Je vous remercie, Madame la présidente, de m'avoir invitée à participer à cette table ronde. Je voudrais d'emblée témoigner toute notre sympathie et présenter toutes nos condoléances à la population parisienne qui a subi de terribles attentats, il y a quelques semaines.
Je suis Usha Nair du Women and Gender Constituency. Je représente la All India Women's Conference, organisation nationale de femmes créée en 1927 active dans le domaine de l'autonomisation des femmes par l'alphabétisation, l'éducation, le développement des compétences, la sensibilisation juridique, la législation, la santé, le bien-être des familles, la formation au leadership, l'environnement etc. Dès le sommet de Rio en 1992, nous avons promu des mesures visant à protéger l'environnement et à atténuer le changement climatique, bien qu'à l'époque, ces mots n'aient pas eu le même sens qu'aujourd'hui. Nous avons plus de 100 000 bénévoles et avons oeuvré à l'autonomisation des femmes. Le changement climatique est un thème sur lequel nous travaillons depuis seulement cinq ou six ans.
Compte tenu de notre longue expérience de travail de terrain avec les femmes, laissez-moi vous dire à quel point nous apprécions le rôle important que jouent les femmes dans la mise en oeuvre des politiques sur le terrain. Aucune politique – aussi bien rédigée, conçue, planifiée et prévue soit-elle – ne peut réussir si les femmes ne participent pas à sa mise en oeuvre. L'expérience nous a également montré que si on ne les consulte pas, si l'on ne prend pas en considération leur opinion, aucune politique ne peut vraiment être efficace.
Le changement climatique a un grand effet de nivellement. Il ne fait pas de différence entre les riches et les pauvres, les puissants et ceux qui n'ont aucun pouvoir, les grands décideurs et les populations silencieuses pour qui ces politiques sont conçues. Il n'y a aucune discrimination dans la façon dont les durs effets du changement climatique sont répartis. À l'est, à l'ouest, au nord, au sud, tous les pays et toutes les populations sont affectés d'une façon ou d'une autre par le dérèglement climatique. Il s'agit donc d'un défi pour l'humanité tout entière. Il n'y a pas là de place pour les jeux politiques et pour les petits débats. Le temps nous manque et à moins que nous n'agissions de façon urgente, avec un engagement passionné et en étant unis, un avenir bien sombre nous attend. Le monde de nos enfants et de nos petits-enfants est menacé. Si nous faisons preuve de laxisme au lieu d'agir immédiatement, nous volerons aux générations futures le droit à une vie normale sur terre.
Si le changement climatique a un grand effet de nivellement et ne fait aucune distinction entre les êtres humains, pourquoi est-il important de parler des femmes et du changement climatique ? Parce que les femmes sont les agents du changement, permettant cette transformation nécessaire à la gestion du dérèglement climatique. Elles sont une partie de la solution mais en même temps, les victimes des événements extrêmes que suscite le changement climatique – bien plus que les hommes.
Les statistiques montrent qu'un plus grand pourcentage de femmes que d'hommes sont victimes du changement climatique et en meurent : pourquoi cela ? Une de mes amies philippines, parlant de son expérience, raconte que les femmes aident les enfants, les anciens et même le bétail, les mettent en sécurité en premier lieu. Puis elles retournent sur place pour essayer de récupérer quelques pauvres effets dans leur maison – quelques objets ou vêtements. En outre, et comme cela a été dit, la plupart des femmes ne savent pas nager, ce qui leur fait courir un plus grand danger encore.
Ces statistiques traitent principalement des impacts directs du changement climatique – tels que les déplacements ou le fait de perdre la vie. Mais ce changement entraîne sur la vie des femmes et des jeunes filles d'autres effets, innombrables et non mesurables, qui ne sont pas pris en considération lorsque l'on calcule les pertes et les dégâts.
Dans de nombreuses régions du monde, des croyances patriarcales et des préjugés exposent les femmes au danger. D'un côté, on les empêche d'avoir accès à l'éducation, à la santé, à la nutrition et à l'indépendance économique. De l'autre, elles sont censées assumer des responsabilités domestiques très importantes. Porter et élever des enfants sont des responsabilités essentielles, mais n'oublions pas toutes les tâches ménagères : la préparation des repas et la nécessité d'aller chercher du combustible, d'aller puiser de l'eau, de s'occuper du bétail et de travailler dans les champs. Les effets du changement climatique sont tels qu'il est très difficile aujourd'hui pour ces femmes de s'acquitter de toutes ces fonctions à la fois.
