Cette commission d’enquête, que nous réclamions déjà du temps d’Arcelor, avait été initiée suite à l’arrêt temporaire de la filière liquide de Florange, et a confirmé un recul alarmant des capacités de production dans la filière acier, pourtant unanimement considérée comme stratégique pour l’ensemble de notre industrie.
Son rapport et ses conclusions, salués par la CGT – tout comme les conclusions du rapport Faure de 2012 – identifiaient comme première urgence la sécurisation de nos capacités de production.
Quel constat tirons-nous aujourd’hui, deux ans et demi plus tard ?
ArcelorMittal poursuit sa stratégie de l’offre. Ayant réduit fortement ses capacités sidérurgiques et cherchant une rentabilité à deux chiffres, le groupe se focalise de plus en plus sur les aciers à très haute valeur ajoutée – l’automobile, notamment – au détriment des marchés du BTP, de la construction, de l’énergie, des transports…
L’avenir de plusieurs sociétés du groupe, telles Solustil – qui travaille particulièrement pour le BTP, le ferroviaire, l’aéronautique –, Industeel – pour le nucléaire ou la mécanique – ou Wire – pour la tréfilerie – est très incertain.
L’emploi diminue sensiblement, de même que les investissements. Le budget recherche et développement est toujours le dernier de la classe par rapport à la concurrence, et de sérieuses dérives impactent le fonctionnement quotidien de sites prétendument confortés comme Dunkerque, Florange ou Basse-Indre depuis l’opération de 2012 avec le Gouvernement.
Ce poumon qu’est le site dunkerquois ne parvient pas à assumer seul la production demandée pour Liège, Florange et tout l’aval en France, y compris en raison de problèmes liés à la fiabilité des outils. Dans certains de nos sites, des lignes de production aval sont ainsi mises en arrêt, de temps à autre, pour « manque métal ».
Le redémarrage de la filière liquide à Florange – temporairement arrêtée, rappelons-le – est donc toujours d’actualité pour nous.
Preuve tragique d’une dérégulation des organisations de travail liée à l’instauration d’un volant important de travailleurs précaires et d’une pression énorme sur les sous-traitants, trois accidents mortels sont survenus en huit mois, entre septembre 2014 et juillet 2015, sur le seul site de Dunkerque, et un autre à Fos-sur-Mer.
Cette dérégulation du travail est également toujours d’actualité dans l’aluminium, par exemple au sein du groupe Constellium – nous l’avions déjà souligné à l’époque.
Que penser, par ailleurs, de la « marque d’intérêt » de Mittal – comme on dit aujourd’hui – pour le site de Tarente, en Italie, alors que le groupe dit ne pas avoir le sou pour les investissements, les embauches et les salaires en France ?
Je tiens à souligner avec gravité le fait que cette opération, si elle se faisait, hypothéquerait gravement l’avenir à moyen terme du site de Fos-sur-Mer. Comment le Gouvernement voit-il les choses ?
Ascometal, mis en faillite par le fond de pension Apollo qui, soit dit en passant, opère toujours au sein de notre industrie, est devenu Asco Industries au début de 2014 suite à la reprise par l’offre française Supplisson, encouragée à l’époque par le Gouvernement.
Les engagements pris ont été violés : fermeture du site du Cheylas, vente des centrales hydroélectriques, défaut d’investissement et de renouvellement des compétences.
Vallourec se restructure et met en péril son activité en France. Il s’agit non seulement de l’avenir de son aciérie de Saint-Saulve, mais aussi de celui de ses tuberies et du maintien des compétences, alors qu’un nouveau plan social a été engagé à peine le précédent terminé.
Vous le savez, les salariés développent la piste d’une diversification des produits en complément du marché pétrolier, moyennant une adaptation de l’outil de production.
Si Asco Industries, qui est sur le coup, reprenait cette aciérie, quid de l’avenir de ses propres aciéries, notamment celle de l’usine des Dunes dans le Dunkerquois, voire celle d’Hagondange ? Je rappelle que nous parlons ici d’aciers spéciaux et d’aciers haut de gamme !
Nos entités du groupe Akers sont également menacées suite au rachat d’Akers AB par Union Electric, lequel a exclu de l’opération les sites français de Thionville et Berlaimont, ainsi que celui de Liège, alors qu’ils sont essentiels à la filière, puisqu’ils alimentent en cylindres les usines d’ArcelorMittal ou de ThyssenKrupp. Ils ont été placés en redressement judiciaire au début du mois de décembre.
Rappelons ici aussi qu’Akers s’est vu siphonner par un fonds de pension dénommé Altor II, au détriment des investissements.
Quel avenir à court, moyen et long terme pour le site d’Hayange suite au désengagement de Tata Steel sur les produits longs, sachant que ce site est le seul capable de fournir les rails de grandes longueurs dont nous avons besoin pour rénover notre réseau ferré et qu’il est actuellement alimenté en matière première par l’Angleterre ?
La CGT a rencontré le cabinet de M. Macron jeudi dernier. Sur tous ces sujets brûlants et alarmants pour l’avenir des filières fonte et électrique, l’équipe du ministre nous a donné le sentiment d’être impuissante même si, nous le savons, elle intervient dans certains dossiers.
Pourtant, la sidérurgie a un avenir, y compris sur le plan environnemental : la filière électrique est au coeur de l’économie circulaire et la piste de l’hydrogène, portée par la CGT via le projet de reconversion de la raffinerie des Flandres dans le Dunkerquois, permettrait de réduire de 50 % les émissions de CO2 de nos hauts fourneaux, CO2 non seulement capté mais retraité pour produire du méthane.
