Intervention de Hindou Oumarou Ibrahim

Réunion du 1er décembre 2015 à 17h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Hindou Oumarou Ibrahim, coordinatrice de l'Association des femmes peules et autochtones du Tchad, AFPAT :

Que puis-je ajouter ? Si la femme est contrainte d'apprendre à nager pour survivre, elle doit aussi faire avec le soleil. La hausse minime des températures à l'échelle de la planète, nous la ressentons vraiment beaucoup au Tchad : cet été, le thermomètre est monté à cinquante-deux degrés. Imaginez une femme qui doit aller chercher de la nourriture pour sa famille par une telle chaleur.

Je viens d'une communauté d'éleveurs nomades du Tchad, les Peuls Bororos, où les différences entre les femmes et les hommes sont vraiment considérables. Les femmes subissent donc les conséquences du changement climatique d'une manière très différente des hommes. Elles vivent en harmonie avec l'environnement. Quand il y a de l'eau et des pâturages, le bétail se porte bien, donne beaucoup de lait. Tout va bien. La communauté mange bien, peut vendre des produits et gagner un peu d'argent.

Le réchauffement climatique change tout. Chez les Bororos, les femmes s'occupent de l'approvisionnement en eau et en nourriture. Comme vient de le dire notre soeur de l'Inde, les femmes doivent maintenant se lever très tôt et redoubler d'énergie. Elles doivent aller très loin dans la brousse pour chercher du bois, des feuilles et des fruits, afin de nourrir leur famille. Pour compléter l'alimentation de la communauté, elles doivent aussi aller faire d'autres travaux avec les femmes sédentaires. Auparavant, elles pouvaient consacrer ce temps à l'éducation de leurs enfants.

Ces transformations de vie affectent aussi les hommes, les chefs de famille, qui s'occupent traditionnellement du bétail. Pendant les saisons sèches, qui durent beaucoup plus longtemps qu'auparavant, ils doivent aller travailler dans d'autres villes pour pouvoir envoyer de l'argent à la maison. Les femmes restent seules avec les enfants et les personnes âgées et elles deviennent doublement vulnérables : elles doivent prendre soin et assurer la sécurité de la famille, jouant à la fois le rôle de l'homme et de la femme.

Cette double charge n'est pas reconnue, ce qui fait vraiment très mal. Au niveau local, seul les hommes sont consultés sur les décisions à prendre. Or, le changement climatique affecte l'environnement, c'est-à-dire l'homme et la femme : nous buvons la même eau, nous respirons le même air. Nous devons chercher les solutions ensemble. Comme l'a bien souligné Eleanor Blomstrom, les femmes sont attentives aux détails qui sont si importants quand il s'agit de trouver de bonnes solutions aux changements climatiques. Les hommes s'intéressent aux grands repères tels que la création de fonds, par exemple, mais ils omettent souvent de s'interroger sur la manière dont ces mesures peuvent atteindre les populations les plus vulnérables et atténuer leurs souffrances. Les femmes, qui vont chercher les feuilles, maîtrisent beaucoup mieux cet environnement et elles pensent à des solutions rapides qui vont améliorer leur quotidien et atténuer leurs souffrances.

Au niveau national, quand il s'agit d'associer les femmes aux prises de décisions, on nous parle de quotas. Dans chaque projet, l'ONU demande d'intégrer 50 % de femmes. Comme les femmes sont plus nombreuses, elles restent moins représentées. Qui a défini les pourcentages pour les hommes qui, eux, déterminent les quotas de femmes ? Il ne s'agit pas seulement de compter les sièges et de viser la parité mais il faut aussi attribuer des postes de décision aux femmes et pas seulement dans des domaines qui ne concernent qu'elles. Quand on parle de Fonds vert, de fonds d'adaptation ou de barrages, les femmes sont tout autant concernées que les hommes. Ces mesures vont même affecter davantage la vie des femmes que celle des hommes. Si leur avis n'est pas pris en compte dès le début, comment les décisions auraient-elles un impact sur leur vie par la suite ?

Nous participons aux négociations internationales dans le WMG. Y a-t-il un Groupe majeur hommes ? Les hommes négocient ; pour les femmes, on a créé le WMG au sein des groupes de la société civile. Pour ma part, je ne vois pas les choses de cette manière. Dans chaque délégation nationale, il devrait y avoir des femmes en tant qu'expertes chargées de proposer des solutions. Or, si vous prenez la liste des Nations unies où figurent les points focaux des 196 pays, vous ne trouverez pas 30 % de femmes. Leurs diplômes et leurs capacités devraient pourtant leur permettre de participer aux négociations et d'influer sur les décisions.

Comme l'a indiqué Madame la députée, les passages sur l'égalité des sexes sont mis entre crochets dans tous les textes des négociations. Ces documents reconnaissent l'importance à accorder aux femmes et aux questions de genre. Mais nous voulons que les droits des femmes soient reconnus dans les textes sur l'adaptation, l'atténuation et les transferts de technologie. Nous avons des connaissances traditionnelles à transmettre dans tous ces domaines. C'est de cette manière que les femmes vont sauver le monde, elles qui se soucient des générations futures. Qu'ils nous donnent nos responsabilités et ils verront comment nous ferons la différence pour sauver ce monde ! (Applaudissements.)

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