Séance en hémicycle du 13 janvier 2016 à 21h30

Résumé de la séance

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La séance

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La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L’ordre du jour appelle le débat sur le rapport de la commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes, organisé à la demande du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde d’une durée d’une heure, en présence de personnalités invitées, puis nous procéderons, après une intervention liminaire du Gouvernement, à une séance de questions et de réponses, avec d’éventuelles répliques et contre-répliques.

Je vous rappelle que les interventions ne doivent pas dépasser deux minutes.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je me félicite que nous puissions débattre pendant deux heures d’un thème important pour l’avenir de l’économie et de l’industrie françaises.

Au nom de la commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes, qui a travaillé pendant six mois sous la présidence de mon ami et collègue Jean Grellier, j’ai remis en juillet 2013 un rapport intitulé « la sidérurgie et la métallurgie : un combat pour la souveraineté économique ». Nous y formulions vingt-six propositions.

Le groupe GDR a souhaité ce débat afin de faire un point d’étape, à la fois avec des experts – certains ont été entendus par la commission d’enquête – et avec le ministre, pour étudier l’évolution d’un sujet qui pose un vrai problème d’indépendance et d’avenir pour l’économie française et européenne.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La parole est à M. Gwenaël Le Dily, consultant en analyse stratégique et sectorielle pour le cabinet de conseil Alteva Ressources.

Debut de section - Permalien
Gwenaël le Dily, consultant en analyse stratégique et sectorielle pour le cabinet de conseil Alteva Ressources

Je vous remercie d’abord de m’avoir invité à poursuivre des débats qui ont commencé il y a à peu près deux ans, car le secteur de la sidérurgie est encore dans une phase de profonde mutation et les interrogations qu’il pouvait susciter à l’époque sont loin d’avoir trouvé une réponse.

De mon point de vue, le contexte mondial est toujours marqué par de grands déséquilibres, qui affectent l’Europe de manière significative, et ce pour trois raisons principales. Le secteur traverse une phase d’accroissement de ses capacités, notamment en Asie et tout particulièrement en Chine. Cela a des répercussions importantes sur l’activité en Europe, d’autant que ce secteur y souffre de sous-investissement depuis la crise de 2008, qui a été un facteur important des restructurations qu’il y a connues.

Aujourd’hui, ce ralentissement frappe même les économies émergentes – je pense aux fameux BRICS, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine ou l’Afrique du sud – à l’exception notable de l’Inde.

Deuxième point important, le contexte actuel est marqué par une très grande volatilité des cours des matières premières et des parités monétaires. Ces deux phénomènes, qui se nourrissent l’un l’autre, dans des proportions variables selon les zones géographiques concernées, ont un impact très important sur les différents acteurs.

Je conclurai sur ce que j’appellerai les « asymétries commerciales » et la tendance croissante au protectionnisme, à l’exception notable de l’Europe. Pourtant, certains précédents prouvent que de telles mesures peuvent avoir des effets positifs, en tout cas pour les acteurs européens.

L’accroissement des capacités de production à l’échelle mondiale manifeste la prééminence acquise par la Chine en l’espace de vingt ans. Alors qu’elle produisait 120 millions de tonnes d’acier au début des années 2000, elle en produit aujourd’hui 800 millions, soit six fois plus en quinze ans. Cela conduit indéniablement à un déséquilibre d’offre et de prix, à l’intérieur mais surtout à l’extérieur de la Chine : pour donner un ordre de grandeur, l’offre excède la demande intérieure d’environ 120 millions de tonnes, soit quasiment 80 % du marché européen et l’intégralité de la demande américaine.

Dans la phase actuelle de ralentissement de la croissance chinoise, qui est manifeste à l’échelle mondiale, le maintien des équilibres sociaux et industriels dans les différentes régions chinoises impose de continuer à produire, au détriment d’ailleurs de la qualité de l’économie de ce secteur, pour éviter des perturbations sociales qui risqueraient d’être importantes dans ce pays.

L’Europe n’est pas la seule à subir les répercussions de ces déséquilibres. La situation de ce secteur n’est pas brillante en Amérique du nord. Malgré la croissance retrouvée au États-Unis, la sidérurgie américaine ne va pas bien, et est elle aussi plutôt en décroissance. C’est vrai aussi en Amérique latine, notamment au Brésil, en Russie ou en Turquie.

Depuis la crise de 2008, l’Europe a fortement restructuré ses acteurs. Que ce soit Thyssen, ArcelorMittal, Ascometal, Vallourec, Tata Steel, le groupe Riva, tous ont connu des pertes d’emplois et de compétences, des mises à l’arrêt prolongées ou définitives de sites de production, dans une logique de réduction de l’offre visant à redémarrer sur des bases plus saines.

La difficulté, c’est que cela s’est aussi accompagné, entre 2008 et 2013, d’un gel des investissements des grands sidérurgistes, européens en particulier. De ce fait, l’investissement ne redémarre aujourd’hui que de manière graduelle, ce qui se traduit par des capacités de production insuffisantes ou insuffisamment fiables.

À cela s’ajoute l’instauration en Europe de politiques d’austérité très marquées. Je ne reviendrai pas sur la crise grecque, mais cela a été le cas également au Portugal, en Italie, en Espagne, l’insuffisance d’investissements publics venant aggraver le défaut d’investissements privés.

Ces déséquilibres ont affecté les débouchés des sidérurgistes. Certes, l’industrie automobile, qui est l’un des points forts de la sidérurgie européenne, va beaucoup mieux, mais cela ne suffit pas. Cette industrie représente 30 à 40 % des débouchés du secteur, mais la construction, les infrastructures, le bâtiment, l’énergie sont aussi déterminants pour le développement des industriels français et européens.

La France continue à être confrontée au même problème de désindustrialisation qu’il y a trois ou quatre ans, du fait notamment de la délocalisation de certaines zones de production vers l’est de l’Europe, notamment dans l’industrie automobile.

La volatilité des monnaies et des cours des matières premières est le deuxième élément de contexte à prendre en considération. De ce point de vue, on a connu des phases assez différentes. De 2008 à 2013, le cours de l’euro était relativement élevé, notamment par rapport au dollar, au détriment de l’industrie européenne, pénalisée par des prix relativement élevés, notamment pour les acheteurs asiatiques ou d’Europe de l’est.

Aujourd’hui, on revient à une situation plus équilibrée du fait de la dépréciation de l’euro par rapport au dollar, mais celle-ci a été compensée, et même au-delà, par l’effondrement du rouble. La Russie restant un acteur important de ce secteur, cela provoque des flux d’importations en Europe, d’où de nouveaux déséquilibres. Or on sait qu’il est beaucoup plus difficile d’être compétitif sur des marchés de commodités que sur des productions haut de gamme, notamment dans l’industrie automobile.

On a assisté parallèlement à l’effondrement du prix des matières premières. Face à un tel phénomène, tous les acteurs sont égaux ; ils en bénéficient ou le subissent de la même façon, qu’ils soient ou non vertueux. Un prix du pétrole bas constitue un avantage compétitif pour les industries qui font preuve d’une moindre efficacité énergétique : les entreprises ne sont pas incitées à recycler les matières premières ou l’énergie ni à limiter leurs impacts sur l’environnement. La bataille est déplacée vers les coûts fixes, en l’espèce la main-d’oeuvre.

Cela se traduit par de graves difficultés pour les marchés européens, plus exposés aux importations – en Angleterre, on annonce depuis quelques mois la fermeture de sites de production très importants – mais aussi dans d’autres zones géographiques, comme la Turquie ou le Brésil.

Le yuan s’étant finalement moins déprécié face au dollar que l’euro, les importations massives de la Chine vers l’Europe sont nécessairement le fruit du dumping. Il est impossible que les producteurs chinois gagnent de l’argent sur les excédents du marché chinois déversés sur le marché européen : je pense même qu’ils perdent aujourd’hui entre 35 et 50 euros sur chaque tonne livrée en Europe.

Ce phénomène cause un grave préjudice aux entreprises européennes et conduit les acteurs européens à s’inquiéter de manière très directe. Ils ne sont pas les seuls : les acteurs asiatiques « classiques », comme le coréen POSCO ou les Japonais, considèrent que cette situation est intenable, en ce qu’elle pèse directement sur la trésorerie de groupes sidérurgiques qui peinent déjà à reconstituer leurs marges depuis 2008, et a fortiori à retrouver une situation financière saine. Il y a là de vrais enjeux pour la pérennité d’acteurs confrontés à ce type de problématique.

Je dirais pour conclure que la sidérurgie européenne est fragile. S’agissant d’une industrie en grande partie mondialisée, elle demeure sensible aux événements extérieurs, en dépit de lourdes restructurations – on en est à près de 40 000 emplois perdus depuis 2008 par l’ensemble de la sidérurgie européenne. Tous les pays sont concernés, sans exception, que ce soit l’Espagne, l’Italie, la Belgique, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Pologne, la Roumanie, et évidemment la France – tout le monde a en mémoire le sort de Florange, entre autres.

Tels sont les éléments, les « points de repère », que je voulais livrer à votre réflexion.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La parole est à M. Philippe Verbeke, représentant national du Syndicat CGT dans la métallurgie.

Debut de section - Permalien
Philippe Verbeke, représentant national du Syndicat CGT dans la métallurgie

Cette commission d’enquête, que nous réclamions déjà du temps d’Arcelor, avait été initiée suite à l’arrêt temporaire de la filière liquide de Florange, et a confirmé un recul alarmant des capacités de production dans la filière acier, pourtant unanimement considérée comme stratégique pour l’ensemble de notre industrie.

Son rapport et ses conclusions, salués par la CGT – tout comme les conclusions du rapport Faure de 2012 – identifiaient comme première urgence la sécurisation de nos capacités de production.

Quel constat tirons-nous aujourd’hui, deux ans et demi plus tard ?

ArcelorMittal poursuit sa stratégie de l’offre. Ayant réduit fortement ses capacités sidérurgiques et cherchant une rentabilité à deux chiffres, le groupe se focalise de plus en plus sur les aciers à très haute valeur ajoutée – l’automobile, notamment – au détriment des marchés du BTP, de la construction, de l’énergie, des transports…

L’avenir de plusieurs sociétés du groupe, telles Solustil – qui travaille particulièrement pour le BTP, le ferroviaire, l’aéronautique –, Industeel – pour le nucléaire ou la mécanique – ou Wire – pour la tréfilerie – est très incertain.

L’emploi diminue sensiblement, de même que les investissements. Le budget recherche et développement est toujours le dernier de la classe par rapport à la concurrence, et de sérieuses dérives impactent le fonctionnement quotidien de sites prétendument confortés comme Dunkerque, Florange ou Basse-Indre depuis l’opération de 2012 avec le Gouvernement.

Ce poumon qu’est le site dunkerquois ne parvient pas à assumer seul la production demandée pour Liège, Florange et tout l’aval en France, y compris en raison de problèmes liés à la fiabilité des outils. Dans certains de nos sites, des lignes de production aval sont ainsi mises en arrêt, de temps à autre, pour « manque métal ».

Le redémarrage de la filière liquide à Florange – temporairement arrêtée, rappelons-le – est donc toujours d’actualité pour nous.

Preuve tragique d’une dérégulation des organisations de travail liée à l’instauration d’un volant important de travailleurs précaires et d’une pression énorme sur les sous-traitants, trois accidents mortels sont survenus en huit mois, entre septembre 2014 et juillet 2015, sur le seul site de Dunkerque, et un autre à Fos-sur-Mer.

Cette dérégulation du travail est également toujours d’actualité dans l’aluminium, par exemple au sein du groupe Constellium – nous l’avions déjà souligné à l’époque.

Que penser, par ailleurs, de la « marque d’intérêt » de Mittal – comme on dit aujourd’hui – pour le site de Tarente, en Italie, alors que le groupe dit ne pas avoir le sou pour les investissements, les embauches et les salaires en France ?

Je tiens à souligner avec gravité le fait que cette opération, si elle se faisait, hypothéquerait gravement l’avenir à moyen terme du site de Fos-sur-Mer. Comment le Gouvernement voit-il les choses ?

Ascometal, mis en faillite par le fond de pension Apollo qui, soit dit en passant, opère toujours au sein de notre industrie, est devenu Asco Industries au début de 2014 suite à la reprise par l’offre française Supplisson, encouragée à l’époque par le Gouvernement.

Les engagements pris ont été violés : fermeture du site du Cheylas, vente des centrales hydroélectriques, défaut d’investissement et de renouvellement des compétences.

Vallourec se restructure et met en péril son activité en France. Il s’agit non seulement de l’avenir de son aciérie de Saint-Saulve, mais aussi de celui de ses tuberies et du maintien des compétences, alors qu’un nouveau plan social a été engagé à peine le précédent terminé.

Vous le savez, les salariés développent la piste d’une diversification des produits en complément du marché pétrolier, moyennant une adaptation de l’outil de production.

Si Asco Industries, qui est sur le coup, reprenait cette aciérie, quid de l’avenir de ses propres aciéries, notamment celle de l’usine des Dunes dans le Dunkerquois, voire celle d’Hagondange ? Je rappelle que nous parlons ici d’aciers spéciaux et d’aciers haut de gamme !

Nos entités du groupe Akers sont également menacées suite au rachat d’Akers AB par Union Electric, lequel a exclu de l’opération les sites français de Thionville et Berlaimont, ainsi que celui de Liège, alors qu’ils sont essentiels à la filière, puisqu’ils alimentent en cylindres les usines d’ArcelorMittal ou de ThyssenKrupp. Ils ont été placés en redressement judiciaire au début du mois de décembre.

Rappelons ici aussi qu’Akers s’est vu siphonner par un fonds de pension dénommé Altor II, au détriment des investissements.

Quel avenir à court, moyen et long terme pour le site d’Hayange suite au désengagement de Tata Steel sur les produits longs, sachant que ce site est le seul capable de fournir les rails de grandes longueurs dont nous avons besoin pour rénover notre réseau ferré et qu’il est actuellement alimenté en matière première par l’Angleterre ?

La CGT a rencontré le cabinet de M. Macron jeudi dernier. Sur tous ces sujets brûlants et alarmants pour l’avenir des filières fonte et électrique, l’équipe du ministre nous a donné le sentiment d’être impuissante même si, nous le savons, elle intervient dans certains dossiers.

Pourtant, la sidérurgie a un avenir, y compris sur le plan environnemental : la filière électrique est au coeur de l’économie circulaire et la piste de l’hydrogène, portée par la CGT via le projet de reconversion de la raffinerie des Flandres dans le Dunkerquois, permettrait de réduire de 50 % les émissions de CO2 de nos hauts fourneaux, CO2 non seulement capté mais retraité pour produire du méthane.

Ce projet est validé par les chercheurs, pris au sérieux par les pouvoirs publics dunkerquois et reproductible dans le bassin de Fos. De surcroît, ces propositions cadrent parfaitement avec les objectifs de la COP21.