Ce projet est validé par les chercheurs, pris au sérieux par les pouvoirs publics dunkerquois et reproductible dans le bassin de Fos. De surcroît, ces propositions cadrent parfaitement avec les objectifs de la COP21.
Pourtant, aucune réponse ne leur a été faite, ni par la direction de Mittal ni, je dois le dire, par la Fédération française de l’acier ni, enfin, par le Gouvernement.
Au-delà des risques encourus par ces restructurations, je voudrais aussi insister sur la question du savoir-faire et de l’attractivité de la filière, qui sont également au centre des enjeux et dont le rapport de la commission d’enquête propose une bonne analyse.
S’agissant du savoir-faire tout d’abord, nous opposons à la notion de compétitivité, rabâchée quasi quotidiennement par le patronat et le Gouvernement sous le prisme du prétendu « coût du travail », celles d’efficacité industrielle et de sens même du travail.
Comment peut-on être efficace lorsque le niveau d’investissement dans les capacités de production ou dans les compétences continue d’être déficient ?
Pour ne citer que le groupe Arcelor, l’effort de recherche et développement stagne au niveau ridicule de 0,35 % du chiffre d’affaires et les investissements sont à nouveau gelés alors que la fiabilité des outils les requiert. Nous constatons également la suppression d’environ un millier d’emplois supplémentaires depuis l’affaire Florange. Même les équipes commerciales sont déstabilisées !
S’agissant ensuite de l’attractivité de la filière, les salaires sont compressés – les négociations salariales n’ont de négociations que le nom – et le Groupement des entreprises sidérurgiques et métallurgiques, le GESIM, comme l’Union des industries et des métiers de la métallurgie, l’UIMM, prévoient actuellement de casser les repères salariaux d’accueil relatifs aux diplômes. Que dit le Gouvernement à ce propos ?
Vous le voyez, l’état d’urgence est toujours en vigueur dans la filière !
Peut-être entendrons-nous encore aujourd’hui que l’on ne peut pas faire grand-chose, que l’on ne peut s’ingérer dans les stratégies menées car il s’agit de groupes internationaux, etc…
Pourtant, exiger des engagements en contrepartie des aides publiques perçues, c’est possible ! Prendre part au capital de ces groupes, ne serait-ce que pour pouvoir interférer sur la stratégie, c’est possible !
Rappelons ici les pistes que nous avions développées en 2012, entre autres avec la Belgique et le Luxembourg. Je songe tout d’abord à une prise de participation conjointe des États européens dans le groupe Arcelor afin de disposer d’un droit d’ingérence public européen dans la stratégie.
Ne serait-ce pas plus efficace que cette enveloppe indécente de 40 milliards d’euros donnée au patronat dans un pacte dit « de responsabilité », avec un Gattaz qui nous rit au nez et pousse encore plus loin la provocation avec son « CDI agile » ?
Légiférer pour donner davantage de pouvoir aux organisations syndicales afin de contrer des stratégies allant à l’encontre de nos intérêts, c’est possible ! En effet, c’est ici aussi que l’on se dote d’un droit d’intervention des premiers intéressés – les salariés – dans la stratégie menée, et ceci de manière préventive !
C’est d’ailleurs la piste complémentaire que suggère la CGT dans la maîtrise publique des stratégies menées, à côté de prises de participation étatiques.
L’enjeu est bel et bien l’avenir de toute notre industrie, tant en ce qui concerne la disponibilité de l’acier qu’en ce qui concerne la maîtrise technologique.
Nous le savons tous ici, les besoins en acier – hors le secteur automobile – s’expriment aussi bien dans l’énergie – le nucléaire ou les énergies renouvelables –, que dans les transports – notamment le ferroviaire –, la construction, l’électroménager, l’emballage ou d’autres secteurs encore.
Nous le répétons avec les syndicats européens, comme cela a été dit : ces filières client sont impactées par les politiques d’austérité, qui entraînent une réduction de la commande publique et une insuffisance de pouvoir d’achat des populations.
Laisser dépecer la sidérurgie, c’est aussi prendre le risque de faire imploser économiquement et socialement des bassins d’emploi comme le Dunkerquois, le Valenciennois, la Moselle, le bassin de Fos-sur-Mer lorsqu’on prend en compte la sous-traitance et les effets induits à tous niveaux. Les parlementaires ici présents savent parfaitement ce que nous sous-entendons par là.
La grande mode, actuellement, c’est de parler d’industrie du futur, de numérisation, mais comme nous le disons chez nous, on ne peut pas envisager d’industrie du futur si on laisse détruire nos filières structurantes du présent dans le secteur de l’industrie.
Enfin, je voulais dire un mot concernant l’utilité des comités stratégiques de filière, les CSF.
Notre filière acier fait partie du CSF Industries extractives et de première transformation. Or, force est de constater que les débats sont fortement orientés : il y est davantage question de captage d’aides publiques supplémentaires et de simplification réglementaire que d’outils concrets pour pouvoir intervenir dans les stratégies menées.
Telle sera ma conclusion : oui, on ne peut pas se contenter de dire que nos filières sont stratégiques ; il faut agir ! Depuis la défaite sur la filière liquide de Florange, en 2012, nous n’avons pas assisté à la mise en place de vrais verrous pour contrer de nouvelles restructurations destructrices de capacités de productions et de compétences.
Il y a urgence à les mettre en place, tant sur le plan national que régional, car cela redonnerait du crédit à l’action politique auprès des salariés du secteur et des populations, alors que la désespérance progresse et entraîne des résultats alarmants dans les urnes, comme nous l’avons vu lors des dernières élections régionales.