Au cours de mes entretiens avec les femmes des zones rurales indiennes, une femme m'a raconté que, puisqu'il fait désormais plus chaud, elle doit se mettre à travailler dans les champs beaucoup plus tôt le matin, à partir de quatre heures. Auparavant, elle avait le temps de préparer le repas de la famille avant de partir aux champs à six heures ou même plus tard. Maintenant, ce n'est plus possible. Ainsi, c'est sa famille qui ne peut plus se nourrir normalement. Ses enfants ne peuvent aller à l'école à l'heure, ce qui a un impact sur leur éducation. Dans la plupart des foyers, les hommes s'expatrient vers les villes voisines pour assurer la subsistance. Les anciens et les infirmes sont laissés sur place et ce sont les femmes qui s'en occupent. La femme elle-même en souffre : elle est affaiblie, sa santé se dégrade et elle ne peut se livrer à des activités – artisanales notamment – qui, autrefois, apportaient un revenu. C'est donc l'ensemble de la famille qui se trouve affecté de différentes manières.
On sait que les femmes doivent parcourir des kilomètres pour aller chercher de l'eau, du bois ou du fourrage. Mais ce que l'on sait moins, c'est que les jeunes filles sont également forcées d'accompagner leurs aînées, ce qui les prive du droit à l'éducation et des chances d'améliorer leur vie. Ces jeunes filles sont donc finalement dépossédées de droits obtenus au terme de nombreuses années de combat – tels que le droit à l'éducation, à une vie décente et à un état de santé acceptable.
Toutefois, il ne faut pas considérer les femmes uniquement comme la partie vulnérable de la société. Bien sûr, ce sont elles qui paient le tribut le plus lourd. Mais elles sont également une partie de la solution. Les femmes se sont montrées fortes face à des événements extrêmement durs. Elles ont conçu des systèmes de résilience et adopté des méthodes innovantes pour s'adapter à ces nouvelles conditions. Si, par exemple, on cherche des alternatives aux combustibles fossiles, qui, mieux que les femmes, connaît les solutions alternatives les mieux adaptées ? Les femmes étant dépositaires de la sagesse traditionnelle dans toutes les communautés, elles peuvent proposer des solutions à la fois ancestrales et inusitées face aux problèmes de pollution, de santé et de sécurité alimentaire. Lors d'un atelier récent consacré au changement climatique, des femmes nous ont dit qu'elles faisaient pousser des herbes dans leur cour pour lutter, justement, contre la pollution atmosphérique. D'autres nous ont indiqué qu'elles concoctaient des remèdes à partir d'herbes et de plantes traditionnelles pour lutter contre les problèmes de santé occasionnés par le changement climatique. Certaines cherchent même des sources d'alimentation saine dans la nature.
On sait maintenant que les catalyseurs du changement ne peuvent être que les femmes car elles peuvent adopter et promouvoir des modes de vie durables dans leur famille et leur communauté. Un mouvement qui démarre au foyer peut ensuite s'étendre vers toute la communauté et transmettre un message à l'État et au reste du monde.
Faire en sorte que les femmes puissent s'asseoir aux tables où sont prises les décisions permettra de rétablir une certaine justice climatique. Cela ne permettra pas seulement aux femmes d'être représentées en nombre dans différentes instances. Il s'agit bien de décision. Comme l'a dit l'oratrice précédente, il faut absolument favoriser le renforcement des capacités pour aider les femmes à pénétrer les lieux de pouvoir et à participer vraiment à l'activité normative.
Nous devons également faire en sorte que les besoins des femmes ne soient pas laissés de côté par des accords, quels qu'ils soient. Le Women and Gender Constituency, l'une des neuf organisations reconnues par la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), fournit de multiples moyens à la société civile et aux ONG oeuvrant pour les droits des femmes, l'égalité entre hommes et femmes et la protection de l'environnement de peser sur les conférences annuelles et de faire progresser la CCNUCC. Elle fournit une plate-forme permettant un échange d'informations entre les membres et le secrétariat de la Convention-cadre. Au terme d'une large consultation effectuée auprès des membres de cette organisation et des défenseurs de la lutte contre le changement climatique, nous avons finalisé une liste de demandes importantes pour la COP21. Nous espérons qu'à l'issue de cette conférence, ces demandes auront été prises en compte.
Il est essentiel de faire en sorte que le genre soit une préoccupation centrale dans l'accord de Paris pour nous assurer qu'un mandat sera vraiment donné pour agir sur le terrain. C'est la seule façon de faire en sorte que l'on puisse changer la vie des femmes. Ce n'est que comme cela que la COP21 pourra apporter un changement. La vision et l'engagement politiques sont nécessaires pour parvenir à un accord. La plupart d'entre vous ici sont des élus du peuple : le soutien de chacune et de chacun d'entre vous est essentiel pour que notre vision du genre soit une réalité. Nous vous demandons votre soutien et votre appui. (Applaudissements.)