Pourtant, aucune réponse ne leur a été faite, ni par la direction de Mittal ni, je dois le dire, par la Fédération française de l’acier ni, enfin, par le Gouvernement.

Au-delà des risques encourus par ces restructurations, je voudrais aussi insister sur la question du savoir-faire et de l’attractivité de la filière, qui sont également au centre des enjeux et dont le rapport de la commission d’enquête propose une bonne analyse.

S’agissant du savoir-faire tout d’abord, nous opposons à la notion de compétitivité, rabâchée quasi quotidiennement par le patronat et le Gouvernement sous le prisme du prétendu « coût du travail », celles d’efficacité industrielle et de sens même du travail.

Comment peut-on être efficace lorsque le niveau d’investissement dans les capacités de production ou dans les compétences continue d’être déficient ?

Pour ne citer que le groupe Arcelor, l’effort de recherche et développement stagne au niveau ridicule de 0,35 % du chiffre d’affaires et les investissements sont à nouveau gelés alors que la fiabilité des outils les requiert. Nous constatons également la suppression d’environ un millier d’emplois supplémentaires depuis l’affaire Florange. Même les équipes commerciales sont déstabilisées !

S’agissant ensuite de l’attractivité de la filière, les salaires sont compressés – les négociations salariales n’ont de négociations que le nom – et le Groupement des entreprises sidérurgiques et métallurgiques, le GESIM, comme l’Union des industries et des métiers de la métallurgie, l’UIMM, prévoient actuellement de casser les repères salariaux d’accueil relatifs aux diplômes. Que dit le Gouvernement à ce propos ?

Vous le voyez, l’état d’urgence est toujours en vigueur dans la filière !

Peut-être entendrons-nous encore aujourd’hui que l’on ne peut pas faire grand-chose, que l’on ne peut s’ingérer dans les stratégies menées car il s’agit de groupes internationaux, etc…

Pourtant, exiger des engagements en contrepartie des aides publiques perçues, c’est possible ! Prendre part au capital de ces groupes, ne serait-ce que pour pouvoir interférer sur la stratégie, c’est possible !

Rappelons ici les pistes que nous avions développées en 2012, entre autres avec la Belgique et le Luxembourg. Je songe tout d’abord à une prise de participation conjointe des États européens dans le groupe Arcelor afin de disposer d’un droit d’ingérence public européen dans la stratégie.

Ne serait-ce pas plus efficace que cette enveloppe indécente de 40 milliards d’euros donnée au patronat dans un pacte dit « de responsabilité », avec un Gattaz qui nous rit au nez et pousse encore plus loin la provocation avec son « CDI agile » ?

Légiférer pour donner davantage de pouvoir aux organisations syndicales afin de contrer des stratégies allant à l’encontre de nos intérêts, c’est possible ! En effet, c’est ici aussi que l’on se dote d’un droit d’intervention des premiers intéressés – les salariés – dans la stratégie menée, et ceci de manière préventive !

C’est d’ailleurs la piste complémentaire que suggère la CGT dans la maîtrise publique des stratégies menées, à côté de prises de participation étatiques.

L’enjeu est bel et bien l’avenir de toute notre industrie, tant en ce qui concerne la disponibilité de l’acier qu’en ce qui concerne la maîtrise technologique.

Nous le savons tous ici, les besoins en acier – hors le secteur automobile – s’expriment aussi bien dans l’énergie – le nucléaire ou les énergies renouvelables –, que dans les transports – notamment le ferroviaire –, la construction, l’électroménager, l’emballage ou d’autres secteurs encore.

Nous le répétons avec les syndicats européens, comme cela a été dit : ces filières client sont impactées par les politiques d’austérité, qui entraînent une réduction de la commande publique et une insuffisance de pouvoir d’achat des populations.

Laisser dépecer la sidérurgie, c’est aussi prendre le risque de faire imploser économiquement et socialement des bassins d’emploi comme le Dunkerquois, le Valenciennois, la Moselle, le bassin de Fos-sur-Mer lorsqu’on prend en compte la sous-traitance et les effets induits à tous niveaux. Les parlementaires ici présents savent parfaitement ce que nous sous-entendons par là.

La grande mode, actuellement, c’est de parler d’industrie du futur, de numérisation, mais comme nous le disons chez nous, on ne peut pas envisager d’industrie du futur si on laisse détruire nos filières structurantes du présent dans le secteur de l’industrie.

Enfin, je voulais dire un mot concernant l’utilité des comités stratégiques de filière, les CSF.

Notre filière acier fait partie du CSF Industries extractives et de première transformation. Or, force est de constater que les débats sont fortement orientés : il y est davantage question de captage d’aides publiques supplémentaires et de simplification réglementaire que d’outils concrets pour pouvoir intervenir dans les stratégies menées.

Telle sera ma conclusion : oui, on ne peut pas se contenter de dire que nos filières sont stratégiques ; il faut agir ! Depuis la défaite sur la filière liquide de Florange, en 2012, nous n’avons pas assisté à la mise en place de vrais verrous pour contrer de nouvelles restructurations destructrices de capacités de productions et de compétences.

Il y a urgence à les mettre en place, tant sur le plan national que régional, car cela redonnerait du crédit à l’action politique auprès des salariés du secteur et des populations, alors que la désespérance progresse et entraîne des résultats alarmants dans les urnes, comme nous l’avons vu lors des dernières élections régionales.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La parole est à M. Philippe Darmayan, président de la Fédération française de l’acier.

Debut de section - Permalien
Philippe Darmayan, président de la Fédération française de l’acier

C’est clair : nous ne laisserons pas dépecer l’industrie sidérurgique.

La situation que nous vivons aujourd’hui diffère de celle de 2013, où nous sortions d’une période de surcapacité européenne de production. Il s’agissait alors de rationaliser celle-ci, afin de mettre en place un instrument compétitif sur le plan mondial.

Depuis, ArcelorMittal a intégralement tenu ses engagements, comme le Président de la République l’a constaté à l’occasion des deux visites qu’il a effectuées à Florange.

Comme l’a dit M. Verbeke, nous avons ainsi développé une filière d’acier technologique, avec des aciers correspondant aux besoins des constructeurs automobiles, afin de réduire la production de gaz à effet de serre.

Nous avons également modernisé un haut-fourneau de Dunkerque, le second étant actuellement en réfection.

Enfin, nous avons lancé en début d’année des plans d’embauche afin de maintenir les qualifications.

Notre mission est de développer la sidérurgie française, qui représente 35 % de la production du groupe ArcelorMittal, la France étant un élément clé du groupe auquel M. Mittal, comme il vous l’a dit, attache une très grande importance.

Cela étant, la situation est aujourd’hui différente, puisque le problème de la surcapacité européenne a été résolu. Elle résulte de l’agressivité chinoise, comme cela a été rappelé par le premier intervenant.

Premier message que je tiens à faire passer : l’industrie sidérurgique est en effet aujourd’hui dans une situation critique en raison de l’agressivité des exportateurs chinois, de la baisse du prix des matières premières et de la crise pétrolière – je vais y revenir.

Deuxième message : l’approbation de la nouvelle directive ETS – le système européen d’échanges de quotas d’émissions de CO2 – en l’état constituerait un facteur défavorable pour la compétitivité de l’acier européen.

C’est un dossier qui alourdirait les problèmes du secteur de l’acier, qui n’en a pas besoin. Un plan de défense de l’industrie sidérurgique européenne est aujourd’hui nécessaire.

Pour revenir sur la question chinoise, le problème ne réside pas dans le marché européen. La consommation européenne est aujourd’hui en hausse, de 2 % par an, plus qu’en Chine, pour ce qui concerne l’acier. Grâce à un effet de change favorable, la consommation dans les secteurs de l’automobile et des industries mécaniques connaît une évolution positive. Le problème est que cette croissance n’a pas profité aux producteurs européens, car, dans le même temps, la Chine a vu sa croissance diminuer dans de grandes proportions ; alors qu’elle avait développé des capacités de production en prenant pour base une croissance de 10 %, elle connaît aujourd’hui des baisses de production de l’ordre de 3 %, ce qui lui laisse un volant de capacités disponibles très important. Or, la philosophie chinoise consiste à réaliser des volumes importants, qui doivent être exportés. Les chiffres ont été rappelés : la production chinoise s’élève à 800 millions de tonnes et ses surcapacités atteignent 300 millions de tonnes, alors que la production de l’Europe s’élève à 150 millions et celle des États-Unis à 120 millions de tonnes. La seule production chinoise représente ainsi plus du quintuple de la production européenne et américaine. Par ailleurs, les exportations chinoises s’élèvent à 110 millions de tonnes, soit à peu près ce que produisent les États-Unis.

La Chine exerce donc, à l’heure actuelle, un poids prépondérant sur l’ensemble du marché mondial de l’acier, ce qui a notamment pour conséquence une baisse des prix généralisée, qui a un impact sur l’ensemble des marchés que nous avons évoqués. Lorsque les prix baissent, les distributeurs d’acier souffrent, les producteurs de tubes également, en raison d’une dévalorisation des stocks et d’un appauvrissement de la chaîne de valeur, ce qui a des répercussions sur l’ensemble des secteurs. Cela vaut en premier lieu pour les laminés à chaud, le premier produit acier, pour lequel on constate, en Italie, des différences de 100 euros la tonne entre prix européens et chinois. Or, traditionnellement, les prix chinois sont inférieurs de 20 à 30 euros aux prix européens. On connaît donc actuellement des écarts nettement supérieurs. Le prix de référence de l’acier étant de 400 euros la tonne, une différence de 100 euros revêt une importance majeure. Si les usines focalisées sur les aciers techniques, comme à Dunkerque, ne sont pas encore touchées, les usines comme celles de Fos, qui délivrent du laminé à chaud sur l’ensemble du bassin européen, sont concernées au premier chef.

Les actions à mener maintenant n’ont rien à voir avec celles qui ont été entreprises avant 2013. Il convient aujourd’hui – et il y a urgence – de conduire une action de protection. Nous avons en effet prouvé, en ce qui concerne l’acier comme d’autres métaux qui s’échangent, que la Chine est en train de « dumper », c’est-à-dire de pratiquer des prix inférieurs aux prix de marché, et accorde des subventions. Nous avons donc enclenché un arsenal de plaintes anti-dumping. Le problème est que ces plaintes ne sont jamais élaborées avant six mois à un an. L’urgence consiste donc à convaincre l’Union européenne de mettre les bouchées doubles, d’actionner les procédures de sauvegarde, si les procédures anti-dumping sont trop lentes, et de faire en sorte que, pour l’ensemble des produits sidérurgiques – même si la crise concerne plutôt, en ce moment, les laminés à chaud –, l’Europe puisse, non pas être protégée, mais bénéficier de conditions commerciales normales de libre-échange.

Il est d’autant plus urgent de traiter ce dossier que, si on ne le fait pas, on devra résoudre un autre dossier du même type, à savoir le statut d’économie de marché de la Chine. L’Europe a négocié il y a plusieurs années le fait qu’en 2016, la Chine obtiendrait automatiquement le statut d’économie de marché. Si tel était le cas, les droits de douane que l’on impose aux Chinois en réaction à leur politique de dumping, au versement de subventions, seraient calculés sur la base d’un prix chinois et non d’un prix du marché de référence international. Il s’ensuit que l’ensemble de notre arsenal anti-dumping, destiné à nous protéger de cette surcapacité chinoise, deviendrait inopérant.

Il est donc urgent d’établir des protections produit par produit. Il ne l’est pas moins, pour les pays de l’Union européenne, de mener une action claire vis-à-vis de Bruxelles concernant le statut d’économie de marché, pour que l’Union refuse d’accorder à la Chine le statut d’économie de marché, comme les États-Unis vont le faire, ou assortisse celui-ci d’un certain nombre de conditions restrictives, notamment concernant la question technique du marché de référence sur la base duquel on calcule nos droits de douane. C’est fondamental. L’Europe a été active à l’égard d’un certain nombre de produits acier, aujourd’hui protégés, comme les aciers inox et les aciers peints. Si elle agit de la même façon sur ce dossier, nous aurons de quoi protéger le marché européen contre cette surcapacité chinoise. Le Gouvernement est tout à fait à notre écoute, nous soutient, mais cela ne dépend pas uniquement de lui ; Bruxelles a un rôle important en la matière. Une action importante de lobbying doit donc être menée à Bruxelles, au Parlement et au Conseil européens.

La vingt et unième conférence des parties à la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, la COP21, a été un succès mais a assigné – ce n’est pas là une critique – des objectifs différents aux pays européens par rapport à d’autres pays. On ne pouvait pas, de fait, freiner le développement d’un pays tel que l’Inde pour assurer le respect des normes d’émission de CO2. Ce n’est donc pas, j’y insiste, une critique de ma part, mais le résultat est là : des contraintes plus sévères s’appliquent aujourd’hui à l’Europe – qui devra réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % à l’horizon 2030 – qu’elles ne le sont pour l’Inde.

Le projet de directive qui va vous être communiqué fixe des objectifs extrêmement ambitieux à l’ensemble des pays européens. L’acier étant, par définition, une industrie très ouverte sur le commerce international, il est certain que nous sommes beaucoup plus pénalisés, et soumis à des importations de carbone de la part des pays moins touchés que nous. Il nous paraît donc indispensable que cette directive soit modifiée. En l’état actuel, nous avons calculé que si la totalité des règles de la proposition de directive adoptée en juillet 2015 étaient appliquées, cela entraînerait des frais de carbone de 31 milliards pour l’industrie sidérurgique sur la période 2021 à 2030 et surenchérirait la tonne d’acier d’environ 30 euros, ce qui augmenterait d’autant notre coût de production d’acier.

Il nous paraît très important que soient prises en compte les demandes suivantes : la redéfinition de ce qu’est une aciérie au bon niveau d’émission de CO2, les critères techniques appliqués aujourd’hui étant tout à fait inacceptables ; une augmentation des volumes de quotas gratuits, qui nous mettrait à parité avec les autres pays ; une redéfinition des secteurs ouverts à la concurrence internationale. Si la directive s’applique en l’état, le site de Dunkerque devra payer des droits de CO2dès 2017, alors que ses concurrents étrangers ne le feront pas, et qu’il s’agit d’une usine au benchmark en termes de production de CO2.

Telle est la situation sur ces deux sujets fondamentaux que sont la Chine et le système européen d’échange de quotas d’émission – Emission Trading Scheme, dit ETS. Le commissaire Tajani avait lancé un plan pour l’acier il y a quelques années, qui a été rendu caduc par le changement intervenu à la Commission. Il nous paraît très important que ce sujet soit réétudié. L’ensemble des directeurs généraux et des commissaires européens ont à connaître d’une partie du sujet : ces questions doivent donc être abordées par les chefs d’État, au niveau global. Un plan acier est à élaborer pour traiter l’ensemble des problèmes de compétitivité, des questions liées aux ETS et des difficultés frappant l’aval des industries sidérurgiques.

