Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, monsieur le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, chers collègues, lors de la Conférence environnementale de novembre 2014, le Président François Hollande déclarait : « le XXIe siècle doit être le siècle de l’hygiène chimique ». Je suis heureux que nous soyons réunis aujourd’hui pour répondre à ce mot d’ordre.
En France, comme dans le reste du monde, de nombreuses maladies non transmissibles – cancers, maladies cardio-vasculaires, respiratoires ou neurologiques, obésité, diabète, troubles de la reproduction – menacent nos populations et la pérennité de nos systèmes de santé. Les chiffres de l’assurance maladie sont têtus : songez que, si le taux de maladies chroniques était le même qu’il y a quinze ans, le déficit de l’assurance maladie serait nul.
La vision classique selon laquelle ces maladies augmenteraient du fait du vieillissement de la population, de la sédentarité, des progrès du dépistage ou des seules conséquences du tabagisme et de l’alcool, apparaît de moins en moins pertinente. Tous les éléments sont en nos mains pour comprendre que la diminution de l’espérance de vie en bonne santé – je dis bien « en bonne santé » – de nos populations est l’indicateur d’une mauvaise qualité de notre environnement, et que toute dégradation de notre environnement a une incidence sur notre santé.
La proposition de loi que nous examinons apporte une partie de réponse, certes modeste, à cette épidémie de maladies chroniques reconnue par l’Organisation mondiale de la santé, en agissant à la source des pollutions causées par les substances toxiques. Substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques – CMR –, perturbateurs endocriniens, polluants volatils, métaux lourds, nanomatériaux, additifs alimentaires sont autant de substances auxquelles nous sommes exposés quotidiennement et tout au long de la vie.
Nous devons par ailleurs partager le constat selon lequel le temps de la chimie ne sera jamais celui de la réglementation. Dans le monde, 100 millions de substances chimiques sont répertoriées ; il s’en invente 10 000 par jour, alors qu’officiellement, 143 000 sont en circulation dans l’Union européenne. Or le règlement concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances, dit REACH, n’en cible que 30 000.
Certes, à l’échelon européen, REACH a constitué une avancée juridique majeure : pour la première fois, des obligations ont renversé la charge de la preuve des autorités publiques vers l’industrie. Ce règlement, qui est une source d’inspiration pour plusieurs pays dans le monde, ne protège cependant pas efficacement nos populations. Ce fut d’ailleurs l’objet d’un long débat lors de son élaboration : le règlement REACH est fondé sur un principe de gestion, et non de substitution.
Ainsi, en dehors de trente substances qui sont aujourd’hui « soumises à autorisation », rien n’oblige ni même n’incite les industriels à substituer une substance reconnue toxique au-delà d’un certain seuil, même si celle-ci est classée CMR. Cette logique est inadaptée au nouveau paradigme toxicologique qui s’impose, en particulier avec les perturbateurs endocriniens : les effets sur la santé sont plus nocifs à faible dose qu’à forte dose. Lorsque les substances interagissent entre elles par un effet cocktail, les règles de la toxicologie classique ne suffisent plus.
Selon l’Agence européenne des produits chimiques, faute de moyens, seuls 5 % des dossiers sont effectivement contrôlés et 60 % des dossiers sont incomplets. Ce constat est notamment partagé par les gouvernements des pays scandinaves, qui, en mars 2015, ont appelé la Commission européenne à mettre en place des réponses complémentaires à REACH.
À ceux qui considèrent que la France doit attendre un battement de cil de la Commission européenne pour agir à l’échelon national, a fortiori en matière de santé publique, je veux dire ceci : cette posture désespère les populations, qui, comme nous avons pu le voir récemment, l’expriment dans les urnes.
Le 16 décembre, la Cour européenne de justice a rendu son jugement sur la plainte déposée par la Suède contre la Commission européenne pour n’avoir pas établi, comme elle s’y était engagée, une définition des perturbateurs endocriniens, en décembre 2013.
Dans une liste qui sert de référence à la Commission européenne, l’ONG ChemSec évalue à 830 les substances hautement préoccupantes selon les critères du règlement REACH mais non ciblées par ce règlement : au rythme de REACH – trente substances « soumises à autorisation » depuis 2007 –, il faudrait 100 ans pour inciter les industriels à substituer ces substances.
Je vous propose donc aujourd’hui d’examiner un dispositif, qui n’est pas contradictoire avec REACH, mais lui est complémentaire. Il vise à intégrer le principe de substitution dans le cadre réglementaire national, tout en respectant les contraintes imposées par le droit européen. Ce principe peut être défini comme « le remplacement des substances dangereuses par des alternatives sans danger, quand de telles alternatives existent, à un coût économique raisonnable ».
Pour certaines entreprises, cette substitution constitue déjà un objectif à atteindre. Néanmoins, toutes les études démontrent l’insuffisance des approches volontaires, tant sur l’étendue de la démarche que d’un point de vue économique. Les interventions du législateur sont donc particulièrement indiquées pour favoriser l’innovation dans le secteur de la chimie, qui est sujet à une grande inertie du fait de fortes économies d’échelle et à des lacunes dans l’information des consommateurs.
L’innovation est d’autant plus nécessaire que l’industrie chimique est confrontée à la pression croissante des consommateurs, des détaillants et des investisseurs, qui exigent des produits plus sûrs. Un climat anxiogène, parfois irrationnel, dicté par la rumeur, fragilise l’industrie. Dans le même temps, les économies émergentes se positionnent pour devenir des leaders de la chimie innovante.
Enfin, les entreprises qui adoptent des pratiques exemplaires peinent à faire valoir leurs efforts et à y trouver un avantage compétitif. C’est pourtant en incitant les entreprises au mieux- disant qualitatif d’un point de vue sanitaire et environnemental face aux autres pays de l’Union européenne ou à la Chine, qu’on répondra à la préoccupation principale des Français, le développement économique et la lutte contre le chômage. Au vu de ce contexte, le moment est opportun pour imaginer une stratégie de substitution des substances chimiques préoccupantes et remettre la chimie au service du bien-être de nos populations.
Je tiens, à ce stade, à préciser la méthode qui a guidé la rédaction de cette proposition de loi : nous avons mené de nombreuses auditions, notamment des acteurs industriels, des agences, des distributeurs, des cabinets de consulting ou des ONG concernées par cette question.
S’agissant du dispositif prévu par la loi, le travail en commission a permis d’identifier les points de blocage et les possibilités d’enrichir le texte conformément à son esprit positif. Il ne s’agit pas, en effet, de créer des règlements ou des contraintes supplémentaires, mais d’inciter les entreprises de façon positive. Les amendements que nous introduisons en séance répondent à ces interrogations. Je salue à ce titre le travail de compromis réalisé avec les représentants du ministère de l’écologie, ainsi qu’avec le chef de file du groupe socialiste, républicain et citoyen, M. Caullet, et le président de la commission du développement durable.
Le dispositif, tel qu’il serait amendé, reconnaît dans son article 1er un devoir de recensement des substances chimiques préoccupantes sur la base d’une liste publiée par le Gouvernement. Après les débats, nous avons écarté la charge que représentait pour les entreprises l’obligation d’un audit externe : celui-ci sera donc facultatif, mais encadré par l’Institut national de l’environnement industriel et du risque scientifique – INERIS. La déclaration, obligatoire, pourra être menée à l’intérieur de l’entreprise.
Le pari central du dispositif est qu’un processus de recensement est nécessaire pour faire découvrir aux entreprises des possibilités de substitution ou d’usage différent, et les inciter à les adopter.