Intervention de Daniel Fasquelle

Réunion du 16 décembre 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Fasquelle, rapporteur :

Le rapport d'application constate que les textes réglementaires et les circulaires nécessaires à la mise en oeuvre de la loi ont été pris dans les temps et même, pour les principales dispositions de la loi, avec une certaine célérité par le Gouvernement. Il regrette néanmoins l'absence de la remise d'une étude par le Gouvernement au Parlement sur la coopération régionale, et le fait qu'un certain nombre d'ordonnances prévues dans le second chapitre de la LREOM n'ont pas été prises ou ont été publiées et ratifiées avec retard.

Plus largement, le rapport s'attache à mesurer précisément l'impact des dispositions de la loi, sous quatre angles principaux.

En premier lieu, le rapport s'intéresse aux données socio-économiques qui avaient présidé à l'élaboration de la loi de 2012, c'est-à-dire la « vie chère »

Il est établi que l'inflation a été maîtrisée dans les départements d'outre-mer depuis 2012. Entre janvier 2010 et avril 2015, le différentiel d'inflation entre la métropole et les cinq départements d'outre-mer est inférieur à un point, sauf pour la Guyane où l'inflation demeure plus faible. Les taux d'inflation annuels pour ces départements convergent donc avec celui de la métropole, qui s'élève à 1,4 %.

Cette faiblesse de l'inflation est imputable en grande partie à des facteurs internationaux liés à la baisse des cours du pétrole et des matières premières, et nationaux, du fait de la prépondérance des échanges avec la France hexagonale, où l'inflation est faible. Toutefois, comme l'a souligné une note récente de l'Institut d'émission d'outre-mer, cette faible inflation s'explique également par la mise en oeuvre des outils créés par la LREOM.

Il convient néanmoins de souligner que l'inflation reste encore aujourd'hui principalement tirée par les prix de l'alimentation. En 2013 et 2014, alors que les prix alimentaires étaient en baisse en métropole, ils continuaient d'augmenter dans les outre-mer. Les prix alimentaires sont ainsi plus élevés d'environ 40 % en Guyane et de 22 % en Guadeloupe par rapport à la métropole. En outre, malgré la hausse des budgets des ménages dans les outre-mer, les prix alimentaires conservent un poids constant dans ces mêmes budgets. Si des progrès importants ont donc été faits, le rapport fait le constat que la question de la « vie chère » demeure aujourd'hui prégnante en outre-mer.

En deuxième lieu, le rapport traite des dispositions « pro-concurrence » de la loi, toutes applicables depuis sa promulgation

Pour rappel, il s'agit principalement : de la possibilité de réglementer les marchés de gros sous certaines conditions (article 1er de la LREOM) ; de l'interdiction des exclusivités d'importation non justifiées économiquement (article 5) ; de l'élargissement du pouvoir confié aux régions et collectivités d'outre-mer de saisir l'Autorité de la concurrence (article 8) ; et du renforcement du pouvoir d'injonction structurelle donné à l'Autorité (article 10).

La possibilité donnée au Gouvernement de réglementer les secteurs pour lesquels les conditions d'approvisionnement ou les structures de marché limitent le libre jeu de la concurrence, afin de remédier à leurs dysfonctionnements, a été mise en oeuvre par le Gouvernement dans le secteur des carburants via trois décrets du 27 décembre 2013. Ces décrets, qui concernent les cinq départements d'outre-mer, ont toutefois eu plus de conséquences sur la rémunération des sociétés pétrolières en situation de monopole, que ce soit en matière de raffinage etou de stockage, que sur la facilitation de l'accès au marché. Cet état de fait plaide pour que les modalités mises en oeuvre pour favoriser l'accès aux facilités essentielles exploitées par ces sociétés pétrolières fassent l'objet d'une évaluation.

Plus globalement, il convient sans doute d'aller plus loin dans l'utilisation de ce pouvoir par le Gouvernement, par exemple en ce qui concerne le marché des matériaux de construction. En effet, ce dernier secteur connaît des situations de monopoles d'importations et de positions dominantes chez les distributeurs locaux de matériaux, ayant pour conséquence des surcoûts élevés.