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Nous en venons aux questions.

La parole est à M. Alain Bocquet.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Darmayan, ma question porte sur la défense de l’industrie sidérurgique. Comment imaginez-vous le plan européen de défense de l’acier dans le contexte de concurrence acerbe qui caractérise notamment les différents groupes européens ?

Debut de section - Permalien
Philippe Darmayan, président de la Fédération française de l’acier

Le plan n’a pas pour objet de réguler la concurrence. Nous sommes sur un marché international, sur lequel jouent à la fois la qualité de nos produits et la compétitivité. Le prix est fixé, de manière générale, par le marché et par les Chinois. On arrive à avoir, en Europe, un certain nombre de premiums de prix, qui ne peuvent toutefois pas être trop importants, sous peine d’ouvrir en grand la porte des exportations. Le plan pour l’industrie traite des sujets globaux tels que les ETS ou la formation. M. Verbeke a raison, des questions se posent en matière de formation. Nous sommes des industries de base, par définition peu attractives, mais nous avons beaucoup de besoins de formation, s’agissant par exemple des opérateurs de maintenance, des métallurgistes ; il y a là un travail considérable à réaliser. Sur les vingt-six préconisations de la commission d’enquête, que nous avons récemment passées en revue avec M. Grellier, nous avons progressé, mais il reste beaucoup à faire. Nous pensons que cela doit être pris en charge au plan européen, puisque cela concerne principalement la formation, les ETS, donc les gaz à effet de serre, et le droit de la concurrence. Ces sujets doivent être pris en charge par Bruxelles, puisqu’ils relèvent de ses attributions, en liaison avec les États, afin d’élaborer une philosophie commune – qui n’existe pas actuellement.

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Je me félicite de l’organisation de ce débat, qui présente une forme quelque peu novatrice. Je souhaiterais interroger M. Darmayan sur un sujet qui nous avait favorablement impressionnés lors de la commission d’enquête, à savoir les capacités d’innovation et de recherche, notamment du site de Maizières-lès-Metz. Ces capacités représentent une chance importante pour l’évolution de la filière sidérurgique, notamment pour imaginer les produits de demain et être en mesure de résister à une concurrence mondiale qui, de fait, se caractérise aujourd’hui par quelques comportements déviants. Comment jugez-vous les capacités d’innovation et de recherche du site de Maizières-lès-Metz, donc du groupe ArcelorMittal ? Le Président de la République, dans les engagements qu’il avait pris sur le site de Florange, avait souhaité renforcer la coordination et la cohérence entre la recherche privée et la recherche publique.

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La parole est à M. Philippe Darmayan, président de la Fédération française de l’acier.

Debut de section - Permalien
Philippe Darmayan, président de la Fédération française de l’acier

J’ai entendu la remarque de M. Verbeke sur la diminution des frais de recherche. Je ne pense pas que l’on se consacre moins à la recherche : le site de Maizières-lès-Metz reste l’un des principaux sites de recherche d’ArcelorMittal. J’ai entendu M. Mittal le confirmer à plusieurs reprises. Pour nous, les choses sont claires : la stratégie à suivre consiste à élaborer des produits techniques, et on ne fait pas de produits techniques sans recherche. Les automobilistes essaient de réduire le recours à nos produits en développant l’aluminium ; il y a donc un enjeu très clair à l’égard de nos clients automobilistes : conserver notre place et offrir des solutions d’acier avec des caractéristiques mécaniques permettant la sécurité et l’allégement des voitures. C’est un sujet prioritaire.

Par ailleurs, on ne peut faire d’économie verte sans recherche et développement. Pour nous, produire de l’acier vert, c’est réinjecter tous les gaz dans les aciéries afin d’émettre le moins de CO2possible. Cela ne se fait pas sans recherche. En la matière, les solutions sont généralement connues. Au-delà, ArcelorMittal essaie actuellement de produire, à partir du CO2, de l’éthanol qui pourrait être utilisé comme combustible et se substituer aux énergies fossiles. Voilà des sujets de recherche sur lesquels on avance, au profit desquels de l’argent est investi. La stratégie d’ArcelorMittal consiste clairement à aller dans ce sens.

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Nous connaissons un état d’urgence absolue depuis plusieurs décennies. Les sidérurgistes français n’ont pas été à la hauteur, pas plus que l’Europe. Je constate que, paradoxalement, depuis plusieurs années, en Lorraine, en particulier, Tata Steel, après Corus – Sogérail n’ayant pas voulu le faire – a investi 52 millions d’euros dans une usine tout à fait performante, qui produit des rails de 108 mètres, vendus dans le monde entier, pour un tiers, en Europe pour un autre tiers, et en France pour le dernier tiers, où ils sont utilisés pour les lignes à grande vitesse.

Je constate que l’accord passé avec ArcelorMittal par le gouvernement Ayrault a été respecté, parce que celui-ci l’a imposé. Les investissements qui avaient été prévus ont en effet été réalisés. Permettez-moi d’ailleurs de préciser que les hauts-fourneaux ne sont pas à Florange, mais bien à Hayange. En revanche, je mets en accusation les sidérurgistes d’avant, qui ont laissé petit à petit dépérir ces hauts-fourneaux, au point qu’ArcelorMittal n’a pu qu’en constater l’obsolescence. On peut par conséquent avoir quelque inquiétude aujourd’hui sur le maintien de cette usine de rails hyper-performante, qui va être reprise par le fonds d’investissement Greybull Capital ; nous y reviendrons peut-être avec le ministre. Ce qui manquera cependant, ce sera peut-être la fonte, performante, qui vient aujourd’hui d’Angleterre, de Scunthorpe, alors que, je le précise, l’usine de Hayange-Nilvange se trouve à peu près à un kilomètre des hauts-fourneaux qui sont désormais sous cocon et qui étaient gérés auparavant par Sogérail, donc par les sidérurgistes français.

Ces derniers n’ont donc pas été à la hauteur, ni en Lorraine, ni dans le Nord, ni en Normandie d’ailleurs, et aujourd’hui ce sont les Chinois qui nous font la leçon. Le pire est peut-être devant nous. J’aimerais à cet égard interpeller tout le monde : s’il est reconnu demain à la Chine le statut d’économie de marché, qui ne correspond pas actuellement à la réalité chinoise, la sidérurgie française et européenne dépérira ; ne nous faisons aucune illusion sur ce point. Il est donc urgent que nous nous mobilisions tous pour agir à l’échelle européenne et mettre en oeuvre les préconisations que nous avions formulées à l’issue de la commission d’enquête et que nous reprenons aujourd’hui. Je vous en conjure, monsieur Darmayan, mais je m’adresse également aux autres personnes présentes : il faut agir vite, car à défaut, ce qui s’est produit à Florange pourrait se produire ailleurs, même si, je le répète, les hauts-fourneaux se situent bien à Hayange.

Debut de section - Permalien
Philippe Darmayan, président de la Fédération française de l’acier

Monsieur le député, je suis tout à fait d’accord avec ce que vous dites. Nous faisons ce qu’il faut s’agissant de l’octroi du statut d’économie de marché à la Chine. Je n’imagine pas que l’Union européenne, compte tenu du soutien dont nous pouvons nous prévaloir de la part du gouvernement français, ne change pas sa position sur le sujet.

En revanche, je suis beaucoup plus inquiet sur la question des gaz à effet de serre, car sur ce point nous nous heurtons au totem de Bruxelles : nous sommes contraints de diminuer les émissions de 40 %, alors qu’aucune étude d’impact n’a été réalisée pour déterminer la façon dont nous pourrions y parvenir, et surtout qui s’en chargera et qui paiera.

S’agissant de mon petit sujet, l’acier, une des façons de financer cette diminution est de faire payer des quotas de CO2par les aciéristes, ce qui équivaut à plomber à nouveau la rentabilité. Si je suis convaincu que l’Europe nous suivra sur le statut d’économie de marché, qui constitue une urgence, je doute au contraire que nous obtenions gain de cause sur le système d’échange de quotas si nous ne nous y mettons pas tous. Je suis donc très inquiet sur ce second sujet.

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Un élément a été porté à notre connaissance dont nous ne disposions pas voilà deux ans et demi lorsque la commission d’enquête a réalisé tout ce travail, d’ailleurs très intéressant. Je suis député de la treizième circonscription des Bouches-du-Rhône, qui englobe notamment les communes de Martigues et de Fos-sur-Mer. Ce nouvel élément, ce sont les exportations chinoises et le dumping dont nous sommes victimes.

Je pensais évoquer dans un premier temps la diminution des capacités de production en réponse à de prétendues surcapacités européennes, à l’instar de la situation actuelle du pétrole ; si les deux sujets restent assez différents, ils se rejoignent en finalité. Les propos que vous avez tenus tous les trois, messieurs, jettent toutefois une lumière un peu différente sur cette question.

J’aimerais poser d’autres questions. Lorsqu’il a été entendu par notre commission d’enquête, M. Mittal ne semblait pas prêt à consentir beaucoup d’efforts en matière de recherche et développement ou de formation. Je l’avais personnellement interrogé sur le sujet. Concernant le recrutement, je partage le point de vue qui a été développé. L’un de vous – M. Verbeke, peut-être – a affirmé que les dépenses de recherche et développement d’ArcelorMittal représentaient 0,35 % du chiffre d’affaires de l’entreprise.

Debut de section - Permalien
Philippe Verbeke, représentant national du Syndicat CGT dans la métallurgie

Tout à fait !

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Cela montre bien qu’il y a une stagnation, en tout cas une insuffisance. Les investissements et le recrutement de personnel s’en ressentent.

Nous avions en outre évoqué lors des travaux de la commission d’enquête l’idée du laminoir à froid pour la Lorraine. J’ai entendu ce que vous avez dit tous les trois avec une forme d’abattement et une grande inquiétude, que je partage avec les orateurs qui viennent de s’exprimer. À l’aune de vos propos sur l’enjeu majeur que représente la sidérurgie non seulement pour la France mais aussi pour l’Europe, je ne comprends pas pourquoi la Commission européenne traîne encore la jambe en la matière, ni pourquoi nous devons déployer des trésors d’énergie pour tenter de la convaincre de soutenir ce secteur. Sans doute faudra-t-il adresser cette question à M. le ministre tout à l’heure.

Debut de section - Permalien
Philippe Darmayan, président de la Fédération française de l’acier

J’espère ne pas m’être montré abattu, car je suis plutôt combatif et je suis certain, comme je vous l’ai dit, que nous serons suivis sur le dossier chinois. Je fais également preuve d’une belle combativité au sujet du système ETS. Vous devez cependant convenir que, à la suite de la réorganisation de Florange qui, certes, a été ô combien pénible, les aciéries françaises sont aujourd’hui parmi les plus compétitives du groupe ArcelorMittal et produisent tout ce qu’elles peuvent. Telle est la situation.

Si la production est inférieure cette année, c’est parce que la réfection totale du haut-fourneau de Dunkerque se répercute un peu sur la capacité, mais j’attends toujours le jour où notre usine de Fos-sur-Mer sera en mesure de produire les cinq millions de tonnes par an affichés en haut du laminoir à chaud ; nous ne demandons d’ailleurs que cela. Et nous avons, vous le savez bien, embauché au premier semestre sur ce site car il y avait des besoins de qualification. Nous ne sommes donc pas du tout désespérés ; nous sommes combatifs.

Debut de section - Permalien
Philippe Darmayan, président de la Fédération française de l’acier

Je peux vous dire que M. Mittal est très combatif : c’est un homme de l’acier ; sa vie c’est l’acier, sa vie c’est produire de l’acier.

Debut de section - Permalien
Philippe Verbeke, représentant national du Syndicat CGT dans la métallurgie

J’ai développé beaucoup d’éléments lors de mon intervention, que j’ai voulu aborder sous l’angle des moyens dont nous disposons au sein de nos entreprises pour travailler correctement. Ce que nous affirmons, y compris d’ailleurs au sein des fédérations syndicales européennes, c’est que le problème n’est pas seulement lié à la percée sur nos marchés d’un acier chinois à un prix défiant toute concurrence, mais aussi à l’appel d’air qu’a créé la réduction des capacités de production sidérurgique en Europe à un niveau déraisonnable. La fermeture des hauts-fourneaux à Liège et à Florange, la sous-capacité productive d’un site comme Dunkerque, comme je l’ai expliqué, ont contribué à la pénétration des aciers chinois sur des segments de marché occupés par l’acier. Nous considérons donc pour notre part que nous sommes dans une situation de sous-capacité de production d’acier en France et en Europe.

J’ai également voulu amener la question très épineuse des compétences, que vous venez de rappeler, monsieur le député. Lorsque des communiqués annoncent par exemple la création de 500 emplois en 2013 et 700 en 2014 – la communication est actuellement très soignée au sein de groupes comme ArcelorMittal –, il convient de mettre en regard de ces chiffres le nombre de départs en retraite intervenus au cours de ces mêmes années. Il y a en réalité une réduction continue de la courbe des emplois, et donc des compétences. Sur le site de Dunkerque, après le plan de départs volontaires de 2009-2010, nous avons été contraints de solliciter des retraités pour du travail à la mission parce que la chaîne de compétences était rompue. Ce travers s’observe dans la sidérurgie et, plus largement, dans la métallurgie, dans l’ensemble de nos filières.

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Tout d’abord, je me réjouis de l’organisation de ce débat, car il est important de faire le point deux ans après la publication du rapport de notre commission d’enquête.

Au cours des travaux de cette commission, nous avions constaté que le recyclage des aciers pouvait présenter un certain potentiel, mais que les aciers à recycler suivaient un parcours pour le moins obscur et étaient souvent expédiés à l’étranger, alors qu’ils pouvaient, au moins en partie, être recyclés en France en utilisant une filière électrique. J’aimerais savoir où nous en sommes sur ce point, car le recyclage serait un moyen de produire beaucoup moins de gaz à effet de serre.

À cet égard, la filière hydrogène présente un avantage certain. Voilà plusieurs dizaines d’années que cette possibilité est évoquée ; l’un d’entre vous peut-il nous dire où nous en sommes ? Les recherches sont-elles en passe d’aboutir à la mise en oeuvre d’un process industriel ? Ont-elles au contraire été abandonnées ? Pour ma part, je n’avais pas vraiment mordu à l’hameçon concernant l’enfouissement du dioxyde de carbone, par exemple, même si chacun sait que ce n’est plus d’actualité.

Ces questions montrent bien à quel point la recherche et développement est utile : le recyclage n’est pas un processus simple, en particulier pour les aciers spéciaux. Qu’en est-il de la recherche et développement ? Nous avions en effet constaté que le crédit d’impôt recherche était très apprécié par les entreprises, mais que certaines innovations partaient à l’étranger après avoir été converties en process industriel ou technologique.

