Je vous remercie de cette invitation. C'est un grand plaisir pour moi d'être ici et un honneur de faire partie de ce panel. Je tenais à préciser que WEDO fait aussi partie du Women and Gender Constituency. WEDO est une organisation mondiale de défense des droits des femmes, s'appuyant sur la vision d'un monde juste promouvant et protégeant les droits humains, l'égalité entre les sexes et l'intégrité de l'environnement. WEDO accomplit ce travail depuis le Sommet de la Terre de 1991.
On nous a longtemps posé la question suivante : pourquoi les femmes et l'environnement ? Il est donc toujours précieux d'avoir l'opportunité de l'expliquer plus en détail. Dans notre travail, nous accordons beaucoup d'importance aux partenariats. Nous en nouons avec des organisations du monde entier – qu'elles oeuvrent en faveur des femmes, du développement environnemental ou des droits humains, et qu'elles soient gouvernementales ou intergouvernementales comme les Nations unies par exemple. Dans le cadre de son travail sur le changement climatique, WEDO fait partie de plusieurs réseaux importants, dont le Women and Gender Constituency ainsi que Global Gender and Climate Alliance.
Je voudrais commencer par aborder le changement climatique, en évoquant notamment des solutions qui soient justes en termes de genre. Les intervenants précédents y ayant déjà fait allusion, je ferai de mon mieux pour ne pas répéter les informations de contexte qui vous ont été données. J'aborderai également la dimension financière de l'enjeu climatique et élargirai le tableau afin de prendre en compte le concept de développement durable, le nouvel Agenda 2030 pour le développement durable et les Sustainable development goals (STG).
Pourquoi le changement climatique ? Il n'est probablement pas nécessaire de soulever ici cette question car c'est l'un des problèmes les plus urgents de notre époque. Nous savons que ce changement cause des souffrances humaines et des pertes économiques sur la planète. Moi qui suis américaine, j'ai constaté que, dans les pays développés, nous nous sentons très souvent à l'abri de ce changement. Or, cela est faux : les littoraux s'érodent partout, les sécheresses sont de plus en plus fréquentes et nous connaissons dans tous les pays des vagues de chaleur. Mais ces effets ne sont pas ressentis de manière identique. Ce sont bien entendu ceux qui – pays ou individus – ont le moins de ressources qui sont les plus vulnérables. Et ceux qui ont le pouvoir et la richesse seront les premiers à bénéficier de la transition que nous espérons pouvoir accomplir vers une société sobre en carbone. Il convient donc d'agir dès à présent pour nous assurer que les mesures que nous élaborons pour faire face au changement climatique s'attaqueront aussi à l'injustice que favorise ce changement, et pour soutenir les transformations systémiques dont les intervenants qui m'ont précédée ont déjà parlé.
Je ne répéterai pas pourquoi ces enjeux concernent plus particulièrement les femmes. Nous savons que celles-ci sont, de manière disproportionnée, davantage affectées que les hommes par les effets négatifs du changement climatique. Cela est bien sûr dû aux rôles qui leur sont dévolus du fait de leur genre et à la construction sociale du genre qui confine souvent les femmes dans des tâches non rémunérées de reproduction et de soins. Dans le même temps, il est intéressant de souligner que ces mêmes rôles liés au genre confèrent aux femmes des connaissances que les hommes n'ont peut-être pas en matière de gestion des ressources naturelles, d'agriculture et de conservation des graines – éléments qui sont menacés par le changement climatique mais qui constituent aussi précisément les solutions et le type d'information dont nous avons besoin pour faire face à ce changement.
J'ai ici un graphique que nous utilisons chez WEDO lorsque nous favorisons le renforcement de capacités pour expliquer les écarts existant entre les femmes et les hommes et les effets du changement climatique sur les femmes. Pour prendre un exemple, dans de nombreux pays, les femmes produisent plus de 60 % des aliments et en cas de catastrophe naturelle, ces femmes sont les premières touchées. Les terres sont souvent endommagées pendant une certaine période et, dans le même temps, les femmes disposent rarement de titres de propriété sur ces terrains. C'est pourquoi, lorsque ces terres commencent à être réutilisées, il est possible qu'elles ne soient pas réallouées aux femmes qui avaient l'habitude de les cultiver pour produire de la nourriture à destination de leurs familles et de leurs communautés.
C'est là un exemple parmi d'autres. Mais je souhaitais surtout insister sur le fait que les solutions existent et que les femmes portent un ensemble de solutions non seulement ici même à la COP, mais aussi dans des communautés de par le monde, sans que cela soit forcément lié à la CCNUCC. Ces propositions visent parfois à répondre à des catastrophes et aux effets d'un changement climatique qu'elles ressentent sans même le nommer explicitement. D'autres fois, les femmes sont très proactives : comprenant la menace que cela représente pour leur communauté, elles décident de réagir pour prévenir le désastre. Les femmes sont capables d'anticiper les changements et d'inventer des solutions. J'en donnerai tout à l'heure quelques exemples.
Mais je voudrais redire que, si ces solutions sont mises en oeuvre sur le terrain, il importe, dans le même temps, que Mme Usha Nair, que Mme Hindou Oumarou Ibrahim et que d'autres collègues militantes soient présentes au Bourget pour plaider – cela est absolument capital – en faveur de l'instauration d'un cadre législatif nous permettant de nous adresser à nos représentants nationaux et de leur rappeler leurs obligations en vue de mettre en acte les engagements pris par les pays signataires. Il est capital de développer des stratégies au sein même de la COP21 mais aussi de mener un travail de terrain, et que des personnes assurent le lien entre les deux.
