C’est clair : nous ne laisserons pas dépecer l’industrie sidérurgique.
La situation que nous vivons aujourd’hui diffère de celle de 2013, où nous sortions d’une période de surcapacité européenne de production. Il s’agissait alors de rationaliser celle-ci, afin de mettre en place un instrument compétitif sur le plan mondial.
Depuis, ArcelorMittal a intégralement tenu ses engagements, comme le Président de la République l’a constaté à l’occasion des deux visites qu’il a effectuées à Florange.
Comme l’a dit M. Verbeke, nous avons ainsi développé une filière d’acier technologique, avec des aciers correspondant aux besoins des constructeurs automobiles, afin de réduire la production de gaz à effet de serre.
Nous avons également modernisé un haut-fourneau de Dunkerque, le second étant actuellement en réfection.
Enfin, nous avons lancé en début d’année des plans d’embauche afin de maintenir les qualifications.
Notre mission est de développer la sidérurgie française, qui représente 35 % de la production du groupe ArcelorMittal, la France étant un élément clé du groupe auquel M. Mittal, comme il vous l’a dit, attache une très grande importance.
Cela étant, la situation est aujourd’hui différente, puisque le problème de la surcapacité européenne a été résolu. Elle résulte de l’agressivité chinoise, comme cela a été rappelé par le premier intervenant.
Premier message que je tiens à faire passer : l’industrie sidérurgique est en effet aujourd’hui dans une situation critique en raison de l’agressivité des exportateurs chinois, de la baisse du prix des matières premières et de la crise pétrolière – je vais y revenir.
Deuxième message : l’approbation de la nouvelle directive ETS – le système européen d’échanges de quotas d’émissions de CO2 – en l’état constituerait un facteur défavorable pour la compétitivité de l’acier européen.
C’est un dossier qui alourdirait les problèmes du secteur de l’acier, qui n’en a pas besoin. Un plan de défense de l’industrie sidérurgique européenne est aujourd’hui nécessaire.
Pour revenir sur la question chinoise, le problème ne réside pas dans le marché européen. La consommation européenne est aujourd’hui en hausse, de 2 % par an, plus qu’en Chine, pour ce qui concerne l’acier. Grâce à un effet de change favorable, la consommation dans les secteurs de l’automobile et des industries mécaniques connaît une évolution positive. Le problème est que cette croissance n’a pas profité aux producteurs européens, car, dans le même temps, la Chine a vu sa croissance diminuer dans de grandes proportions ; alors qu’elle avait développé des capacités de production en prenant pour base une croissance de 10 %, elle connaît aujourd’hui des baisses de production de l’ordre de 3 %, ce qui lui laisse un volant de capacités disponibles très important. Or, la philosophie chinoise consiste à réaliser des volumes importants, qui doivent être exportés. Les chiffres ont été rappelés : la production chinoise s’élève à 800 millions de tonnes et ses surcapacités atteignent 300 millions de tonnes, alors que la production de l’Europe s’élève à 150 millions et celle des États-Unis à 120 millions de tonnes. La seule production chinoise représente ainsi plus du quintuple de la production européenne et américaine. Par ailleurs, les exportations chinoises s’élèvent à 110 millions de tonnes, soit à peu près ce que produisent les États-Unis.
La Chine exerce donc, à l’heure actuelle, un poids prépondérant sur l’ensemble du marché mondial de l’acier, ce qui a notamment pour conséquence une baisse des prix généralisée, qui a un impact sur l’ensemble des marchés que nous avons évoqués. Lorsque les prix baissent, les distributeurs d’acier souffrent, les producteurs de tubes également, en raison d’une dévalorisation des stocks et d’un appauvrissement de la chaîne de valeur, ce qui a des répercussions sur l’ensemble des secteurs. Cela vaut en premier lieu pour les laminés à chaud, le premier produit acier, pour lequel on constate, en Italie, des différences de 100 euros la tonne entre prix européens et chinois. Or, traditionnellement, les prix chinois sont inférieurs de 20 à 30 euros aux prix européens. On connaît donc actuellement des écarts nettement supérieurs. Le prix de référence de l’acier étant de 400 euros la tonne, une différence de 100 euros revêt une importance majeure. Si les usines focalisées sur les aciers techniques, comme à Dunkerque, ne sont pas encore touchées, les usines comme celles de Fos, qui délivrent du laminé à chaud sur l’ensemble du bassin européen, sont concernées au premier chef.