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La parole est à M. Philippe Darmayan, président de la Fédération française de l’acier.

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Philippe Darmayan, président de la Fédération française de l’acier

Je serai bref, car je n’ai qu’un élément à vous apporter sur le recyclage. Soyez bien sûre que nous n’avons pas d’opinion définitive contre les aciéries électriques et le recyclage. Cependant, comme je l’ai dit tout à l’heure, le fait que les développements chinois soient moins importants que prévu fait baisser les prix des matières premières, et il est donc aujourd’hui plus compétitif de produire de l’acier à partir d’une filière liquide qu’à partir du recyclage. Malgré tous les efforts des recycleurs, et vous devez sans doute savoir qu’ils se plaignent de marges extrêmement faibles, la filière électrique n’est actuellement pas compétitive. Vous ne trouverez donc personne – en tout cas au sein de mon groupe – pour investir dans une filière électrique alors que la filière liquide, dont les capacités sont suffisantes, est plus compétitive.

Le recyclage est une option, c’est une activité importante : en Europe, je le rappelle, 50 % des aciers sont issus de la filière électrique. C’est la région où il y a le plus de recyclage dans le monde. Il s’agit toutefois d’un marché européen, et ces installations sont davantage situées hors de France, notre pays ne comptant en lui-même que deux ou trois aciéries de ce type. Le développement futur des aciéries électriques se fera donc dans le cadre d’un plan européen, mais sera nécessairement tributaire du niveau de compétitivité au moment où il sera envisagé.

Notre production d’acier inoxydable est quant à elle réalisée à 100 % par la filière électrique, et cela se passe très bien. Les producteurs d’inox souhaitent donc comme vous que l’ensemble des déchets inox du marché restent en Europe pour pouvoir bénéficier d’une source et acheter tous les déchets qui s’y produisent. Pour faire de même avec la production d’acier carbone, il faut attendre un changement des conditions du marché et un meilleur équilibre entre les deux procédés.

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Je devais en premier lieu intervenir sur la filière de recyclage et la construction d’une aciérie électrique ; puisque le sujet vient d’être abordé, je n’y reviendrai pas.

Je poserai donc deux questions très rapides. Premièrement, y a-t-il eu une montée en charge du financement public depuis la publication des conclusions de la commission d’enquête avec un rôle accru de la Banque publique d’investissement ? Mener une politique de reconquête de la filière sidérurgique nécessite en effet de l’argent. Deuxièmement, dans l’accord qui avait été signé fin 2012 entre le Gouvernement et ArcelorMittal concernant Florange, il était prévu que le respect des engagements devait être vérifié par une commission qui devait se réunir régulièrement. Est-ce le cas ? La commission en question est-elle en mesure de faire un état des lieux sur les investissements, qui devaient être de 180 millions d’euros sur cinq ans ? Puisqu’il ne reste que deux ans, où en est-on de ces investissements ?

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La parole est à M. Philippe Darmayan, président de la Fédération française de l’acier.

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Philippe Darmayan, président de la Fédération française de l’acier

Sur ce dernier point, l’État a nommé M. Marzorati pour surveiller le processus, ce qu’il fait régulièrement. Des réunions locales vérifient que tous les engagements sont tenus. Il est clair que le groupe a tenu tous les engagements pris lors de l’affaire Florange. Quant à la BPI, elle n’intervient pas du tout en faveur d’ArcelorMittal, mais peut en revanche être amenée à intervenir auprès d’entreprises de plus petite taille en difficulté.

Plusieurs secteurs à l’aval de la sidérurgie sont actuellement en difficulté. Vallourec travaille essentiellement dans le secteur pétrolier, dans lequel les investissements sont actuellement réduits à rien. Industeel s’inscrit dans des marchés d’investissement et connaît également une période moins facile que les précédentes. L’aval de l’industrie sidérurgique dépend des marchés dont l’évolution actuelle s’explique par la présence de la Chine et la baisse du prix des matières premières. Plusieurs remises en cause ont lieu. Il s’agit de passer cette période difficile, et la BPI peut être amenée à intervenir dans ce cadre. Je ne connais pas le détail de son action, mais elle fait en effet partie des moyens d’action de l’État.

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La parole est à M. Philippe Verbeke, représentant syndical de la CGT métallurgie, en charge de la filière sidérurgie.

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Philippe Verbeke, représentant national du Syndicat CGT dans la métallurgie

À propos de la BPI, nous croyons fortement qu’il est nécessaire de trouver des pistes d’intervention publique sur la stratégie de nos groupes. La BPI est un outil, on peut en imaginer d’autres. Par exemple, l’opération de rachat d’Ascometal menée par M. Supplisson devait comporter un rôle plus avancé de la BPI dans la constitution du capital de la nouvelle entité. Le Gouvernement s’y est engagé il y a deux ans, mais on attend toujours la fortification du capital d’Asco Industries par le biais de la BPI. Celle-ci donne aussi à l’État l’occasion d’agir davantage en termes de stratégie, ce dont nous avons débattu la semaine passée avec le cabinet de M. Macron. Dans le cas de Vallourec, la BPI est présente à hauteur d’environ 12 %. La question se pose de savoir à quelle hauteur situer l’investissement public dans le capital de groupes dits stratégiques et reconnus comme tels. Une hauteur de 12 % semble insuffisante pour intervenir en cas de restructurations alarmantes comme celles qui devraient être annoncées au cours des heures ou des jours à venir.

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Nous en avons terminé avec la première partie de ce débat. Je remercie nos invités pour leur participation à nos travaux.

La séance, suspendue à vingt-deux heures trente, est reprise à vingt-deux heures trente-cinq.

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La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

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Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, j’évoquerai quelques constats, convictions et actions en cours avant de répondre à une série de questions. Vous avez organisé un débat sur la sidérurgie et je vous en remercie, car il s’agit d’un sujet important, qui a d’ailleurs animé plusieurs discussions particulières que nous avons eues les uns avec les autres. La sidérurgie fait non seulement partie de notre histoire industrielle et du patrimoine industriel de plusieurs régions françaises, mais aussi, j’en suis pour ma part convaincu, de l’avenir industriel de notre pays. Je commencerai par retracer sa situation, dont vous venez de parler avec plusieurs experts et acteurs du secteur. Après avoir esquissé les contours de la réalité de la sidérurgie française, je tâcherai d’identifier les mesures d’urgence puis de réforme plus large qu’il convient de prendre pour ce secteur.

Regardée en face, la réalité de la sidérurgie française est celle d’un secteur en grande difficulté, pour trois raisons principales. Il connaît d’abord une lente érosion structurelle. En vingt ans, la France est passée du neuvième au quinzième rang mondial en matière de production d’acier. Elle ne compte plus que pour 1 % de la production mondiale, soit seize millions de tonnes d’acier brut en 2014. Ce recul va de pair avec la croissance d’autres géographies, en particulier la Chine. Cette érosion s’est accélérée avec la crise économique. Depuis dix ans, en particulier depuis l’acquisition du groupe Arcelor par le groupe Mittal, le secteur a connu un point d’inflexion encore accru par la crise économique, qui a amené de nombreuses fermetures de sites. Nous avons vécu depuis 2008 près de 3 500 suppressions d’emplois dans le secteur de la sidérurgie, et sommes actuellement confrontés à un nouveau ralentissement de la production.

Enfin, le secteur est frappé par un choc majeur dû aux surcapacités mondiales et en particulier chinoises, comme le montre la situation de Vallourec, entre autres. La concurrence internationale est en effet féroce. La Chine détient à elle seule 50 % de la capacité de production mondiale, et le gouvernement chinois mène une politique de subventionnement complètement assumée, en raison de laquelle nous sommes hors marché dans de nombreuses filières de production. Aujourd’hui plus encore qu’hier, la Chine inonde nos marchés de ses exportations qui font chuter les prix. La surproduction chinoise était jadis conservée en Chine ou précautionneusement distillée sur le marché mondial. La stratégie chinoise de développement du marché domestique, et plus encore les difficultés de l’été dernier, ont amené la Chine à inonder nos marchés de sa surproduction. Les prix se sont effondrés : celui des laminés à chaud a baissé de 25 % depuis l’été 2015.

Ainsi, la plupart des opérateurs du secteur de nos géographies sont sortis du marché en raison de ce véritable dumping pratiqué par les Chinois. Par ailleurs, la demande est faible, en raison du ralentissement des principaux secteurs qui utilisent ces capacités, au premier rang desquels les groupes énergéticiens et parapétroliers, et dans une moindre mesure l’automobile et la construction, qui bénéficient d’un retour d’activité après une forte baisse de la demande lors de la crise. Cela étant, même si les groupes de ces secteurs retrouvent une meilleure santé industrielle, les volumes produits en France ne retrouvent pas le niveau d’avant-crise. Ce sont autant de commandes en moins. Il existe donc, dans chaque secteur, des surcapacités qui n’offrent pas à nos groupes sidérurgiques des perspectives de débouchés évidentes.

Le taux d’utilisation des capacités de production mondiale est de 70 % seulement, et la situation pourrait encore s’aggraver compte tenu du contexte actuel. Pour autant, ce réalisme n’est pas synonyme de défaitisme, au contraire. Les enjeux sont multiples. Ils sont d’abord humains et sociaux. Je rappelais à l’instant que 3 500 emplois ont été détruits depuis 2008, mais la sidérurgie emploie actuellement 41 000 personnes. Il s’agit donc d’une filière industrielle essentielle, constituant pour ces personnes et leurs familles qu’elles font vivre un enjeu au premier chef. Elle constitue aussi un enjeu de compétences. De nombreux métiers liés à la sidérurgie, en amont comme en aval, requièrent des compétences professionnelles qu’il faut des années pour acquérir et qui sont aujourd’hui l’actif principal des sites productifs parfois menacés.

Elle constitue ensuite un enjeu économique. Par-delà les intérêts propres de la filière, d’autres secteurs de notre économie dépendent pour partie de la sidérurgie, tels que l’automobile, le ferroviaire, les biens d’équipement et de consommation et le bâtiment. À ce titre, nous devons avoir une vision dynamique des choses. Nous connaissons aujourd’hui une difficulté conjoncturelle, dont j’ai rappelé les causes, et chaque secteur a eu ses propres difficultés de cycle, comme l’automobile, ou est en train de les vivre, comme le secteur parapétrolier, mais la perte de compétences lors de la fermeture de sites est irréversible. Il ne faudrait pas que le retour de cycle aidant, nous soyons privés dans quelques années des capacités à faire face à la demande, en ayant ce faisant accru notre dépendance à l’égard d’autres producteurs. Tel est le défi stratégique que doit relever notre politique industrielle. J’ai la conviction qu’il doit nous amener à faire absolument tout pour conserver la vocation industrielle des sites concernés.

Enfin, la sidérurgie constitue un enjeu politique. Dans les territoires en difficulté que nous évoquons, partout où ce secteur est touché, les populismes s’en trouvent nourris. Il y a là l’illustration même de secteurs qui emportent un fort imaginaire collectif, social et industriel et qui se trouvent être les victimes d’une mondialisation non maîtrisée, ou en tout cas à laquelle nous ne savons pas, pour l’heure, apporter de réponse crédible. Ce faisant, nous nous affaiblissons. C’est pourquoi je considère que cette situation n’est pas une fatalité. Cela m’amène à mon deuxième point. La situation exige d’abord une mobilisation d’urgence aux niveaux mondial, européen et français. Au niveau mondial, il convient d’accompagner une sortie de crise. La Chine a annoncé une baisse de sa production en 2015 pour s’adapter à la conjoncture, ce qui est d’ailleurs la seule réponse durable à la crise.

Même si ce n’est pas la mesure de court terme qui nous permettra de passer les prochains semestres, nous devons continuer à faire pression sur la Chine afin qu’elle baisse sa production, et donc ses surcapacités, faute de quoi nous continuerons à écoper une inondation dont l’ampleur n’est pas à notre mesure. Nous devons donc suivre de près l’avancée de cette décision. Le Quai d’Orsay exerce une pression constante en ce sens. J’ai proposé au Président de la République de porter le sujet à l’OCDE et au G 20, qui sont les bonnes enceintes pour mener un tel débat, afin de parvenir à un compromis global sur la gestion de ces surcapacités. Il faut mener le débat dans ces enceintes, car c’est là que sera débattu le statut d’économie de marché de la Chine.

Nous devons donc mener un dialogue transparent et en responsabilité. Je ne veux pas faire de pétition de principe sur ce sujet, mais lorsque des groupes massivement subventionnés par les pouvoirs publics décident de vendre à perte des conditions de marché, on n’est pas dans une économie de marché. C’est dans ce cadre qu’il faut mener les débats industriels. Je vais par ailleurs engager une action de mes services sur le sujet pour tenter d’identifier les voies de sortie, ou au moins anticiper la gestion de certaines difficultés, et examiner les mesures mises en place par les autres pays producteurs. J’ai eu à ce titre plusieurs échanges avec mes homologues américain, australien et indonésien, dont les pays ont mis en place des barrières tarifaires fortes afin de défendre leurs capacités de production.

Les Américains se montrent aujourd’hui très durs à l’égard des Chinois. Nous devons constituer sur ce sujet un maul au sein du G20 et de l’OCDE, mais aussi du G7.

Le deuxième axe – le plus efficace à court terme – est la protection du marché européen. C’est là que l’essentiel de l’action doit être conduit. Il n’y a aucune raison pour que l’Europe ne se protège pas pour préserver ses capacités de production, ainsi que le font les autres zones économiques.

Nous pouvons – nous devons – tout faire. Car, au-delà des emplois, ce sont nos capacités de production et d’innovation qui sont en jeu. Nous ne pouvons pas préparer le prochain cycle industriel, en investissant et en innovant sur ces sites productifs, si nous ne réagissons pas très vite.

Comme toujours, nous devons livrer deux batailles en même temps : l’une, très défensive, vise à maintenir l’emploi et à éviter la fermeture de sites, l’autre vise à lutter contre le sous-investissement sur ces sites. Sans cela, nous connaîtrons à nouveau des situations comparables à celle, douloureuse, de l’usine Sambre et Meuse, dont les gestionnaires, après dix ans de sous-investissement, ont dû reconnaître que le site n’avait plus d’avenir industriel.

Aujourd’hui, il est très important de le rappeler, nos sites sidérurgiques sont à l’état de l’art. Hormis quelques rares exceptions, les sites productifs, comme celui de Vallourec, ont fait l’objet d’investissements massifs ces dix dernières années et se trouvent en pointe.

Il faut améliorer de toute urgence la protection contre les pratiques de dumping, en particulier asiatiques, qui d’une part, captent la demande d’aciers en Europe, et d’autre part, font baisser les prix, donc les marges de nos sidérurgistes.

Il existe quatre priorités au niveau communautaire, qui constituent ma feuille de route pour les prochaines semaines.

