semaine, vous devez rester à l'écoute. Mais dans l'espace Générations climat, les groupes organisent toutes sortes d'activités, notamment un atelier d'écriture de poésie, et une exposition sur les solutions proposées dans le cadre de notre concours. Vous êtes les bienvenus dans cet endroit et je pense que vous apprécierez la visite. Je peux vous communiquer le programme des activités pour que vous puissiez choisir le moment de votre venue.
Il n'a pas été vraiment répondu à la question soulevée par Mme Ouafae Sananès : comment les femmes peuvent-elles vraiment faire du lobbying ? C'est très bien de visiter l'espace Générations climat, mais la société civile reste tout de même en dehors des lieux de négociation. Comment pouvons-nous essayer de communiquer avec les délégations ? Et d'ailleurs, y a-t-il des femmes dans la délégation française ?
Mme Tubiana préside la délégation française pour les négociations techniques. Sur le plan politique, c'est Mme Royal.
Y a-t-il des ONG ?
En tout cas, il y a des parlementaires. Et comme la délégation française est importante, il y a probablement des femmes de la société civile comme l'évoque Mme Ouafae Sananès.
J'aimerais revenir un instant sur les textes. Il y aura un accord fixant les grands principes en vingt pages et des engagements type COP18, COP19 ou COP20. Ne sommes-nous pas déjà en train de réduire nos ambitions en disant que nous allons nous contenter des mentions « droits humains » et « genre » pour solde de tout compte ? Je voudrais que nous ayons l'ambition d'aller plus loin d'abord dans l'accord lui-même et ensuite dans les engagements.
Avant la fin de ce débat, je voudrais apporter une petite précision : du côté français, nos ministres et l'État tout entier sont très engagés en faveur de l'égalité et des droits humains. Cela ne fait aucun doute. C'est auprès des pays qui bloquent qu'il faut faire du lobbying. La question dépasse très largement le cadre franco-français.
Nous avons bien mobilisé en France par le biais de grandes assemblées, de réunions, etc. Mais l'Europe n'a pas parlé suffisamment fort d'égalité et de genre, elle a été beaucoup trop longtemps silencieuse alors que tous les pays devraient se retrouver sur ces thèmes.
En réalité, il existe des blocages, y compris en Europe, quand on commence à évoquer les droits sexuels et reproductifs. Chaque année à l'ONU, lors de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW – Convention on the elimination of all forms of discrimination against women), Malte, la Pologne et l'Irlande rejoignent les positions du Vatican et de pays tels que l'Arabie Saoudite. Nous assistons à des collusions entre pays qui s'opposent aux droits sexuels et reproductifs, et à l'égalité entre les femmes et les hommes. Ils en sont encore à parler de complémentarité entre les sexes.
En 2014 et 2015, l'ONU « femmes » a commémoré les vingt ans des programmes d'action du Caire et de Pékin. Mme Michelle Bachelet nous avait reçues, Mme Najat Vallaud-Belkacem et moi-même, en 2013, alors qu'elle était encore la directrice exécutive de l'organisation. Nous l'avions interrogée sur les manifestations prévues à l'occasion de ces commémorations. Désolée, elle nous avait répondu que l'ONU ne pouvait pas organiser une grande conférence sur l'égalité entre les femmes et les hommes parce qu'il n'était pas certain qu'une majorité de pays s'y montre favorable. La majorité des 150 pays représentés à Paris aujourd'hui ne considère pas que les conférences du Caire et de Pékin soient fondatrices. On ne renégocie pas pour éviter un retour en arrière. Nous en sommes là ! En matière de droits des femmes, rien n'est jamais acquis, nous le savons. Les évolutions ne sont pas linéaires dans le sens d'un progrès continu jusqu'à la fin de l'humanité.
Pour conclure, je voudrais remercier les intervenants et l'assistance. Certes, nous sommes ici entre convaincus mais nous avons réussi aussi à convaincre grâce à nos appels et aux actions convergentes de nos ONG. La coordination n'est pas toujours évidente et nous avons parfois l'impression que chacun agit dans son secteur, mais nous avons des porte-paroles efficaces et qui ne se laissent pas circonvenir.
Vous avez tous mentionné les attentats qui se sont déroulés à Paris. Sans ces événements, peut-être n'aurions-nous pas fait à ce point le rapprochement entre conflits, terrorisme et climat. Nous voyons tous que les changements climatiques entraînent la désertification, des difficultés de vie, des abandons de terres, des exodes et des conflits qui peuvent alimenter le terrorisme. Le climat représente un tel enjeu pour l'avenir de la planète que, je l'espère, tous les pays présents ici auront à coeur de parvenir à un accord.
La mobilisation est importante, même s'il est un peu difficile de voir comment elle s'organise entre les acteurs et les citoyens, dans une situation contrainte par des exigences de sécurité que chacun peut comprendre. Les ONG, les parlementaires, les grandes collectivités, les grandes villes du monde se sont tous réunis pour trouver des solutions. Grâce à notre lobbying, nous avons réussi à faire admettre que l'égalité entre les femmes et les hommes et les droits humains devaient figurer dans l'introduction et le corps du texte, y compris dans sa version réduite à vingt pages. D'aucuns trouveront que le résultat est modeste mais, en fait, il s'agit d'une avancée considérable. Ce texte de vingt pages a fait l'objet de discussions très compliquées à Berlin et nous avons redouté de voir disparaître ce qui était entre crochets. Non seulement ces éléments ont été conservés mais la négociation porte désormais sur la version longue du texte – cinquante pages. Tous les espoirs sont permis.
Ceux qui sont extérieurs à la négociation, y compris les parlementaires, ont un peu de mal à comprendre comment elle se déroule réellement et concrètement. Pour nombre de pays l'égalité femmes-hommes représente une sorte de ligne rouge : ils menacent de ne pas signer un accord où figurerait ce principe. Les pays qui y sont favorables doivent donc adopter la position inverse et affirmer clairement qu'ils ne signeront pas un accord qui ne mentionnerait pas l'égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que les droits humains.
Les droits des femmes sont un combat jamais achevé, je le répète. Le 11 décembre, rien ne sera terminé. La France gardera la présidence de la COP. Même si l'égalité entre les femmes et les hommes et les droits humains figurent dans l'accord, ce qui est le minimum, nous devrons maintenir la pression dans le cadre des clauses de révision. Le Président de la République, M. François Hollande, veut un accord contraignant – ce qui n'était pas du tout acquis au départ – et révisable.
Quoi qu'il arrive, nous devrons donc continuer à réfléchir, à prendre des initiatives, à faire des projets concrets et à soumettre des propositions. Seule la mobilisation paiera. Si la société se mobilise et parvient à sensibiliser l'opinion sur ce sujet, les gouvernants finiront par entendre que la solution au dérèglement climatique passe par les femmes. Celles-ci ne veulent pas être cantonnées dans un groupe majeur et faire de l'animation ; elles veulent avoir des responsabilités et prendre part aux décisions. Les femmes sont la moitié de l'humanité, c'est pourquoi je suis contre les quotas mais pour la parité. Je reprends votre formule, Hindou, que j'aime beaucoup : ce sont les femmes qui sauveront le monde. Sauvons le monde ! Merci à tous. (Applaudissements.)
La séance est levée à 19 heures 20.