Les actions à mener maintenant n’ont rien à voir avec celles qui ont été entreprises avant 2013. Il convient aujourd’hui – et il y a urgence – de conduire une action de protection. Nous avons en effet prouvé, en ce qui concerne l’acier comme d’autres métaux qui s’échangent, que la Chine est en train de « dumper », c’est-à-dire de pratiquer des prix inférieurs aux prix de marché, et accorde des subventions. Nous avons donc enclenché un arsenal de plaintes anti-dumping. Le problème est que ces plaintes ne sont jamais élaborées avant six mois à un an. L’urgence consiste donc à convaincre l’Union européenne de mettre les bouchées doubles, d’actionner les procédures de sauvegarde, si les procédures anti-dumping sont trop lentes, et de faire en sorte que, pour l’ensemble des produits sidérurgiques – même si la crise concerne plutôt, en ce moment, les laminés à chaud –, l’Europe puisse, non pas être protégée, mais bénéficier de conditions commerciales normales de libre-échange.
Il est d’autant plus urgent de traiter ce dossier que, si on ne le fait pas, on devra résoudre un autre dossier du même type, à savoir le statut d’économie de marché de la Chine. L’Europe a négocié il y a plusieurs années le fait qu’en 2016, la Chine obtiendrait automatiquement le statut d’économie de marché. Si tel était le cas, les droits de douane que l’on impose aux Chinois en réaction à leur politique de dumping, au versement de subventions, seraient calculés sur la base d’un prix chinois et non d’un prix du marché de référence international. Il s’ensuit que l’ensemble de notre arsenal anti-dumping, destiné à nous protéger de cette surcapacité chinoise, deviendrait inopérant.
Il est donc urgent d’établir des protections produit par produit. Il ne l’est pas moins, pour les pays de l’Union européenne, de mener une action claire vis-à-vis de Bruxelles concernant le statut d’économie de marché, pour que l’Union refuse d’accorder à la Chine le statut d’économie de marché, comme les États-Unis vont le faire, ou assortisse celui-ci d’un certain nombre de conditions restrictives, notamment concernant la question technique du marché de référence sur la base duquel on calcule nos droits de douane. C’est fondamental. L’Europe a été active à l’égard d’un certain nombre de produits acier, aujourd’hui protégés, comme les aciers inox et les aciers peints. Si elle agit de la même façon sur ce dossier, nous aurons de quoi protéger le marché européen contre cette surcapacité chinoise. Le Gouvernement est tout à fait à notre écoute, nous soutient, mais cela ne dépend pas uniquement de lui ; Bruxelles a un rôle important en la matière. Une action importante de lobbying doit donc être menée à Bruxelles, au Parlement et au Conseil européens.
La vingt et unième conférence des parties à la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, la COP21, a été un succès mais a assigné – ce n’est pas là une critique – des objectifs différents aux pays européens par rapport à d’autres pays. On ne pouvait pas, de fait, freiner le développement d’un pays tel que l’Inde pour assurer le respect des normes d’émission de CO2. Ce n’est donc pas, j’y insiste, une critique de ma part, mais le résultat est là : des contraintes plus sévères s’appliquent aujourd’hui à l’Europe – qui devra réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % à l’horizon 2030 – qu’elles ne le sont pour l’Inde.
Le projet de directive qui va vous être communiqué fixe des objectifs extrêmement ambitieux à l’ensemble des pays européens. L’acier étant, par définition, une industrie très ouverte sur le commerce international, il est certain que nous sommes beaucoup plus pénalisés, et soumis à des importations de carbone de la part des pays moins touchés que nous. Il nous paraît donc indispensable que cette directive soit modifiée. En l’état actuel, nous avons calculé que si la totalité des règles de la proposition de directive adoptée en juillet 2015 étaient appliquées, cela entraînerait des frais de carbone de 31 milliards pour l’industrie sidérurgique sur la période 2021 à 2030 et surenchérirait la tonne d’acier d’environ 30 euros, ce qui augmenterait d’autant notre coût de production d’acier.
Il nous paraît très important que soient prises en compte les demandes suivantes : la redéfinition de ce qu’est une aciérie au bon niveau d’émission de CO2, les critères techniques appliqués aujourd’hui étant tout à fait inacceptables ; une augmentation des volumes de quotas gratuits, qui nous mettrait à parité avec les autres pays ; une redéfinition des secteurs ouverts à la concurrence internationale. Si la directive s’applique en l’état, le site de Dunkerque devra payer des droits de CO2dès 2017, alors que ses concurrents étrangers ne le feront pas, et qu’il s’agit d’une usine au benchmark en termes de production de CO2.
Telle est la situation sur ces deux sujets fondamentaux que sont la Chine et le système européen d’échange de quotas d’émission – Emission Trading Scheme, dit ETS. Le commissaire Tajani avait lancé un plan pour l’acier il y a quelques années, qui a été rendu caduc par le changement intervenu à la Commission. Il nous paraît très important que ce sujet soit réétudié. L’ensemble des directeurs généraux et des commissaires européens ont à connaître d’une partie du sujet : ces questions doivent donc être abordées par les chefs d’État, au niveau global. Un plan acier est à élaborer pour traiter l’ensemble des problèmes de compétitivité, des questions liées aux ETS et des difficultés frappant l’aval des industries sidérurgiques.