Il faut d’abord adopter le paquet sur la modernisation des instruments de défense commerciale, pour accélérer les procédures d’application des droits anti-dumping et les rendre plus dissuasives. Sur ce point, les choses bougent. Nos partenaires britanniques, notamment, perçoivent désormais la nécessité d’une action européenne plus ferme. Ce changement est dû au fait que la Grande-Bretagne a dû affronter la fermeture – causée par ces pratiques chinoises – de plusieurs sites de Tata Steel et la destruction de 4 000 emplois.

Il faut ensuite accélérer les procédures, pour pouvoir proposer des mesures provisoires avant le délai de neuf mois prévu par les textes européens. Ce délai maximal est en fait le délai moyen retenu pour les procédures anti-dumping classiques. C’est trop long pour la situation dans laquelle nous sommes ; la lenteur des procédures nous condamnerait. Après avoir échangé avec les différents groupes sidérurgiques, dont l’un représenté dans la table ronde qui a précédé notre débat, je nourris de grandes inquiétudes à l’idée que la situation actuelle puisse perdurer. Nous devons réagir plus vite.

Concrètement, nous pouvons anticiper l’adoption des mesures en acceptant les demandes d’enregistrement en douane des importations de produits qui font l’objet d’une enquête. Pour cela, j’appelle les industriels à transmettre avec célérité toutes les informations nécessaires pour que les services de la Commission puissent examiner les plaintes déposées. Il s’agit de créer un mécanisme provisoire qui permette une réaction rapide durant l’instruction.

Il faut aussi lancer des enquêtes dès qu’un dumping préjudiciable ou une menace de préjudice est identifié, sans attendre le préjudice constaté. Cette pratique, là encore provisoire, permet de réagir beaucoup plus vite, sans être aberrante ou particulièrement agressive ; les États-Unis l’ont d’ailleurs adoptée.

Vous connaissez mes convictions européennes. Dans une économie mondialisée qui va de plus en plus vite, l’Europe doit avoir la capacité de réagir. Sinon, elle nourrit la propre défiance à son égard.

La quatrième priorité est de mettre en place un instrument de réciprocité à l’échelle de l’Union européenne, pour inciter les pays tiers à ouvrir leurs marchés publics. C’est le débat que nous devons avoir, notamment avec la Chine. En ce sens, j’ai proposé à mes homologues italien, allemand et britannique d’envoyer un courrier commun à la Commission et à la présidence néerlandaise de l’Union européenne. J’ai échangé avec la présidence en début de semaine pour avancer sur ces différentes initiatives. Les Italiens ont d’ores et déjà donné leur accord. Celui des Allemands devrait être acquis, en dépit de leur prudence historique à l’égard de la Chine. Je continuerai à mettre la pression sur les Britanniques, qui se partagent entre deux écoles de pensée, une école classique pro-commerce mondial, donc pro-chinoise, et une école de réalisme économique, auquel adhère mon homologue, quoique libéral.

Là aussi, iI faut aller vite, pour calquer notre calendrier sur celui des autres économies. Nous devons lancer ces quatre séries d’actions dans le trimestre, pour obtenir des actions concrètes dans le semestre.

La France s’engage par ailleurs d’une autre manière, en mobilisant la politique climatique de l’Union européenne, pour contrer les risques de délocalisations. En effet, au-delà des destructions causées par les capacités chinoises à inonder notre marché, il existe des risques de délocalisation. Nos principaux concurrents – Chine, Inde et Russie – ne sont pas soumis aux mêmes exigences environnementales. Nous devons exercer dans toutes les enceintes une pression sur ce sujet.

Je suis convaincu que la transition énergétique et climatique ne sera possible dans la durée que si elle est favorable à l’emploi industriel et perçue comme parfaitement équitable. Nous ne pouvons pas être les seuls à faire des efforts en la matière. Il faut utiliser cela comme un levier diplomatique, afin de faire pression sur des pays qui, non contents de conduire une politique de dumping et de subventions massives, ne respectent pas les normes environnementales auxquelles nos sites productifs sont soumis. À ce titre, la France défend le maintien d’un système d’allocation de 100 % de quotas carbone gratuits pour les secteurs les plus exposés au risque de fuite de carbone.

En effet, on ne peut se plaindre du déclin de la sidérurgie européenne, causé par la concurrence étrangère, et en même temps affaiblir la compétitivité des sidérurgistes européens avec des contraintes déséquilibrées sur le carbone. Les représentants français ont porté cette position lors du premier Groupe de haut niveau de la Commission européenne pour les industries énergo-intensives du 18 décembre 2015. Nous devons continuer à mener cette bataille sur les bonnes pratiques et les exigences environnementales vis-à-vis des Chinois, des Indiens et des Russes. Au-delà des mesures de rétorsion commerciale, nous devons les inviter à se mettre aux standards internationaux, en conformité avec les engagements pris. Cette mobilisation est essentielle.

Avant de conclure, je veux insister sur la mobilisation d’urgence que nous devons opérer en France. Elle se fait au cas par cas, à travers un soutien aux entreprises en difficulté. L’État doit se tenir prêt à intervenir dans des dossiers locaux, là où l’urgence est la plus forte. Certes, nous devons agir au niveau mondial et européen – les initiatives européennes étant les seules vraiment efficaces face aux pratiques chinoises – mais, à court terme, nous devons gérer les situations locales difficiles que vous connaissez. L’État interviendra sans hésiter lorsque des emplois peuvent être sauvés durablement et que la production peut véritablement repartir. Là aussi, nous devons être lucides sur les perspectives qui nous attendent.

Akers France est placé en redressement judiciaire depuis la fin du mois de novembre. Nous attendons les offres pour le 26 janvier. Nous faisons preuve d’une très grande vigilance sur ce dossier, qui concerne plusieurs territoires, avec un actif industriel dont on connaît les qualités, et une difficulté conjoncturelle qui se trouve au coeur de ce que nous avons évoqué.

Le groupe Vallourec est touché par la crise que je viens d’évoquer, mais il est aussi la première victime de la contraction du marché pétrolier et parapétrolier, qui représente 66 % de ses débouchés. J’ai eu l’occasion de l’évoquer aujourd’hui même avec les élus concernés : nous formerons un groupe de travail avec les collectivités, les élus, et le groupe sous quinzaine, afin d’examiner les voies possibles de diversification et de maintien des capacités de production. Il ne s’agit pas de nier les difficultés conjoncturelles du groupe Vallourec ; nous avons tous fait preuve de responsabilité, les salariés au premier chef, dont la réaction a été très digne lorsque les premières restructurations ont été décidées, au printemps dernier.

Nous devons avoir un plan offensif sur le volet industriel, pour redonner des perspectives à Vallourec et faire en sorte que toutes les décisions capitalistiques soient prises : diversification, consolidation industrielle, partenariat, en France et sur les autres marchés.

Nous suivons avec vigilance les recours au chômage partiel. Comme à Fos-sur-Mer, chez Arcelor, il s’agit de pratiques d’attente, qui montrent bien la pression qui s’exerce sur le groupe au jour le jour.

Nous surveillons chaque annonce, chaque décision susceptible d’avoir un impact sur l’activité et l’emploi dans les territoires concernés. Là encore, nous voulons faire preuve de pragmatisme. Nous regarderons toutes les solutions industrielles de diversification – malgré le fait que beaucoup des marchés en aval soient eux-mêmes en surcapacité – les possibilités de partenariat et de consolidation industrielle entre des acteurs français lorsqu’ils peuvent aider à mieux résister, les possibilités de stockage relatif, pour qu’il n’y ait pas de destruction de sites industriels et de qualifications. C’est là ma priorité.

Je le dis à l’intention des principaux groupes concernés, la banque publique d’investissement – BPI –, comme les pouvoirs publics, prendront leurs responsabilités en tant qu’actionnaires. Elles le feront sur la base d’un plan parfaitement établi et stratégique. En effet, ce n’est pas à une difficulté de bilan que ces groupes sont confrontés, mais à une difficulté de compte de résultat, directement liée à la situation que j’ai évoquée.

Si nous avons à traiter des dossiers d’envergure comme ceux d’ArcelorMittal, de Vallourec ou d’Ascometal, nous ne négligeons pas les sites plus modestes, comme celui de Manoir Custines, spécialisé dans la forge, qui comptait 185 salariés.

En parallèle de nos actions en faveur de la sidérurgie, la base de notre politique industrielle est essentielle pour cette filière. Je ne reviens pas sur les mesures concernant le coût du travail, qui sont indispensables et qui doivent être consolidées, et sur lesquelles j’ai donné toutes les garanties aux groupes concernés. Ces mesures impliquent que ces groupes aient l’esprit de responsabilité correspondant au pacte du même nom.

La compétitivité coût, ce n’est pas que le coût du travail. Le coût de l’énergie est essentiel. À ce titre, nous avons pris cette année plusieurs décisions en faveur des industries électro-intensives, que je n’ai pas manqué de rappeler dans mes discussions avec chacun des groupes concernés.

La loi sur la transition énergétique a renforcé le statut des entreprises fortement consommatrices d’électricité en leur octroyant la possibilité de bénéficier d’une réduction de tarif de transport de l’électricité et d’être mieux rémunérées lorsque l’entreprise accepte de moduler sa production lors des pointes de consommation. Cela a permis notamment au groupe Riva de gagner en compétitivité, tout en se mettant aux normes européennes.

Sous mon impulsion, le Gouvernement a mis en place la compensation des coûts du carbone : c’est un mécanisme permis par Bruxelles, que l’Allemagne et de nombreux pays européens ont déjà déployé depuis plusieurs années.

Ces mécanismes représentent au total 200 millions d’euros de soutien en plus aux industriels électro-intensifs, dont la sidérurgie au premier chef, avec 50 millions d’euros. Pour 2016, nous travaillons à créer des mécanismes similaires sur la consommation de gaz naturel des industries gazo-intensives.

Enfin, la compétitivité hors coût est essentielle. Je le disais en parlant de l’importance de l’investissement. Nous devons miser sur les avantages comparatifs que sont la qualité et la spécialisation de nos aciéries, de nos tuberies ou de nos laminoirs. Il est impératif de poursuivre la montée en gamme de notre appareil productif et de soutenir l’investissement productif. Le suramortissement fiscal est une mesure importante, à laquelle ces industries sont éligibles, et il faut les encourager, même que dans le contexte que nous connaissons, à continuer à investir.

Philippe Darmayan, qui est intervenu précédemment, est bien placé, puisqu’il préside l’Alliance pour l’industrie du futur. J’ai demandé que le secteur de la sidérurgie fasse l’objet d’une attention particulière, afin que toutes les PME et ETI du secteur puissent bénéficier des aides de la BPI et du programme d’investissements d’avenir – PIA –, car rater une génération d’investissement les condamnerait immanquablement.

Si nous avons un avenir, c’est dans la capacité à endiguer le flux chinois, à réduire durablement la production chinoise et, dans le même temps, à garder nos innovations, nos compétences, en nous différenciant encore davantage sur le marché sidérurgique et métallurgique.

Si nous n’investissons pas, nous nous banaliserons et la génération suivante sera condamnée. Nous devons redoubler d’efforts en faveur de la recherche et développement dans les pôles de compétitivité concernés – en particulier à ViaMéca en Rhône-Alpes –, dans les instituts de recherche technologique comme M2P en Lorraine et en direction de la plateforme publique de recherche dans les domaines de la métallurgie et de la sidérurgie – je pense notamment à Metafensch, qui avait fait l’objet de plusieurs annonces il y a maintenant deux ans.

Toutes ces mesures sont essentielles pour le secteur, même si elles s’intègrent dans une politique plus large.

Vous l’aurez compris, l’enjeu du sujet et son importance me conduisent à vous rappeler la gravité de la situation et le dispositif que nous souhaitons mettre en place. Vous pouvez compter sur ma mobilisation pleine et entière sur ce sujet essentiel. C’est à cette condition que nous pourrons parler de manière crédible du redressement industriel et économique du pays.

D’ailleurs, on ne peut pas considérer que l’avenir industriel se jouerait uniquement sur les industries de pointe, les industries les plus innovantes ou celle des objets connectés. Ce sont des secteurs importants, mais ils s’appuient de toute façon sur notre capacité à maintenir une souveraineté productive dans ce domaine. Si nous la perdons, nous perdons non seulement, à court terme, des emplois et des territoires, mais nous brisons des vies et nous construisons notre propre dépendance économique, qui mènera les prochaines générations à la perte de leur industrie.

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Nous en venons aux questions.

La parole est à M. Alain Bocquet.

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Merci, monsieur le ministre, pour votre propos, dont je partage la philosophie. La commission d’enquête, présidée par M. Jean Grellier, a formulé vingt-six propositions qui pourront vous aider à construire le chemin que vous évoquez. En effet, la question de l’utilité de la sidérurgie pour la France et l’Europe se pose. Est-ce un outil de souveraineté économique ? Pour nous, la réponse est affirmative, même si notre production représente 1 % de la production mondiale. On pourrait penser qu’après tout, il y a bien d’autres produits que l’on achète ailleurs et que l’on ne produit pas chez nous, mais ce n’est pas vrai pour la sidérurgie : la sidérurgie est un élément structurant de notre indépendance, c’est la souveraineté, c’est la vie.

Certes, il ne s’agit pas de pleurer sur le passé. Le passé est un oeuf cassé, l’avenir est un oeuf qui couve. Il y a trente-cinq ans, quand on a commencé à s’attaquer à Longwy ou Denain, la Chine produisait 60 millions de tonnes, l’Allemagne 40 millions, la France une trentaine, comme l’Italie. Aujourd’hui, nous sommes à 15 millions contre 800 millions pour la Chine. On pourrait baisser les bras, mais ce serait une mauvaise idée, car nous avons des outils performants, un savoir-faire, des outils de recherche comme à Maizières-lès-Metz, où d’importants fonds publics ont été investis dans la recherche et le développement, du temps de la nationalisation.

Selon moi, nous sommes à mi-chemin. Certes, nous sommes défensifs, ce qui est normal face aux événements, mais n’aurions-nous pas intérêt à construire idéologiquement, sur le principe, sans nous immiscer dans les affaires des groupes, mais tout de même en partenariat avec eux, un vrai cap, un vrai objectif, une vraie filière, pour savoir où l’on veut aller, et pour la France et pour l’Europe. Il est d’ailleurs regrettable, au passage, que le plan acier qui avait été engagé au niveau européen soit aujourd’hui mis sous le boisseau. Peut-être serait-il temps de le ressusciter. C’est une première question.

La deuxième, vous l’avez évoquée, a été abordée dans le débat précédent : il devient urgent d’aborder avec fermeté la question des tarifs douaniers face à l’invasion chinoise des produits évoqués.

