Intervention de Brigitte Allain

Séance en hémicycle du 14 janvier 2016 à 15h00
Ancrage territorial de l'alimentation — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBrigitte Allain, rapporteure de la commission des affaires économiques :

Madame la présidente, monsieur le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, madame la présidente de la commission des affaires économiques, chers collègues, le 15 décembre 2015, la commission des affaires économiques adoptait cette proposition de loi, qui vise à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation.

Cette proposition de loi répond à une réelle attente citoyenne. La crise financière, économique, sociale et environnementale a d’abord créé des frustrations individuelles et un sentiment d’impuissance des élus territoriaux. Mais, ces dernières années, les citoyens ont au contraire décidé de relever le défi. Selon un sondage IFOP, réalisé à la demande de l’association « Agir pour l’environnement », 76 % des Français soutiennent cette proposition de loi, ce dont je me réjouis.

Face à une concurrence mondiale exacerbée, qui détruit nos emplois et notre environnement, de très nombreux consommateurs prennent conscience qu’en choisissant de manger local, ils concourent au maintien de l’agriculture paysanne française. Pour s’impliquer réellement dans la durabilité de ces productions, ils ont permis les premières contractualisations avec les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne – AMAP. À la recherche de produits sains pour leur santé et celle de leurs enfants, et sensibilisés au respect de la nature, ils ont permis le développement de fermes en agriculture biologique. Ce faisant, les citoyens ont intégré leur capacité à intervenir dans les politiques agricoles.

Toutes ces démarches, ici et ailleurs dans le monde, ont contribué à l’émergence du droit à la souveraineté alimentaire, opposable au droit des accords du commerce mondial. Enfin, en 2014, je me félicite que notre travail législatif ait permis d’inscrire la souveraineté alimentaire dans le droit français.

De là découle naturellement la proposition de loi que je vous présente. L’un des axes novateurs de la loi d’orientation agricole réside dans l’ancrage territorial de la production pour l’alimentation. Ce dernier nous permet de refonder une politique agricole adaptée aux enjeux actuels et à venir. Refonder une politique agricole ambitieuse et moderne ne consiste pas à faire table rase du passé ou de ce qui a réussi. Il ne s’agit pas davantage d’opposer filières agro-industrielles et circuits courts.

Pour les agriculteurs, comme pour les élus, les projets alimentaires territoriaux, désormais inscrits dans la loi, permettent de retisser le lien social entre citoyens, de garder la valeur ajoutée de nos productions sur nos territoires et de créer des emplois, autour du besoin alimentaire quotidien de chacun d’entre nous. Dorénavant, ce sont les élus des territoires, les citoyens et les agriculteurs qui définiront ensemble leurs besoins alimentaires. Sur le fondement d’un diagnostic partagé, ils décideront quoi produire, et comment le produire.

Cette proposition de loi résulte d’un travail collectif d’auditions, de consultations et de discussions mené au sein d’une mission d’information, qui a donné lieu à la publication d’un rapport, intitulé « Et si on mangeait local… ». Nommée rapporteure, j’ai invité mes collègues à participer à un groupe de travail afin de recueillir leurs avis. Et, depuis l’examen en commission, des échanges ont eu lieu pour affiner les contours de cette proposition de loi.

Quelle est, précisément, l’ambition de cette proposition de loi ? Son objectif est de créer un ancrage territorial de l’alimentation, par le biais de la restauration collective, publique comme privée. L’ancrage territorial de l’alimentation est étroitement lié au développement d’une alimentation de qualité. Les circuits de proximité et les pratiques agricoles agro-écologiques sont pourvoyeurs d’emplois, économes en intrants, moins polluants, et respectueux de l’environnement et des hommes. De nombreux élus des collectivités locales et des acteurs associatifs en font un levier de développement local. En effet, l’alimentation est l’affaire de tous.

Ce texte prolonge la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, du 13 octobre 2014, et place l’ancrage territorial de la production agricole au rang des objectifs de la politique alimentaire. Il répond par ailleurs à l’engagement du Président de la République d’introduire 40 % de produits bio et durables dans les restaurants collectifs. La demande citoyenne fait évoluer nos politiques. Quand les cantines se rebellent, les enfants sont au coeur de la loi.

L’article 1er de la présente proposition de loi vise à introduire, dès 2020, 40 % de produits issus de l’alimentation durable, dont 20 % devront être issus de l’agriculture biologique, conformément à l’objectif gouvernemental du plan Ambition bio 2017. L’État et les collectivités territoriales s’engagent dans des dynamiques de territoire, afin de sécuriser les approvisionnements et les débouchés.

La définition de l’alimentation durable a fait l’objet de discussions en commission et nous avons travaillé, avec le ministère de l’agriculture et nos collègues, sur les contours de cette définition – nous y reviendrons lors de l’examen des amendements à l’article 1er. La restauration collective sert annuellement plus de 3 milliards de repas et concerne 78 000 restaurants. Il est nécessaire de fixer des objectifs chiffrés, mais réalisables, pour le secteur public, et d’accompagner, aussi bien le secteur public que le secteur privé, dans cette démarche.

L’article 2 confie à l’observatoire de l’alimentation la mission de suivre l’évolution des circuits courts et de proximité. En liaison avec les observatoires régionaux existants, il s’assurera du respect des objectifs définis à l’article 1er de la loi.

L’article 4 prévoit d’intégrer à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises des exigences en matière de consommation alimentaire durable : choix de plats bio et locaux, cuisine sur place, lutte contre le gaspillage alimentaire et valorisation des déchets. Dans les restaurants d’entreprise, tous ces éléments pourront être valorisés.

L’article 5 permettra aux cuisiniers de la restauration collective de mentionner les plats « faits maison », afin de motiver les cuisiniers et personnels de service dans la promotion de leurs savoir-faire. Lors du déplacement de la mission d’information en Dordogne, les cuisiniers de la restauration collective, fidèles à la réputation du Périgord, ont déploré que leur volontarisme pour favoriser les produits locaux soit ignoré. Les producteurs eux-mêmes ont à coeur de faire connaître leurs pratiques respectueuses de l’environnement et les conditions de production. Tous peuvent ainsi s’impliquer dans une équipe pédagogique et encourager les consommateurs à partager leurs recettes. Manger local, c’est intégrer un territoire. La gastronomie française est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO : cela se cultive !

À l’article 3, dans le prolongement de la loi d’orientation agricole, les plans régionaux de l’agriculture durable – PRAD – deviennent les plans régionaux de l’agriculture et de l’alimentation durable – PRAAD – et les acteurs de l’alimentation, aujourd’hui regroupés dans les comités régionaux pour l’alimentation – CRALIM – sont intégrés à la gouvernance des PRAAD. L’échelon régional est à même d’intégrer les politiques alimentaires et de favoriser une alimentation de proximité, et diversifiée, pour répondre à la demande.

Tous les signaux sont au vert. Tous ensemble – État, élus locaux, producteurs et acteurs économiques de l’agroalimentaire –, nous partageons l’ambition de créer une politique alimentaire qui renforcera l’attractivité de nos territoires et, par extension, des produits français dans leur ensemble.

Mes chers collègues, voter cette loi, c’est donner aux malades hospitalisés, aux résidents des établissements d’hébergement pour personnes âges dépendantes – EHPAD – et des institutions publiques un lien avec leur histoire gastronomique ; c’est donner à nos enfants et à nos jeunes le bonheur de savourer les fruits de leur territoire ; c’est leur donner le goût de leur pays, leur faire aimer notre terre, leur faire aimer la vie. Aussi, j’ai confiance en vous, et je pense que nous allons voter cette loi.

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