En juin, lors d'un événement parallèle, des projets en cours ont été présentés. Mais dans le même temps ont été reconnus certains manques à pallier pour rendre ces projets plus efficaces. Après le passage du typhon Haiyan aux Philippines, par exemple, la résilience des femmes fut évidente et elles ont constitué un mouvement puissant face à cette catastrophe. Mais elles se sont rendu compte qu'elles avaient besoin de voir renforcée leur capacité à réduire les risques de catastrophe liés au changement climatique. Au Nigeria, certaines de mes collègues travaillent sur des projets visant à adapter et à améliorer l'accès des femmes à l'énergie mais cela nécessite aussi de pouvoir accéder à un financement suffisant pour soutenir les femmes et garantir que leur savoir traditionnel soit mis à profit. En Amazonie, dans le cadre de projets d'atténuation des risques, on a également recours à des femmes indigènes en raison de leurs connaissances et techniques traditionnelles. Mais nous devons poursuivre nos efforts pour garantir leur participation à la mise en oeuvre de ces solutions afin qu'il ne s'agisse pas simplement de projets menés par des femmes indigènes mais bien de solutions décidées au niveau national et appliquées à l'échelon local, impliquant ces femmes afin qu'elles mettent ces connaissances sur le devant de la scène.
Dans les pays développés, les femmes mènent un mouvement anti-nucléaire car elles ont compris l'importance du danger que représentent certaines technologies trop risquées bien qu'elles soient parfois présentées comme des solutions au changement climatique et à la crise des énergies fossiles.
Dans l'espace public, et plus précisément au sein des espaces Génération climat, nous avons présenté les résultats d'un concours intitulé Gender just solutions dont les gagnants sont originaires du monde entier. L'une des solutions ayant été retenue au terme de la compétition vise à la formation des femmes des Îles Marshall pour qu'elles puissent installer des réfrigérateurs solaires photovoltaïques. D'autres solutions visent à la prise en compte de la question du genre dans les politiques nationales dédiées au changement climatique. Il y a donc des projets aussi bien techniques que non techniques, certains d'entre eux étant même « transformateurs » au sens où ils visent à faire évoluer certaines structures.
Ces solutions vont de pair avec une campagne très importante qui est menée en ce moment même : the Women's Global Call for Climate Justice. Vous pourrez, sur le site internet de cette campagne, découvrir les actions que mènent des femmes du monde entier pour faire face au changement climatique et en appeler à leurs gouvernants. Sont présentés sur le site les effets négatifs du changement climatique de même que les solutions proposées.
Mme Usha Nair vous a présenté les Women's Key Demands de la Women and Gender Constituency. Il est donc inutile que je les répète. Mais il importe que vous compreniez ce que nous faisons au Bourget. Je souhaiterais souligner quelles sont les demandes les plus importantes pour les pays développés, du point de vue d'une organisation basée aux États-Unis telle que WEDO. L'une de ces exigences est la suivante : nous ne voulons pas d'un objectif d'émissions nulles car cela fournirait l'opportunité de proposer des solutions technologiquement risquées ou qui supposent d'utiliser la terre à des fins de production de biomasse à grande échelle. Or, cela se traduit souvent par des expropriations qui, comme nous le savons, affectent plus souvent les femmes que les hommes. Ces demandes concernent donc la sécurité alimentaire, les droits des femmes et la production agricole.
Nous nous prononçons aussi en faveur de technologies plus sûres pour les humains et l'environnement, accessibles à tous et sensibles au genre. Nous pensons qu'il est très important que les pays développés prennent leur juste part des réductions d'émissions : il faut retenir des principes d'équité et de responsabilités communes mais différenciées. Les pays développés doivent revoir quelques-unes de leurs contributions pour essayer de combler cet écart d'émissions dont vous avez dû entendre parler.
Venons-en aux financements qui sont d'une importance vitale. Les 100 milliards de dollars sont un montant minimum plutôt qu'un maximum, qui doit être revu à la hausse au moins tous les cinq ans, et utilisé de manière égale entre atténuation et adaptation. Nous devons aussi étudier la manière dont le financement du changement climatique peut affecter les femmes.
Le Fonds vert pour le climat (FVC) est un instrument extraordinaire, le premier à avoir une politique intégrée d'égalité entre les femmes et les hommes. Nous devons examiner la façon dont les projets répondent à cette préoccupation du genre, et les résultats actuels sont un peu mitigés. À cet égard, les législateurs nationaux peuvent jouer un rôle important. Dans les pays où elle opère, l'Agence française de développement (AFD) peut ainsi s'assurer que les groupes locaux de femmes participent aux projets, ce qui aura un effet de structuration et de renforcement de leur rôle. Ces groupes peuvent ne pas être totalement opérationnels dès à présent, mais le fait de participer à un projet les aidera à développer leurs compétences.
Rappelons l'existence d'un horizon plus vaste : en septembre dernier, à New York, l'ONU a adopté un programme de développement durable qui prévoit 17 objectifs et 169 cibles à atteindre en 2030. L'égalité des sexes est le cinquième objectif ; la lutte contre les changements climatiques est le treizième. Nous devons veiller à la manière dont nos gouvernements vont respecter les engagements qu'ils ont pris. Nous devons aussi nous intéresser à la manière dont la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) s'intègre dans ce programme plus large. Les deux programmes ne peuvent être envisagés séparément parce que le climat est lié au développement et aux droits de l'homme.
Nous faisons partie du Groupe majeur femmes (WMG – Women's Major Group) qui joue un rôle déterminant. Pour terminer, je voudrais dire que nous avons besoin de changements profonds et que nous devons soutenir ceux qui les provoqueront. (Applaudissements.)