Enfin, il faudrait demander des contreparties aux groupes qui bénéficient du CICE ou du crédit d’impôt recherche, y compris en lien avec la formation des cadres de demain. Vous l’avez dit, nous devrons peut-être mener des expériences. Après tout, il y a tant de jeunes au chômage que l’on peut faire de l’apprentissage, mais quand on visite l’usine de Dunkerque, on nous explique, comme cela a été dit à la commission d’enquête, que la salle de commande informatique est du même niveau que celle du lancement des fusées à Cap Canaveral, tout juste un peu plus poussiéreuse. Il y a vraiment quelque chose à bâtir avec l’éducation nationale, les universités, pour améliorer la formation.

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La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

Debut de section - Permalien
Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Parmi les vingt-six propositions du rapport Grellier, beaucoup tendent à maintenir les sites de production d’aluminium primaire ou les capacités de recherche et développement dans la filière. Mon prédécesseur et moi-même avons pris des mesures en ce sens.

S’agissant de la politique douanière à l’égard de la Chine ou des contreparties, vous aurez compris dans quelle perspective nous nous inscrivons. Nous devons nous garder sur ce point de toute naïveté ou de toute tentation de transiger. La pratique des groupes chinois est aujourd’hui extrêmement agressive et nous devons prendre, éventuellement de manière transitoire, toutes les mesures qui permettront de bloquer les produits qui font l’objet d’une pratique de dumping. Les groupes français ont d’ailleurs un devoir d’alerte en la matière, comme tous les groupes européens. Sur ce point, le consensus est très fort avec mes collègues italien et allemand. Nous ne sommes pas dans une logique à court terme de contrepartie avec les groupes chinois, mais dans une logique de lutte anti-dumping très claire, massive et directe. Ensuite, nous pourrons nous inscrire dans une perspective plus « gagnante-gagnante », mais pour le moment, elle n’est que perdante pour nous.

Pour ce qui est de la structuration de la filière, un comité stratégique de filière industrielle extractive et de première transformation regroupe les acteurs de la production et de la transformation des métaux. Un contrat de filière a été validé en juin 2014, et ses priorités sont très claires : l’approvisionnement en matières premières, l’économie circulaire, l’énergie et le climat, la recherche et développement, les compétences, et le soutien à la demande en acier, via une série d’initiatives.

Je le réunirai dans les toutes prochaines semaines sur ce volet, et je proposerai, au-delà de l’association classique que nous avions décidée avec la commission des affaires économiques, une association plus particulière des élus, afin d’accélérer les bonnes pratiques, puisque les donneurs d’ordres peuvent aider certains sites à passer le cap, ce qui est complémentaire de la pratique de diversification que j’évoquais. C’est dans ce contexte que l’on peut réussir à construire un vrai consensus productif. Il faut être clair. Les groupes dont nous parlons se trouvent dans des situations de fortune diverses. Arcelor et Vallourec sont ainsi très différents, mais ils se retrouvent tout de même tous deux dans des positions très fragiles compte tenu de la tension mondiale. Il ne faut pas penser une seule seconde qu’ils puissent financer à satiété des mesures d’accompagnement dans le contexte actuel.

Néanmoins, nous avons besoin de caler une stratégie de filière avec eux, pour que leurs donneurs d’ordre, parfois en meilleure santé, l’ensemble de leurs sous-traitants, éminemment dépendants et parfois encore plus fragiles, puissent travailler avec eux, pour que les collectivités territoriales concernées puissent mener, puisqu’il existe des bassins d’emplois et de consommation, une pratique productive à leurs côtés qui assure la pérennité de ces sites. L’axe économie circulaire est important à cet égard, car il permet d’obtenir dans certains bassins une production de plus grande valeur ajoutée. Collectivement, nous devons envisager les solutions actionnariales qui permettent d’accompagner cette transition. Nous devons étudier tous ces aspects dans le cadre du contrat de filière.

Quant au CICE, je pense qu’il faut rendre transparentes toutes les aides qui ont été perçues, comme les mesures en faveur des électro-intensifs et des gazo-intensifs. En l’espèce, compte tenu des difficultés financières que rencontrent ces groupes et des dettes qu’ils ont contractées, ce ne sont pas des licenciements de complaisance ou des restructurations d’optimisation qu’ils conduisent. Ils souffrent de stress financier et stratégique. Nous devons au contraire rendre transparentes l’ensemble des aides touchées, pour disposer d’un levier supplémentaire dans le cadre du contrat de filière et des discussions entreprise par entreprise. Ce serait une méthode plus efficace.

Je rappelle au passage que le centre de recherche et développement de Maizières-lès-Metz, que vous citiez, a perçu 15 millions d’euros de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, sur un total de 32 millions d’aides, ce qui témoigne de l’engagement des dix-huit derniers mois en la matière.

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Merci, monsieur le ministre, d’avoir fait le tour d’horizon des préoccupations que nous avions soulevées lors de la commission d’enquête. Je salue votre détermination au niveau européen pour résister au dumping chinois qui met en difficulté l’ensemble de la filière. Au-delà du caractère conjoncturel, le problème n’est-il pas aujourd’hui structurel, lié à un déficit de politique industrielle européenne ?

Lorsque nous avons auditionné le commissaire Antonio Tajani, il nous avait présenté son plan acier et exposé ses difficultés à mettre en place une véritable politique industrielle européenne, confronté qu’il était parfois à son collègue de la concurrence. Comment faire évoluer l’Europe et de quels leviers disposez-vous, en tenant notamment compte de cette crise de la sidérurgie ?

S’agissant par ailleurs du renouvellement des compétences, nous étions ensemble au Conseil national de l’industrie pour écouter le rapport communiqué par Isabelle Martin, secrétaire confédérale à la CFDT et rapporteure pour l’ensemble du Conseil national de l’industrie. Un certain nombre de constats ont été dressés, notamment en ce qui concerne les compétences nécessaires à l’industrie. De quelle manière allez-vous, avec vos collègues de l’éducation nationale, appliquer les recommandations de ce rapport et, en particulier, revaloriser la formation professionnelle, aujourd’hui indispensable pour reconquérir et développer ces compétences ?

Quant au secteur de l’aluminium, que nous avons également abordé dans notre rapport, il a été restructuré en partie, notamment à Saint-Jean-de-Maurienne suite à l’arrivée de Trimet. Où en sommes-nous ? Qu’en est-il du centre de recherches, resté propriété de Rio Tinto ? Des inquiétudes ont percé à Dunkerque, notamment dans les négociations sur le prix de l’électricité. Vous avez en partie répondu tout à l’heure en évoquant les électro-intensifs. Pourriez-vous nous en dire plus sur le secteur de l’aluminium ?

Debut de section - Permalien
Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Pour ce qui est de la politique industrielle européenne, c’est un fait. Des politiques sectorielles, plus ou moins volontaristes, sont menées, mais aussi une politique de concurrence dont on voudrait qu’elle soit davantage tournée vers les industriels. Elle l’est dans certains secteurs, comme le numérique, parce que les géants sont américains, mais elle ne l’est pas dans d’autres. C’est ce qui nous occupe depuis 2012 et nous a amenés à demander le rapport Beffa-Cromme, qui invitait à étudier les marchés mondiaux, la concurrence des marchés chinois, etc.

Surtout, il manque un vrai volontarisme. Le commissaire Antonio Tajani avait mené ce plan acier, adopté en juin 2013. Les résultats ont été modestes, car il a eu peu de temps pour le mener à bien, mais le pilier réglementaire a permis de lutter efficacement contre la fraude à la TVA en Roumanie, et plus largement de faire naître une prise de conscience au niveau européen. Malheureusement, suite à un changement de contexte économique et à l’arrivée d’une nouvelle Commission, le plan a été délaissé et cette politique n’a pas été poursuivie.

Le contexte dans lequel nous vivons nous conduit, et c’est l’objet de la lettre que j’ai adressée à mes homologues italien, allemand et britannique, à relancer une initiative beaucoup plus forte. Je souhaite que soit mené, non pas un plan Tajani, mais un plan Juncker, puisque nous avons la chance que le président de la Commission européenne connaisse très bien ce sujet. Il a d’ailleurs lui-même eu à batailler dans ce domaine, et toutes les discussions que j’ai pu avoir avec lui montrent qu’il a une vraie conscience de la situation.

La prise de conscience doit donc avoir lieu au plus haut niveau, à travers les séries de mesures de rétorsion commerciale précitées, qu’il est tout à fait possible de prendre, et à travers des politiques industrielles de relance en recherche et développement, en formation et en investissement. Nous évoquions tout à l’heure la capacité de diversifier l’activité moyennant un vrai investissement : dans ce domaine, la Commission européenne a un rôle majeur à jouer, aussi bien défensif qu’offensif.

La politique de formation, que vous avez raison de mentionner, est également une des priorités que nous avons fixées au CNI avec mes collègues chargées de l’éducation et du travail. Nous avons donc un plan de formation pour les différentes filières stratégiques.

Je m’exprimerai à ce sujet de manière très directe : ce qui est stratégique, pour moi, c’est la préservation des compétences. Nous aurons beaucoup de mal à emmener des jeunes en formation dans ces filières compte tenu de leur manque de visibilité. Nous devons d’abord stabiliser les filières, leur donner un avenir et investir, mais, en toute responsabilité, il sera très difficile de privilégier la formation. Car ce dont nous débattons ouvertement ce soir, c’est qu’elles sont à risque.

Nous expérimentons par exemple une réorganisation filière par filière dans l’automobile et le numérique parce que, le cycle étant meilleur, il peut y avoir des débouchés. Mais, en l’occurrence, ce qui importe est la préservation des qualifications. C’est la précaution stratégique que nous devons mettre dans toutes les mesures, même limitées, de restructuration, afin d’éviter la destruction de compétences. D’où la mise sous tension des centres de formation d’apprentis, pour qu’il y ait des relais et que les plus jeunes soient formés.

Il en est de la sidérurgie comme du nucléaire : ce sont les compétences embarquées dans les entreprises qu’il faut préserver, en évitant de les briser dans les restructurations et en réussissant la formation continue. Pour les jeunes, du fait du manque de visibilité, il serait périlleux de décliner, du moins à court terme, une stratégie proactive en la matière.

Vous m’interrogez enfin sur les sites de Dunkerque et de Saint-Jean-de-Maurienne.

L’usine de Rio Tinto Alcan – RTA – à Dunkerque est l’un des plus grands bénéficiaires des mesures que nous avons prises en faveur des électro-intensifs ; c’est d’ailleurs l’un des groupes pour lesquels nous les avons calibrées afin de préserver leur compétitivité et leur implantation. Rio Tinto devrait bénéficier pleinement de l’augmentation de la rémunération de l’interruptibilité, du rabais sur le tarif de transport d’électricité – ces deux mesures figurant dans la loi relative à la transition énergétique – et de la compensation carbone, ce qui représente un rabais total d’environ 10 euros par mégawattheure, soit un tiers du prix acquitté auparavant.

Bref, il s’agit d’un vrai dispositif de soutien de ces groupes, qui améliore leur compétitivité-coût en matière énergétique. Ils m’ont d’ailleurs écrit pour me remercier – une fois n’est pas coutume ! – des mesures que nous avions prises, soulignant que la compétitivité de l’énergie de RTA Dunkerque est au niveau du benchmark mondial jusqu’en 2020. Sur ce point, donc, nous avons une vraie visibilité. Les discussions entre EDF et RTA sont actuellement en cours pour définir un contrat d’approvisionnement de long terme compatible avec les règles européennes, de manière à consolider la situation.

S’agissant du site de Trimet à Saint-Jean-de-Maurienne, je veux rendre hommage au travail accompli par mon prédécesseur, qui s’était beaucoup investi pour trouver une solution assurant la viabilité du projet, moyennant, là aussi, des négociations avec EDF. Le réinvestissement du groupe allemand a permis de rouvrir une ligne de production d’aluminium à l’été 2014.

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Avant de passer la parole à M. André Chassaigne, je prie les intervenants de bien vouloir se limiter à une seule question de deux minutes, à laquelle le ministre répondra lui aussi en deux minutes…

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Je souhaite revenir sur l’agressivité de la Chine et sur ses pratiques de dumping, soulignées par M. Darmayan durant la première partie du débat.

Vous appelez de vos voeux des actions de protection et vous évoquez deux pistes, monsieur le ministre. D’un côté, l’OMC peut en effet mener des actions anti-dumping, mais la France a-t-elle véritablement pris des initiatives en ce sens ? D’autres États européens l’ont-ils fait, ou des entreprises, sachant que, dans ce secteur, les groupes non chinois sont tout de même des groupes mondiaux ? A-t-on observé des faits précis ? Et, si la procédure est trop longue pour mettre en oeuvre une protection, pourquoi n’actionnez-vous pas la procédure de sauvegarde, qui permettrait de préserver notre sidérurgie ?

D’un autre côté, vous nous dites qu’il faut que l’Europe se protège par des barrières tarifaires. Mais faut-il vraiment que les barrières portent uniquement sur le prix ? Ne conviendrait-il pas de recourir à des règles sociales et environnementales pour mener des actions de protection ?

Vous qui ne passez pas précisément pour un bolchevique, monsieur le ministre, et qui êtes plutôt favorable à la financiarisation de l’économie, ne pensez-vous pas que le capital financier, dans le contexte de la mondialisation, ne connaît pas les limites de l’espace Schengen et que, si vous n’opérez pas une révolution copernicienne, vous échouerez à trouver des solutions durables ?

Comme je sais que vous aimez René Char, je conclurai par une citation du poète : « Signe ce que tu éclaires, non ce que tu assombris. »

Debut de section - Permalien
Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

L’idée n’est pas aujourd’hui de se tourner vers l’OMC, car ce n’est pas le sujet : le sujet est d’avoir une initiative au G7, au G20 et à l’OCDE pour conduire les Chinois à respecter les règles relatives au dumping. À court terme, c’est plutôt à nous de prendre des mesures de rétorsion, et ce sont ces mesures qui pourraient nous conduire à l’OMC.

Permettez-moi d’élargir quelques instants la discussion concernant la Chine. En vertu des accords signés il y a près de quinze ans, celle-ci serait en droit de demander le statut d’économie de marché – c’est le débat que nous aurons tout au long de l’année – à la fin de 2016. Si nous le lui refusions, elle serait sans doute conduite à porter des litiges devant l’OMC. Selon nos analyses, c’est dans ce contexte que l’on pourrait avoir un débat à l’OMC. À court terme, le moyen d’action le plus efficace n’est pas l’OMC, mais, je le répète, une discussion au sein du G7, du G20 et de l’OCDE sur les pratiques actuelles de la Chine, pour amener ce pays à réduire sa production et à cesser le dumping.