L'interdiction, applicable aux seuls territoires ultramarins, des accords ou pratiques concertées accordant des droits exclusifs d'importation à une ou plusieurs entreprises, lorsque cela n'est pas justifié par l'intérêt des consommateurs (article 5 de la LREOM), démontre aujourd'hui son utilité. L'objet de cette disposition était notamment de trouver une solution à la question que pose le rôle central des importateurs-grossistes au sein des circuits d'approvisionnement des outre-mer. Ce modèle économique, qui coûte par nature plus cher que les circuits « courts » ou « intégrés », se justifie dans les outre-mer en raison de la difficulté à atteindre une masse critique de consommateurs. Toutefois, le problème repose non pas sur l'existence des importateurs-grossistes mais bien sur l'absence de concurrence entre eux, qui était directement liée aux accords d'exclusivité accordés par certaines entreprises, aujourd'hui interdits.

Sur la base de cette interdiction, l'Autorité de la concurrence enregistre ses premiers résultats ; par une décision du 10 septembre 2015, l'Autorité a en effet constaté, dans le cadre d'une procédure de négociation, que quatre industriels du secteur de la distribution des produits de grande consommation outre-mer (Bolton Solitaire SA, Danone SA, Johnson & Johnson Santé-Beauté France et Pernod-Ricard) se sont engagés à conclure des accords de distribution non exclusifs avec les grossistes importateurs. Ils ont même souhaité aller au-delà de leurs obligations légales en proposant de sélectionner périodiquement leurs grossistes non exclusifs à partir de procédures d'appel d'offres ou de mise en concurrence transparentes et non discriminatoires. L'Autorité a considéré que ces engagements répondaient à ses préoccupations de concurrence et les a acceptés et rendus obligatoires. Cette décision constitue une preuve de l'utilité et de l'efficacité de la création de cette nouvelle infraction. Si cette disposition ne donne pas lieu, pour l'instant, à des condamnations, cela ne signifie pas qu'elle est inefficace. Bien au contraire, le fait qu'elle donne lieu à des engagements volontaires, qui vont au-delà des obligations légales et qui ont été rendus obligatoires par l'Autorité, témoigne à la fois du caractère dissuasif du dispositif et de la démarche pragmatique qui a inspiré cette loi. L'objectif est bel et bien de renforcer, à long terme et si possible via une négociation, la concurrence et non de punir les acteurs économiques.

Il s'agit donc là d'une source de satisfaction, d'autant plus que l'Autorité a indiqué qu'elle poursuivait l'instruction de pratiques similaires mises en oeuvre par d'autres entreprises dans le secteur des biens de grande consommation.

Par ailleurs, la loi a procédé à un renforcement des pouvoirs de l'Autorité de la concurrence. Cependant, le rapport relève ici peu de retombées concrètes de ces dispositions.

L'élargissement du pouvoir de saisir l'Autorité de la concurrence confié aux régions et collectivités d'outre-mer (article 8 de la LREOM) et aux commissions locales d'aménagement commercial (article 12) n'est pas pleinement mobilisé par les acteurs concernés. L'Autorité n'a en effet été saisie qu'une seule fois sur ce dernier fondement, ce qui plaide pour faciliter la saisine de l'Autorité et pour renforcer la prise en compte de ses avis.

Par ailleurs, le renforcement du pouvoir d'injonction structurelle donné à l'Autorité de la concurrence (article 10) n'a, quant à lui, pas été mis en oeuvre jusqu'ici. Cependant, il convient de souligner que cette disposition avait pour but d'être « dissuasive » plutôt que « répressive ».

Au final, nous considérons que si, à ce stade, l'effectivité des mesures « pro-concurrence » n'est pas toujours aussi grande qu'espéré au départ, il convient de prendre en compte l'horizon temporel dans lequel s'inscrivent ces mesures. Ces dispositions, qui visent à intensifier la concurrence à long terme ne peuvent produire, par nature, leurs résultats qu'à moyen et long termes.

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