Or ces enceintes n’ont pas la capacité de décider de mesures de rétorsion. Les mesures de rétorsion sont conduites dans les enceintes européennes, en recourant aux quatre leviers que j’évoquais, parmi lesquels, au premier chef, la modernisation des instruments de défense commerciale – il nous faut accélérer la mise en oeuvre de ce qui a été décidé en 2013 – et toutes les mesures permettant, à court terme, de pratiquer des saisies et de raccourcir le délai maximum de neuf mois qu’une procédure anti-dumping normale nous contraindrait de respecter. Les leviers européens sont donc essentiels, et nous les privilégions en même temps que ceux du G7, du G20 et de l’OCDE.

Peut-être aurons-nous aussi des conflits à l’OMC, soit que nous disposions de la base légale pour les intenter – mais les procédures sont trop longues pour les entreprises concernées –, soit que les Chinois engagent eux-mêmes des procédures sur tel ou tel point.

Les règles environnementales et sociales constituent également un levier d’action, complémentaire de nos autres dispositifs juridiques. Là encore, nous devons porter ces critères devant le G7, le G20 et l’OCDE pour qu’ils soient respectés par les groupes chinois. Nous savons bien qu’il y a là un différentiel de compétitivité très fort. Il faudra du reste le prendre en compte dans le débat que nous aurons collectivement sur le statut d’économie de marché : on ne peut bénéficier d’un statut d’économie de marché au titre de l’OMC si cela n’emporte pas des règles homogènes concernant toutes les externalités, comme disent les économistes, que celles-ci soient environnementales, sociales ou autres, ainsi que des pratiques égales en matière de non-subventionnement. À défaut, il y a, comme aujourd’hui, une réelle distorsion de concurrence.

Je souscris donc à vos arguments, monsieur le président Chassaigne, mais ils ne permettent pas d’amener à des effets de rétorsion.

Je ne sais – nous pourrions poursuivre ce débat, mais j’ai largement dépassé les deux minutes qui m’étaient imparties – si la situation de la sidérurgie doit nous conduire à revoir en profondeur le logiciel capitaliste et tout ce qui s’ensuit. En l’espèce, je dirais plutôt que le diable a été introduit par des groupes et une économie qui ne me paraissent pas représenter la quintessence du capitalisme financier !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Le problème est ici de donner à une économie qui fonctionne au moyen d’un subventionnement massif un statut d’économie classique. Dans un système à la fois ouvert et contraint, on crée des distorsions massives.

Pour vous rassurer pleinement, monsieur le président Chassaigne, à les regarder, nous ne nous habituerons pas !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je crains de n’avoir pas bien saisi s’il était envisagé d’augmenter les droits de douane, donc les barrières tarifaires, aux frontières de l’Union européenne. Si vous pouviez me répondre clairement, monsieur le ministre, je vous en saurais gré.

Par ailleurs, comme je l’ai constaté partout, les entreprises apprécient beaucoup le crédit d’impôt recherche. Ce dispositif coûte relativement cher à la France : à ma connaissance, un peu plus de 5 milliards d’euros en 2015. Est-il envisagé de demander aux entreprises qui en bénéficient des contreparties en termes d’effort de recherche, d’innovation, de procédés industriels implantés en France, et donc d’emploi, de formation, etc. ?

Je prendrai un exemple pour illustrer mon propos. Dans ma circonscription iséroise, à Voreppe, le groupe Rio Tinto employait 300 salariés. Il y a quelques mois, cet effectif a été réduit d’un tiers et d’autres départs pourraient avoir lieu prochainement.

Debut de section - Permalien
Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Le crédit d’impôt recherche ne repose pas sur une conditionnalité. Certaines dépenses y sont éligibles, et ce sont elles qui ouvrent le droit à cette déduction fiscale. Le mécanisme n’est pas prévu pour permettre de revenir sur le crédit d’impôt au cas où le groupe rencontrerait des difficultés par ailleurs. Cela engendrerait du reste une instabilité, alors même que le dispositif permet de consolider une base installée forte en matière de recherche et développement. Comme je l’indiquais à M. Bocquet, je pense que l’examen est à mener filière par filière. Ce sera le cas dans l’évaluation qui sera menée.

Nous discuterons dans les prochaines semaines avec France Stratégie du même sujet, mais dans le cadre du CICE. Le crédit d’impôt recherche a ses propres critères. Contrairement au CICE, il n’est pas automatique. Certaines dépenses de recherche et développement sont éligibles, mais une entreprise qui n’est pas éligible ne bénéficiera pas du dispositif. L’idée de revisiter le crédit d’impôt a posteriori lorsque l’entreprise connaît des difficultés qui peuvent retentir sur l’emploi ou sur l’investissement serait de nature à déstabiliser le dispositif en profondeur.

Pour ce qui est des instruments de défense commerciale, je serai très précis. Comme je l’ai indiqué dans mon propos introductif, nous avons plusieurs axes importants. La modernisation des instruments de défense commerciale et les mesures transitoires permettront, dans les deux cas, d’accélérer les procédures. Si nous n’avons pas augmenté les tarifs aujourd’hui, c’est parce que cette augmentation intervient lorsque l’on a constaté et établi une pratique de dumping. Par contre, comme je l’ai demandé lors du Conseil « compétitivité » le 9 novembre dernier, nous avons obtenu de la Commission européenne non seulement qu’elle accélère les procédures en cours, les amplifie en se déclarant favorable à la prise en compte de la menace de préjudice, multiplie les enquêtes sur place, et donc applique rétroactivement les droits anti- dumping.

Ainsi, lorsque les enquêtes sur place décidées en novembre dernier auront établi, dans un délai maximal de neuf mois, les cas de dumpinget décidé les mesures anti- dumping, nous augmenterons alors les droits de douane sur tous ces biens avec effet rétroactif à compter du 9 novembre. Nous augmenterons donc bien les droits de douane, mais nous ne le faisons pas de manière automatique aujourd’hui, faute d’avoir pris, de manière transversale, une mesure anti- dumping sur l’acier chinois. Le processus a été enclenché en novembre, mais il durera entre six et neuf mois. D’où les mesures transitoires ou de court terme que nous avons décidées : à chaque constat réalisé lors des enquêtes sur place, on pratiquera un relèvement des tarifs européens.

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Je vous sens volontariste et interventionniste, monsieur le ministre, et je m’en félicite !

Si, dans l’affaire d’Hayange, puisque les hauts-fourneaux se trouvent non à Florange mais à Hayange, il n’y avait pas eu le pacte gouvernemental avec le groupe ArcelorMittal, si l’on n’avait pas pris l’initiative du centre public de recherche Metafensch, sur lequel nous travaillons – dans la communauté d’agglomération que je préside, les travaux avancent au rythme soutenu qui était prévu –, si, dans un dossier voisin, l’État n’était pas intervenu pour que Tata Steel obtienne un marché avec la SNCF, si l’on n’avait pas exercé des pressions sur des constructeurs automobiles pour qu’ils continuent d’investir et d’acheter de l’acier à nos différents producteurs, bref, si l’État n’avait pas joué son rôle, nous n’en serions pas là aujourd’hui : il n’y aurait sans doute plus de sidérurgie du tout !

Je fais là aussi référence à l’histoire, puisque du fait des nationalisations successives, mais également du traitement social des suppressions d’emploi – les salariés partant en retraite à cinquante ans – nous n’avons pas réglé le problème de l’érosion continue et accélérée de la sidérurgie française au fil du temps.

Il faut que nous passions à la vitesse supérieure. Or, de mon point de vue, cela ne peut se faire qu’au niveau européen. Et je suis quelque peu inquiet, car M. Darmayan a laissé entendre que la concurrence – faussée – des Chinois ne l’inquiétait pas. Je suis inquiet lorsque je vous entends dire que les règles de l’OMC ne sont pas contournables et vont s’imposer à nous d’une manière ou d’une autre.

Je suis également inquiet parce que le prix du CO2 devrait passer à 16 euros en 2020 et à 30 euros en 2030, ce qui ne me paraît pas compatible avec la compétitivité de l’industrie sidérurgique française.

Aujourd’hui, du fait des contradictions entre la concurrence et l’industrie, l’Europe n’est malheureusement pas prête à mener cette bataille. Je vous sens volontariste, monsieur le ministre, mais je ne suis pas sûr que l’Europe soit à votre niveau en matière de volontarisme.

Debut de section - Permalien
Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Monsieur le député, vous évoquez la phase offensive et je voudrais vous dire deux choses. Tout d’abord, l’Europe est la condition d’une politique commerciale efficace, c’est-à-dire une politique commerciale qui nous permette de nous défendre et qui favorise le rebond industriel. Les vraies mesures anti-dumping doivent être prises au niveau européen, et non au niveau français.

La question est de savoir, et cela rejoint la politique industrielle européenne qu’a évoquée M. le député Grellier, si nous avons la réelle volonté de rattraper les standards internationaux ou de mener une politique volontariste.

Je crois que c’est possible, mais ce n’est pas acquis aujourd’hui, vous avez raison de le souligner. Cela suppose pour nous de ne pas en rester à une politique commerciale, mais de structurer la production européenne, en matière de recherche et développement, comme le montre l’exemple emblématique de la Lorraine, en matière d’innovation, en matière de structuration des filières, notamment de la filière aval.

Je découvre encore que certains sites productifs qui utilisent de l’acier l’importent d’autres zones géographiques, alors même que l’on en produit en Europe. On voit bien qu’il y a une sous-optimisation européenne s’agissant de notre capacité à utiliser nos productions. En Lorraine, pour maximiser les conditions de reprise par le groupe Tata, nous avons mobilisé l’ensemble de la filière, et c’est vraisemblablement ce que nous ferons pour une partie des sites productifs de Vallourec en mobilisant les bassins d’utilisation locaux.

Il n’y a pas de fatalité. Structurer la production n’est pas, aujourd’hui, une culture européenne, mais c’est à nous de l’imposer. Je ne dis pas que c’est acquis, mais le retournement européen que nous évoquons passera par là, et de façon très profonde. Car si nous restons dans la langueur à laquelle nous sommes habitués, y compris sur ces sujets, l’Europe continuera à diverger. Or les tiraillements sont forts.

Vous avez raison d’être sceptique, mais je ne voudrais pas que ce scepticisme s’apparente à du défaitisme. L’exemple d’Hayange l’a montré, la structuration est possible dès lors qu’on se mobilise. Mais cette mobilisation doit aujourd’hui s’opérer au niveau européen.

J’ai évoqué longuement le volet commercial. Parmi les initiatives que je compte prendre, en accord avec mes collègues, vis-à-vis de la Commission, je présente un volet offensif portant sur la structuration des filières et des débouchés au niveau européen : ce volet offensif, nous devons le construire.

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Monsieur le ministre, vous tenez des propos de nature à nous rassurer, à nous faire croire que vous vous battez. Vous parlez de mondialisation non maîtrisée, pourtant vous êtes un grand adepte de l’ultralibéralisme ! Pour vous, il faut aller toujours plus loin, ce n’est jamais assez… La situation est pourtant le résultat de cet ultralibéralisme.

Vous dites que l’appareil productif doit être « au top ». Je n’ai pas l’impression que ce ne soit pas le cas en France. J’ai vu beaucoup d’usines fermer : elles ont été démontées pour être remontées à l’étranger. Qui investit en Chine dans la sidérurgie ? Est-ce que ce sont les grands groupes qui sont partis investir en Chine pour mettre ensuite en concurrence leurs propres industries en France ? Si vous ne les connaissez pas, je peux vous donner leurs noms ! Cette situation est bien le résultat d’une politique, et si nous ne tapons pas à cet endroit-là, nous ne réussirons jamais à faire quoi que ce soit !

Car lorsque ces groupes investissent à l’étranger, ils partent avec la technologie de pointe et produisent n’importe comment, dans des conditions sociales dramatiques, alimentant la pollution à un niveau qui n’est même pas mesurable en Europe. Nous avons tous vu à la télévision des images de gens qui se déplacent dans le brouillard. C’est nous qui laissons faire cela ! C’est vous qui laissez faire cela ! C’est l’Europe qui laisse faire cela !

Au lendemain de la COP21, pouvez-vous être sûr qu’il n’y a pas de solution ? Les grands groupes comme Renault ou Citroën font faire des audits chez leurs sous-traitants pour savoir comment ils produisent, mais nous sommes incapables de le faire au niveau de l’Europe ! Nous sommes incapables d’imposer des règles ! Nous savons pourtant que la liberté de chacun s’arrête là où elle remet en cause celle des autres. Or il s’agit de la vie même si nous continuons à laisser produire dans ces conditions la Chine, et demain l’Inde. Monsieur le ministre, nous devons être plus volontaristes pour contraindre tous les pays à évoluer vers des productions propres.

Debut de section - Permalien
Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Je ne reviens pas sur la différence de perception que nous pouvons avoir s’agissant de la Chine. Je le répète, la Chine n’est pas le meilleur exemple de capitalisme financier débridé… Je vous l’assure, monsieur le député, ce n’est pas l’idéal-type. Nous ne sommes pas en train de parler de surproduction, de pratiques anti-dumping venant des Américains ou d’une économie de marché, et c’est bien le problème ! Nous parlons de la rencontre de deux mondes dont les logiques et les contraintes sont très différentes. Votre raisonnement sur ce point ne tient pas.

Vous m’enfermez dans des représentations fausses, et je n’adhère pas à l’idée que vous vous faites de moi. Ce n’est pas grave, nous vivrons collectivement dans ce dissensus. Mais je pense que la base de votre raisonnement est erronée en ce qui concerne la Chine.

En revanche, vous avez tout à fait raison s’agissant de la différence, sur le plan environnemental et social, entre les conditions de production. C’est un point important, qui a été évoqué par plusieurs d’entre vous. Nous devons le prendre en compte. Nous n’avons pas aujourd’hui la capacité, au titre des règles internationales, de bloquer ces productions. Et vous avez tout à fait raison de rappeler que plusieurs grands groupes français et européens ont fait ce choix par le passé. C’était un choix « court-termiste » que de délocaliser massivement pour optimiser des conditions de production puisqu’ils ont affaibli leur propre base, le pays d’où ils venaient, le pays où se trouvait leur siège social.

Ce que nous voyons, c’est qu’en Chine ce n’est pas soutenable. Les Chinois sont en situation de fort stress climatique et doivent faire face à une pression sociale croissante. Cette affaire ne durera pas dix ans. Sur le plan des conditions sociales, la Chine a connu une inflation salariale extrêmement importante au cours des dernières années, qui ne la rend plus du tout compétitive. Tant et si bien qu’un hinterland chinois s’est développé, notamment avec la Malaisie et le Vietnam, ce qui montre que l’histoire a une fin…

Je ne crois pas, honnêtement, que tout cela soit une fatalité, mais nous devons, vous avez raison de le dire et le président Chassaigne l’a mentionné, aller plus loin sur le volet environnemental et social. Et pour cela, les bonnes enceintes sont le G20 et l’OCDE.

Nous avons réalisé en trois ans de nombreuses avancées sur le volet fiscal, grâce à l’initiative BEPS – base erosion and profit shipping –, qui vise à lutter contre les stratégies d’érosion de la base d’imposition et de transfert des bénéfices : nous devons conduire le même type d’avancée sur le volet environnemental et social. Cela concerne les industries sidérurgiques, la métallurgie, mais également beaucoup d’autres industries. Nous avons été amenés à parler de l’aéronautique, pour ne citer qu’un exemple. Là aussi, le différentiel en matière de conditions sociales par rapport aux pays du Golfe est terrible et discriminant. Lorsqu’on parle de compétition internationale sur des marchés ouverts, il faut aller jusqu’au bout de la logique : on ne peut pas demander aux gens de jouer avec des règles du jeu différentes. Or, aujourd’hui, elles sont trop hétérogènes.

Je vous rejoins sur ce point-là : la politique sidérurgique européenne passera par la capacité de l’Europe à imposer ses standards sur le plan environnemental et social au reste du monde, en particulier à la Chine, la Russie et l’Inde, qui sont les trois sites productifs qui nous imposent la plus forte concurrence, indépendamment des sujets de court terme que nous avons évoqués.

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Monsieur le ministre, je ne reviendrai pas sur tous les sujets qui ont été abordés par mes collègues, mais je salue le rôle défensif, voire interventionniste que doit jouer l’État. Toutefois, nous ne pouvons nous cantonner dans ce rôle : vous l’avez dit vous-même, il est nécessaire d’entrer dans une approche « intégrative » d’économie circulaire –en symbiose avec le territoire où se situe l’activité industrielle.

Permettez-moi de prendre l’exemple d’Alteo, que je connais bien. Producteur d’alumines, gazo-intensif – vous avez indiqué que nous y penserions en 2016 –, Alteo est une entreprise de taille intermédiaire, issue de Pechiney Rio Tinto. Au bord de la fermeture il y a quelques années, le groupe a réussi à reprendre pied sur le marché de l’alumine et de quelques spécialités. S’il a regagné quelques marges, il doit continuer à se renforcer sur la question de l’énergie, et ce malgré ce que j’ai indiqué à propos des gazo-intensifs.

Alteo travaille aussi, on le sait parce qu’il est concerné par les boues rouges, sur les impacts environnementaux. Car ceux-ci, s’ils sont nuisibles pour la société, représentent un aussi un coût pour l’entreprise. Alteo, qui réfléchit à la place qu’il veut occuper dans le territoire, a diversifié son activité, mais surtout repensé son flux de matière et d’énergie. Quant à ces fameuses boues rouges, qui représentent aujourd’hui un coût et un handicap, elles seront demain une opportunité : brevets concernant les traitements de dépollution, apparition de matières nouvelles à partir desquelles le groupe pourra créer de nouveaux produits et aborder cette diversification qui a fortement manqué, notamment à Vallourec.

En appliquant cette démarche, Alteo a créé de la croissance et de la valeur ajoutée, baissé le coût de son énergie à périmètre comparable, réduit son impact environnemental, même s’il reste encore du travail, créé de la richesse et même embauché plusieurs dizaines de personnes en quelques années, ce qui, dans l’industrie lourde, est relativement rare et mérite d’être signalé. Et l’entreprise a encore des marges de progression. Elle a aussi et surtout créé une symbiose industrielle avec d’autres acteurs économiques du territoire, plus modestes et moins visibles mais qui suscitent énormément de richesse et d’emplois.

Quelle politique pourrions-nous déployer à partir d’une approche de symbiose industrielle et d’économie circulaire pour compléter cette démarche défensive que vous avez présentée en préambule ?

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Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

En ce qui concerne les gazo-intensifs, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte prévoit la création d’un rabais du tarif de transport et la rémunération de la capacité à interrompre la production en cas de forte consommation de gaz. Les textes réglementaires relatifs à ces deux mesures sont en cours. Elles seront donc prises en 2016, je suis en mesure de vous rassurer.

L’exemple d’Alteo est effectivement un bon exemple qui montre l’efficacité de l’économie circulaire. Tout en réduisant de 95 % les émissions de l’entreprise, on a réussi à créer de nouveaux emplois et à maintenir un avenir industriel sur ce site. C’est extrêmement important.

Alteo investit 30 millions d’euros pour changer son processus, arrêter la production de rejets solides et poursuivre sa démarche de recherche et développement.

Pour généraliser cet exemple, il faut développer une pratique plus intense du recyclage. Vous qui avez longuement travaillé sur l’économie circulaire, la loi relative à la transition énergétique a défini des objectifs ambitieux de recyclage et de valorisation, comme par exemple la réduction de 50 % des quantités de déchets admis en décharge d’ici à 2025. La meilleure façon d’y parvenir est de mener une politique industrielle qui va dans ce sens.

Un travail important du Conseil général de l’économie, qui a été rendu public à la fin de l’année dernière et qui s’inscrit dans la continuité de vos travaux, a montré l’impact des différentes mesures. Le plan « Nouvelles ressources », l’un des axes de la Nouvelle France industrielle, s’appuiera sur le recyclage et les matériaux verts. Ce plan permettra de structurer ces bonnes pratiques et ces réinvestissements au sein de chaque filière en améliorant les techniques de tri, la valorisation de déchets précis, secteur par secteur. Un appel à projets de l’ADEME, intitulé « Économie circulaire, recyclage et valorisation des déchets », ouvert jusqu’en novembre prochain, permettra d’identifier et de cofinancer les projets qui iront en ce sens.

Il est important, dans ce contexte, s’agissant d’un élément offensif de la politique industrielle, de dire que l’économie circulaire et le recyclage font partie des solutions pour la filière.

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Monsieur le ministre, même si vous avez esquissé des éléments de réponse dans votre propos introductif, je voudrais revenir sur une préoccupation forte, partagée par de nombreuses entreprises sidérurgiques françaises et européennes, au rang desquelles se trouvent Aperam et Ugo ThyssenKrupp à Isbergues dans le Pas-de-Calais : il s’agit de la réduction des émissions de CO2, dont nous avons abondamment parlé ce soir.

Depuis plusieurs années, ces entreprises, notamment celles qui se trouvent dans ma circonscription, m’indiquent qu’elles investissent significativement dans leurs process et leurs produits, qu’elles améliorent constamment afin de limiter au mieux leurs émissions, ce qui est une très bonne chose.

Toutefois, nous le savons bien, le marché des aciers est mondial, et certains concurrents situés hors Europe – nous pensons à la Chine, notamment – produisent les mêmes aciers, mais sont libres de vendre en Europe sans être soumis aux mêmes contraintes de rejet, ce qui crée une distorsion dont nous sommes tous conscients, mais qu’il faut absolument effacer ou compenser de manière durable afin de maintenir la compétitivité de ces entreprises.

Je sais bien, monsieur le ministre, que vous ne pouvez agir seul, mais que comptez-vous faire avec vos collègues européens pour remédier à cet état de fait qui place nos entreprises sidérurgiques en situation d’infériorité par rapport à la concurrence non européenne ?

Debut de section - Permalien
Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Vous avez raison de le rappeler. Votre question, qui rejoint d’ailleurs celles de M. Liebgott et de M. Chassaigne, porte sur la capacité à maintenir la compétitivité de nos sites productifs, compte tenu des contraintes que nous nous sommes imposées – qui sont légitimes et cohérentes avec notre stratégie d’ensemble en matière d’émission de CO2 – et d’une fixation du prix carbone qui conduit les groupes à décider de certains réinvestissements pour améliorer leurs pratiques de production et se conformer à nos directives.

En ce qui concerne le prix de l’énergie, nous avons maintenu la compétitivité du site français par rapport aux autres sites européens. C’est déjà un effort considérable. Force est de constater que nous n’avons pas réussi à maintenir celle de nos sites productifs par comparaison avec les sites russes, chinois ou indiens, qui n’ont pas les mêmes standards que nous.

Il est évident que nous ne pouvons ni baisser nos propres standards, ni financer en totalité sur crédits publics les investissements qui nous rendraient compétitifs. Néanmoins, nous avons accompagné, et nous continuons de le faire, les groupes dans leur stratégie de réduction des émissions de CO2.

Les appels d’offres de l’ADEME, que j’ai rappelés, et ceux du Plan d’investissements d’avenir, dans le contexte de la Nouvelle France industrielle, ont permis d’aider ces groupes dans leur politique d’investissement. Cette aide reste cependant marginale, ou du moins minoritaire par rapport à l’investissement total, particulièrement aux coûts récurrents de production.

La seule possibilité est de rendre les standards internationaux plus drastiques. C’est pourquoi les échanges internationaux que nous devons avoir dans le cadre du G7, du G20 et de l’OCDE sont stratégiques, puisque c’est dans ces enceintes que nous pouvons fixer ces standards.

Je l’ai dit tout à l’heure à M. Carvalho : il en est de ces normes comme des pratiques fiscales. De même que certains pays pratiquent des politiques d’optimisation, certains États, qui subissent moins de pression de la part de leur opinion publique et possèdent moins de conscience civique sur ces sujets, considèrent qu’ils peuvent produire avec moins de contraintes.

La seule façon de réagir est de mener un dialogue dynamique sur le plan de la concurrence internationale, en montrant que le marché est faussé si les conditions de production, qui sont déterminantes, diffèrent profondément d’un pays à l’autre. C’est un débat que nous devons conduire au G20 et à l’OCDE.

Par ailleurs, il faut exercer une pression pour que les pays qui veulent s’inscrire dans le cadre de l’OCDE, ce qui est le souhait réaffirmé de l’ensemble des économies, respectent les règles sur ces deux volets.

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Je crois que je vous ai bien entendu, monsieur le ministre, en ce qui concerne le caractère essentiel de la sidérurgie pour l’économie française et l’enjeu primordial de ce dossier compte tenu du contexte économique mondial et européen. J’ai également entendu votre engagement et votre détermination.

Je vous poserai trois questions.

Que pensez-vous de la capacité du Gouvernement à mettre en place des contreparties aux aides publiques, voire, comme l’a suggéré M. Verbeke, un droit d’ingérence public dans les entreprises ?

Comment agir pour inciter les entreprises du territoire national à favoriser recherche et développement, innovation, investissement, formation et maintien des compétences ?

Ma dernière question est quasi existentielle. Pourquoi l’Union européenne a-t-elle encore besoin d’être convaincue pour vous accompagner dans la résistance au dumping chinois ? Ne s’agit-il pas d’un enjeu européen essentiel ?

Debut de section - Permalien
Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Vous m’interrogez d’abord sur le droit d’ingérence public. Celui-ci se fait au cas par cas et selon la situation des entreprises. L’État est actionnaire de certaines d’entre elles, par exemple de Vallourec, ce qui permet un dialogue spécifique. D’autres possèdent un caractère stratégique, et dans le cadre d’une opération structurante, peuvent faire l’objet d’une ingérence publique, ou du moins de compensation ou de conditions. Telle est la nature du dialogue que nous avons eu avec ArcelorMittal.

C’est par ce biais, au cas par cas, que doit se faire notre action. Je ne crois pas à une ingérence publique qui passerait par le crédit d’impôt ou les divers dispositifs fiscaux.

La réflexion, loin d’être neuve, parcourt le débat économique et industriel français depuis des décennies. Elle n’a jamais trouvé de traduction juridique concrète. De ce fait, elle rend les mécanismes d’aide presque dissuasifs. Plus largement, on peut s’interroger sur leur pertinence dans le contexte actuel. Je le répète : il faut agir au cas par cas, en prenant nos responsabilités d’actionnaire, voire en le devenant, quand il existe un plan industriel.

C’est un point important en termes stratégiques. Quelles que soient les difficultés, nous avons bien fait de ne pas investir sur le site de Florange, où il n’y avait pas de perspectives industrielles crédibles. Investir n’était pas une bonne manière d’utiliser l’argent du contribuable, quelle que soit l’énergie que mon prédécesseur ait pu déployer.

En revanche, on a bien utilisé l’argent du contribuable, en prenant beaucoup de risques, dans le cas de PSA, parce qu’il y avait un avenir industriel, qu’accompagnait la recapitalisation. Voilà ce que doit être la summa divisio.

Partout où il y a un avenir industriel, et où un besoin de financement se manifeste pour repartir, l’État doit être là, et il le sera. En dehors de ce contexte, le droit d’ingérence public me paraît contre-productif.

Nous souhaitons accélérer les politiques d’innovation, grâce aux mécanismes que j’ai rappelés, dans le cadre de la Nouvelle France industrielle, via le PIA et la Banque publique d’investissement, et à travers l’Alliance pour l’industrie du futur, sur les PME et les ETI du secteur. La sidérurgie fait partie des leviers prioritaires pour maintenir notre capacité à préparer la nouvelle génération.

Pour ce qui est de la formation, j’en reviens à ce que j’ai dit tout à l’heure : nous avons une responsabilité de préservation des compétences et qualifications existantes. C’est un point critique, auquel nous tenons beaucoup. Il est stratégique tant pour la sidérurgie que pour le nucléaire.

Nous avons mobilisé les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi – DIRECCTE – pour qu’elles vérifient, en cas de suppression d’emplois ou de tension sur les sites, que l’on ne perd pas de compétences.

Il faut aussi mobiliser les centres de formation pour procéder aux transferts de compétences en formant les salariés les plus jeunes. Pour ce qui est des formations initiales, je le répète : il est très difficile d’orienter les jeunes vers un secteur en crise. En revanche, ceux-ci peuvent se tourner vers les secteurs connexes, qui sont aujourd’hui en tension. On cite souvent l’exemple du métier de chaudronnier. De même, puisque le secteur de l’automobile repart, certains métiers et certaines compétences sont à nouveau en tension, et les jeunes peuvent s’orienter vers elles. Des expérimentations ont été décidées avec le Conseil national de l’industrie.

Enfin, je fais le même constat que vous sur l’Union européenne. La lutte contre le dumping n’appartient pas à sa culture ni à ses services, ce qui suscite de ma part non des accusations, mais un certain volontarisme. La personnalité du président de la Commission doit nous donner de l’espoir, du moins je veux le croire. Nous devons nous mobiliser et nous donner cette chance.

Je suis profondément convaincu que si, dans l’année qui vient, la Commission européenne ne réagit pas avec la vigueur que requiert cette problématique, qui traverse les principales économies de l’Union, elle aura encore accru la défiance, et, partant, sa propre fragilité.

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Nous avons épuisé les demandes de questions.

Je vous remercie pour ce débat qui prouve, une nouvelle fois, l’intérêt des semaines de contrôle.

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Prochaine séance, demain, à neuf heures trente :

Proposition de loi visant à intégrer le principe de substitution dans le cadre national applicable aux produits chimiques ;

Proposition de loi visant à l’automaticité du déclenchement de mesures d’urgence en cas de pics de pollution ;

Proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation ;

Proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique ;

Proposition de loi relative à l’enseignement immersif des langues régionales et à leur promotion dans l’espace public et audiovisuel.

La séance est levée.

La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly